Intervention de l'amiral Pierre Vandier

Réunion du mercredi 16 juin 2021 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine :

Madame la présidente, Mesdames, Messieurs les députés. Lors de ma première audition, j'avais longuement abordé notre perception de l'évolution stratégique du monde. Neuf mois après ma prise de fonctions, le constat initial ne fait que se confirmer. La compétition sino-américaine s'amplifie, jour après jour, dans de multiples domaines. Le réarmement de la mer s'est accentué tout spécialement pour la Chine qui, le 23 avril, a admis au service actif, le même jour, le porte-hélicoptères Hainan, dont la taille et le déplacement sont comparables à ceux du Charles-de-Gaulle, le sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) Changzheng-18, le sixième de sa classe, et le Dalian, troisième destroyer lance-missiles de type 55, long de 180 mètres, pesant 12 000 tonnes – soit deux fois le Forbin – et disposant de 112 cellules de lancement vertical, soit à lui tout seul la capacité de cinq de nos frégates multimissions (FREMM).

Parallèlement, la marine indienne a annoncé la construction de six sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) et la marine russe nous a offert une démonstration de force en Arctique en faisant émerger simultanément à travers la glace trois sous-marins espacés de quelques centaines de mètres.

La boussole stratégique du monde reste donc résolument orientée vers le réarmement en mer.

La publication de l' Integrated Review par les Britanniques a le mérite de conforter le bien-fondé de nos choix capacitaires, puisqu'elle annonce des investissements dans le cyber, le numérique et le spatial, confirme le format à deux porte-avions de la marine britannique et affiche la volonté de déployer des unités en prépositionnement dans l'océan Indien. L'Integrated Review révèle la même urgence d'investir dans le domaine du Seabed Warfare, c'est-à-dire la compétition dans les fonds sous-marins.

Par ailleurs, j'ai pu échanger avec mes homologues britannique et américain la semaine dernière, à Toulon, à bord des deux porte-avions, français et britannique. Leurs constats et leurs conclusions rejoignent les nôtres. C'est à la fois rassurant, puisque cela conforte notre analyse stratégique, et préoccupant, parce que cela ne présage pas d'un avenir radieux.

La direction stratégique que j'ai donnée à la marine en janvier dernier à travers la vision Mercator 21 maintient les trois axes retenus par mon prédécesseur tout en prenant acte de l'accélération géopolitique. Le plan Mercator accéléré met l'accent sur la nécessité d'une élévation franche du niveau de préparation opérationnelle de la marine en intégrant l'ensemble des domaines et champs de la conflictualité, sur l'accélération du tempo capacitaire pour suivre l'accélération des évolutions technologiques et des menaces, sur l'adaptation du fonctionnement de nos ressources humaines de manière à attirer, conserver et permettre à des talents de s'épanouir chez nous, au service d'une marine de combat.

Je souhaiterais maintenant vous parler de quelques opérations phares réalisées par la marine depuis ma dernière audition devant cette commission.

De septembre 2020 à avril 2021 a eu lieu la mission Marianne que je compare souvent, en raison de sa complexité, à la fameuse mission « Apollo 11 ». Nous avons réussi à préparer et envoyer un sous-marin et son équipage de l'autre côté de la planète pendant sept mois en ne prévoyant d'y mener aucune intervention technique majeure.

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Ce sous-marin a navigué en mer de Chine orientale et méridionale et est revenu en passant par le détroit de la Sonde, Djibouti, et enfin la Méditerranée. Au cours de cette mission, 30 000 milles nautiques ont été parcourus, soit 55 500 kilomètres, c'est-à-dire 1,3 fois le tour de la Terre ! Les deux équipages du sous-marin (2 fois 70 hommes) ont ainsi vécu pendant 199 jours de mer dans 70 mètres carrés, soit environ la taille de cette salle, ce qui, vous en conviendrez, exige un esprit de cohésion assez développé.

Voici une photo montrant un exercice (PASSEX) avec un porte-aéronefs japonais en mer des Philippines, avant que le sous-marin ne plonge en mer de Chine.

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Le 6 décembre 2020 a eu lieu le sauvetage de Kevin Escoffier, dont le bateau avait coulé à la suite d'une avarie majeure. Le navigateur, récupéré par Jean Le Cam, est resté une semaine à bord du bateau de celui-ci, avant que la frégate de surveillance Nivôse, qui était à La Réunion, n'appareille pour le récupérer à la faveur d'un trou de beau temps. Car le véritable savoir-faire de l'opération a bien consisté dans la bonne utilisation des prévisions météorologiques : trouver, dans une mer démontée, les quelques heures de beau temps nécessaires à la réalisation de l'opération.

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L'année 2021 est marquée par des saisies records de cocaïne. Voici une photo de la saisie, le 21 mars, à bord du cargo Najlan, de 6 tonnes de cocaïne. Une saisie record !

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Trois jours plus tard, dans l'océan Indien, le Tonnerre, le Surcouf et le Nivôse saisissaient simultanément, dans trois navires différents, 4 tonnes de cannabis, de méthamphétamines et d'amphétamines. Entre janvier et mai 2021, nous avons saisi 29 tonnes de drogue, soit quinze fois plus que durant toute l'année 2014 et deux fois plus qu'en 2019. La coopération avec nos différents partenaires dans le domaine du renseignement amont est plus fructueuse et nous disposons désormais d'outils juridiques adaptés pour être efficaces.

La mission Jeanne d'Arc est en cours. Elle vient de quitter Colombo après une escale au Sri Lanka. Partie de Toulon en février, elle rentrera début juillet. La photo suivante montre l'exercice naval La Pérouse 21, dans le golfe du Bengale.

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C'est un exercice important mené par la France, avec la participation cette année d'un navire américain, de deux frégates australiennes, d'une frégate japonaise et de navires indiens. Cet exercice multinational a permis de réaliser de nombreuses manœuvres tactiques, d'expérimenter des liaisons de données et de travailler ensemble dans le domaine de la lutte antiaérienne.

La mission Jeanne d'Arc embarque, pour les former, pendant plusieurs mois, plusieurs centaines d'élèves officiers. Cette mission permet aussi d'affirmer notre présence dans des zones d'intérêt stratégique. Le Tonnerre aura pu ainsi naviguer à deux reprises en mer de Chine, réaliser une escale au Japon, participer à l'exercice Arc 21 avec les Américains, les Australiens et les Japonais, et mener des opérations réelles comme la saisie de 7 tonnes de stupéfiants.

Madame la présidente, vous avez évoqué la mission Clemenceau. La photo suivante montre le catapultage, de nuit, d'un Rafale équipé de la nacelle Reco-NG qui va mener des opérations de reconnaissance aérienne.

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Au cours de cette mission Clemenceau, des exercices bilatéraux ont été menés avec des pays comme l'Inde. La photo suivante montre le sous-marin indien Khanderi, de type Scorpène.

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Organisée du 21 février au 4 juin 2021, la mission Clemenceau a participé à l'opération Chammal et a permis à la France de prendre le commandement de la Task Force 50 américaine, pendant plus de cinq semaines. Ce commandement illustre la grande confiance mutuelle et le haut niveau d'interopérabilité entre les marines américaine et française.

Dans le domaine technique, le 21 mai, au large du Royaume-Uni, le Forbin a réalisé un tir Aster 30 remarquable, dans le cadre d'un exercice de l'OTAN baptisé Formidable Shield, qui a lieu tous les deux ans au large de l'Écosse. La photo que vous voyez montre le départ d'un Aster 30 vers une cible supersonique américaine, évoluant à Mach 2,7 – soit 925 mètres à la seconde – à 15 mètres au-dessus de l'eau. La cible supersonique a été détruite par le missile Aster 30.

(image non chargée)

Ce troisième tir réussi dans le domaine supersonique démontre que nous disposons d'outils de haut du spectre et incarne aussi l'exigence exprimée dans le plan Mercator accéléré d'une marine en pointe et d'une marine de combat.

Enfin, quelques nouvelles du sous-marin La Perle qui avait connu un terrible incendie en juin 2020, le jour même du tir d'acceptation réussi no 4 du Téméraire. La partie arrière de La Perle et la partie avant du Saphir ont été rapprochées et soudées dans les chantiers de Naval Group à Cherbourg. Le sous-marin a été mis à l'eau il y a quelques semaines. Il devrait rejoindre le cycle opérationnel en 2023.

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J'en viens maintenant à l'actualisation de la LPM. La Ministre vous a présenté en audition le 4 mai les principaux axes des ajustements induits par l'actualisation de l'analyse stratégique de 2021. La modification des équilibres est mineure, mais ces ajustements intègrent le coût de la réparation, pour l'État, de La Perle dont je vous ai montré des photos.

La Marine bénéficie en premier lieu des efforts réalisés sur l'axe « mieux détecter et contrer ». Ainsi, pour répondre aux enjeux stratégiques en matière de surveillance des activités conduites sur les fonds marins, une première capacité d'investigation à grande profondeur sera acquise pour débuter des essais dès fin 2022. La Marine lance aussi la construction des locaux du Centre de Renseignement de la Guerre Electronique (CRGE) qui renforcera ses capacités d'analyse des signaux de guerre électronique.

Si le deuxième axe « mieux se protéger » de ces travaux d'ajustement est prioritairement orienté dans la perspective des grands rendez-vous métropolitains de 2023-2024, la Marine doit elle-aussi faire face à la menace des drones aériens en mer comme à terre. Le développement des capacités de lutte anti drones permettra dans un premier temps de renforcer la protection des points d'importance vitale en métropole.

Enfin le troisième axe « mieux préparer nos armées » donne à la Marine les moyens de recompléter le stock de pièces de rechange afin d'améliorer la disponibilité de ses moyens aériens et navals, et de renforcer sa résilience face à une crise telle que celle que nous avons traversée depuis 15 mois. Cet effort permet de lancer les commandes de munitions d'artillerie navale afin de stabiliser les stocks de munitions 100mm et 76mm à un niveau suffisant pour répondre à la situation opérationnelle de référence.

Ces « accélérations » dans certains domaines, n'ont été rendues possibles que grâce à des choix capacitaires assumés collectivement au sein du ministère des armées qui amènent à revoir certains jalons de la LPM.

Pour la marine, les « décélérations » concernent notamment :

- Le renouvellement des navires hydrographiques portés par le programme CHOF qui sera décalé d'1 ans : le premier BH Ng sera livré en 2027, le second en 2028 ;

- Le décalage d'1 an de la rénovation à mi-vie des frégates de défense aérienne ;

- Le décalage d'1 an du programme SLAM-F destiné à remplacer les capacités de guerre des mines en service aujourd'hui et dont les CMT (chasseurs de Mines tripartite) devront attendre, pour les plus anciens, 42 ans de bons et loyaux services pour être remplacés : la livraison du premier Bâtiment de Guerre Des Mines (BGDM) devrait avoir lieu 2026.

Ces travaux d'ajustement ne remettent cependant pas en cause les efforts faits en LPM pour donner aux marins les moyens de faire valoir les intérêts de la France : les crédits d'EPM progressent et permettent de notifier des contrats de MCO « verticalisés » dont les premiers résultats sont aujourd'hui constatés sur Rafale notamment. Les marins bénéficient aussi des efforts faits en matière d'aménagement de la vie à terre (WIFI à terre avec 160 bâtiments connectés, rénovation des installations sportives) mais aussi en matière d'habillement avec une mise à niveau de l'équipement du combattant (remplacement des tenues de protection de base, des tenues des forces spéciales et des fusiliers). Enfin, des équipements modernes entrent en service, comme la première frégate multi-missons Alsace dont les capacités sont renforcées dans le domaine de la défense aérienne et d'autres sont rénovées pour en prolonger la vie opérationnelle, comme la FLF « Courbet » ou les trois ATL2 portés au standard 6.

En conclusion, je dirais que les opérations de la marine notamment en Indo-Pacifique et cet ajustement de la LPM en 2021 démontrent que dans un monde qui a accéléré, il nous faut être en permanence agiles, résilients et attentifs aux évolutions technologiques pour conserver notre autonomie stratégique et notre capacité d'intervenir dans tous les milieux y compris les nouveaux milieux de confrontation que sont les fonds marins ou le cyber, loin, longtemps et efficacement.

Pour ce faire, nous avons besoin de l'application de la LPM 2019-2025 sur toute sa durée. Nous avons besoin, cette année comme dans les années à venir, de la même constance et de la même détermination à l'appliquer à l'euro près pour continuer l'effort de reconstruction, de modernisation et de préparation au combat de notre marine.

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