Chers collègues, je suis heureuse d'accueillir dans notre commission Mme Claire Legras, directrice des affaires juridiques du ministère des armées. Cette audition à huis clos s'inscrit dans le cadre de notre cycle « renseignement », préparatoire à l'actualisation de la loi du 24 juillet 2015. Ce cycle, commencé il y a quelques semaines, se poursuivra demain par l'audition du sous-directeur de l'anticipation opérationnelle de la gendarmerie nationale et, la semaine prochaine, celle du directeur du renseignement et de la sécurité de la défense.
Madame la directrice, vous êtes à la tête de la direction des affaires juridiques du ministère des armées depuis septembre 2017. Conseillère d'État, vous avez aussi été rapporteur adjoint auprès du Conseil constitutionnel. En tant que directrice des affaires juridiques, vous êtes placée sous la responsabilité de la secrétaire générale de l'administration, que nous auditionnons régulièrement au sein de cette commission.
Votre direction est chargée de garantir le respect du droit et d'assurer la qualité de la réglementation au ministère des armées. Elle élabore les textes législatifs et réglementaires présentés par la ministre. La direction traite de tous les aspects juridiques des multiples activités du ministère des armées, de la négociation d'accords internationaux à la protection juridique des agents du ministère, en passant par le contentieux, l'élaboration de textes réglementaires, la justice militaire ou la codification.
Votre direction assume en permanence les missions d'expertise juridique qui lui sont demandées par le cabinet de la ministre, ainsi que par les états-majors, les directions et les services du ministère. Vous assurez aussi l'affectation et le soutien des conseillers juridiques sur les théâtres d'opérations.
Cette énumération illustre l'immensité de votre champ de compétence. Aussi nous a-t-il semblé sage, d'un commun accord, de limiter votre propos liminaire à trois thèmes d'actualité : l'actualisation de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement ; les effets en droit interne de deux jurisprudences de la Cour de justice de l'Union européenne, l'une relative à la conservation des données, ayant un effet majeur pour les services de renseignement du ministère des armées, l'autre relative à l'application de la directive sur le temps de travail aux militaires, et la déclassification des archives classifiées de plus de 50 ans.
S'agissant de la loi du 24 juillet 2015, le Parlement sera amené très prochainement à se prononcer sur son actualisation. Si notre Assemblée a dressé l'année dernière un bilan de son application, il serait utile de rappeler les fondements de ce texte et les principales améliorations nécessaires pour que cette loi fondatrice s'applique au mieux, au profit à la fois de la sécurité et des libertés de nos concitoyens.
Deuxième point, qui n'est pas sans lien avec la loi de 2015, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a confirmé, le 6 octobre dernier, par deux décisions, sa jurisprudence « Télé2 » du 21 décembre 2016. Ces décisions remettent en cause la faculté pour les États membres d'obliger les opérateurs de télécommunications à assurer une conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic et de localisation des utilisateurs. Nous l'avons vu lors d'une table ronde réunissant le coordonnateur national Laurent Nuñez, le procureur de la République antiterroriste et deux professeurs des universités, ces décisions posent des problèmes majeurs aux services de renseignement. Nous sommes à présent dans l'attente de décisions du Conseil d'État, l'ONG La Quadrature du net ayant attaqué au contentieux plusieurs décrets d'application de la loi de 2015. Comment sortir de cette impasse juridique ?
Le 28 janvier dernier, l'avocat général près de la CJUE a présenté ses conclusions dans le cadre d'une question préjudicielle posée par la Slovénie sur l'applicabilité aux militaires de la directive du 4 novembre 2003 concernant l'aménagement du temps de travail. L'avocat général estime que les mesures nationales relatives à l'organisation des forces armées ne sont pas complètement exclues du champ d'application du droit de l'Union et que « les militaires professionnels sont des travailleurs au sens de la directive de 2003 ». Il indique que les militaires ne sont exclus du champ de la directive 2003/88 que lorsqu'ils participent à certaines « activités spécifiques » des forces armées. Pourriez-vous revenir sur ces conclusions et sur leurs conséquences potentielles sur le bon fonctionnement et la libre disposition de nos forces armées, si la position de l'avocat général devait être suivie par la Cour ?
Quant à l'accès aux archives, le 9 mars dernier, l'Élysée a annoncé dans un communiqué que le Président de la République allait proposer un travail législatif d'ajustement afin d'assurer la cohérence entre le code du patrimoine et le Code pénal pour faciliter l'action des chercheurs. Il s'agit de renforcer la communicabilité des pièces, sans compromettre la sécurité et la défense nationales. L'objectif est de voir aboutir ce travail, entrepris par et avec les experts de tous les ministères concernés, avant l'été 2021. Quels sont les enjeux à prendre en considération dans cette évolution ?