Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 17h30

Résumé de la réunion

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  • militaire

La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

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Général, nous avons le plaisir de vous retrouver pour cette audition qui s'inscrira, je n'en doute pas, dans la continuité du dialogue confiant et approfondi que nous avons inauguré avec votre nomination, un dialogue placé sous le signe de la sincérité et de la construction d'une réflexion commune.

Votre présence parmi nous s'inscrit dans le cadre d'un cycle d'auditions sur l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, même si vous avez préféré, vous nous l'avez indiqué, une formulation moins budgétaire et plus soucieuse des finalités opérationnelles des armées, c'est-à-dire, l'adaptation de la LPM aux enjeux stratégiques.

Il y a un an, en juillet 2020, vous traciez devant nous trois scénarios auxquels la France devait se préparer : la possibilité d'un grand conflit ; la dégradation de la situation sécuritaire dans les marges européennes, en Méditerranée et au Moyen-Orient notamment ; et la multiplication des stratégies hybrides et des zones grises. Vous estimiez probable que les deux derniers se combinent à des degrés divers et nous incitiez à poursuivre les efforts prévus dans la LPM, dont vous rappeliez qu'elle visait dans un premier temps à réparer et à reconstituer, puis, dans un second temps, à construire un modèle d'armée complet, apte au combat dans tous les champs, disposant d'une masse suffisante, d'une organisation, d'un statut, de ressources et de capacités qui lui permettent d'assumer toutes ses fonctions, dans la guerre comme dans la crise. Un an plus tard, cette analyse me semble toujours d'actualité.

Avons-nous complété nos capacités, remédié à nos carences, renforcé notre cohérence ? Sommes-nous en état d'assumer désormais les rapports de force et, si nécessaire, de combattre dans tous les espaces ? La ministre des Armées, lors son intervention du 4 mai devant notre commission, a mentionné trois axes d'ajustements dans le cadre de l'actualisation de la LPM : en premier lieu, la détection, avec le renforcement de nos capacités défensives et offensives, notamment dans les champs du cyber et du numérique ; en deuxième lieu, la protection contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), la santé et la lutte anti-drones ; en troisième lieu, l'entraînement et la préparation opérationnelle, notamment dans la perspective de conflits plus durs. Quel regard portez-vous sur le travail de déclinaison de ces ajustements ? Que faut-il accélérer ? Quelles priorités doivent être retenues ? Vous avez été un des premiers à alerter des dangers, pour notre armée, à vouloir rechercher à tout prix l'efficience, parfois au détriment de la résilience, et à subir la contrainte économique. Ces menaces vous semblent-elles écartées ? Sommes-nous en train de gagner la bataille des compétences dans tous les domaines ?

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Général François Lecointre, chef d'état-major des armées

Je vous remercie de me recevoir pour un nouvel échange, toujours très utile car il me permet de vous assurer que nous mesurons précisément l'effort de la nation ainsi que les comptes que nous devons rendre à la représentation nationale sur l'efficacité avec laquelle nous réalisons la dépense militaire pour renforcer les capacités de défense de notre pays et reconstruire nos armées. Comme chaque fois, je m'exprime devant vous avec la plus grande sincérité possible et avec le sentiment d'une grande confiance dans le cadre de cette audition à huis clos.

Vous avez évoqué mes inquiétudes concernant la singularité militaire, progressivement déconstruite lors des précédentes mandatures. J´aimerais, d'ici la trêve estivale, partager avec vous ma conception de cette singularité et vous dire ce que j´ai au fond du cœur. La singularité militaire, qui est revendiquée par les armées, est constitutive de l'identité de la France et se trouve au cœur des institutions de la Vème République. Elle est partie prenante de la vision qui oriente toutes mes actions et toutes mes décisions depuis quatre ans. Elle doit être préservée et renforcée à tout prix.

Notre travail d'ajustement de la loi de programmation militaire a été guidé par un souci de cohérence et de continuité : une cohérence avec la réflexion que nous avons conduite lors de la première revue stratégique et de son actualisation, puis lors des choix capacitaires qui ont été faits et des choix budgétaires que nous avons proposés, et une continuité entre les premiers travaux d'élaboration de la loi de programmation militaire, qui ont été longs, fouillés et ambitieux, et les travaux récents d'ajustements.

En outre, le travail d'ajustement que nous réalisons est constant et ne se limite pas à la loi de programmation militaire. Son objectif est de résoudre la tension qui existe entre, d'une part, les contraintes du court terme et les enseignements tirés de nos engagements continus et actuels qui permettent d'identifier des lacunes dans les combats que nous menons et, d'autre part, les considérations de long terme formalisées dans la prospective, qui nous amènent à imaginer de nouveaux types de capacités et à prendre en compte de nouveaux domaines de conflictualité. Cet exercice, auquel nous nous livrons avec le plus de discernement et de mesure possible et qui demande beaucoup de réflexion, est évidemment délicat et constitue une véritable gageure. L'ensemble des ministères concernés, l'état-major des armées et les états-majors d'armée en sont conscients et y travaillent avec beaucoup d'assiduité.

Je vais présenter les principaux termes de l'actualisation stratégique que nous avons publiée en janvier avant de détailler ses enseignements, qui nous ont permis d'identifier et de traiter des fragilités et des besoins nouveaux.

Trois éléments clés de l'actualisation de la revue stratégique doivent être retenus : la confirmation des tendances préalablement identifiées lors des travaux de la Revue stratégique de défense et sécurité nationale de 2017 ; le constat de l'accélération de la dégradation du contexte stratégique et l'identification de plusieurs éléments de rupture. Une partie de notre travail d'anticipation consiste à imaginer à quel point ceux-ci doivent transformer notre vision.

Les trois menaces principales que nous avions identifiées dans la Revue stratégique de 2017 – le terrorisme djihadiste, la prolifération des armes de destruction massive et le retour de la compétition stratégique entre puissances – persistent, voire s'aggravent et s'accélèrent.

Le terrorisme d'inspiration islamiste, bien qu´affaibli par la perte de nombreux cadres, poursuit sa stratégie d'enracinement local et de dissémination globale, dans un contexte où la situation évolue, notamment en Afghanistan, avec le désengagement des Américains et de l'OTAN, mais aussi au Sahel et en Afrique. L´enracinement local de ce terrorisme se poursuit au Levant, où Daech reste actif. Si ce groupe n´y possède plus réellement d'emprise territoriale, il renouvelle en permanence sa capacité de nuisance, notamment dans le désert de la Badiya en Syrie ou dans la région de Kirkouk en Irak. En Afrique de l'Ouest, l´extension de la menace terroriste vers les pays du golfe de Guinée constitue un risque croissant. On observe aujourd'hui une descente de cette menace vers le Sud à travers les frontières du Burkina Faso, qui expose la Côte d'Ivoire, le Niger, le Ghana, le Bénin et le Togo. Le Burkina Faso est le pays fragile de cette région du Sahel et nous en parlons malheureusement trop peu. Il faut prendre la mesure de la menace accrue dans ce pays, d´autant plus que les autorités ne souhaitent pas exposer ces fragilités et sont réticentes à la coopération avec la France et avec les autres pays européens.

Ce terrorisme se combine avec d'autres facteurs d'insécurité qui fragilisent nos partenaires dans cette région : conflits interethniques latents, trafics en tout genre ou piraterie. En Afrique australe, l'affirmation d'une wilaya est en train de déstructurer le nord du Mozambique, région dans laquelle nous sommes présents puisque les forces armées de la zone sud de l'Océan indien coopèrent avec les pays d'Afrique australe, en particulier avec le Mozambique, à partir de La Réunion. Nous suivons cette situation avec beaucoup d'attention et mesurons les dangers de l'insurrection islamiste dans cette zone.

L'autre menace identifiée par la revue stratégique est la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Les risques de prolifération ne concernent pas seulement la Corée du Nord et l´Iran. Ce que nous observons au Pakistan est de nature à nous inquiéter.

Le retour à la compétition stratégique entre puissances se confirme. Le recentrage américain sur sa rivalité avec la Chine accélère l´enhardissement de pays comme l'Iran et la Turquie, qui aspirent à s'affirmer comme des puissances régionales et exploitent toutes les opportunités pour imposer leur vision et leurs intérêts au prix d'un aventurisme militaire grandissant. Nous avons pu observer de multiples illustrations d'un tel enhardissement depuis notre dernière rencontre.

Ces reconfigurations entraînent des évolutions de posture chez d'autres acteurs régionaux, comme les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, Israël ou l'Égypte, dont l'environnement stratégique se dégrade très rapidement. On peut constater que, de manière assez spectaculaire, la Méditerranée occidentale et centrale concentre ces différents développements. Les flux illicites y sont en constante progression et se conjuguent avec l'instabilité provoquée par les enjeux énergétiques, la projection des puissances régionales, le renforcement des influences russe et chinoise et le recul de la présence militaire occidentale. J'observe que les perspectives que je traçais devant vous il y a quatre ans quand j´ai pris mes fonctions sont hélas confirmées.

La dégradation du contexte stratégique, qui découle des tendances lourdes que je viens d'évoquer, ne fait que s'accélérer. En effet, l'intensification des rivalités entre grandes puissances se traduit aujourd'hui par un continuum de contestations, de compétitions, de confrontations et par des actions dans les zones grises afin d'intimider ou de contraindre, avec des risques de dérapages plus importants qu'avant. L'escalade est constante.

Tout cela se traduit par une remise en cause des équilibres existants : je pense en particulier à l'architecture internationale de sécurité et de multilatéralisme, qui est de plus en plus contestée, tandis que les crises perdurent et que les menaces se déploient dans tous les champs de conflictualité.

La pandémie de covid-19 a également provoqué un bouleversement profond des économies et des sociétés, creusant les clivages, fragilisant les ressources, suscitant de nouvelles craintes et catalysant les menaces. Elle a rendu le contexte géostratégique encore plus incertain.

Parmi les éléments de rupture que nous avons identifiés et qui constituent une nouveauté par rapport à 2017, je citerai les nouvelles technologies, l'utilisation de stratégies hybrides – phénomène de plus en plus perceptible et de plus en plus inquiétant – et l´enhardissement des puissances régionales.

Dans les secteurs clés tels que la 5G, l'intelligence artificielle, le stockage des données, l'informatique quantique, l'énergie, de nouvelles dépendances apparaissent en matière de standards, de normes ou d'approvisionnements critiques. Nous identifions également les risques du lawfare comme un facteur de fragilité pour les démocraties occidentales et leurs États de droit libéraux. Ces risques font l'objet de travaux spécifiques que je ne développerai pas dans ce propos liminaire.

Les capacités offertes par les nouvelles technologies entraînent l'extension des champs de confrontation, en particulier dans des domaines qui se prêtent aux agressions ambiguës : le cyberespace, l'espace exo-atmosphérique, le champ informationnel et l'espace sous-marin, sur lequel nous développons une réflexion importante.

Certains compétiteurs, qu'ils soient ou non étatiques, usent de stratégies hybrides en combinant des modes d'action militaires et non militaires, directs et indirects, légaux et illégaux. Ces stratégies sont conçues pour rester sous le seuil estimé de riposte ou de conflit ouvert. L'utilisation de groupes armés, l'exploitation du champ cyber et du spatial, la manipulation de l'information ou l'instrumentalisation du droit sont autant de leviers de puissance possibles pour appuyer les manœuvres militaires d'intimidation et atteindre des objectifs stratégiques. Les campagnes de désinformation, voire de dénigrement, visant la France, notamment l´exploitation faite des frappes françaises à proximité du village de Bounti, sont autant d'illustrations des agissements hostiles auxquels nous pouvons être confrontés dans le champ informationnel.

Juste avant d'arriver, j'ai été alerté par un député européen français qu'une campagne de presse était en cours en Estonie, m'accusant, dans les propos que j'ai tenus à l'occasion d'un entretien donné au Figaro, de prétendre que la France se séparait des États-Unis et qu'en aucun cas elle ne choisirait son camp entre la Chine et les États-Unis. La manipulation est constante et il faut y être très attentif afin de pouvoir rectifier les propos.

Les enseignements que nous tirons de notre analyse actualisée ne remettent pas en cause la loi de programmation militaire telle que nous l'avons conçue. Ainsi, la confirmation et, souvent, le renforcement des menaces confortent l'ambition 2030 visant à disposer d'un modèle d'armée complet qui nous permette de faire face à un conflit de haute intensité, mais aussi de relever le seuil que l'ennemi qui utilise des stratégies hybrides est obligé d'atteindre avant de passer à des actions militaires qu´il devra revendiquer et assumer. Dans un conflit de haute intensité, les armées devront participer à un engagement majeur sur le haut de spectre. Il est donc indispensable de conserver un certain nombre de compétences et de capacités clés : renforcer notre entraînement, entretenir nos matériels ou consolider les domaines de la santé, de la prévention des risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques ou de la lutte anti-drones. Tout cela contribue également à renforcer non seulement notre capacité à répondre aux crises, mais également la crédibilité de notre posture ainsi que la résilience du ministère des Armées.

Face à ces éléments de rupture, un renforcement capacitaire est indispensable afin d'améliorer notre aptitude à détecter les menaces et à attribuer les actes hostiles dans le cyberespace, l'espace exo-atmosphérique, le champ informationnel ou les fonds sous-marins. L'une des grandes difficultés induites par les stratégies hybrides est en effet de dépasser l'ambiguïté de nos adversaires et de les contraindre à en sortir.

La grande instabilité du contexte stratégique entraîne des risques nouveaux aux portes de l'Europe, qui appellent une volonté forte et une réponse adaptée des États membres de l'Union européenne. La France doit poursuivre ses efforts pour convaincre et entraîner ses partenaires à agir. Les efforts budgétaires consentis depuis 2019 contribuent à atteindre l'objectif fixé par le Président de la République. Il n'est pas encore atteint mais nous sommes en voie de le faire et il ne faut pas se décourager : nous disposerons d´une armée puissante, dotée des capacités de combat les plus modernes, apte à jouer un rôle moteur en Europe et connectée au monde.

Les fragilités et les besoins nouveaux que nous avons identifiés ne nous ont pas amenés à changer le cap fixé par la loi de programmation militaire. Les choix essentiels définis par la loi et les grands équilibres capacitaires que nous avons déterminés à cette occasion conservent, selon moi, toute leur pertinence. Il s'agit donc de procéder à des ajustements à la marge pour garantir à terme l'efficacité opérationnelle des armées. Cet ajustement est modeste – il représente 1 milliard sur les 295 milliards de l'ensemble de la programmation – mais il se veut le plus efficace possible. Dans le cadre d'un raisonnement à périmètre financier constant, il a fallu identifier des leviers pour manœuvrer. Ainsi, l'accélération de certains axes d'efforts capacitaires sera compensée par la décélération d'autres programmes. Des capacités nouvelles seront en outre développées.

En plus de l'ajustement prévu dans la loi de programmation militaire, le ministère des Armées procède tous les ans, en liaison avec l'état-major des armées et la direction générale de l'armement, à un ajustement de programmation militaire afin de tenir compte de la vie des programmes. Celui-ci peut entraîner une décélération de livraison ou, au contraire, susciter des opportunités d'accélération dans d'autres domaines. Cette démarche ne remet pas en cause les équilibres structurant la loi de programmation militaire. Elle consiste à être plus volontariste dans l'identification de nouvelles capacités et dans les développements de nouveaux champs.

Le premier axe identifié par l'actualisation de la revue stratégique – mieux détecter et contrer – consiste à améliorer la capacité des armées à détecter les menaces et à attribuer les agressions, notamment dans les nouveaux espaces de conflictualité. À cette fin, le cyber, le renseignement et la surveillance connaîtront des évolutions se traduisant par l'acquisition de capacités matérielles de stockage et de calcul – c'est le volet socle – et le développement d'algorithmes spécifiques à chaque cas d'usage – c´est le volet métier. Les livraisons seront échelonnées à partir de 2023.

Dans le domaine cyber, certains programmes seront accélérés de deux ans afin de disposer plus rapidement d'une capacité structurante de traitement des données cyber pour la caractérisation de la menace, le renseignement et la préparation de l'action. Le déploiement de cette infrastructure de collecte de données se traduira notamment par la construction d'un entrepôt de données à Bruz. La lutte informatique d'influence (L2I), c'est-à-dire la capacité de lutte contre la manipulation de l'information et les capacités à détecter les manœuvres d'influence à grande échelle, demande le développement d'algorithmes de détection des fake news et des deep fakes. Le renouvellement de nos équipements de cryptographie afin de garantir la protection des communications se fera, entre autres, par l'acquisition de 1 300 chiffreurs radios tactiques pour nos opérations en coalition.

Dans le domaine du renseignement, l'objectif est de se doter de capacités supplémentaires de stockage et d'exploitation de données en masse multi-sources avec le déploiement d'outils d'automatisation et de traitement à base d'intelligence artificielle. Un tel traitement est d'autant plus nécessaire que le volume de données collectées augmente, notamment grâce aux capacités spatiales développées dans le cadre de la loi de programmation militaire. L'automatisation croissante du traitement des données et l'évolution des métiers « cyber-rens » nous oblige à mener une réflexion constante sur nos ressources humaines.

Dans le domaine de l'interception et de la surveillance, nous allons améliorer la capacité d'interception et de localisation des émissions électromagnétiques avec l'acquisition de capteurs ou de services complémentaires d'appui électroniques ainsi que la capacité de surveillance de l'espace avec l'acquisition de données issues d'observations optiques depuis la Terre à partir des télescopes ou, depuis l'espace, à partir des satellites.

La capacité d'investigation sous-marine sera également développée. Nous commençons à peine mais vous pourrez utilement questionner le chef d'état-major de la Marine, auquel j'ai confié un mandat sur le seabed warfare pour définir notre doctrine dans ce domaine, dont l'importance est évidente compte tenu du volume de données transitant par les réseaux de câbles sous-marins.

Le deuxième axe de l'actualisation de la revue stratégique – mieux se protéger – consiste à renforcer la capacité des armées à contribuer à une résilience accrue sur le territoire national et donc à consolider les domaines de la santé, de la prévention des risques NRBC, de la lutte anti-drones dans la perspective des grands rendez-vous internationaux qui se dérouleront sur le territoire national en 2023 et en 2024, mais également afin d'être capable de mieux défendre nos déploiements opérationnels et les sites sensibles qui peuvent faire l'objet d'attaques NRBC ou par drones.

Dans le domaine NRBC, l'effort porte sur les piliers de protection et de détection du système de défense. Dans le domaine de la lutte anti-drones, nous prévoyons l'acquisition de moyens supplémentaires qui permettront à la fois la détection et le traitement pour protéger une dizaine de sites sensibles. Dans le domaine de la santé, il s'agit de développer des kits d'évacuation médicale standardisés pour les hélicoptères NH90, Caracal et Cougar et de lancer les premières études en vue du renouvellement de la capacité Morphée (MOdule de Réanimation pour Patient à Haute Élongation d'Évacuation) sur MRTT (Multi Role Tanker Transport). Cette capacité a été utilisée, avec la capacité MEROPE (ModulE de Réanimation pour les OPErations) des avions A400M pour transférer des malades entre régions lors de la première phase pandémique. Nous continuons à utiliser ces capacités pour alléger la pression qui pèse sur le système hospitalier guyanais en évacuant des malades vers les Antilles.

Nous voulons en outre garantir une meilleure interopérabilité interministérielle avec les forces de sécurité intérieure en termes de réseaux de transmission et de commandement. Nous étudions à cette fin l'impact sur notre propre réseau Auxylium du réseau radio du futur que développe le ministère de l'intérieur.

Le troisième axe de l'actualisation de la revue stratégique – mieux se préparer – consiste à préparer nos armées à prendre l'ascendant sur des adversaires qui sont chaque jour plus agiles dans tous les champs de la conflictualité. Il faut consolider l'effort de préparation opérationnelle des armées parallèlement aux efforts de modernisation et de réparation afin de pouvoir répondre aux exigences des conflits hybrides.

Pour être tout à fait franc, je pense que, au moment de la construction de la loi de programmation militaire, nous avions sous-doté les capacités et les ressources de préparation opérationnelle des armées. C'est pourquoi le principal poste d´augmentation des ressources dans le milliard que nous avons mouvementé y est consacré.

Nous atteindrons ces objectifs par l'élargissement des compétences dans les champs immatériels et par l'accélération de l'acquisition de compétences liées aux engagements de haut de spectre. Nous prévoyons un effort ciblé pour rehausser la disponibilité des équipements nécessaires à une plus grande homogénéité d'entraînement opérationnel. Il faut également que nous compensions les fragilités logistiques mises en évidence par la crise sanitaire, notamment dans le domaine du maintien en condition opérationnelle. Je pense en particulier au plan d'approvisionnement du service de soutien de la flotte, qui a été doté de 45 millions d'euros pour la période 2022-2023, ou à l'acquisition de pièces de rechange pour le C-130H, pour un montant de 10 millions d'euros. Ces moyens permettront de garantir la cohérence d'ensemble de la maîtrise de la force par les armées dans des environnements moins permissifs. Nous allons donc consolider les stocks d'obus, réaliser un effort dans la maintenance du parc de munitions complexes et valoriser l'entraînement, donc, les centres de préparation opérationnels et la simulation. Des exercices grandeur nature plus importants seront effectués. Nous prévoyons de réaliser en 2023 un exercice Orion d'entraînement multi-milieux, interarmées et interallié. Il devrait engager sur un niveau divisionnaire de 17 000 à 20 000 hommes et plus de 500 véhicules de l'armée de Terre, 2 porte-hélicoptères amphibies, le porte-avions Charles-de-Gaulle pour la Marine et 40 avions de l'armée de l'Air et de l'Espace.

Cette amélioration de la préparation opérationnelle rentre non pas dans le cadre d'une stratégie de contre-hybridité – je ne pense pas qu´il faille en développer – mais dans celui de la prise en compte des stratégies hybrides de nos compétiteurs ou de nos ennemis potentiels. Nous devons être capables d'agir dans tous les champs et en particulier dans le champ des perceptions et de la communication stratégique, ce qui passe par la démonstration d'exercices comme Orion.

Les travaux que nous avons conduits sont en cohérence avec l'ambition 2030 d'un modèle d'armée complet qui permet à la France de défendre ses intérêts, de peser sur la scène internationale et d'entraîner ses partenaires européens. Cette ambition conserve toute sa pertinence et les analyses récentes qui nous conduisent à ajuster le cap permettent de mieux prendre en compte les évolutions stratégiques et technologiques.

Cet ajustement de la Loi de programmation militaire est indispensable. Il se poursuivra dans les prochains mois mais il ne doit pas éclipser la Loi de programmation militaire elle-même, qui est articulée autour de quatre axes : hauteur d'homme, renouvellement des capacités opérationnelles, garantie de l'autonomie stratégique de la France et soutien à l'émergence d'une autonomie stratégique européenne ainsi que l'innovation face aux défis futurs. Elle illustre un tournant important pour les armées. Après deux lois de programmation de déconstruction de notre modèle, elle a permis d'engager la réparation de nos capacités. Sans cet effort de la nation au profit des armées, les chefs militaires auraient été obligés de proposer aux politiques des renoncements et des abandons.

La loi de programmation militaire produit d'ores et déjà ses premiers effets et elle est indispensable pour l'avenir. En tant que chef d'état-major des armées, je suis d'abord attentif à ses dernières annuités mais également à la suite puisqu'il faut soutenir l'ambition d'une modernisation des armées et atteindre les objectifs de l'ambition 2030.

Dans un monde qui, à douze ans d'intervalle, a connu les deux crises économiques les plus graves depuis 1929, dans lequel la confrontation entre la Chine et les États-Unis se durcit, où de plus en plus d'acteurs sont tentés par l'action unilatérale et le recours à la force, la loi de programmation militaire de modernisation est la condition sine qua non pour que la France et l'Union européenne continuent de jouer un rôle sur la scène mondiale. Les conséquences de la pandémie en termes de déficit budgétaire et d'endettement de la France ne doivent pas nous faire perdre de vue le durcissement de l'ordre du monde auquel nous devrons faire face quoi qu'il arrive.

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La revue stratégique de 2017 avait permis de poser les jalons d'un modèle d'armée complet et équilibré dans la durée. La loi de programmation militaire 2019-2025 a ensuite concrétisé les efforts budgétaires voulus par le Président de la République afin de donner à nos armées les moyens d'atteindre les objectifs fixés par la revue stratégique.

Cette loi de programmation militaire était ambitieuse et surtout sincère : fiabilité des ressources mobilisées, exécution quasiment parfaite des autorisations de paiement, valorisation réaliste et juste des opérations extérieures et hausse régulière du budget de la défense de 1,7 milliard par an jusqu'en 2022. La loi de programmation militaire permet donc une régénération capacitaire de nos armées : renouveau et maintien en conditions opérationnelles, important effort dans le recrutement et la formation de soldats, de marins et de pilotes, investissements importants dans le cyber, l'espace et dans l'innovation de défense.

L'actualisation stratégique de 2021 a confirmé les menaces relevées par la revue stratégique de 2017. Instabilités et incertitudes se sont accrues : premiers signes d'un combat de haute intensité entre acteurs étatiques avec l'agression de l'Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh ; persistance de la menace terroriste de l'État islamique ou d'Al-Qaïda contre notre pays et les alliés européens ; développement de la stratégie hybride combinant les modes d'action ; durcissement des engagements et accroissement de provocations et de crises en Méditerranée orientale ou en zone indopacifique, théâtre de tentatives d'hégémonie.

La ministre des armées a annoncé l'accélération ou la décélération de plusieurs programmes de la loi de programmation militaire afin de s'adapter à ces menaces et je ne parle même pas du format de notre aviation de combat à la suite des récents succès du Rafale à l'export, ou d'éventuelles évolutions de la doctrine d'emploi de l'interarmées. En même temps, notre voisin britannique affiche de grandes ambitions. Sa vision Global Britain se traduit dans l 'Integrated Review et le Command Paper qui annoncent notamment un investissement historique pour la Royal Navy afin de redevenir la première nation maritime européenne.

Vous avez récemment affirmé dans un entretien que nous allions vers une « réorganisation de l'ordre du monde » et que nous serons toujours engagés au Sahel dans dix ans. Ce contexte d'accroissement des menaces ne devrait-il pas nous inciter à faire un effort supplémentaire, capacitaire et humain, dans la loi de programmation militaire actuelle sans attendre la suivante ?

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Je ne vais pas vous interroger sur la loi de programmation militaire ni sur le Mali, bien que la situation y soit très difficile. Mon interrogation portera en revanche sur un sujet un peu plus politique. Nous abordons également souvent la question de l'hybridité croissante des conflits auxquels la France est confrontée – tels la cyberguerre ou la guerre informationnelle – mais ces nouveaux espaces de conflictualité, plus abstraits, ne doivent pas nous faire perdre de vue les menaces plus concrètes que vous avez évoquées à plusieurs reprises, notamment lors de votre dernier entretien accordé au Figaro. J'espère ne pas détourner vos propos, mais vous y mentionniez l'utilisation par la Turquie du levier migratoire, menaçant de laisser passer des dizaines de milliers de réfugiés syriens en Europe si nous n'acceptions pas ses demandes diplomatiques.

Autre exemple : la ministre de la défense espagnole a accusé le Maroc de chantage car les autorités frontalières ont laissé passer plus de 8 000 migrants, dont un dixième de mineurs non accompagnés. Votre homologue espagnol a dû déployer 3 000 soldats afin d'intercepter cet afflux soudain et d'appuyer les forces insuffisantes du ministère de l'intérieur.

La récente actualisation de la revue stratégique résume sobrement ce phénomène en soulignant que de nouvelles zones de concentration de migrants en transit se sont développées, informelles ou sous contrôle des États, et qu'elles pourraient alimenter une reprise rapide des flux, la problématique migratoire pouvant être instrumentalisée.

Les questions migratoires et du contrôle des frontières ne sont théoriquement pas de votre ressort. Néanmoins, les nouvelles formes de guerre hybride contribuent au mélange des genres. Depuis plusieurs années, nous maintenons une forte présence sur le territoire national dans le cadre de l'opération Sentinelle. Ainsi que le précise un rapport du Parlement sur les conditions d'emploi des armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population, celles-ci peuvent être employées à surveiller ou contrôler une zone ou une frontière. C'est d'ailleurs une des raisons d'être de l'opération Harpie en Guyane.

Quelle est votre analyse de l'utilisation croissante du levier migratoire par des pays aux frontières de l'Union européenne et donc, espace Schengen oblige, aux frontières de la France ? La situation nécessite-t-elle une coopération renforcée entre le ministère des Armées et celui de l'Intérieur ? Pensez-vous que la prochaine actualisation de la loi de programmation militaire, qui interviendra selon toute vraisemblance lors du prochain quinquennat, devrait renforcer matériellement l'appui des forces armées aux forces de sécurité dans leur mission de protection des frontières de notre pays ?

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La loi de programmation militaire est alignée tant avec la trajectoire budgétaire que nous avons votée qu'avec nos engagements au sein de l'OTAN. Au moment où le général Lavigne prend ses fonctions en tant que commandant suprême allié pour la transformation de l'OTAN, où Toulouse a été retenu comme centre d'excellence spatiale pour l'ensemble de l'OTAN et que plusieurs standards ont été adoptés conformément à nos nomenclatures, quels sont, selon vous d'un point de vue strictement militaire, les avantages et les inconvénients de notre appartenance à l'alliance ? Jusqu'à ce que l'on remédie pleinement aux vulnérabilités et fragilités que vous avez énumérées, pensez-vous que l'OTAN remplisse son rôle de substitutif ?

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La loi de programmation militaire favorise l'éclosion d'une armée du futur et contribue à structurer les relations internationales. Nous devons donc nous tourner vers l'avenir et je souhaite appeler votre attention sur les enjeux écologiques « défense et climat ».

Mon collègue Jean-Marie Fiévet et moi-même avons eu la chance de rédiger un rapport d'information sur les défis de la transition écologique pour le ministère des Armées et j'espère que nous aurons le plaisir de vous le présenter. Ce rapport qui, pour la première fois, associe les enjeux militaires et les enjeux écologiques, montre que les défis environnementaux et la transformation énergétique sont des enjeux essentiels devant être pris en compte dès maintenant car les changements qu'ils exigent ne peuvent se faire que dans le temps long. Les exemples des champs d'action possibles ne manquent pas mais c'est dans le domaine de la recherche et du développement que nous devons effectuer le plus gros travail afin de créer un système de défense capable de garantir l'accès à l'énergie. Dans cette perspective, une des pistes est le développement d'énergies alternatives opérationnelles – hydrogène, gaz naturel liquéfié ou GNL – dans le secteur civil, avant de les décliner dans le secteur de la défense.

L'armée doit par ailleurs anticiper l'apparition de nouveaux conflits liés aux problématiques du changement climatique, comme la montée des eaux dans des pays comme les Fidji ou le Bangladesh. Changement du climat et de terrain lié au problème climatique, pénurie de certaines énergies, utilisation de matériaux ultra polluants dont les stocks ne sont pas inépuisables : telles sont les raisons qui amèneront nos armées à adapter leurs équipements pour conserver leur efficacité. Cette adaptation doit commencer dès aujourd'hui et s'inscrire dans la durée : la France ne peut être prise au dépourvu. La vingt-sixième conférence des parties des Nations unies sur le changement climatique (COP 26), qui inclura pour la première fois le thème des armées et de la défense dans la discussion principale, ainsi que la présidence de la France au Conseil de l'Union européenne seront l'occasion d'approfondir la réflexion sur ces questions.

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En 2025, l'armée de l'air et de l'espace devra compter 129 Rafale. En octobre dernier, le général Lavigne, que je félicite pour sa nomination, a rappelé la nécessité de disposer d'une aviation de combat dimensionnée en quantité et en qualité pour pouvoir répondre aux contrats opérationnels et il a qualifié l'échéance de 2025 comme étant « très importante ». Le contrat croate, qui est une excellente nouvelle, vient changer la donne. Après le contrat grec, l'armée de l'air croate vient prélever douze Rafale en service au sein de nos forces. Je rappelle que le contrat grec s'accompagne d'une commande de douze appareils neufs, ce qui n'est pas le cas du contrat croate. Le ministère des Armées indique que les produits de cession des Rafale prélevés seront utilisés pour améliorer la disponibilité et renforcer la préparation opérationnelle de l'armée de l'air et de l'espace, notamment en modernisant le Rafale et ses équipements – radars, pods – afin d'exploiter pleinement le potentiel du standard F4. C'est un choix, mais le nombre d'aéronefs compte, ne serait-ce que pour la préparation opérationnelle.

Je comprends que la base industrielle et technologique de défense (BITD) doive maintenir un subtil équilibre entre contrats export et commandes souveraines mais l'engagement de disposer de 129 Rafale en 2025 sera-t-il maintenu ? Une baisse capacitaire temporaire est en effet tolérable si elle est compensée par une livraison future de davantage d'avions. La tranche 5 pourrait ainsi comporter cinquante avions au standard F4 au lieu de trente. Je rappelle qu'une telle modification devrait être notifiée en 2023, pour une livraison entre 2027 et 2030.

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Le 19 février, la ministre des armées a annoncé le lancement, en réalisation de programme, de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de troisième génération. Cette annonce témoigne de la volonté du Gouvernement de préserver l'indépendance stratégique de la France ainsi que la capacité de notre pays à assurer seul la protection de son intégrité territoriale et des Français.

Quatre navires seront donc construits mais je m'interroge sur leur nombre, qui était adapté à la situation sécuritaire et géostratégique bien particulière des années 2000, laquelle n'a plus rien à voir avec le contexte actuel, pour ne pas parler du contexte à l'horizon 2 035. Croyez-vous que le schéma opérationnel de la force océanique stratégique, à savoir un navire en patrouille, un navire en alerte, un navire à l'entraînement et un navire en maintenance demeure pertinent ? N'oublions pas de surcroît qu'un accident n'est jamais exclu, comme nous l'a malheureusement rappelé celui du sous-marin nucléaire d'attaque Perle. Il ne s'agit sans doute pas de revenir au format de six sous-marins lanceurs d'engins, comme dans les années soixante-dix, mais le format de cinq navires semble approprié puisqu'il permettrait de maintenir deux navires en patrouille.

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La réussite de la loi de programmation militaire tient aussi au moral des soldats et, comme l'a dit le général de Gaulle, « l'effort guerrier ne vaut qu'en vertu d'une politique ».

Notre pays est confronté à une grave crise sanitaire, économique et humanitaire. Les soldats et leur famille n'échappent pas à ses importantes conséquences sociales. En assurant les missions Sentinelle, nos soldats sont confrontés aux inégalités qui créent des frustrations et ouvrent la porte à la misère sur laquelle prospèrent les trafics en tous genres qui gangrènent le pays et génèrent de l'insécurité. Nombre de ces soldats doivent avoir le sentiment que cette insécurité est insuffisamment combattue et que notre belle devise nationale, Liberté, Égalité, Fraternité, ne s'applique plus aux territoires de la République touchés par ces phénomènes.

Au-delà de nos frontières, nos soldats sont amenés à faire front, à la demande des institutions républicaines, quand notre nation et nos ressortissants sont en danger. Ils le font trop souvent au prix du sang et toujours avec courage, abnégation, et au détriment de leurs proches qui vivent dans l'inquiétude de l'attente du retour.

Nous avons le sentiment que le désappointement parcourt les rangs car la situation se dégrade, inquiète, ce qui fait courir un risque de manipulation : certains brandissent ainsi le drapeau de la nation pour des causes anti-républicaines.

Ces observations me conduisent à trois questions : quelle est la part de réalité dans mes propos ? Nos soldats ont-ils le sentiment que leur sacrifice est insuffisamment payé de retour ? L'institution militaire est-elle ébranlée ?

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Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, comme je le fais depuis bientôt quatre ans, et je sais que vos silences et vos allusions sont presque aussi instructifs que vos déclarations. Vous avez fait allusion à une affaire de câbles sous-marins. Que pouvez-vous nous en dire ? Vous avez par ailleurs souhaité que la France ne se lance pas dans une stratégie de contre-hybridité. Pourriez-vous être plus précis ?

Deux événements politiques importants ont eu lieu en Afrique subsaharienne en l'espace de six semaines : le décès d'Idriss Déby et son remplacement par un de ses fils et le coup d'État au Mali. Que vous inspirent-ils dans la perspective de la déclaration du Président de la République laissant entendre que le coup d'État au Mali pourrait justifier un retrait de la France ?

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La loi de programmation militaire prévoit une remontée en puissance de nos forces et de leurs capacités opérationnelles à travers un renforcement inédit des budgets de toutes les composantes des armées. La prise de conscience politique de l'importance des armées est réelle et l'accompagnement de cette mutation par l'État est profond.

Un nombre croissant de spécialistes de la doctrine militaire souligne avec inquiétude la menace grandissante d'un retour des conflits de haute intensité sur la scène internationale. En tant que députés, notre rôle est de nous assurer de la crédibilité de ce point de vue et d'en tirer les conséquences politiques. Quel est votre jugement en la matière ?

Le meilleur moyen d'éviter que ces menaces n'aboutissent à une guerre, c'est de s'y préparer. L'augmentation des moyens, concrétisée par la loi de programmation militaire et confirmée par les lois de finances successives, concerne-t-elle les composantes de nos armées susceptibles d'intervenir dans des conflits à haute intensité ?

Enfin, je vous remercie pour la mise en place du programme de médiation canine par la cellule d'aide aux blessés de l'armée de Terre (CABAT). C'est quelque chose d'extraordinaire et nous devons tous les soutenir.

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Général François Lecointre, chef d'état-major des armées

Monsieur Marilossian, vous m'interrogez sur un éventuel effort supplémentaire de la nation.

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Général François Lecointre, chef d'état-major des armées

Je demanderais quatre points du PIB (Sourires) ! Selon le général Bentégeat, c'est ce qui était envisagé lorsqu'il était chef d'état-major des armées.

Plus sérieusement, ma vraie crainte, c'est que l'ampleur du déficit budgétaire et de l'endettement de la France nous conduisent demain, dans une logique comptable, à réduire la dépense publique, en particulier pour les armées. Certes, il faut régler le problème de la dette mais il faut aussi régler celui de l'armement de la France face aux dérèglements du monde. En tant que membres de la commission de la défense, vous êtes plus conscients que les autres parlementaires des enjeux auxquels nous sommes confrontés. J'espère donc parvenir, avec votre appui, à consolider la Loi de programmation militaire et les engagements pris par le Président de la République, indépendamment des éventuelles alternances politiques futures.

Je ne vois pas, aujourd'hui, de domaines demandant des efforts supplémentaires au-delà de ceux identifiés dans l'ajustement de la loi de programmation militaire. Il s'agit donc de maintenir l'effort qui consiste à construire un modèle d'armée complet, à le moderniser, à continuer d'enquêter sur les nouveaux champs de conflictualité. Ensuite se posera le problème de la masse, c'est-à-dire du nombre d'unités de combat que nous sommes capables d'engager avec nos partenaires européens – je souligne au passage que les partenaires de l'OTAN et de l'Union européenne sont les mêmes, même si l'on feint systématiquement de les distinguer – puisque l'engagement dans un conflit majeur ne pourra se faire qu'avec eux.

Je rappelle que le fonds européen de défense est doté de plus de sept milliards d'euros. Cette dotation ne sera jamais suffisante mais son existence même témoigne d'une nouvelle ambition européenne. Nous devons donc encourager nos partenaires européens à faire un effort de dépenses afin d'acquérir des capacités. Nous devons également nous positionner de façon à être les leaders crédibles d'une coalition européenne et, à cette fin, renforcer dans la prochaine programmation militaire le domaine du commandement et du contrôle. La capacité à conduire une coalition est une tâche complexe qui s'inscrit dans le cadre d'enjeux d'harmonisation des armées et des opérations. J'ajoute que le poids croissant du numérique dans l'ensemble des systèmes de combat expose les armées à des attaques dans le cyberespace car plus on numérise, plus on crée de vulnérabilités.

L'hybridité est pratiquée par la Turquie au premier chef, mais également par la Russie et d'autres puissances. Ces compétiteurs considèrent qu'il n'y a pas de différence entre le moment de la paix et le moment de la guerre, ce qui leur permet d'exercer des confrontations de puissances et des jeux d'influence en jouant sur les champs économique et de la perception ou à travers des actions militaires menées par leurs armées, par des sociétés privées, par des armées vassales ou vassalisées ou par le biais d'instructeurs. Ils utilisent aussi l'arme démographique et de la migration.

La Turquie, qui est le principal réceptacle de l'immigration en provenance d'Asie et en particulier d'Afghanistan – on peut d'ailleurs s'attendre à voir une recrudescence des migrations à partir de l'Afghanistan, qui passeront par la Syrie et donc par la Turquie – fait peser sur nous une telle menace. En se positionnant en Libye, elle tient un autre verrou des flux migratoires importants vers l'Union européenne. Pour autant, les armées doivent-elles se mêler de contrôler les flux migratoires ?

Je souhaite qu'on ne parle pas de stratégie contre-hybride. L'hybridité est utilisée par des États qui ne sont ni des démocraties ni des États de droit et qui ne reconnaissent donc pas la différence très tranchée faite par le droit international entre la situation de guerre et la situation de paix. L'hybridité contribue à la fois au dérèglement des relations internationales et à l'affaiblissement de leur régulation par le droit international. Les puissances occidentales doivent refuser de céder à la tentation de réagir à des stratégies hybrides par des stratégies hybrides car cela les affaiblirait en portant atteinte à leur identité.

En revanche – et c'est le sens des ajustements que nous faisons – nous devons pouvoir déceler les intentions et les objectifs des puissances qui utilisent de telles stratégies. C'est ainsi que nous pourrons répondre dans le respect du droit international et en fonction de nos propres valeurs. Cela nécessite non pas que les armées fassent un travail qui relève de la responsabilité du ministère de l'Intérieur ou des douanes mais que nous menions un travail interministériel qui permettra d'une part de déceler les intentions et les champs d'action de ces puissances et d'autre part de coordonner les réponses de chaque institution, dans le respect de ses prérogatives et de ses attributions. J'insiste : je suis opposé à l'idée de contrer l'hybridité par l'hybridité.

Nous devons en effet être très attentifs à ce que les armées engagées sur le territoire national ne le soient jamais en substitution des forces de sécurité intérieure ou des forces de l'ordre. Leur engagement doit se faire soit dans le respect de la règle des quatre « i », soit au titre de leur capacité d'action autonome dans le cadre d'une crise – une catastrophe naturelle par exemple – soit au titre de l'action contre une menace ennemie qui s'exprime sur le territoire national. C'est le sens de l'opération Sentinelle, qui n'est pas une opération de protection des frontières. Je suis très attentif à éviter que nous nous laissions entraîner progressivement dans cette direction, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays de l'Union européenne. Le respect de la singularité d'une institution dont la vocation première est d'user de la force de manière délibérée jusqu'à tuer est lié à l'identité de la France, grande nation militaire et grande puissance géopolitique qui a une vocation singulière en Europe. Cela doit nous conduire à être très attentifs à éviter la confusion des genres entre les forces de maintien de l'ordre, les douanes et les armées.

L'avantage d'appartenir à l'OTAN, c'est que cela nous confère une puissance collective considérable, supérieure à la somme de la puissance de chacun de ses membres car l'Alliance est un lieu de création d'interopérabilité grâce à des normes communes permettant l'engagement entre alliés. Pour autant, il ne faut pas que les membres de l'Alliance s'abstiennent de faire des efforts à titre individuel et la France est attentive à prendre toute sa part. L'OTAN, ce sont aussi des dépenses communes pour se doter de capacités communes et nous sommes là aussi attentifs à ce que ces capacités soient augmentées afin d'apporter quelque chose en plus à l'Alliance et non pour créer des capacités qui se substitueraient à celles que doivent développer les États membres ou pour engager des dépenses. Au sein de l'OTAN, la France est un des empêcheurs de tourner en rond face à une structure qui peut parfois entraîner ses membres vers des engagements inconsidérés. Lorsque j'ai pris mes fonctions, nous avons ainsi été attentifs à limiter l'extension du besoin en ressources humaines pour la création de la nouvelle structure du commandement tout en respectant nos engagements en fournissant du personnel compétent. La France souhaite conserver une capacité nationale autonome d'engagement au sein de l'alliance et notre pays n'a jamais considéré que les structures de commandement de l'OTAN puissent être une sorte de vase d'expansion dans lequel nos officiers iraient faire une carrière internationale. Depuis son retour dans le commandement intégré de l'Alliance, la France est un partenaire exigeant et responsable, ce qui permet à notre chef politique, le Président de la République, de faire entendre la voix de la France au sein de cette institution.

Lorsque j'étais à l'état-major de l'armée de Terre, j'ai travaillé avec Mme la sénatrice Leila Aïchi, qui avait écrit un livre vert sur la défense dont je vous recommande la lecture. Les enjeux environnementaux, à plusieurs titres, concernent très directement les armées : d'abord parce que, parmi les institutions de l'État, les armées sont les plus grandes consommatrices d'énergie fossile ; ensuite, parce qu'elles sont un propriétaire foncier et immobilier important et enfin, parce qu'elles sont directement concernées par les dérèglements du climat. Elles peuvent par ailleurs être engagées dans des missions environnementales, en particulier l'opération Harpie qui, je le rappelle, est une mission de protection des ressources et de lutte contre l'orpaillage et non de contrôle des frontières.

Parmi les facteurs qui contribuent à déstabiliser les régions dans lesquelles nous continuerons à faire des interventions de gestion de crise, le facteur climatique est essentiel. Le ministère des Armées est donc fortement engagé dans le domaine de l'environnement. J'ai inauguré récemment un séminaire de travail conduit par le Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations sur la doctrine dont les armées doivent se doter en matière environnementale. Nous travaillons également à un programme de valorisation de notre parc immobilier afin de moins polluer et d'économiser l'énergie. Nous développons aussi à travers la recherche des moyens qui permettront à nos équipements de consommer mieux et moins d'énergies fossiles, notamment grâce à des moteurs duaux tout en « consommant sûr », car les armées doivent être capables de combattre dans n'importe quelles conditions : on ne peut pas interrompre un raid blindé parce que la nuit est tombée et que les véhicules n'ont plus d'énergie solaire. Leurs moteurs doivent être capables de fonctionner avec de l'énergie la plus verte possible mais également avec du fuel de mauvaise qualité, qui sera le seul disponible dans certaines régions, en Afrique par exemple.

La vente de Rafale à la Croatie est une bonne nouvelle car la Loi de programmation militaire a été élaborée à partir d'hypothèses de vente de Rafale qui, si elles ne réalisaient pas, compromettraient son équilibre. J'ai longuement parlé de ce sujet avec le général Lavigne la semaine dernière et avec le délégué général pour l'armement hier. Le général Lavigne a besoin de masse, à la fois pour pouvoir engager des unités de combat mais aussi pour entraîner ses personnels et leur faire acquérir des qualifications. Nous prévoyons d'améliorer la disponibilité opérationnelle de nos aéronefs mais n'oublions pas que nous allons perdre nos Mirage 2000 à partir de 2023 et que les Rafale devront assurer leurs missions de police du ciel et de sécurité aérienne. Aujourd'hui, je n'ai pas de réponse à la question de savoir comment assurer l'équilibre entre les contraintes sur la ressource humaine, la préparation opérationnelle de l'armée de l'air pour ses missions tant sur le territoire national qu'à l'extérieur, et l'ambition 2030 et la façon dont nous pourrons l'atteindre. La réflexion est en cours ; nous trouverons des solutions. Celles-ci ne passeront pas nécessairement par la réalisation de l'objectif nominal de 171 Rafale à horizon 2025, d'autant qu'il existe d'autres prospects de vente de Rafale, ce dont nous devons nous réjouir. Nous devrons faire peser l'effort sur la totalité de notre parc Rafale et donc prendre également en compte les avions de l'aéronautique navale et pas seulement ceux de l'armée de l'Air et de l'Espace.

Il n'est pas question de revenir à cinq sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, comme c'était le cas à l'époque où mon père en commandait un. L'effort que nous faisons pour doter la France de quatre sous-marins de ce type est déjà très important. La production de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins et de sous-marins nucléaires d'attaque de nouvelle génération, avec des systèmes d'armes bien plus performants qu'ils ne l'étaient dans les années quatre-vingt, est liée aux besoins opérationnels, mais également aux capacités de Naval Group et de l'ensemble des industriels à réaliser le plan de charge et à tenir les délais. Nous y parvenons aujourd'hui malgré une capacité industrielle sous tension. C'est extraordinaire, pour ne pas dire miraculeux, que la France, avec 2 % du PIB consacrés à ses armées, en soit capable. Il n'est pas imaginable dans un horizon prévisible que notre pays puisse consacrer 4 % ou 5 % de son PIB aux armées et la Marine nationale devra donc continuer à réaliser des prouesses en matière de gestion de la ressource humaine. Le nombre d'équipages par bâtiment est précisément calibré et lui permet de construire les compétences dont elle a besoin pour former notamment les officiers mariniers ou les pachas de bateau. La route est longue et les équilibres sont difficiles à tenir.

Je vais être très franc avec vous sur l'affaire de la tribune des généraux. Je ne me prononce pas sur le fond de ce qui a été dit par ces gens. Personne ne conteste l'insécurité, le communautarisme, la fragilisation du lien social et de l'esprit de cohésion nationale. Le Gouvernement mène d'ailleurs plusieurs actions pour y remédier. J'ai considéré que le discours tenu dans cette tribune serait évidemment utilisé au service d'un militantisme politique. Les officiers qui l'ont écrite ne peuvent se prévaloir de leur grade et de leur position de militaire pour tenir des propos militants et politiques. Je n'ai rien dit de plus, c'est ma position et je la tiendrai. Les signataires de cette tribune savaient parfaitement qu'elle rentrait dans le champ d'un débat politique et s'ils ne le savaient pas, c'est qu'ils ont gravement manqué de discernement et c'est bien ce dont nous jugerons lorsqu'ils viendront s'exprimer devant les conseils supérieurs d'armée. Je tiens cette ligne parce que la cohésion des armées est indispensable. Elle requiert une stricte neutralité et une stricte soumission au pouvoir politique. C'est quelque chose de sacré. M. Tartemolle peut écrire ce qu'il veut mais le général Tartemolle ne peut s'exprimer que dans son domaine de compétence et pas à des fins de militantisme politique. L'institution militaire n'a pas été ébranlée par cette affaire. Les militaires ont été très surpris par la violence des réactions et ils ont été choqués par les attaques dont j'ai été l'objet car ils se sont sentis atteints puisque je suis leur chef et que je les représente, mais le sens de leur engagement et les valeurs de cohésion qui constituent l'essentiel de la force morale de l'institution militaire n'ont pas été atteints.

Je suis très attentif, comme tous les chefs militaires, à ce qu'il n'y ait aucune confusion entre la vocation des armées et les missions de maintien de l'ordre ou d'intervention sur le territoire national. Les prises de position de mon homologue américain, le général Milley, ont été les mêmes aux États-Unis quand certains ont pu confondre les choses. Dans une armée professionnelle comme la nôtre, les soldats savent ce qu'est la guerre et ils mesurent la force morale que requiert leur engagement au feu. Tuer un ennemi et s'y préparer, c'est quelque chose de terrible. Les soldats savent ce que cela demande de souffrances, de privations et d'exercices constants. On est à dix mille lieues de ce à quoi se préparent les forces de police quand il s'agit de faire respecter l'ordre ou d'intervenir contre le banditisme organisé.

J'ai la conviction profonde que l'institution militaire n'a pas été ébranlée. La vocation des hommes et des femmes engagés dans les armées ne peut être salie et fragilisée par la volonté de certains de faire des armées un enjeu de militantisme politique. Je sais que, en tant que députés de la commission de la défense, vous y êtes très attachés.

La doctrine de seabed warfare que nous avons commencé à définir demande que nous développions des capacités de maîtrise des fonds marins, en particulier des drones et des robots télé-opérés sous-marins, compte tenu de l'importance et de la sensibilité des données transitant par les fonds sous-marins et des capacités de détection encore inconnues des câbles sous-marins. Nos compétiteurs russes et sans doute chinois, ainsi que nos alliés américains, développent déjà ces capacités, qui permettent notamment de capter ou d'interrompre les données.

Les deux coups d'État récents au Sahel sont un sujet brûlant puisque M. Choguel Maïga vient d'être désigné Premier ministre de la transition au Mali. Le Président de la République réfléchit afin de définir l'attitude de la France. Je ne me prononcerai donc pas et me contenterai de partager avec vous quelques considérations d'ordre général.

Quelle que soit la décision que prendra le Président de la République, nous devrons mesurer ses conséquences sur nos partenaires européens. Depuis quatre ans, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour les entraîner et nous l'avons fait avec succès dans l'opération EUTM et dans la force Takuba.

L'objectif de l'engagement français et européen au Sahel est d'endiguer l'extension de la menace terroriste du djihadisme fondamentaliste qui est en train de déstabiliser des régions entières. Cet objectif ne peut être atteint qu'à travers une action globale dont le containment militaire n'est qu'un des volets. J'observe que les décisions prises lors du sommet du G5 Sahel à Pau ont permis de recréer un élan et d'entraîner nos partenaires européens. L'endiguement doit s'accompagner d'une réforme de la gouvernance. C'est un domaine que je ne maîtrise pas et qui est beaucoup plus difficile à contrôler. En tout état de cause, nous devrons continuer à le pratiquer quelle qu'en soit la forme et si nous décidons d'endiguer sur une autre ligne, en particulier pour protéger les États du golfe de Guinée, il faudra imaginer des modes de réarticulation de nos dispositifs.

Face à nos compétiteurs, qui utilisent une stratégie hybride, l'État de droit peut être considéré comme une fragilité : nous cherchons en effet à stabiliser les pays concernés en leur permettant d'établir chez eux une gouvernance fondée sur la démocratie et le respect de l'État de droit. C'est une tâche compliquée qui demande d'en appeler à la conviction et à la contrainte pour lutter notamment contre la corruption. Nos compétiteurs russes et chinois aident des régimes corrompus dirigés par des juntes issues de coups d'État et ne se soucient pas du respect de la démocratie. J'ai la conviction que nous parviendrons à établir une stabilité plus durable, mais, à court et moyen terme, nous nous battons avec une main dans le dos face à des acteurs qui n'ont aucun scrupule.

Merci, Madame Mirallès, pour vos propos sur la CABAT, qui travaille en effet admirablement. De manière générale, les armées se sont professionnalisées depuis dix ans pour la prise en compte des blessés, des familles et des veuves. Ce travail n'est jamais suffisant mais, lorsque j'étais moi-même jeune officier, tout cela était complètement ignoré parce que nous étions en train de redécouvrir ce qu'était le combat et les traumatismes qu'il provoque.

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Jean Pierre Cubertafon et moi-même avions formulé des recommandations en juillet dernier à l'occasion de notre rapport « flash » sur les hélicoptères des armées et il me tarde de les voir appliquées. Je me félicite de la concrétisation de la commande de huit hélicoptères Caracal destinés à remplacer une partie des vieux Puma de l'armée de l'air, mais il en manque encore douze.

En outre, pour mener à son terme, à la fin de la décennie, le projet de regroupement de la flotte Caracal au sein de l'armée de l'air par le transfert des huit Caracal du quatrième Régiment d'hélicoptères des forces spéciales de Pau, cher à notre collègue Josy Poueyto, il est indispensable de procéder simultanément à la commande de huit hélicoptères Caïman NH90 TTH pour les remplacer au sein de l'École de l'aviation légère de l'armée de Terre (EALAT). L'armée de Terre attend aussi le remplacement des sept vieux Puma déployés au sein du Groupement interarmées d'hélicoptères, ainsi que des appareils détruits en opération.

Quant à la marine, l'augmentation du parc à hauteur de dix NH90 lui donnerait les moyens de satisfaire son contrat opérationnel à l'horizon 2035 et de renforcer notamment les moyens logistiques du groupe aéronaval aujourd'hui sous-dimensionné, d'assurer les alertes de contre-terrorisme maritime et de répondre aux besoins des forces spéciales mer. J'ai conscience que l'élaboration d'une loi de programmation militaire consiste à faire des choix, ce qui implique des renoncements, mais j'aimerais que vous partagiez votre stratégie et vos perspectives s'agissant des hélicoptères de manœuvre des armées.

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En 2020, et pour la deuxième année consécutive, les crédits du programme 146 ont été conformes aux dispositions de la loi de programmation militaire. L'effort consenti à cet égard est considérable : pour la loi de finances initiale de 2020, 20,9 milliards ont été dédiés aux équipements en autorisations d'engagement et 13,6 milliards en crédits de paiement. Ainsi, sur le 1,7 milliard de croissance des crédits de paiement de la mission défense, 1,3 milliard revient au programme 146, ce qui est remarquable.

Concrètement, 2020 a été marquée par la livraison de matériel nouveau pour nos trois armées. Pour la Marine nationale, on retiendra notamment la livraison du premier sous-marin d'attaque et de deux hélicoptères Caïman. Pour l'armée de Terre, il convient de souligner la livraison des véhicules blindés Griffon ou du premier système de drone tactique. Enfin, pour l'armée de l'air, nous pouvons souligner les livraisons des Mirage 2000D rénovés et le système de trois drones MALE Reaper.

Par ailleurs, la compétition et la conflictualité ne se limitent plus désormais aux seuls milieux traditionnels terre, mer, air : elles se sont étendues à de nouveaux champs de confrontation tels que l'espace, le cyberespace et la guerre informationnelle. C'est pourquoi la ministre des Armées, Florence Parly, a réaffirmé que la modernisation de nos armées pour se défendre face aux menaces à venir dans une nouvelle sphère conflictuelle était une priorité. À mon sens, les dispositions de la loi de programmation militaire en faveur de ces problématiques prioritaires et stratégiques illustrent bien les ambitions françaises visant à doter notre pays d'un modèle de défense complet et efficace garantissant la protection de nos intérêts nationaux.

La modernisation des équipements à travers la loi de programmation militaire 2019-2025 permet-elle de faire face à l'accroissement du niveau général des menaces sur le plan national ou en OPEX ? Comment la modernisation tant attendue des équipements militaires a-t-elle été accueillie au sein de nos forces armées ?

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Une fois de plus, vous nous avez présenté un contexte international tendu – vous êtes pessimiste et… réaliste – caractérisé par des risques d'escalade et de violence entre les puissances mondiales et par la prolifération des armes conventionnelles modernes. En mer, ce contexte nous oblige à envisager le retour possible du combat naval de haute intensité. Pour faire la guerre, il faut s'y préparer et pour s'y préparer, il faut s'entraîner. Les entraînements sont de plus en plus complexes et demandent des munitions mais ces munitions manquent. Avec vos chefs d'état-major, vous avez déjà appelé notre attention à ce sujet. Les stocks de munitions navales restent notablement insuffisants, même si on peut se féliciter que le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) l'Améthyste ait récemment réussi un tir de missile avec brio. Quelles améliorations sont-elles possibles dans le domaine des munitions, pour toutes les armées, au sein de la loi de programmation militaire ?

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Le monde va se structurer autour de la rivalité entre la Chine et les États-Unis. La France et l'Europe, tout en conservant leur relation avec ce dernier pays, n'ont aucun intérêt à se laisser entraîner dans cette confrontation. L'Europe et la France doivent incarner une voie d'équilibre, ce qui passe par l'autonomie stratégique, loin d'être évidente pour une Europe qui s'est d'abord construite à travers le marché unique et la monnaie unique. Croyez-vous à la future autonomie stratégique de l'Europe et à sa capacité à répondre à l'attente de sécurité de l'ensemble des Européens ?

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Vous avez évoqué la singularité de l'état militaire et je tenais à vous dire que, sur tous les bancs de cette commission, nous y sommes très attachés. Une « danse du feu » se déroule autour des institutions militaires, dont on attend qu'elles répondent à différents dysfonctionnements de la société. Une telle confusion des ordres est malsaine et dangereuse. Je vous exprime toute mon estime personnelle pour la manière dont a été géré ce qui n'était sans doute pas une tempête mais un cyclone dans un dé à coudre, quoiqu'il ait fait un peu de bruit.

Les prochaines élections législatives en Allemagne pourraient être l'occasion d'un changement de majorité et de l'entrée des Verts dans le gouvernement, lesquels ont fait de l'abandon de l'objectif des 2 % du PIB un des éléments de leur programme. Comment anticipez-vous ce changement et ses conséquences éventuelles sur notre format de défense et sur nos capacités, sachant que la coopération opérationnelle avec les Allemands n'est pas toujours une évidence ?

J'ai été frappé par la fréquence avec laquelle vous avez parlé aujourd'hui du risque NRBC. Avez-vous le sentiment d'une augmentation de cette menace ? Est-elle le fait d'acteurs étatiques ou non étatiques ?

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Dans quelques mois aura lieu le vingtième anniversaire du 11 septembre 2001. Depuis vingt ans, l'Occident est engagé dans une guerre globale contre le terrorisme, en Afghanistan, dans la zone irako-syrienne, en Lybie, dans le Sahel et jusque sur le territoire national avec l'opération Sentinelle. Quel bilan en tirez-vous ? J'ai bien noté vos propos du Figaro, selon lesquels l'Europe serait encore engagée au Sahel dans dix ans, sans doute avec encore plus de moyens, mais j'aimerais quand même savoir si vous ne croyez pas à l'avènement d'un nouveau cycle stratégique après ces vingt ans de guerre globale contre le terrorisme et s'il n'est pas temps de se poser la question de l'efficacité de ces grandes opérations contre-insurrectionnelles.

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L'actualisation stratégique de 2021 met en évidence la nécessité de renforcer notre capacité d'intervention nationale à travers le modèle d'armée complet que vous avez décrit et qui devra être progressivement bâti à l'horizon 2030. Dans cette perspective, il faudra confirmer les efforts budgétaires engagés par la loi de programmation militaire dans le cadre des prochaines lois de finances afin d'accroître et d'adapter l'équipement et la protection des forces, mais surtout d'augmenter le volume d'effectifs de nos armées. Toutefois, aucune jauge, aucun objectif chiffré ne sont précisés. Avez-vous estimé plus précisément les besoins humains et, éventuellement, les armes qui seront utiles dans cette évolution stratégique ?

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Dans le contexte de la présidence française de l'Union européenne en 2022, la défense devrait être un sujet central. La France a toujours soutenu une position ambitieuse s'agissant de l'autonomie stratégique que devrait acquérir l'Europe. Quelles évolutions doivent être engagées pour obtenir des avancées en matière de gestion de crise ? Je pense notamment, concernant l'architecture de commandement, à l'état-major de l'Union européenne et à la capacité militaire de planification et de conduite (MPCC).

Compte tenu de la situation tendue en Méditerranée orientale ou sur d'autres théâtres qui nous sont proches, l'Initiative d'intervention européenne pourrait-elle être amenée à agir en prévention de crise ?

Les engagements pris par la France au titre de la coopération internationale s'inscrivent dans la loi de programmation militaire en cohérence avec le renforcement du pilier européen au sein de l'OTAN. Les discussions sont en cours entre partenaires de l'alliance à propos des ressources qui pourraient être dévolues à l'OTAN. Sont-elles de nature à modifier la répartition des efforts alloués par la France ?

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En octobre 2017, Mme la ministre des Armées, Florence Parly, a présenté le plan famille 2018-2022 destiné à accompagner les familles de nos militaires et à améliorer leurs conditions de vie. C'est l'une des priorités de la loi de programmation militaire, avec un seul credo : il n'y a pas de soldats forts sans familles heureuses. De nombreuses actions ont été menées et ont déjà porté leurs fruits alors que d'autres sont en cours. Pensez-vous que le plan famille soit une réponse pour fidéliser les femmes et les hommes qui nous protègent ? Quels points supplémentaires pourraient-ils être introduits à l'occasion d'une prochaine revoyure ?

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Mon collègue Jean Lassalle et moi-même avons la chance de conduire les travaux d'une mission d'information sur la guerre des drones. Certains événements survenus en 2020 témoignent de la place grandissante de ces derniers dans les affrontements et les conflits récents. Je pense notamment au regain de tension entre les États-Unis et l'Iran, caractérisé par la destruction d'un drone américain Global Hawk par l'Iran et la mort du général iranien Ghassem Soleimani, tué par une frappe de Reaper américain à proximité de l'aéroport de Bagdad. Je pense également à l'utilisation massive de drones par la Turquie en Syrie ou, encore, au conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie dans le Haut-Karabakh.

Quels enseignements l'état-major des armées a-t-il retiré de ces différents événements ? De quelle manière ces enseignements seront-ils traduits dans l'actualisation de la loi de programmation militaire ? Pensez-vous que la France doive se doter de munitions rodeuses telles que celles, de fabrication iranienne, utilisées par l'Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh ?

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Pensez-vous que la transition énergétique puisse être le point de départ de la construction de l'armée européenne que le Président de la République appelle de ses vœux ?

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Général François Lecointre, chef d'état-major des armées

La commande des huit hélicoptères Caracal dans le cadre du plan de soutien aéronautique constitue une première étape pour l'armée de l'Air et de l'Espace. Elle s'est concrétisée avant le terme prévu et nous avons mis à profit en particulier les incitations gouvernementales du plan de relance pour pouvoir le faire. Le modèle HIL se situe entre l'hélicoptère classe Gazelle, très léger, qui doit être capable de faire de la reconnaissance et du combat, et un hélicoptère de manœuvre tel que le NH90. Nous devrons l'intégrer dans une approche globale et imaginer son emploi de façon plus précise. Je constate l'incapacité des Européens à concrétiser un projet commun d'hélicoptère de transport lourd. Nos hélicoptères de manœuvre, de la classe NH90, Caïman, Caracal, Puma ou Super Puma, sont d'une classe inférieure au Chinook. L'engagement des CH-47, notamment britanniques, ou des Merlin danois dans l'opération Barkhane montre que cette capacité-là est indispensable. Au-delà de la réflexion sur l'homogénéisation des hélicoptères de manœuvre, il faut mener une réflexion sur un projet de dotation d'un hélicoptère de transport lourd européen. Ce projet était déjà en cours quand j'étais jeune lieutenant-colonel à l'état-major de l'armée de Terre. Je vous encourage, Monsieur Ferrara, à être un élément moteur pour motiver nos partenaires européens à se doter de cette capacité.

Il est remarquable qu'une part aussi importante de l'effort de dotation budgétaire des armées soit accordée au programme 146 mais il ne faut pas oublier nos soldats et la revalorisation de leur rémunération. La nouvelle politique de rémunération des militaires repose d'abord sur un effort de simplification, de lisibilité et de plus grande équité des soldes. Il faut être attentif à ce que les revalorisations de la fonction publique civile s'accompagnent précisément et immédiatement d'une revalorisation des rémunérations des militaires. Les rapports du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire montrent qu'il y a un décalage important entre le niveau de vie des ménages dont le référent est un militaire et le niveau de vie de ceux dont le référent est un fonctionnaire civil, quel que soit le niveau considéré.

Nous devons équiper les armées car nous avons besoin d'armées modernes et parce que le contexte géostratégique l'exige. C'est aussi un facteur de motivation très important pour les hommes et les femmes des armées car ils ont la passion des équipements qui leur permettent de servir, comme on le constate lorsque l'on se rend dans un régiment, un sous-marin nucléaire d'attaque ou une base aérienne. J'ai rendu visite au « plus beau régiment du monde », le 3e Régiment d'infanterie de marine (sourires). Les soldats étaient heureux de prendre possession de leurs Griffon. Il n'existe pas beaucoup d'institutions dans lesquelles la motivation tient autant à la passion pour des capacités efficaces, utiles et modernes, qu'au niveau de rémunération. Pour autant, il ne faut pas trop en jouer et l'application de la nouvelle politique de rémunération des militaires est essentielle, tout comme le sera son évolution.

La première partie de la Loi de programmation militaire ne me semble pas suffisante pour moderniser les armées car elle permet d'abord de réparer et de consolider le modèle. C'est une tâche ingrate qu'assume l'exécutif que de devoir faire un effort budgétaire important sans constater pour autant une modernisation mais cet effort est nécessaire pour atteindre l'ambition 2030. L'ajustement de la loi de programmation militaire visant à doter les armées de capacités pour agir dans de nouveaux champs répond à cette exigence de modernisation, mais nous n'y sommes pas encore. Les programmes que nous lancerons n'aboutirons que dans les années 2030 ou 2040. Nous lançons dès aujourd'hui des programmes dans le domaine du renseignement, du cyber, de l'information, qui nous permettent de procéder à des modernisations immédiates – les cycles de ces domaines sont plus courts, même s'ils demandent des compétences humaines difficiles à acquérir.

Dans l'ajustement de la loi de programmation militaire, nous avons décidé d'augmenter les stocks des obus de 100 mm et de 76 mm et de réaliser un effort sur le maintien en condition opérationnelle des missiles Aster et Exocet. L'opération Hamilton a été l'occasion de la première mise en œuvre des frégates multi-missions (FREMM) pour le tir missiles depuis la mer vers la terre. À cette occasion, nous avons connu quelques difficultés car les équipements étaient neufs et demandaient à être mieux rodés. Cet exemple montre que la Marine nationale, tout comme les autres armées, doit pouvoir effectuer régulièrement des tirs d'essai et de préparation opérationnelle. Nous y travaillons en augmentant les stocks de munitions complexes qui devront permettre de constituer une dotation initiale par bâtiment, par avion, par régiment ou par unité et de réaliser cette préparation opérationnelle. C'est difficile, parce que ces munitions sont très chères. Elles s'accompagnent toutefois, comme le missile MMP, successeur du missile Milan, de moyens de simulation élaborés grâce auxquels il est possible d'assurer une préparation opérationnelle remarquable, mais la simulation ne remplace pas le tir en conditions réelles dans différents milieux et nous travaillons donc à la constitution de stocks pour pouvoir réaliser de tels tirs.

Nous arrivons à la fin du cycle de construction de l'Europe fondé sur la monnaie unique et le marché unique. L'Europe doit désormais construire une vision et une identité géopolitiques. Lors de mon audition par les députés du Bundestag – que j'ai pu réaliser grâce à vous, car vous avez invité le chef d'état-major allemand à venir s'exprimer devant vous – j'ai pu constater la difficulté pour l'Allemagne de s'engager dans cette nouvelle phase, ce qui fait peser sur les épaules de la France une responsabilité considérable. Ce qui a déjà été fait dans cette direction, comme la création de l'Initiative européenne d'intervention, est considérable. Les opérations européennes, y compris celles qui ne passent pas par l'envoi de soldats au combat, sont en train de s'étendre et attirent de plus en plus la participation des États membres de l'Union européenne. Les opérations maritimes que nous conduisons sont également de plus en plus efficaces.

L'état-major de l'Union européenne doit se doter de moyens de transmissions et d'infrastructures afin que ses chefs soient à la fois responsables de l'emploi des forces de l'Union européenne par le biais du contrôle qu'ils exerceraient sur la MPCC, de la définition d'une doctrine d'engagement de l'Union européenne et de la définition des besoins capacitaires européens en liaison avec l'Agence européenne de défense. L'ambition est de créer au sein du système européen pour l'action extérieure (SEAE) et des instances européennes une fonction de chef militaire qui soit en mesure de défendre une vision militaire globale telle que nous, Français, l'entendons. Sans disposer de l'intégralité de ces attributions, il ne pourra apporter au SEAE la vision militaire indispensable à la définition de l'ambition géopolitique de l'Union européenne.

Monsieur Thiériot, mon principal souci est de continuer à travailler avec les Allemands au stade où nous en sommes. Les projets capacitaires comme le système de combat aérien du futur (SCAF) ont bien avancé parce que les industriels y ont intérêt. Le projet MGCS – Main ground combat system – a pris du retard mais je pense que les industriels allemands feront les concessions nécessaires pour le faire avancer lorsqu'ils percevront son urgence, qui tient à la nécessité pour une partie des États de l'est européen de remplacer leurs capacités en char Léopard à partir de 2030-2035. Ces deux projets, qui sont structurants pour la coopération franco-allemande, vont aboutir. Sur le terrain, l'engagement avec les Allemands est encore faible mais ces derniers s'engagent de plus en plus notamment dans les missions EUTM ou Irini et je constate qu'il n'y a pas de blocage particulier de leur part au sein de l'Initiative européenne d'intervention.

La menace NRBC grandit mais, depuis vingt ans, nous avons baissé la garde en matière de compétences et de capacités. Or, il est possible de construire des armes NRBC rustiques et cette capacité peut donc être utilisée par des réseaux terroristes. Au moment de la guerre en Irak et en Syrie, nous avons découvert que Daech s'était doté d'ateliers de construction de moyens NRBC très performants. Nous devons donc conforter nos propres capacités. Lors de la guerre du Golfe, nous avions intégré le besoin de défense NRBC pour tous les régiments mais nous avons depuis beaucoup perdu de cette compétence et de cette capacité.

Les opérations contre-insurrectionnelles devront être poursuivies face aux projets de Daech, d'Al-Qaïda et de leurs filiales au Sahel et en Afrique de l'Ouest d'établir un régime politique islamiste rigoriste. Nous devons poursuivre notre lutte contre ces projets qui cherchent à tirer profit des tensions interethniques et de la corruption ou de la faiblesse de certains régimes. Ce combat prendra encore de nombreuses années et se jouera dans tous les champs de l'action. C'est amusant, mais nous avons le même objectif que ces mouvements djihadistes qui veulent chasser les corrompus et chasser les croisés ! Nous souhaitons en effet nous retirer dès que cela sera possible, lorsque les régimes seront stabilisés et non corrompus, mais pas pour les remplacer par des systèmes islamistes rigoristes barbares qui ne respectent pas les droits des femmes et les droits des peuples ! L'islam politique a échoué dans un certain nombre d'États car ce ne sont pas des régimes durablement stables. Je ne crois pas, par ailleurs, que la Turquie ait l'intention de renoncer à son soutien aux Frères musulmans dans les dix ans qui viennent. Les Frères musulmans et les salafistes ont donc encore de beaux jours devant eux.

Nous n'avons pas encore réalisé le travail permettant d'établir un chiffrement précis de nos besoins en termes de masse. Il devra sans doute être accompli lors d'une nouvelle revue stratégique, en 2022, à l'issue d'une première mandature qui aura permis de consolider le modèle et de lancer certains éléments de modernisation. Ce travail devra être fait en tenant compte de nos partenaires européens car l'armée française ne peut agir seule dans un conflit de haute intensité.

L'Initiative européenne d'intervention n'est surtout pas un club européen d'intervention au mais une enceinte de réflexion et de partage. Il faut se garder de lui donner une autre ambition, sous peine de rebuter nos partenaires – en particulier allemands. La participation accrue de nos partenaires dans l'opération Takuba procède pour une part importante des réflexions menées au sein de l'Initiative européenne d'intervention, tout comme l'engagement maritime, notamment danois, dans le golfe de Guinée ou l'opération Agénor. Nous devons réfléchir à un mécanisme qui permette de faire d'opérations lancées par un ou plusieurs partenaires européens des opérations européennes à part entière. Cette réflexion a déjà été engagée avec M. Borell et avec le général Graziano au sein du Comité militaire de l'Union européenne.

L'engagement dans la guerre et ses conséquences sur les familles – séparation des enfants et du conjoint pendant de longs mois, stress, danger – sont au cœur de la singularité militaire. Les familles doivent donc être suivies et aidées mais cette nécessité entre parfois en contradiction avec une revendication forte des familles du strict respect de la sphère privée. Capitaine, je me souviens de m'être heurté à cette difficulté : les Marsouins que je commandais ne voulaient pas partager l'adresse et le numéro de téléphone de leurs familles. Or, lorsqu'un drame survient, les familles se souviennent qu'elles ont besoin d'être aidées. L'aide est plus efficace si des rapports préalables ont pu être établis.

La singularité militaire se traduit également par la mobilité géographique des militaires, qui pèse d'ailleurs davantage sur les officiers que sur les sous-officiers, les officiers mariniers ou les militaires du rang. Cette mobilité géographique entraîne plusieurs difficultés pour l'accès à la propriété, pour la scolarité des enfants et pour l'emploi du conjoint et sa retraite. Leur résolution passe par le traitement spécifique des conjoints de militaires. Ce combat doit être mené sur le plan interministériel et doit se traduire par des priorités d'affectation dans la fonction publique, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Une autre solution consiste à accepter une sédentarisation relative des militaires qui passerait par un développement du télétravail – on peut imaginer par exemple qu'un officier résidant à Bordeaux et affecté à l'état-major à Paris n'y passe que trois jours pour travailler deux jours en télétravail – et par une régionalisation des carrières. Un sous-officier affecté au 3e Régiment d'infanterie de marine à Vannes pourrait ainsi poursuivre sa carrière à Saint-Cyr Coëtquidan, puis à l'état-major à Rennes, avant de revenir à Vannes. Ce travail est déjà en cours et il devrait permettre de répondre partiellement à la question de la mobilité géographique.

En ce qui concerne les drones, nous nous trouvons dans une situation de faiblesse en raison de contraintes juridiques. Ainsi, le drone MALE européen est contraint par des règles de navigabilité issues des règlements européens qui en font un équipement coûteux alors que nous avons face à nous des gens qui fabriquent en grande quantité des drones rustiques et efficaces. Nous devons donc nous interroger dans le domaine du lawfare pour savoir comment nous affranchir de certaines contraintes juridiques issues du droit national et du droit européen.

L'emploi de munitions rodeuses n'est pas acceptable d'un point de vue éthique. Plus la distance avec la cible à détruire est grande, plus le questionnement éthique importe. C'est une réflexion qui a été menée au sein du Comité d'éthique du ministère des Armées. Les drones que nous utilisons permettent de contrôler la munition tirée sur la cible qui est identifiée précisément jusqu'au moment du déclenchement du tir.

La transition énergétique peut être en effet l'occasion de relancer une ambition européenne. Des projets portant sur la transition énergétique ont toute leur place dans le cadre de la coopération structurée permanente des projets. J'ai rencontré récemment des élus de Nouvelle-Calédonie pour leur faire part de la stratégie des armées dans la zone Pacifique. Je leur ai dit que l'Europe a un rôle à jouer dans la zone indopacifique pour éviter que tout ne s'articule autour d'une confrontation frontale entre les États-Unis et la Chine, mais aussi parce que l'Europe, sans doute plus que les États-Unis ou la Chine, est capable de prendre en compte les enjeux environnementaux et d'être sensible au dérèglement climatique dans une zone où de nombreux petits États sont très menacés par ses évolutions.

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Merci, Général, pour la précision, la clarté et l'importance de vos propos. J'en retiendrai que l'actualisation de la revue stratégique ne remet pas en cause notre modèle d'armée ambition 2030, que la pertinence de la loi de programmation militaire 2019-2025 est confirmée mais également que le renforcement capacitaire est nécessaire dans certains domaines, notamment le cyber, le renseignement, les fonds sous-marins, l'informationnel ou encore la lutte anti-drones. Nous devons donc poursuivre nos efforts de défense pour exécuter à l'euro près la loi de programmation militaire de 2025 et préparer les esprits à poursuivre cet effort au-delà de 2025 pour atteindre l'ambition 2030. Je retiens avec plaisir votre proposition de venir nous faire part de votre immense culture et réflexion en matière de singularité militaire.

Je souhaiterais que vous notiez sur vos tablettes la date du 22 juin puisqu'après les questions au Gouvernement, l'Assemblée recevra le Premier ministre pour son discours d'orientation générale sur la programmation militaire – suivi de vote, au titre de l'article 50-1 de la Constitution. J'espère que vous serez nombreux en séance pour que nous puissions à cette occasion dire à nos collègues ce que nous attendons de la part de l'ensemble de la représentation nationale pour nos armées. Nous vous le devons, Général. Je salue l'ensemble de vos hommes, quel que soit leur grade et leur qualité.

La séance est levée à vingt heures cinq.