Je demanderais quatre points du PIB (Sourires) ! Selon le général Bentégeat, c'est ce qui était envisagé lorsqu'il était chef d'état-major des armées.
Plus sérieusement, ma vraie crainte, c'est que l'ampleur du déficit budgétaire et de l'endettement de la France nous conduisent demain, dans une logique comptable, à réduire la dépense publique, en particulier pour les armées. Certes, il faut régler le problème de la dette mais il faut aussi régler celui de l'armement de la France face aux dérèglements du monde. En tant que membres de la commission de la défense, vous êtes plus conscients que les autres parlementaires des enjeux auxquels nous sommes confrontés. J'espère donc parvenir, avec votre appui, à consolider la Loi de programmation militaire et les engagements pris par le Président de la République, indépendamment des éventuelles alternances politiques futures.
Je ne vois pas, aujourd'hui, de domaines demandant des efforts supplémentaires au-delà de ceux identifiés dans l'ajustement de la loi de programmation militaire. Il s'agit donc de maintenir l'effort qui consiste à construire un modèle d'armée complet, à le moderniser, à continuer d'enquêter sur les nouveaux champs de conflictualité. Ensuite se posera le problème de la masse, c'est-à-dire du nombre d'unités de combat que nous sommes capables d'engager avec nos partenaires européens – je souligne au passage que les partenaires de l'OTAN et de l'Union européenne sont les mêmes, même si l'on feint systématiquement de les distinguer – puisque l'engagement dans un conflit majeur ne pourra se faire qu'avec eux.
Je rappelle que le fonds européen de défense est doté de plus de sept milliards d'euros. Cette dotation ne sera jamais suffisante mais son existence même témoigne d'une nouvelle ambition européenne. Nous devons donc encourager nos partenaires européens à faire un effort de dépenses afin d'acquérir des capacités. Nous devons également nous positionner de façon à être les leaders crédibles d'une coalition européenne et, à cette fin, renforcer dans la prochaine programmation militaire le domaine du commandement et du contrôle. La capacité à conduire une coalition est une tâche complexe qui s'inscrit dans le cadre d'enjeux d'harmonisation des armées et des opérations. J'ajoute que le poids croissant du numérique dans l'ensemble des systèmes de combat expose les armées à des attaques dans le cyberespace car plus on numérise, plus on crée de vulnérabilités.
L'hybridité est pratiquée par la Turquie au premier chef, mais également par la Russie et d'autres puissances. Ces compétiteurs considèrent qu'il n'y a pas de différence entre le moment de la paix et le moment de la guerre, ce qui leur permet d'exercer des confrontations de puissances et des jeux d'influence en jouant sur les champs économique et de la perception ou à travers des actions militaires menées par leurs armées, par des sociétés privées, par des armées vassales ou vassalisées ou par le biais d'instructeurs. Ils utilisent aussi l'arme démographique et de la migration.
La Turquie, qui est le principal réceptacle de l'immigration en provenance d'Asie et en particulier d'Afghanistan – on peut d'ailleurs s'attendre à voir une recrudescence des migrations à partir de l'Afghanistan, qui passeront par la Syrie et donc par la Turquie – fait peser sur nous une telle menace. En se positionnant en Libye, elle tient un autre verrou des flux migratoires importants vers l'Union européenne. Pour autant, les armées doivent-elles se mêler de contrôler les flux migratoires ?
Je souhaite qu'on ne parle pas de stratégie contre-hybride. L'hybridité est utilisée par des États qui ne sont ni des démocraties ni des États de droit et qui ne reconnaissent donc pas la différence très tranchée faite par le droit international entre la situation de guerre et la situation de paix. L'hybridité contribue à la fois au dérèglement des relations internationales et à l'affaiblissement de leur régulation par le droit international. Les puissances occidentales doivent refuser de céder à la tentation de réagir à des stratégies hybrides par des stratégies hybrides car cela les affaiblirait en portant atteinte à leur identité.
En revanche – et c'est le sens des ajustements que nous faisons – nous devons pouvoir déceler les intentions et les objectifs des puissances qui utilisent de telles stratégies. C'est ainsi que nous pourrons répondre dans le respect du droit international et en fonction de nos propres valeurs. Cela nécessite non pas que les armées fassent un travail qui relève de la responsabilité du ministère de l'Intérieur ou des douanes mais que nous menions un travail interministériel qui permettra d'une part de déceler les intentions et les champs d'action de ces puissances et d'autre part de coordonner les réponses de chaque institution, dans le respect de ses prérogatives et de ses attributions. J'insiste : je suis opposé à l'idée de contrer l'hybridité par l'hybridité.
Nous devons en effet être très attentifs à ce que les armées engagées sur le territoire national ne le soient jamais en substitution des forces de sécurité intérieure ou des forces de l'ordre. Leur engagement doit se faire soit dans le respect de la règle des quatre « i », soit au titre de leur capacité d'action autonome dans le cadre d'une crise – une catastrophe naturelle par exemple – soit au titre de l'action contre une menace ennemie qui s'exprime sur le territoire national. C'est le sens de l'opération Sentinelle, qui n'est pas une opération de protection des frontières. Je suis très attentif à éviter que nous nous laissions entraîner progressivement dans cette direction, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays de l'Union européenne. Le respect de la singularité d'une institution dont la vocation première est d'user de la force de manière délibérée jusqu'à tuer est lié à l'identité de la France, grande nation militaire et grande puissance géopolitique qui a une vocation singulière en Europe. Cela doit nous conduire à être très attentifs à éviter la confusion des genres entre les forces de maintien de l'ordre, les douanes et les armées.
L'avantage d'appartenir à l'OTAN, c'est que cela nous confère une puissance collective considérable, supérieure à la somme de la puissance de chacun de ses membres car l'Alliance est un lieu de création d'interopérabilité grâce à des normes communes permettant l'engagement entre alliés. Pour autant, il ne faut pas que les membres de l'Alliance s'abstiennent de faire des efforts à titre individuel et la France est attentive à prendre toute sa part. L'OTAN, ce sont aussi des dépenses communes pour se doter de capacités communes et nous sommes là aussi attentifs à ce que ces capacités soient augmentées afin d'apporter quelque chose en plus à l'Alliance et non pour créer des capacités qui se substitueraient à celles que doivent développer les États membres ou pour engager des dépenses. Au sein de l'OTAN, la France est un des empêcheurs de tourner en rond face à une structure qui peut parfois entraîner ses membres vers des engagements inconsidérés. Lorsque j'ai pris mes fonctions, nous avons ainsi été attentifs à limiter l'extension du besoin en ressources humaines pour la création de la nouvelle structure du commandement tout en respectant nos engagements en fournissant du personnel compétent. La France souhaite conserver une capacité nationale autonome d'engagement au sein de l'alliance et notre pays n'a jamais considéré que les structures de commandement de l'OTAN puissent être une sorte de vase d'expansion dans lequel nos officiers iraient faire une carrière internationale. Depuis son retour dans le commandement intégré de l'Alliance, la France est un partenaire exigeant et responsable, ce qui permet à notre chef politique, le Président de la République, de faire entendre la voix de la France au sein de cette institution.
Lorsque j'étais à l'état-major de l'armée de Terre, j'ai travaillé avec Mme la sénatrice Leila Aïchi, qui avait écrit un livre vert sur la défense dont je vous recommande la lecture. Les enjeux environnementaux, à plusieurs titres, concernent très directement les armées : d'abord parce que, parmi les institutions de l'État, les armées sont les plus grandes consommatrices d'énergie fossile ; ensuite, parce qu'elles sont un propriétaire foncier et immobilier important et enfin, parce qu'elles sont directement concernées par les dérèglements du climat. Elles peuvent par ailleurs être engagées dans des missions environnementales, en particulier l'opération Harpie qui, je le rappelle, est une mission de protection des ressources et de lutte contre l'orpaillage et non de contrôle des frontières.
Parmi les facteurs qui contribuent à déstabiliser les régions dans lesquelles nous continuerons à faire des interventions de gestion de crise, le facteur climatique est essentiel. Le ministère des Armées est donc fortement engagé dans le domaine de l'environnement. J'ai inauguré récemment un séminaire de travail conduit par le Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations sur la doctrine dont les armées doivent se doter en matière environnementale. Nous travaillons également à un programme de valorisation de notre parc immobilier afin de moins polluer et d'économiser l'énergie. Nous développons aussi à travers la recherche des moyens qui permettront à nos équipements de consommer mieux et moins d'énergies fossiles, notamment grâce à des moteurs duaux tout en « consommant sûr », car les armées doivent être capables de combattre dans n'importe quelles conditions : on ne peut pas interrompre un raid blindé parce que la nuit est tombée et que les véhicules n'ont plus d'énergie solaire. Leurs moteurs doivent être capables de fonctionner avec de l'énergie la plus verte possible mais également avec du fuel de mauvaise qualité, qui sera le seul disponible dans certaines régions, en Afrique par exemple.
La vente de Rafale à la Croatie est une bonne nouvelle car la Loi de programmation militaire a été élaborée à partir d'hypothèses de vente de Rafale qui, si elles ne réalisaient pas, compromettraient son équilibre. J'ai longuement parlé de ce sujet avec le général Lavigne la semaine dernière et avec le délégué général pour l'armement hier. Le général Lavigne a besoin de masse, à la fois pour pouvoir engager des unités de combat mais aussi pour entraîner ses personnels et leur faire acquérir des qualifications. Nous prévoyons d'améliorer la disponibilité opérationnelle de nos aéronefs mais n'oublions pas que nous allons perdre nos Mirage 2000 à partir de 2023 et que les Rafale devront assurer leurs missions de police du ciel et de sécurité aérienne. Aujourd'hui, je n'ai pas de réponse à la question de savoir comment assurer l'équilibre entre les contraintes sur la ressource humaine, la préparation opérationnelle de l'armée de l'air pour ses missions tant sur le territoire national qu'à l'extérieur, et l'ambition 2030 et la façon dont nous pourrons l'atteindre. La réflexion est en cours ; nous trouverons des solutions. Celles-ci ne passeront pas nécessairement par la réalisation de l'objectif nominal de 171 Rafale à horizon 2025, d'autant qu'il existe d'autres prospects de vente de Rafale, ce dont nous devons nous réjouir. Nous devrons faire peser l'effort sur la totalité de notre parc Rafale et donc prendre également en compte les avions de l'aéronautique navale et pas seulement ceux de l'armée de l'Air et de l'Espace.
Il n'est pas question de revenir à cinq sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, comme c'était le cas à l'époque où mon père en commandait un. L'effort que nous faisons pour doter la France de quatre sous-marins de ce type est déjà très important. La production de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins et de sous-marins nucléaires d'attaque de nouvelle génération, avec des systèmes d'armes bien plus performants qu'ils ne l'étaient dans les années quatre-vingt, est liée aux besoins opérationnels, mais également aux capacités de Naval Group et de l'ensemble des industriels à réaliser le plan de charge et à tenir les délais. Nous y parvenons aujourd'hui malgré une capacité industrielle sous tension. C'est extraordinaire, pour ne pas dire miraculeux, que la France, avec 2 % du PIB consacrés à ses armées, en soit capable. Il n'est pas imaginable dans un horizon prévisible que notre pays puisse consacrer 4 % ou 5 % de son PIB aux armées et la Marine nationale devra donc continuer à réaliser des prouesses en matière de gestion de la ressource humaine. Le nombre d'équipages par bâtiment est précisément calibré et lui permet de construire les compétences dont elle a besoin pour former notamment les officiers mariniers ou les pachas de bateau. La route est longue et les équilibres sont difficiles à tenir.
Je vais être très franc avec vous sur l'affaire de la tribune des généraux. Je ne me prononce pas sur le fond de ce qui a été dit par ces gens. Personne ne conteste l'insécurité, le communautarisme, la fragilisation du lien social et de l'esprit de cohésion nationale. Le Gouvernement mène d'ailleurs plusieurs actions pour y remédier. J'ai considéré que le discours tenu dans cette tribune serait évidemment utilisé au service d'un militantisme politique. Les officiers qui l'ont écrite ne peuvent se prévaloir de leur grade et de leur position de militaire pour tenir des propos militants et politiques. Je n'ai rien dit de plus, c'est ma position et je la tiendrai. Les signataires de cette tribune savaient parfaitement qu'elle rentrait dans le champ d'un débat politique et s'ils ne le savaient pas, c'est qu'ils ont gravement manqué de discernement et c'est bien ce dont nous jugerons lorsqu'ils viendront s'exprimer devant les conseils supérieurs d'armée. Je tiens cette ligne parce que la cohésion des armées est indispensable. Elle requiert une stricte neutralité et une stricte soumission au pouvoir politique. C'est quelque chose de sacré. M. Tartemolle peut écrire ce qu'il veut mais le général Tartemolle ne peut s'exprimer que dans son domaine de compétence et pas à des fins de militantisme politique. L'institution militaire n'a pas été ébranlée par cette affaire. Les militaires ont été très surpris par la violence des réactions et ils ont été choqués par les attaques dont j'ai été l'objet car ils se sont sentis atteints puisque je suis leur chef et que je les représente, mais le sens de leur engagement et les valeurs de cohésion qui constituent l'essentiel de la force morale de l'institution militaire n'ont pas été atteints.
Je suis très attentif, comme tous les chefs militaires, à ce qu'il n'y ait aucune confusion entre la vocation des armées et les missions de maintien de l'ordre ou d'intervention sur le territoire national. Les prises de position de mon homologue américain, le général Milley, ont été les mêmes aux États-Unis quand certains ont pu confondre les choses. Dans une armée professionnelle comme la nôtre, les soldats savent ce qu'est la guerre et ils mesurent la force morale que requiert leur engagement au feu. Tuer un ennemi et s'y préparer, c'est quelque chose de terrible. Les soldats savent ce que cela demande de souffrances, de privations et d'exercices constants. On est à dix mille lieues de ce à quoi se préparent les forces de police quand il s'agit de faire respecter l'ordre ou d'intervenir contre le banditisme organisé.
J'ai la conviction profonde que l'institution militaire n'a pas été ébranlée. La vocation des hommes et des femmes engagés dans les armées ne peut être salie et fragilisée par la volonté de certains de faire des armées un enjeu de militantisme politique. Je sais que, en tant que députés de la commission de la défense, vous y êtes très attachés.
La doctrine de seabed warfare que nous avons commencé à définir demande que nous développions des capacités de maîtrise des fonds marins, en particulier des drones et des robots télé-opérés sous-marins, compte tenu de l'importance et de la sensibilité des données transitant par les fonds sous-marins et des capacités de détection encore inconnues des câbles sous-marins. Nos compétiteurs russes et sans doute chinois, ainsi que nos alliés américains, développent déjà ces capacités, qui permettent notamment de capter ou d'interrompre les données.
Les deux coups d'État récents au Sahel sont un sujet brûlant puisque M. Choguel Maïga vient d'être désigné Premier ministre de la transition au Mali. Le Président de la République réfléchit afin de définir l'attitude de la France. Je ne me prononcerai donc pas et me contenterai de partager avec vous quelques considérations d'ordre général.
Quelle que soit la décision que prendra le Président de la République, nous devrons mesurer ses conséquences sur nos partenaires européens. Depuis quatre ans, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour les entraîner et nous l'avons fait avec succès dans l'opération EUTM et dans la force Takuba.
L'objectif de l'engagement français et européen au Sahel est d'endiguer l'extension de la menace terroriste du djihadisme fondamentaliste qui est en train de déstabiliser des régions entières. Cet objectif ne peut être atteint qu'à travers une action globale dont le containment militaire n'est qu'un des volets. J'observe que les décisions prises lors du sommet du G5 Sahel à Pau ont permis de recréer un élan et d'entraîner nos partenaires européens. L'endiguement doit s'accompagner d'une réforme de la gouvernance. C'est un domaine que je ne maîtrise pas et qui est beaucoup plus difficile à contrôler. En tout état de cause, nous devrons continuer à le pratiquer quelle qu'en soit la forme et si nous décidons d'endiguer sur une autre ligne, en particulier pour protéger les États du golfe de Guinée, il faudra imaginer des modes de réarticulation de nos dispositifs.
Face à nos compétiteurs, qui utilisent une stratégie hybride, l'État de droit peut être considéré comme une fragilité : nous cherchons en effet à stabiliser les pays concernés en leur permettant d'établir chez eux une gouvernance fondée sur la démocratie et le respect de l'État de droit. C'est une tâche compliquée qui demande d'en appeler à la conviction et à la contrainte pour lutter notamment contre la corruption. Nos compétiteurs russes et chinois aident des régimes corrompus dirigés par des juntes issues de coups d'État et ne se soucient pas du respect de la démocratie. J'ai la conviction que nous parviendrons à établir une stabilité plus durable, mais, à court et moyen terme, nous nous battons avec une main dans le dos face à des acteurs qui n'ont aucun scrupule.
Merci, Madame Mirallès, pour vos propos sur la CABAT, qui travaille en effet admirablement. De manière générale, les armées se sont professionnalisées depuis dix ans pour la prise en compte des blessés, des familles et des veuves. Ce travail n'est jamais suffisant mais, lorsque j'étais moi-même jeune officier, tout cela était complètement ignoré parce que nous étions en train de redécouvrir ce qu'était le combat et les traumatismes qu'il provoque.