Les bureaux et cellules renseignement de la gendarmerie ont pour particularité de ne pas être placés sous mon autorité organique mais de dépendre de chefs locaux ; mon rôle, pour ce qui les concerne, est d'appeler leur attention sur des phénomènes donnés et d'élaborer la doctrine au niveau central. Il n'est pas envisagé de renforcer leurs prérogatives juridiques. Être doté de capacités juridiques emporte en corollaire des obligations ; or ces unités, extrêmement sollicitées, ont une marge de manœuvre à leur niveau sans avoir forcément besoin de recourir à des techniques spécialisées qui demandent une formation, des ressources et des moyens de contrôle ad hoc. En revanche, pour le suivi des personnes radicalisées, nous avons resserré nos liens avec les gendarmes de terrain qui peuvent suivre les objectifs FSPRT et maintenu notre capacité de projection. La SDAO se projette régulièrement sur le terrain, en appui des unités, pour faire le point sur un dossier et essayer de le « débrouiller » en liaison avec les services partenaires pour éviter les angles morts. Pour apporter cet appui méthodologique et opérationnel en mettant à profit les renseignements dont nous disposons, il nous arrive d'envoyer des personnels de la SDAO au profit d'une cellule opérationnelle ; on a alors le double bénéfice des capacités juridiques et de la connaissance fine du terrain.
S'agissant des techniques de renseignement, la SDAO agit, je vous l'ai dit, au titre des première, quatrième et cinquième finalités ; c'est déjà très bien. Je n'ai d'ailleurs pas la prétention de tout savoir ni de tout contrôler en matière de prévention du terrorisme et des contestations violentes en zone de compétence de la gendarmerie. C'est le métier principal d'autres services, qui ont à cet effet plus de moyens humains et matériels et de capacités juridiques. Chacun doit rester dans son pré, et il faut éviter de doublonner.
Des progrès ont été faits pour l'accès aux fichiers ; nous avons accès au SIS et à Agrippa. La difficulté réside plutôt dans l'interconnexion de certains fichiers. Cette question vous concerne au premier chef puisqu'elle relève du champ législatif et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – ainsi que de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur. Il y a encore beaucoup à faire. Je constate que toutes les démocraties européennes qui nous entourent ont plus de capacités d'interconnexion des fichiers que nous n'en avons en France. J'ai servi quelques années en Espagne ; nos camarades espagnols ont largement plus de moyens que nous. Il y a peut-être quelque chose à faire dans ce domaine, mais je le sais très sensible et j'entends les préoccupations relatives à la légalité et à la proportionnalité.
Nous souhaitons en particulier l'interconnexion du fichier Hopsy – qui répertorie les données relatives aux personnes ayant des antécédents psychiatriques d'une certaine gravité – et du FSPRT. Un nombre substantiel d'attentats et de tentatives d'attentats ont été commis par des gens ayant de tels antécédents ou faisant l'objet d'un suivi actif dans ce domaine. Il en va de la sécurité des policiers et des gendarmes lors des interventions. J'entends que l'on ne peut aller trop loin en la matière ni tout mélanger, mais il est patent de constater qu'alors qu'une bonne partie de notre ordonnancement juridique est commune, bon nombre de pays européens ont progressé en ce domaine.
Je comprends que l'organisation des services de renseignement puisse paraître complexe, et c'est pourquoi il m'a paru nécessaire de préciser dès le début de mon introduction que nous n'avons pas vocation à remplacer le SCRT. Quand la SDAO contribue à la préparation des opérations de la gendarmerie, je suis chargé, en liaison avec les services partenaires, d'évaluer et d'analyser la menace pour le chef local, régional ou même national qui la conduira. Pour le reste, hors opération, le rôle de la sous-direction est celui d'un capteur au bénéfice le plus souvent du SCRT.
La SDAO a un rôle interne important. Il faut pouvoir donner des consignes aux 100 000 gendarmes d'active et aux 30 000 réservistes, car il ne s'agit pas de rechercher n'importe quoi n'importe comment. Nous sommes les garants d'un système d'informations propre au renseignement, le fichier GIPASP, et nous veillons au respect de la loi en termes de signalement d'un individu au sein du traitement. La gendarmerie a besoin qu'en son sein une structure telle que la SDAO réalise ce travail d'organisation, de stimulation et de contrôle internes. Le Conseil d'État contrôle ce fichier tous les ans et vérifie particulièrement la situation des mineurs qui y sont inscrits, ce que chacun comprend fort bien dans l'optique du respect des libertés publiques individuelles. Chaque année, nous avons donc un dialogue avec le Conseil d'État pour discuter des cas litigieux. Nous l'entendons toujours avec humilité, sommes attentifs à ne pas nous mettre en faute et, surtout, à ce qu'un attentat ou une action violente ne découle pas d'une faille dans la prise en compte ou le suivi.
La communauté des Tchétchènes vivant dans notre pays, que nous suivons avec attention, est à la fois très soudée et éparpillée sur le territoire. Il y a là clairement un enjeu de sécurité.
L'utilisation des messageries cryptées freine indéniablement la remontée des renseignements, pour nous comme pour tous les autres services. Nous pouvons certes utiliser des avatars dans un cadre juridique déterminé mais n'utilisons pas encore toutes les possibilités prévues par la loi de 2015 pour procéder à certaines investigations en milieu fermé.
Les réservistes sont aujourd'hui 30 000 dans la gendarmerie ; notre objectif est de parvenir à 50 000. La SDAO emploie régulièrement des réservistes mais l'affaire Harpon, du nom de l'auteur de l'attaque au couteau commise dans l'enceinte de la préfecture de police de Paris, a eu pour conséquences de durcir considérablement les conditions de sélection, de recrutement et d'emploi des agents des services de renseignement, qu'ils soient d'active ou de réserve. Une habilitation « secret défense » est notamment désormais obligatoire dès le jour de l'entrée en fonction. Cette procédure est très contraignante pour des réservistes qui viendront quelques jours par an ; se pose donc la question de leur fidélisation.
Cela dit, nous savons ce que les réservistes peuvent nous apporter en matière de renseignement et, dans le cadre de la « professionnalisation » de la réserve, nous permettrons prochainement aux réservistes opérationnels d'établir des fiches de renseignement simplifiées. Il y a certainement là un gisement intéressant.
Il nous intéresserait que la révision de la loi de 2015 permette l'interconnexion des fichiers, et aussi l'utilisation de la reconnaissance faciale. Nous avons les Jeux olympiques en ligne de mire : une foule d'entreprises, en France ou à l'étranger, se mettent en ordre de marche pour proposer des solutions de ce type à des sociétés privées qui pourraient les utiliser lors des Jeux, or si l'on n'y prend pas garde les forces de sécurité n'auront rien. Cela serait fâcheux. Lorsque, en décembre 2020, nous avons fait évoluer le décret relatif à notre fichier de renseignement (GIPASP), nous avons interrogé le Conseil d'État sur la possibilité pour les policiers et les gendarmes d'intégrer dans le fichier, qui contient déjà des photos, une brique de reconnaissance faciale. Le Conseil a jugé que le dossier n'était pas mûr faute de base légale. Il vous reviendrait donc de définir la base légale appropriée. Avant les Jeux olympiques, la Coupe du monde de rugby servira de répétition générale ; le sujet est d'importance majeure pour notre pays. Il serait bon aussi d'assouplir le cloisonnement trop strict des renseignements recueillis dans le cadre des différentes finalités. Enfin, la loi de 2015, rédigée dans la foulée des attentats, a traité en priorité la lutte contre le terrorisme islamiste et donné beaucoup de pouvoirs aux services dans ce cadre. En 2021, la menace islamiste est toujours là mais la menace des ultras se précise davantage. Or, nous avons moins de moyens juridiques et de renseignement pour agir contre eux ; peut-être conviendrait-il, en révisant le texte, de s'intéresser davantage aux extrémistes violents.
L'intrusion au conseil régional d'Occitanie ne nous a pas échappé. Les services de police et de gendarmerie suivent avec attention cette mouvance dans votre département.
La cybersécurité est une de nos préoccupations, y compris pour nos propres systèmes d'informations, qui peuvent aussi être attaqués. Nous sommes très vigilants. Nous sommes aussi en liaison avec d'autres services, qui s'intéressent de plus en plus à la lutte contre la manipulation de l'information, question cruciale à l'approche des élections. Nous sommes invités à contribuer, à la hauteur de nos moyens, à la détection et au partage de toutes les informations à ce sujet. Le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) a également créé il y a peu, est une unité chargée du contre-discours républicain en réponse aux diverses formes d'apologies diffusées sur le Net et les réseaux sociaux, et intégrant des gendarmes.
La gendarmerie dispose de dispositifs de lecture automatique des plaques d'immatriculation, pour la plupart mobiles. Cet outil est très intéressant en renseignement comme en judiciaire et la gendarmerie porte un projet permettant de faire converger toutes ces informations au sein de notre service central de renseignement criminel ; nous avons bon espoir que le projet se matérialise, mais même si son encadrement légal sera nécessairement très strict.
S'agissant du traitement des données hétérogènes et notamment de nombreuses sources de données numériques, la gendarmerie a manifesté, comme la plupart des services du ministère de l'intérieur son intérêt pour un projet porté par la DGSI qui en est encore à ses prémices.
Après Saint-Just, nous avons entre autres constaté que nous ne suivions pas suffisamment certains clubs de tir sportif. Á mon sens, il n'est pas normal qu'un individu, même s'il a la qualité de tireur sportif, puisse être en possession d'autant de matériel que s'il était membre des forces spéciales. Je ne peux m'appesantir sur cette affaire qui fait encore l'objet d'une enquête judiciaire, s'agissant notamment des diverses plaintes déposées et de leur traitement.
Toujours à propos de l'usage des armes, il apparaît que chaque année 500 000 condamnations prononcées par les tribunaux judiciaires emportent la confiscation d'armes au titre de peine complémentaire. Le service du casier judiciaire national doit informer les préfets de ces sanctions pour qu'ils mettent à jour le fichier des interdictions d'armes, que nous sommes amenés à consulter dans le cadre de notre service. Or le casier judiciaire national n'est pas toujours en mesure d'informer les préfectures avec la fluidité nécessaire. Plus généralement, à la suite des meurtres commis à Saint-Just, nous avons rappelé à tous les gendarmes les possibilités administratives de saisie d'armes et avons incité les unités à utiliser toutes les voies de droit. Les préfets ont été fortement sensibilisés à ce sujet. Enfin, nous avons noté comme vous que des groupes néonazis s'étaient félicités de ce qui s'était passé à Saint-Just. Ils font l'objet de toute notre attention.