Cette évolution tient à la volonté du DGGN, depuis quelques années, de revenir au contact – ce qui est une manière de dire que nous l'avions un peu perdu, il faut le reconnaître. Á cela s'ajoute que nous travaillons « la pâte humaine », de fait, les gendarmes n'ont plus le même profil qu'auparavant : ainsi, le contact avec le monde agricole ne leur est plus d'emblée aussi facile qu'il l'était auparavant et il faut leur faire découvrir l'espace rural comme l'espace périurbain. C'est pourquoi nous avons inventé les brigades de contact. On en revient à la question qui m'a été posée : serait-il nécessaire de renforcer les prérogatives juridiques des unités opérationnelles pour leur donner plus de moyens de faire du renseignement fermé ? Nous y avons pensé, mais notre priorité est d'abord de faire travailler le contact et le renseignement humains, qui est la plus-value fondamentale de la gendarmerie dans les territoires. C'est ainsi que l'on recueille parfois des informations que l'on n'aura nulle part ailleurs, même en recourant à des techniques – d'autant qu'on observe dans certains groupuscules une forme de régression technologique pour échapper aux surveillances électroniques.
La radicalisation dans le sport est parfois observée, j'ai eu l'occasion de m'en ouvrir auprès du groupe d'étude ad hoc de votre Assemblée il y a quelques mois. La pratique intensive du sport est d'ailleurs un des indicateurs du basculement vers la radicalisation figurant dans la grille du CIPDR. Le sport est aussi un moyen d'influencer, les jeunes notamment ; football et arts martiaux sont les disciplines les plus vulnérables. Cette question suppose un échange étroit d'informations avec les élus locaux, qui disposent de leviers utiles : ils peuvent par exemple ne plus donner la libre disposition de certains locaux à des associations ou à des groupes équivoques, ou se rapprocher des forces de sécurité lorsqu'une équipe de football municipale est, par exemple, entièrement communautarisée.
Un arrêté a créé, il y a deux semaines, le commandement de la gendarmerie nationale dans le cyberespace. Il vise à optimiser toutes les capacités de la gendarmerie en matière de d'enquêtes judiciaires et de lutte contre les cybermenaces, notamment avec le centre de lutte contre les criminalités numériques, dit C3N, situé à Pontoise et qui regroupe des gendarmes experts. Pour certaines techniques informatiques très intrusives, nous avons recours à des unités dites exécutantes comme le C3N. La gendarmerie est depuis assez longtemps très portée sur les outils numériques ; elle est force motrice au sein du ministère de l'intérieur, et il avait d'ailleurs été convenu dans le Livre blanc d'aller, en la matière, vers un service à compétence nationale confié à la gendarmerie.
L'arrêt « Tele2 » rendu par la Cour de justice de l'Union européenne est une contrainte forte à l'action des services de renseignement et de police judiciaire. Le Conseil d'État réfléchit à la déclinaison française qui en sera faite. Nous sommes en contact étroit avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, sans laquelle nous ne faisons rien, et sous la coordination globale de M. Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, qui est en quelque sorte le « porte-voix » des services de renseignement. L'impact de cet arrêt sera certain en matière de renseignement comme et de police judiciaire : pour faire tomber une bande de cambrioleurs, il y a forcément une dimension technique, sinon on ne peut matérialiser leurs allées et venues, leur présence tel jour en tel lieu. Cet arrêt aura donc une incidence potentielle sur le traitement de la délinquance et ne touchera pas que le haut du spectre.
L'articulation entre la SDAO et les autres services est réelle pour ce qui est des personnes radicalisées grâce au groupe d'évaluation départemental réuni chaque semaine sous l'égide du préfet. On y fait le point sur les objectifs, et des transferts entre services se font en fonction de la dangerosité des individus concernés notamment : quelqu'un qui monte en puissance sera in fine pris en charge par la DGSI.
Nous sommes également très attentifs aux sortants de prison. En prison, le Service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) est à l'œuvre ; nous savons quand les détenus condamnés pour terrorisme islamiste ou les détenus de droit commun radicalisés vont sortir de détention et nous nous y préparons.
S'agissant des contestations violentes, la coordination entre les services a été renforcée l'année dernière ; elle est animée par le SCRT.
La coordination entre les services est donc réelle. Les éventuels blocages, que je n'ai pas constatés, ne pourraient procéder que de facteurs humains locaux. En tout cas, ils ne viennent pas de la SDAO, qui n'a ni les moyens ni vocation à traiter le haut du spectre, et qui n'en a pas l'intention.
Enfin, nous nous sommes penchés très sérieusement sur les risques d'infiltration par les « insiders » à la suite de l'affaire Harpon et comme je vous l'ai dit il en a résulté une série de précautions supplémentaires lors du recrutement dans un service, qu'il soit civil ou militaire. La gendarmerie est une institution militaire et les gendarmes vivent essentiellement en casernes, au sein desquelles une forme de contrôle social facilite l'appréhension des signaux faibles.
Pour autant, comme dans toutes les autres institutions, le risque de l'ultra-droite existe au sein de la gendarmerie. Il ne faut pas l'exagérer, car c'est une institution profondément républicaine, mais il existe, comme le risque de radicalisation. Nous avons installé une comitologie spécifique pilotée au niveau du cabinet du directeur général, à laquelle participent la sous-direction de la police judiciaire et la SDAO, et nous essayons de déceler ces comportements au plus tôt. Il y a des référents « radicalisation » dans tous les groupements. La DGGN a d'ailleurs redynamisé la fonction d'officier de sécurité et nous nous efforçons d'appréhender le sujet sous tous les angles. Si quelqu'un se distingue par son adhésion à une idéologie extrémiste, nous tenterons de « l'accrocher » au pénal ; c'est la méthode la plus pratique, et nous nous séparerons de lui sans état d'âme. Si cela n'est pas possible, nous nous attacherons à traiter la question par la voie disciplinaire ou statutaire. Nous essayons de déterminer quelle est la meilleure stratégie d'entrave, en concertation avec les parquets dès lors qu'existe une possibilité d'action judiciaire. Tout cela se fait en très forte interaction avec d'autres services, notamment la DGSI, très vigilante au sujet des ultras. L'article sur les néonazis dans l'armée française paru la semaine dernière n'est pas passé inaperçu ; nous n'avions pas attendu sa parution pour nous intéresser au sujet mais nous renforçons notre vigilance.