Intervention de Philippe Meyer

Réunion du mardi 6 juillet 2021 à 17h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Meyer, rapporteur :

Commençons par le premier foyer d'instabilité majeur dans la région : la guerre civile au Yémen, un conflit peu couvert par les médias et peu suivi par l'opinion publique.

Sans rentrer dans les détails bien sûr, aujourd'hui, deux projets politiques s'affrontent au Yémen :

– le projet des Houthis, héritiers de la monarchie d'avant 1962, d'essence totalitaire (car il exerce un contrôle total de la société grâce un système policier qui maille l'ensemble du territoire), ségrégationniste (car seuls les Hachémites comptent pour eux) et expansionniste (car ils veulent aller jusqu'à La Mecque). Deux millions d'enfants sont déscolarisés et des personnes sont recrutées de force pour combattre à Marib ;

– et le projet des opposants aux Houthis, qui rassemble plusieurs groupes hétéroclites qui ont en commun de s'opposer au projet des Houthis mais qui manque de cohérence et qui est miné par la corruption.

Par ailleurs, les Houthis se divisent entre l'aile militaire, radicale, et l'aile politique, plus modérée.

L'Arabie Saoudite a considéré ne pas avoir eu d'autre choix que d'intervenir en 2015 car l'intégrité de son territoire était directement menacée par l'expansionnisme des Houthis. Dès lors que les Houthis ont acquis la capacité d'atteindre le territoire saoudien, et en particulier les sites stratégiques de la société Aramco, l'Arabie Saoudite a néanmoins compris qu'il fallait trouver une solution politique à ce conflit. Elle a donc ouvert deux canaux : un canal sécuritaire pour contenir la menace et un canal politique par la signature des accords de Riyad en 2019 et leur mise en œuvre en décembre 2020.

La pression est maximale aujourd'hui sur Marib, toujours aux mains du gouvernement en exil, riche en ressources dont les Houthis ont besoin pour asseoir leur domination. Pour l'instant, le front tient, mais les Houthis forcent les habitants à combattre pour eux en leur donnant en échange des biens volés, issus notamment de l'aide alimentaire.

Les Yéménites sont épuisés par la guerre civile qui dure depuis 7 ans. Ils souffrent d'une absence de service public, de maladies et de la faim. Ils subissent des pénuries d'eau et d'électricité. L'Arabie Saoudite, depuis 2015, a lancé un blocus qui a précipité la crise humanitaire.

Même si les Houthis ont des liens avec l'Iran, comme nous l'a indiqué l'ambassadeur de France au Yémen, je cite, « ils sont avant tout des Yéménites, s'inscrivent dans l'histoire du Yémen et ont des projets au Yémen », fin de citation. De manière générale, il convient de ne pas appréhender le Yémen comme un pion dans un jeu régional et insister sur le caractère « yéménito-yéménite » du conflit en cours dans le pays.

Par ailleurs, l'Arabie Saoudite a réduit son action militaire depuis 2019 et privilégie désormais la désescalade et la négociation. En réalité, l'Arabie Saoudite cherche désormais à se sortir d'un bourbier tout en restant ferme vis-à-vis des Houthis. La France essaie de contribuer modestement au dialogue international pour trouver une issue à la crise, car la relance d'un processus politique est la seule issue. La nomination d'un nouvel envoyé spécial des États-Unis devrait nous aider à évoluer vers une solution politique au conflit. Cela nécessitera néanmoins de renverser le rapport de force au sein des Houthis pour que l'aile politique du mouvement prenne le pas sur son aile militaire.

Le second foyer d'instabilité majeur est le conflit israélo-palestinien, qui dure maintenant depuis plus de 70 ans sans qu'aucune perspective de résolution à court, moyen ou long terme n'existe. Au cours de nos travaux, plusieurs personnes auditionnées nous ont indiqué que ce conflit était en quelque sorte oublié et qu'il n'intéressait plus que secondairement les Occidentaux, et les pays de la région. Il nous avait même été indiqué par des aspects que ce conflit était en réalité gelé et que la situation actuelle de statu quo, caractérisée par une situation de paralysie en Palestine, minée par les oppositions fratricides entre le Fatah et le Hamas, et de colonisation lente mais progressive de la part d'Israël, se poursuivrait à court et à moyen terme.

Or, les affrontements des mois d'avril et mai derniers montrent, de notre point de vue, au moins deux choses : d'une part, tout exercice de prospective vis-à-vis de ce conflit – et, de manière générale, vis-à-vis de tous les conflits dans cette région du monde – appelle à la modestie dans notre analyse ; et, d'autre part, qu'une étincelle suffit à réactiver ce conflit. La France n'a évidemment pas abandonné la perspective d'une résolution de ce conflit qui ne trouvera aucune issue en dehors de la solution à deux États. Un plan de paix avait été proposé par la Ligue arabe en 2002, avec laquelle nous avons eu l'occasion de nous entretenir lors de notre déplacement en Égypte, qui s'inspirait des accords d'Oslo de 1995 et qui semblait pouvoir convenir à l'ensemble des parties prenantes. Or, aujourd'hui, Israël en refuse clairement le principe. En ce qui nous concerne, à l'issue de nos travaux, nous pensons que la France doit continuer à promouvoir la solution à deux États et travailler avec les États de la région, et en particulier avec la Jordanie et l'Égypte, qui, chacun, jouent un rôle crucial en la matière, pour qu'une solution politique à ce conflit soit trouvée. Le nouveau gouvernement israélien, bien que très hétéroclite, doit s'y atteler dans sa composition. En particulier, nous pensons que la gravité de la situation à Gaza, qui nous a été décrite lors d'une audition comme « une poudrière humanitaire, économique et sociale qui se radicalise de plus en plus », doit alerter la France, l'Union européenne et leurs partenaires. Nous avons d'ailleurs pu voir les conséquences concrètes de ce conflit sur la stabilité des États voisins lors de la visite du camp de réfugiés palestiniens géré par l'ONU en Jordanie à proximité d'Amman. Plus de deux millions de Palestiniens vivent en Jordanie. Les personnes que nous avons pu interroger dans ce camp souhaitent revenir dans leur pays dans leur majorité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.