Je ne vais pas vous interroger sur la loi de programmation militaire ni sur le Mali, bien que la situation y soit très difficile. Mon interrogation portera en revanche sur un sujet un peu plus politique. Nous abordons également souvent la question de l'hybridité croissante des conflits auxquels la France est confrontée – tels la cyberguerre ou la guerre informationnelle – mais ces nouveaux espaces de conflictualité, plus abstraits, ne doivent pas nous faire perdre de vue les menaces plus concrètes que vous avez évoquées à plusieurs reprises, notamment lors de votre dernier entretien accordé au Figaro. J'espère ne pas détourner vos propos, mais vous y mentionniez l'utilisation par la Turquie du levier migratoire, menaçant de laisser passer des dizaines de milliers de réfugiés syriens en Europe si nous n'acceptions pas ses demandes diplomatiques.
Autre exemple : la ministre de la défense espagnole a accusé le Maroc de chantage car les autorités frontalières ont laissé passer plus de 8 000 migrants, dont un dixième de mineurs non accompagnés. Votre homologue espagnol a dû déployer 3 000 soldats afin d'intercepter cet afflux soudain et d'appuyer les forces insuffisantes du ministère de l'intérieur.
La récente actualisation de la revue stratégique résume sobrement ce phénomène en soulignant que de nouvelles zones de concentration de migrants en transit se sont développées, informelles ou sous contrôle des États, et qu'elles pourraient alimenter une reprise rapide des flux, la problématique migratoire pouvant être instrumentalisée.
Les questions migratoires et du contrôle des frontières ne sont théoriquement pas de votre ressort. Néanmoins, les nouvelles formes de guerre hybride contribuent au mélange des genres. Depuis plusieurs années, nous maintenons une forte présence sur le territoire national dans le cadre de l'opération Sentinelle. Ainsi que le précise un rapport du Parlement sur les conditions d'emploi des armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population, celles-ci peuvent être employées à surveiller ou contrôler une zone ou une frontière. C'est d'ailleurs une des raisons d'être de l'opération Harpie en Guyane.
Quelle est votre analyse de l'utilisation croissante du levier migratoire par des pays aux frontières de l'Union européenne et donc, espace Schengen oblige, aux frontières de la France ? La situation nécessite-t-elle une coopération renforcée entre le ministère des Armées et celui de l'Intérieur ? Pensez-vous que la prochaine actualisation de la loi de programmation militaire, qui interviendra selon toute vraisemblance lors du prochain quinquennat, devrait renforcer matériellement l'appui des forces armées aux forces de sécurité dans leur mission de protection des frontières de notre pays ?