Intervention de l'amiral Pierre Vandier

Réunion du mercredi 16 juin 2021 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

l'amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la marine :

Il est effectivement envisagé d'exposer un kiosque de SNA à Balard. Cela dit, plus généralement, je constate malheureusement qu'aucune fonction symbolique n'a été prévue dans ce lieu. Je participais vendredi aux côtés du Président de la République à une cérémonie au cours de laquelle nous avons pu mesurer l'investissement consenti pendant 220 ans pour donner à l'Hôtel de la marine une dimension symbolique. À Balard, où les trois armées sont réunies, il n'y a aucun endroit représentatif où un ministre ou un chef d'état-major puisse recevoir ses homologues. On doit se contenter d'une salle « corporate », avec de la moquette grise et des murs blancs. Un effort a été fait dans les extérieurs, où sont exposés un char Leclerc et un Rafale. J'espère donc que l'on verra bientôt un kiosque de sous-marin, mais l'intérieur reste très impersonnel.

Concernant le Brexit, je vous invite à lire les quatre-vingts pages de l' Integrated Review, qui est un modèle remarquable d'analyse stratégique. Les Britanniques y proposent une véritable analyse de leur position stratégique dans le monde et de leur ambition à des fins de prospérité. La défense est vue non pas comme un centre de coûts, mais comme un des vecteurs, parmi d'autres, de la puissance britannique, ce qui représente une révolution copernicienne par rapport à l'approche traditionnelle. Remplacer, à l'avenir, notre approche traditionnelle du livre blanc de la défense et de la sécurité nationale par un livre blanc relatif à la prospérité française et européenne permettrait d'avoir une vision plus large, plus globale des enjeux.

Dans l'océan Indien, les choses sont bien construites depuis plusieurs années. Nous sommes présents à Abou Dhabi depuis 2008. Un accord de partenariat stratégique a été signé avec l'Inde, un autre avec l'Australie, prévoyant non seulement un programme d'armement mais aussi des échanges de renseignement et des liens militaires de haut niveau. Cette stratégie générale de la France lui permet de s'ancrer dans la zone et de participer à la sécurité de cette dernière avec des partenaires multiples. Nous faisons du multilatéral là où le compétiteur pratique le multi-bilatéral. C'est pourquoi la participation des indiens à l'exercice La Pérouse dans le golfe du Bengale, aux côtés d'autres bâtiments des marines américaine, australienne et japonaise, était fondamentale, car cela acte le rôle de l'Inde dans notre stratégie générale.

Quel est le rôle de L'Europe ? D'abord, elle nous finance. Elle finance le symposium des marines de l'océan Indien (IONS), que nous présiderons à partir de juillet à La Réunion pour une durée de 2 ans. Elle nous aide également à réaliser l' Emergency Management Exercise (EMEX) du Humanitarian Assistance and Disaster Relief (HADR), qui aura lieu en 2022. De plus, par le biais du fonds européen de défense, l'Europe, va soutenir directement, pour la première fois, des développements capacitaires avec un certain nombre de projets d'intérêts et il me semble nécessaire, au regard des efforts français à l'égard de cette démarche, de nous assurer que ces fonds seront bien orientés et exerceront un véritable effet de levier avec les investissements étatiques des États participants. Par exemple, le projet European Patrol Corvette auquel la France participe directement va bénéficier de plusieurs dizaines de millions d'€ européens. Une déclinaison hauturière de ces corvettes semble bien répondre au renouvellement dans une version un peu plus musclée des frégates de surveillance de la classe Floréal qui opèrent à partir de nos outre-mer depuis les années 90.

Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), une vision stratégique commune pour la zone indo-pacifique devrait être élaborée. La difficulté, c'est que beaucoup de pays européens envisagent la question sous un angle purement commercial, y compris, sur le plan militaire, en profitant de la montée de tensions.

Plus de la moitié de notre patrimoine maritime se trouve dans la zone indo-pacifique. Par ailleurs, nous sommes très impliqués dans les questions environnementales. La lutte contre le réchauffement climatique et pour la préservation de la biodiversité sont des actions qui figurent sur notre feuille de route stratégique. Mon prédécesseur, l'amiral Prazuck, développe actuellement un partenariat avec l'université Paris Sorbonne afin que les bâtiments de la marine nationale deviennent des capteurs de biodiversité, de manière à multiplier les points de mesure. Nous participons à des missions de soutien logistique et de ravitaillement dans les Terres australes et antarctiques grâce au patrouilleur polaire l'Astrolabe. Nous avons donc la masse critique nécessaire et la légitimité pour entraîner les Européens dans une première vision stratégique consensuelle conçue autour du réchauffement climatique et de la biodiversité.

La présidence française du Conseil de l'Union européenne permettra d'aborder les questions de souveraineté, notamment autour des espaces maritimes contestés. Nous développerons le sujet de la sécurité globale, incluant le renforcement de l'implication de l'Union européenne dans la sécurité maritime et la révision de la stratégie de sûreté maritime de l'Union européenne (SSMUE). Nous élaborerons des outils capacitaires européens, notamment dans le domaine de l'information maritime.

Concernant notre investissement pour la protection de l'environnement. Nous avons la chance d'avoir une marine nucléaire et donc beaucoup de bateaux émettant zéro gramme de carbone. L'énergie verte n'est certes pas une énergie verte stricto sensu mais c'est une énergie qui ne contribue pas au réchauffement de la planète. La basse consommation d'énergie fait aussi l'objet d'études pour les bateaux futurs. Je veille depuis ma prise de fonction à ce que les nouveaux lancements en réalisation de bateaux recourent aux technologies et normes les plus strictes en matière de protection de l'environnement. Les marins qui les servent sont à l'image de notre jeunesse qui accorde à ce sujet toute l'importance qu'il mérite. Par exemple, les patrouilleurs outre-mer, à propulsion mixte diesel-électrique, qui vont être livrés bientôt ont été conçus pour disposer de capacités de vitesse suffisantes, tout en étant les plus économes et les moins émetteurs de carbone possibles lorsqu'ils sont à leur vitesse de patrouille.

L'utilisation du GNL fait actuellement l'objet d'études par la DGA. Ravitailler en mer en GNL n'est pas encore à la portée d'une marine militaire moderne car c'est une opération très dangereuse. Le faire à quai est possible pour des porte-conteneurs, mais pas encore pour des porte-avions ou des frégates. Il faudra donc attendre d'avoir trouvé des solutions techniques fiables qui ne nuisent pas à l'efficacité des opérations.

Le porte-avions compte 200 à 250 femmes. Ce fut un des premiers bateaux féminisés, dans les années 1990. Il y a déjà eu des femmes à bord des SNLE et Le Barracuda permet également l'embarquement de femmes de manière assez simple.

Le Président a décidé, le 8 décembre dernier, que le successeur du Charles-de-Gaulle disposera lui aussi d'une propulsion nucléaire. Il doit être admis au service actif en 2038. Cela peut paraître loin mais nous sommes déjà sur le chemin critique. La continuité opérationnelle entre le Charles-de-Gaulle et son successeur est un engagement de la loi de programmation militaire actuelle, afin de garantir à la France la continuité de la capacité porte-avions. La construction des nouvelles chaufferies nucléaires a déjà commencé puisqu'une pièce d'épreuve a déjà été coulée au Creusot.

Il faut être bien conscient que décaler d'un ou deux ans la date prévue d'admission au service actif du successeur du Charles-de-Gaulle, pour des raisons budgétaires, occasionnera une réduction temporaire de capacité dans ce domaine. Nous serions ainsi pendant 1 ou 2 ans sans aucun porte-avions. La tenue du calendrier prévu pour être au RDV en 2038 est donc vital.

Nous sommes aussi très vigilants également aux questions d'équipages. Entre 1990 et aujourd'hui, la marine a perdu la moitié de ses effectifs. La mise en service d'un bateau, cela n'a rien à voir avec l'achat d'une voiture en concession, que l'on peut utiliser dans tout son spectre d'emploi après dix minutes de briefing par un vendeur. Pour une frégate, dix-huit mois avant son admission au service actif, le noyau d'équipage fait les essais à quai avec les industriels, réalise des essais de recette techniques à la mer et enfin réaliser des essais de recette militaires pendant un an pour que le bâtiment devienne une pleine capacité opérationnelle. Pour renouveler une marine, il faut disposer d'un volant de personnels permettant d'armer de nouveaux bateaux sans avoir à désarmer les anciens. On a pu armer le Charles-de-Gaulle parce qu'on avait désarmé le Clemenceau. Je m'en souviens très bien : j'étais encore lieutenant de vaisseau. Les deux bateaux étaient amarrés l'un derrière l'autre à Brest et on a quasiment transféré physiquement la moitié de l'équipage du Clemenceau sur le Charles-de-Gaulle. Malheureusement, nous n'avons plus les moyens de faire « la banque RH ». Nous n'avons plus les ressources humaines en propre permettant d'avoir des marins pour armer le noyau d'équipage du porte-avions en 2032 et atteindre 900 personnes en 2035 pour débuter les essais. Dès lors, soit on désarme un sous-marin nucléaire d'attaque tout neuf pour que ses atomiciens démarrent la chaufferie nucléaire en 2034, soit on recrute et on forme le noyau d'équipage – ce qui prend environ dix ans. Nous avons travaillé avec l'état-major des armées (EMA) pour obtenir les 100 premiers marins qui rejoindront ce noyau d'équipage. Nous en avons obtenu 30 et la cadence est de 80 par an pendant 12 ans. Tel est notre bataille pour les mois et années à venir.

S'agissant de la question des femmes,…

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