Je vous remercie de me recevoir pour un nouvel échange, toujours très utile car il me permet de vous assurer que nous mesurons précisément l'effort de la nation ainsi que les comptes que nous devons rendre à la représentation nationale sur l'efficacité avec laquelle nous réalisons la dépense militaire pour renforcer les capacités de défense de notre pays et reconstruire nos armées. Comme chaque fois, je m'exprime devant vous avec la plus grande sincérité possible et avec le sentiment d'une grande confiance dans le cadre de cette audition à huis clos.
Vous avez évoqué mes inquiétudes concernant la singularité militaire, progressivement déconstruite lors des précédentes mandatures. J´aimerais, d'ici la trêve estivale, partager avec vous ma conception de cette singularité et vous dire ce que j´ai au fond du cœur. La singularité militaire, qui est revendiquée par les armées, est constitutive de l'identité de la France et se trouve au cœur des institutions de la Vème République. Elle est partie prenante de la vision qui oriente toutes mes actions et toutes mes décisions depuis quatre ans. Elle doit être préservée et renforcée à tout prix.
Notre travail d'ajustement de la loi de programmation militaire a été guidé par un souci de cohérence et de continuité : une cohérence avec la réflexion que nous avons conduite lors de la première revue stratégique et de son actualisation, puis lors des choix capacitaires qui ont été faits et des choix budgétaires que nous avons proposés, et une continuité entre les premiers travaux d'élaboration de la loi de programmation militaire, qui ont été longs, fouillés et ambitieux, et les travaux récents d'ajustements.
En outre, le travail d'ajustement que nous réalisons est constant et ne se limite pas à la loi de programmation militaire. Son objectif est de résoudre la tension qui existe entre, d'une part, les contraintes du court terme et les enseignements tirés de nos engagements continus et actuels qui permettent d'identifier des lacunes dans les combats que nous menons et, d'autre part, les considérations de long terme formalisées dans la prospective, qui nous amènent à imaginer de nouveaux types de capacités et à prendre en compte de nouveaux domaines de conflictualité. Cet exercice, auquel nous nous livrons avec le plus de discernement et de mesure possible et qui demande beaucoup de réflexion, est évidemment délicat et constitue une véritable gageure. L'ensemble des ministères concernés, l'état-major des armées et les états-majors d'armée en sont conscients et y travaillent avec beaucoup d'assiduité.
Je vais présenter les principaux termes de l'actualisation stratégique que nous avons publiée en janvier avant de détailler ses enseignements, qui nous ont permis d'identifier et de traiter des fragilités et des besoins nouveaux.
Trois éléments clés de l'actualisation de la revue stratégique doivent être retenus : la confirmation des tendances préalablement identifiées lors des travaux de la Revue stratégique de défense et sécurité nationale de 2017 ; le constat de l'accélération de la dégradation du contexte stratégique et l'identification de plusieurs éléments de rupture. Une partie de notre travail d'anticipation consiste à imaginer à quel point ceux-ci doivent transformer notre vision.
Les trois menaces principales que nous avions identifiées dans la Revue stratégique de 2017 – le terrorisme djihadiste, la prolifération des armes de destruction massive et le retour de la compétition stratégique entre puissances – persistent, voire s'aggravent et s'accélèrent.
Le terrorisme d'inspiration islamiste, bien qu´affaibli par la perte de nombreux cadres, poursuit sa stratégie d'enracinement local et de dissémination globale, dans un contexte où la situation évolue, notamment en Afghanistan, avec le désengagement des Américains et de l'OTAN, mais aussi au Sahel et en Afrique. L´enracinement local de ce terrorisme se poursuit au Levant, où Daech reste actif. Si ce groupe n´y possède plus réellement d'emprise territoriale, il renouvelle en permanence sa capacité de nuisance, notamment dans le désert de la Badiya en Syrie ou dans la région de Kirkouk en Irak. En Afrique de l'Ouest, l´extension de la menace terroriste vers les pays du golfe de Guinée constitue un risque croissant. On observe aujourd'hui une descente de cette menace vers le Sud à travers les frontières du Burkina Faso, qui expose la Côte d'Ivoire, le Niger, le Ghana, le Bénin et le Togo. Le Burkina Faso est le pays fragile de cette région du Sahel et nous en parlons malheureusement trop peu. Il faut prendre la mesure de la menace accrue dans ce pays, d´autant plus que les autorités ne souhaitent pas exposer ces fragilités et sont réticentes à la coopération avec la France et avec les autres pays européens.
Ce terrorisme se combine avec d'autres facteurs d'insécurité qui fragilisent nos partenaires dans cette région : conflits interethniques latents, trafics en tout genre ou piraterie. En Afrique australe, l'affirmation d'une wilaya est en train de déstructurer le nord du Mozambique, région dans laquelle nous sommes présents puisque les forces armées de la zone sud de l'Océan indien coopèrent avec les pays d'Afrique australe, en particulier avec le Mozambique, à partir de La Réunion. Nous suivons cette situation avec beaucoup d'attention et mesurons les dangers de l'insurrection islamiste dans cette zone.
L'autre menace identifiée par la revue stratégique est la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Les risques de prolifération ne concernent pas seulement la Corée du Nord et l´Iran. Ce que nous observons au Pakistan est de nature à nous inquiéter.
Le retour à la compétition stratégique entre puissances se confirme. Le recentrage américain sur sa rivalité avec la Chine accélère l´enhardissement de pays comme l'Iran et la Turquie, qui aspirent à s'affirmer comme des puissances régionales et exploitent toutes les opportunités pour imposer leur vision et leurs intérêts au prix d'un aventurisme militaire grandissant. Nous avons pu observer de multiples illustrations d'un tel enhardissement depuis notre dernière rencontre.
Ces reconfigurations entraînent des évolutions de posture chez d'autres acteurs régionaux, comme les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, Israël ou l'Égypte, dont l'environnement stratégique se dégrade très rapidement. On peut constater que, de manière assez spectaculaire, la Méditerranée occidentale et centrale concentre ces différents développements. Les flux illicites y sont en constante progression et se conjuguent avec l'instabilité provoquée par les enjeux énergétiques, la projection des puissances régionales, le renforcement des influences russe et chinoise et le recul de la présence militaire occidentale. J'observe que les perspectives que je traçais devant vous il y a quatre ans quand j´ai pris mes fonctions sont hélas confirmées.
La dégradation du contexte stratégique, qui découle des tendances lourdes que je viens d'évoquer, ne fait que s'accélérer. En effet, l'intensification des rivalités entre grandes puissances se traduit aujourd'hui par un continuum de contestations, de compétitions, de confrontations et par des actions dans les zones grises afin d'intimider ou de contraindre, avec des risques de dérapages plus importants qu'avant. L'escalade est constante.
Tout cela se traduit par une remise en cause des équilibres existants : je pense en particulier à l'architecture internationale de sécurité et de multilatéralisme, qui est de plus en plus contestée, tandis que les crises perdurent et que les menaces se déploient dans tous les champs de conflictualité.
La pandémie de covid-19 a également provoqué un bouleversement profond des économies et des sociétés, creusant les clivages, fragilisant les ressources, suscitant de nouvelles craintes et catalysant les menaces. Elle a rendu le contexte géostratégique encore plus incertain.
Parmi les éléments de rupture que nous avons identifiés et qui constituent une nouveauté par rapport à 2017, je citerai les nouvelles technologies, l'utilisation de stratégies hybrides – phénomène de plus en plus perceptible et de plus en plus inquiétant – et l´enhardissement des puissances régionales.
Dans les secteurs clés tels que la 5G, l'intelligence artificielle, le stockage des données, l'informatique quantique, l'énergie, de nouvelles dépendances apparaissent en matière de standards, de normes ou d'approvisionnements critiques. Nous identifions également les risques du lawfare comme un facteur de fragilité pour les démocraties occidentales et leurs États de droit libéraux. Ces risques font l'objet de travaux spécifiques que je ne développerai pas dans ce propos liminaire.
Les capacités offertes par les nouvelles technologies entraînent l'extension des champs de confrontation, en particulier dans des domaines qui se prêtent aux agressions ambiguës : le cyberespace, l'espace exo-atmosphérique, le champ informationnel et l'espace sous-marin, sur lequel nous développons une réflexion importante.
Certains compétiteurs, qu'ils soient ou non étatiques, usent de stratégies hybrides en combinant des modes d'action militaires et non militaires, directs et indirects, légaux et illégaux. Ces stratégies sont conçues pour rester sous le seuil estimé de riposte ou de conflit ouvert. L'utilisation de groupes armés, l'exploitation du champ cyber et du spatial, la manipulation de l'information ou l'instrumentalisation du droit sont autant de leviers de puissance possibles pour appuyer les manœuvres militaires d'intimidation et atteindre des objectifs stratégiques. Les campagnes de désinformation, voire de dénigrement, visant la France, notamment l´exploitation faite des frappes françaises à proximité du village de Bounti, sont autant d'illustrations des agissements hostiles auxquels nous pouvons être confrontés dans le champ informationnel.
Juste avant d'arriver, j'ai été alerté par un député européen français qu'une campagne de presse était en cours en Estonie, m'accusant, dans les propos que j'ai tenus à l'occasion d'un entretien donné au Figaro, de prétendre que la France se séparait des États-Unis et qu'en aucun cas elle ne choisirait son camp entre la Chine et les États-Unis. La manipulation est constante et il faut y être très attentif afin de pouvoir rectifier les propos.
Les enseignements que nous tirons de notre analyse actualisée ne remettent pas en cause la loi de programmation militaire telle que nous l'avons conçue. Ainsi, la confirmation et, souvent, le renforcement des menaces confortent l'ambition 2030 visant à disposer d'un modèle d'armée complet qui nous permette de faire face à un conflit de haute intensité, mais aussi de relever le seuil que l'ennemi qui utilise des stratégies hybrides est obligé d'atteindre avant de passer à des actions militaires qu´il devra revendiquer et assumer. Dans un conflit de haute intensité, les armées devront participer à un engagement majeur sur le haut de spectre. Il est donc indispensable de conserver un certain nombre de compétences et de capacités clés : renforcer notre entraînement, entretenir nos matériels ou consolider les domaines de la santé, de la prévention des risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques ou de la lutte anti-drones. Tout cela contribue également à renforcer non seulement notre capacité à répondre aux crises, mais également la crédibilité de notre posture ainsi que la résilience du ministère des Armées.
Face à ces éléments de rupture, un renforcement capacitaire est indispensable afin d'améliorer notre aptitude à détecter les menaces et à attribuer les actes hostiles dans le cyberespace, l'espace exo-atmosphérique, le champ informationnel ou les fonds sous-marins. L'une des grandes difficultés induites par les stratégies hybrides est en effet de dépasser l'ambiguïté de nos adversaires et de les contraindre à en sortir.
La grande instabilité du contexte stratégique entraîne des risques nouveaux aux portes de l'Europe, qui appellent une volonté forte et une réponse adaptée des États membres de l'Union européenne. La France doit poursuivre ses efforts pour convaincre et entraîner ses partenaires à agir. Les efforts budgétaires consentis depuis 2019 contribuent à atteindre l'objectif fixé par le Président de la République. Il n'est pas encore atteint mais nous sommes en voie de le faire et il ne faut pas se décourager : nous disposerons d´une armée puissante, dotée des capacités de combat les plus modernes, apte à jouer un rôle moteur en Europe et connectée au monde.
Les fragilités et les besoins nouveaux que nous avons identifiés ne nous ont pas amenés à changer le cap fixé par la loi de programmation militaire. Les choix essentiels définis par la loi et les grands équilibres capacitaires que nous avons déterminés à cette occasion conservent, selon moi, toute leur pertinence. Il s'agit donc de procéder à des ajustements à la marge pour garantir à terme l'efficacité opérationnelle des armées. Cet ajustement est modeste – il représente 1 milliard sur les 295 milliards de l'ensemble de la programmation – mais il se veut le plus efficace possible. Dans le cadre d'un raisonnement à périmètre financier constant, il a fallu identifier des leviers pour manœuvrer. Ainsi, l'accélération de certains axes d'efforts capacitaires sera compensée par la décélération d'autres programmes. Des capacités nouvelles seront en outre développées.
En plus de l'ajustement prévu dans la loi de programmation militaire, le ministère des Armées procède tous les ans, en liaison avec l'état-major des armées et la direction générale de l'armement, à un ajustement de programmation militaire afin de tenir compte de la vie des programmes. Celui-ci peut entraîner une décélération de livraison ou, au contraire, susciter des opportunités d'accélération dans d'autres domaines. Cette démarche ne remet pas en cause les équilibres structurant la loi de programmation militaire. Elle consiste à être plus volontariste dans l'identification de nouvelles capacités et dans les développements de nouveaux champs.
Le premier axe identifié par l'actualisation de la revue stratégique – mieux détecter et contrer – consiste à améliorer la capacité des armées à détecter les menaces et à attribuer les agressions, notamment dans les nouveaux espaces de conflictualité. À cette fin, le cyber, le renseignement et la surveillance connaîtront des évolutions se traduisant par l'acquisition de capacités matérielles de stockage et de calcul – c'est le volet socle – et le développement d'algorithmes spécifiques à chaque cas d'usage – c´est le volet métier. Les livraisons seront échelonnées à partir de 2023.
Dans le domaine cyber, certains programmes seront accélérés de deux ans afin de disposer plus rapidement d'une capacité structurante de traitement des données cyber pour la caractérisation de la menace, le renseignement et la préparation de l'action. Le déploiement de cette infrastructure de collecte de données se traduira notamment par la construction d'un entrepôt de données à Bruz. La lutte informatique d'influence (L2I), c'est-à-dire la capacité de lutte contre la manipulation de l'information et les capacités à détecter les manœuvres d'influence à grande échelle, demande le développement d'algorithmes de détection des fake news et des deep fakes. Le renouvellement de nos équipements de cryptographie afin de garantir la protection des communications se fera, entre autres, par l'acquisition de 1 300 chiffreurs radios tactiques pour nos opérations en coalition.
Dans le domaine du renseignement, l'objectif est de se doter de capacités supplémentaires de stockage et d'exploitation de données en masse multi-sources avec le déploiement d'outils d'automatisation et de traitement à base d'intelligence artificielle. Un tel traitement est d'autant plus nécessaire que le volume de données collectées augmente, notamment grâce aux capacités spatiales développées dans le cadre de la loi de programmation militaire. L'automatisation croissante du traitement des données et l'évolution des métiers « cyber-rens » nous oblige à mener une réflexion constante sur nos ressources humaines.
Dans le domaine de l'interception et de la surveillance, nous allons améliorer la capacité d'interception et de localisation des émissions électromagnétiques avec l'acquisition de capteurs ou de services complémentaires d'appui électroniques ainsi que la capacité de surveillance de l'espace avec l'acquisition de données issues d'observations optiques depuis la Terre à partir des télescopes ou, depuis l'espace, à partir des satellites.
La capacité d'investigation sous-marine sera également développée. Nous commençons à peine mais vous pourrez utilement questionner le chef d'état-major de la Marine, auquel j'ai confié un mandat sur le seabed warfare pour définir notre doctrine dans ce domaine, dont l'importance est évidente compte tenu du volume de données transitant par les réseaux de câbles sous-marins.
Le deuxième axe de l'actualisation de la revue stratégique – mieux se protéger – consiste à renforcer la capacité des armées à contribuer à une résilience accrue sur le territoire national et donc à consolider les domaines de la santé, de la prévention des risques NRBC, de la lutte anti-drones dans la perspective des grands rendez-vous internationaux qui se dérouleront sur le territoire national en 2023 et en 2024, mais également afin d'être capable de mieux défendre nos déploiements opérationnels et les sites sensibles qui peuvent faire l'objet d'attaques NRBC ou par drones.
Dans le domaine NRBC, l'effort porte sur les piliers de protection et de détection du système de défense. Dans le domaine de la lutte anti-drones, nous prévoyons l'acquisition de moyens supplémentaires qui permettront à la fois la détection et le traitement pour protéger une dizaine de sites sensibles. Dans le domaine de la santé, il s'agit de développer des kits d'évacuation médicale standardisés pour les hélicoptères NH90, Caracal et Cougar et de lancer les premières études en vue du renouvellement de la capacité Morphée (MOdule de Réanimation pour Patient à Haute Élongation d'Évacuation) sur MRTT (Multi Role Tanker Transport). Cette capacité a été utilisée, avec la capacité MEROPE (ModulE de Réanimation pour les OPErations) des avions A400M pour transférer des malades entre régions lors de la première phase pandémique. Nous continuons à utiliser ces capacités pour alléger la pression qui pèse sur le système hospitalier guyanais en évacuant des malades vers les Antilles.
Nous voulons en outre garantir une meilleure interopérabilité interministérielle avec les forces de sécurité intérieure en termes de réseaux de transmission et de commandement. Nous étudions à cette fin l'impact sur notre propre réseau Auxylium du réseau radio du futur que développe le ministère de l'intérieur.
Le troisième axe de l'actualisation de la revue stratégique – mieux se préparer – consiste à préparer nos armées à prendre l'ascendant sur des adversaires qui sont chaque jour plus agiles dans tous les champs de la conflictualité. Il faut consolider l'effort de préparation opérationnelle des armées parallèlement aux efforts de modernisation et de réparation afin de pouvoir répondre aux exigences des conflits hybrides.
Pour être tout à fait franc, je pense que, au moment de la construction de la loi de programmation militaire, nous avions sous-doté les capacités et les ressources de préparation opérationnelle des armées. C'est pourquoi le principal poste d´augmentation des ressources dans le milliard que nous avons mouvementé y est consacré.
Nous atteindrons ces objectifs par l'élargissement des compétences dans les champs immatériels et par l'accélération de l'acquisition de compétences liées aux engagements de haut de spectre. Nous prévoyons un effort ciblé pour rehausser la disponibilité des équipements nécessaires à une plus grande homogénéité d'entraînement opérationnel. Il faut également que nous compensions les fragilités logistiques mises en évidence par la crise sanitaire, notamment dans le domaine du maintien en condition opérationnelle. Je pense en particulier au plan d'approvisionnement du service de soutien de la flotte, qui a été doté de 45 millions d'euros pour la période 2022-2023, ou à l'acquisition de pièces de rechange pour le C-130H, pour un montant de 10 millions d'euros. Ces moyens permettront de garantir la cohérence d'ensemble de la maîtrise de la force par les armées dans des environnements moins permissifs. Nous allons donc consolider les stocks d'obus, réaliser un effort dans la maintenance du parc de munitions complexes et valoriser l'entraînement, donc, les centres de préparation opérationnels et la simulation. Des exercices grandeur nature plus importants seront effectués. Nous prévoyons de réaliser en 2023 un exercice Orion d'entraînement multi-milieux, interarmées et interallié. Il devrait engager sur un niveau divisionnaire de 17 000 à 20 000 hommes et plus de 500 véhicules de l'armée de Terre, 2 porte-hélicoptères amphibies, le porte-avions Charles-de-Gaulle pour la Marine et 40 avions de l'armée de l'Air et de l'Espace.
Cette amélioration de la préparation opérationnelle rentre non pas dans le cadre d'une stratégie de contre-hybridité – je ne pense pas qu´il faille en développer – mais dans celui de la prise en compte des stratégies hybrides de nos compétiteurs ou de nos ennemis potentiels. Nous devons être capables d'agir dans tous les champs et en particulier dans le champ des perceptions et de la communication stratégique, ce qui passe par la démonstration d'exercices comme Orion.
Les travaux que nous avons conduits sont en cohérence avec l'ambition 2030 d'un modèle d'armée complet qui permet à la France de défendre ses intérêts, de peser sur la scène internationale et d'entraîner ses partenaires européens. Cette ambition conserve toute sa pertinence et les analyses récentes qui nous conduisent à ajuster le cap permettent de mieux prendre en compte les évolutions stratégiques et technologiques.
Cet ajustement de la Loi de programmation militaire est indispensable. Il se poursuivra dans les prochains mois mais il ne doit pas éclipser la Loi de programmation militaire elle-même, qui est articulée autour de quatre axes : hauteur d'homme, renouvellement des capacités opérationnelles, garantie de l'autonomie stratégique de la France et soutien à l'émergence d'une autonomie stratégique européenne ainsi que l'innovation face aux défis futurs. Elle illustre un tournant important pour les armées. Après deux lois de programmation de déconstruction de notre modèle, elle a permis d'engager la réparation de nos capacités. Sans cet effort de la nation au profit des armées, les chefs militaires auraient été obligés de proposer aux politiques des renoncements et des abandons.
La loi de programmation militaire produit d'ores et déjà ses premiers effets et elle est indispensable pour l'avenir. En tant que chef d'état-major des armées, je suis d'abord attentif à ses dernières annuités mais également à la suite puisqu'il faut soutenir l'ambition d'une modernisation des armées et atteindre les objectifs de l'ambition 2030.
Dans un monde qui, à douze ans d'intervalle, a connu les deux crises économiques les plus graves depuis 1929, dans lequel la confrontation entre la Chine et les États-Unis se durcit, où de plus en plus d'acteurs sont tentés par l'action unilatérale et le recours à la force, la loi de programmation militaire de modernisation est la condition sine qua non pour que la France et l'Union européenne continuent de jouer un rôle sur la scène mondiale. Les conséquences de la pandémie en termes de déficit budgétaire et d'endettement de la France ne doivent pas nous faire perdre de vue le durcissement de l'ordre du monde auquel nous devrons faire face quoi qu'il arrive.