Intervention de Jean-Michel Jacques

Réunion du mardi 18 mai 2021 à 8h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Jacques, rapporteur pour avis :

Nous examinons ce matin, pour avis, les chapitres II, III et IV du projet de loi relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement, qui concernent respectivement la politique publique du renseignement, la lutte contre les drones présentant une menace et les archives intéressant la défense nationale.

Le contexte sécuritaire est bien connu de tous. C'est celui de la guerre hybride, qui fait du continuum sécurité-défense un enjeu plus que jamais crucial pour la sécurité de nos concitoyens. La ministre des armées le rappelait le 1er février dernier à Orléans : « Le terrorisme est la menace la plus meurtrière à laquelle nous faisons face aujourd'hui. »

L'ensemble du ministère des armées s'est mobilisé et adapté pour faire face à une menace terroriste globale, par son engagement dans les opérations extérieures – Chammal au Levant, Barkhane au Sahel – et intérieure – Sentinelle –, mais aussi dans les nouveaux champs de conflictualité, comme le cyber et la lutte informationnelle.

Si le terrorisme constitue la première des menaces, il importe de rappeler que la politique publique du renseignement n'a pas pour seule finalité la prévention d'actes de terrorisme. Vous l'avez souligné, Madame la présidente.

Il est important dans ce contexte, vous en conviendrez, que nos services de renseignement – ceux du ministère des armées mais aussi ceux des autres ministères, en particulier la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) – disposent de moyens efficaces pour mener leur action, surtout que les services d'autres États, ou proto-États, agissent, eux, sans cadre légal et d'une façon totalement désinhibée. Renforcer l'efficacité des services, tel est le sens du projet de loi.

Je commencerai par présenter brièvement les dispositions relatives à la politique publique du renseignement.

Le législateur a adopté le 24 juillet 2015 un texte novateur en la matière. Cette loi définit les modalités de recours aux techniques de renseignement. L'usage de ces dernières ne peut être autorisé que par le Premier ministre, après avis d'une autorité administrative créée en 2015, la CNCTR. La loi a également établi un contrôle juridictionnel, en instituant une formation spécialisée au sein du Conseil d'État. Enfin, la CNCTR exerce un contrôle a posteriori sur le respect, par les services de renseignement, des autorisations délivrées par le Premier ministre. C'est un cadre qui protège à la fois les libertés de nos concitoyens et les agents de nos services de renseignement puisque leur action est légitimée par la loi. Ce cadre légal équilibré a nécessité – il faut le souligner – que les services se réorganisent et mobilisent de la ressource humaine et financière pour se conformer à la loi.

La loi de 2015 est considérée aussi bien par le Gouvernement que par la CNCTR comme un cadre éprouvé et approuvé dont il importe – j'insiste beaucoup sur ce point – de maintenir l'architecture et l'équilibre, entre respect des libertés et garantie de l'efficacité de nos services au profit de la sécurité nationale. Les articles 7 à 17 maintiennent cet équilibre et le consolident. Ils apportent des compléments à la loi et visent à renforcer les moyens de nos services de même que le contrôle de la CNCTR. Je distinguerai trois types de dispositions.

Tout d'abord, le projet de loi apporte des ajustements aux dispositifs existants.

Un premier ensemble de mesures d'ajustement vise à encadrer, d'une part, les conditions dans lesquelles les services peuvent exploiter les renseignements pour une finalité différente de celle qui en a justifié le recueil et, d'autre part, le partage de renseignement.

L'article 7 favorise ainsi la coopération entre les services pour éviter tout « trou dans la raquette » et restreindre l'usage de techniques intrusives.

Dans le même ordre d'idées, l'article 17 organise les échanges d'information entre les services judiciaires et les services de renseignement dans le cadre de la lutte contre la cybercriminalité et la criminalité organisée, ainsi qu'entre les services judiciaires et l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Je me réjouis de cette mesure tendant à renforcer la synergie entre les enquêtes judiciaires et le renseignement administratif.

L'article 8, quant à lui, autorise la conservation de données collectées pendant une durée de cinq ans à de strictes fins de recherche et développement. Cette disposition permettra d'« entraîner » les programmes d'intelligence artificielle et ainsi de faire face à l'augmentation massive du volume de données captées dans un contexte de numérisation de la société.

L'article 9 harmonise les durées d'autorisation de recours aux techniques de recueil et de captation de données informatiques. C'est une mesure de simplification qui me paraît de bon sens.

L'article 10 étend les possibilités de réquisition des opérateurs de communications électroniques s'agissant du recueil et de la captation de données informatiques ainsi que des IMSI- catchers, compte tenu du déploiement en cours de la 5G.

L'article 12 vise à pérenniser la technique de l'algorithme, jusque-là expérimentale. Le Gouvernement a en effet présenté au Parlement, l'an dernier, un bilan concluant à l'efficacité de ce dispositif pour prévenir les actes terroristes.

L'article 13 étend cette technique algorithmique aux adresses internet. Actuellement, les trois algorithmes utilisés ne s'étendent qu'aux factures détaillées, les fameuses métadonnées. Une extension aux adresses internet me paraît indispensable car la communication s'effectue de plus en plus sur la toile et de moins en moins par téléphone. Cette extension aux URL est particulièrement utile pour détecter des menaces du bas du spectre, c'est-à-dire, concrètement, des signaux faibles de radicalisation chez des individus inconnus des services et qui passent très vite à l'acte, avec peu ou pas de moyens. Le dispositif est assorti de plusieurs garanties. Tout d'abord, la technique de l'algorithme se limite à la prévention du terrorisme. En outre, comme le prévoit le droit en vigueur, la levée de l'anonymat des personnes détectées n'est possible qu'en cas de menace caractérisée et après autorisation du Premier ministre, accordée après avis de la CNCTR. Le dispositif est donc sérieusement bordé.

Enfin, l'article 14 étend la possibilité de recueil de données en temps réel aux adresses internet. Ces données ne pourront être conservées que pendant 120 jours. Une telle mesure paraît cohérente avec l'extension du dispositif de l'algorithme à ces mêmes URL.

Le deuxième type de mesures vise à préparer l'avenir en adaptant la loi aux évolutions technologiques – en l'occurrence, à la technique des communications satellitaires. Vous savez sans doute que plusieurs opérateurs ont le projet de mettre en orbite des milliers de satellites de télécommunications. C'est pourquoi l'article 11 prévoit à titre expérimental la possibilité de procéder à des interceptions de sécurité sur les communications satellitaires, au même titre que sur les communications téléphoniques. Le dispositif retenu consiste à créer une nouvelle modalité d'interception de correspondances qui sera mise en œuvre directement à l'aide d'un dispositif ou d'un appareil de captation, sans que l'opérateur réponde à une réquisition d'interception.

Enfin, un troisième ensemble de mesures en matière de renseignement vise à tirer les conséquences de l'arrêt French Data Networks rendu par le Conseil d'État le 21 avril dernier, selon lequel la conservation généralisée des données est aujourd'hui justifiée par la menace grave pesant sur la sécurité nationale.

L'article 15 définit les modalités de conservation des données de connexion en cas de menace grave, actuelle ou prévisible sur la sécurité nationale. Il prévoit notamment une obligation de conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion pour des motifs tenant à la sauvegarde de la sécurité nationale. Cette conservation sera strictement encadrée.

L'article 16 renforce le contrôle exercé par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Il prévoit que si le Premier ministre autorise le recours à une technique de renseignement en dépit d'un avis défavorable de la Commission, la formation spécialisée du Conseil d'État est immédiatement saisie par le président de la Commission. Le juge administratif doit alors se prononcer dans les vingt-quatre heures et l'autorisation du Premier ministre est suspendue, sauf cas d'urgence.

Le troisième chapitre concerne la lutte contre les drones présentant une menace. L'article 18 prévoit de rendre inopérant l'équipement radioélectrique des drones considérés comme malveillants par les services de l'État concourant à la sécurité intérieure, à la défense nationale et au service public de la justice. La neutralisation sera autorisée aux seules fins de prévenir les menaces pour la sécurité des personnes et des biens ou le survol d'une zone en violation d'une interdiction.

Le quatrième chapitre concerne les archives intéressant la défense nationale. Ce chapitre, constitué de l'article 19, modifie l'article L. 213-2 du code du patrimoine pour clarifier le régime de communicabilité des archives classifiées dans le sens d'une plus grande ouverture au bénéfice de l'ensemble des usagers des services d'archives, en particulier des chercheurs et des historiens. Le cadre proposé permet de garantir la protection des documents les plus sensibles pour la défense nationale, notamment ceux des services de renseignement, vis-à-vis des puissances étrangères ou des organisations qui seraient hostiles à notre pays.

Cette ouverture comporte trois avantages incontestables pour les services d'archives, pour les chercheurs et les historiens, pour les membres des services de renseignement et pour les citoyens et leur sécurité. Le premier est l'accès facilité aux archives. En rendant communicable l'écrasante majorité des documents classifiés datant de plus de cinquante ans, ce dispositif va alléger de manière considérable la charge pesant actuellement sur les services publics d'archives pour la préparation matérielle des demandes de déclassification, leur suivi et le démarquage des documents concernés.

En outre, la modification du code du patrimoine proposée par le projet de loi permettra aux agents des services publics d'archives d'écarter le risque pénal de compromission associé à la communication de documents portant un timbre de classification. Cette mesure aura pour conséquence une ouverture très importante des archives classifiées. Plusieurs centaines de milliers de documents seront ouverts, alors qu'actuellement leur communication n'est possible qu'après une déclassification formelle et un démarquage préalable. Le service historique de la défense estime que la mesure permettra l'ouverture de 650 000 dossiers.

C'est une réelle avancée car la situation actuelle obère les ressources des services d'archives et provoque la paralysie de nombre de travaux de recherches historiques portant sur la Seconde guerre mondiale, la guerre d'Algérie et la Guerre froide. En tant que rapporteur, je considère que la demande des historiens, des étudiants et du monde de la recherche a été ici pleinement prise en compte par le Gouvernement.

Le deuxième avantage est une protection plus grande pour les membres des services du renseignement.

Enfin, le troisième et dernier avantage n'est pas des moindres. Les nouvelles dispositions permettront une meilleure protection du citoyen, grâce à une mention explicite des documents dont la communication pourrait être préjudiciable à leur sécurité dans quatre cas : les plans de centrales nucléaires, de barrages hydrauliques, d'infrastructures militaires ; les matériels de guerre ; les procédures opérationnelles des services de renseignement ; le système de contrôle gouvernemental de la dissuasion nucléaire. Si la modification proposée du code du patrimoine est adoptée, les délais de consultation seront significativement réduits.

Cette modification est plus qu'une clarification juridique, elle permet de respecter deux principes de valeur constitutionnelle. Le secret de la défense nationale, qui contribue à l'exigence constitutionnelle de protection des intérêts fondamentaux de la nation, doit, dans le cas des archives, être concilié avec l'impératif constitutionnel du droit d'accès aux archives publiques. Dans ce projet de loi, le secret de la défense nationale reste un outil plus que jamais conciliable avec la démocratie et l'État de droit.

En conclusion, chers collègues, je souhaiterais rendre un hommage appuyé à nos agents des services de renseignement, civils et militaires. Ils agissent dans l'ombre et avec abnégation pour la sécurité de nos concitoyens. Soyons leur fervent défenseur et n'oublions jamais ceux morts pour la France, parfois dans l'anonymat.

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