Intervention de Philippe Meyer

Réunion du mardi 6 juillet 2021 à 17h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Meyer, rapporteur :

Venons-en à présent au deuxième axe de notre présentation, relatif à la présence militaire française au Moyen-Orient (hors Chammal, qui fera l'objet de développements dans la troisième partie).

L'opération Amitié au Liban a été lancée à la suite des explosions survenues à Beyrouth le 4 août dernier. En coordination avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, le ministère de l'Intérieur et le ministère des Solidarités et de la Santé, nos armées ont déployé et acheminé des moyens humains et matériels pour venir en aide au Liban. Le président de la République s'est rendu sur place, suscitant de fortes attentes.

Dès le 5 août, des aéronefs militaires ont permis d'acheminer sur place des produits de première nécessité mais également d'engager les premiers sapeurs-sauveteurs et marins-pompiers. Par la suite, un pont maritime a été mis en place et le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre et le navire affrété MN CALAO, arrivés respectivement les 13 et 16 août 2020 à Beyrouth, ont permis de compléter cet acheminement. Au total, 750 militaires et 1 200 tonnes de fret humanitaire ont été débarqués au Liban.

Cette opération d'urgence a apporté de très bons résultats, appréciés par les Libanais. Elle a depuis été refermée et l'enjeu de la reconstruction de Beyrouth demeure.

La présence militaire française au Liban s'incarne également par la FINUL. Les grandes lignes de son mandat se fondent sur le chapitre VI de la charte des Nations Unies :

– surveiller la cessation des hostilités ;

– accompagner et appuyer le déploiement au Sud-Liban des FAL ;

– appuyer les FAL, à la fois pour empêcher que des actes hostiles ne soient commis depuis le Sud-Liban, et pour s'assurer que l'aire d'opération soit « sans armes » et que la Blue Line soit respectée ;

– et assurer la coordination de ses activités avec les parties.

Parmi les opérations de maintien de la paix des Nations Unies, la FINUL est souvent présentée comme une mission robuste, notamment au regard de ses effectifs dépassant 11 000 hommes rapportés à la surface de sa zone d'opération. Ainsi, sa densité de forces est analogue et comparable à celle de la Mission d'administration intérimaire des Nations unies au Kosovo entre 1999 et 2000.

La FINUL est une force en transformation permanente depuis 1978. D'ici deux ans, au terme de son plan d'adaptation issu du rapport du Secrétaire général du 1er juin 2020, elle sera probablement encore plus agile : gros véhicules blindés remplacés par de petits véhicules blindés, troupes plus disponibles, reconfiguration des forces navales, plus de moyens de renseignement avec une surveillance radar étendue et un plan d'équipement en caméras visant à surveiller la Blue Line

Au Sud-Liban, une guerre est possible à tout moment, sans préavis. Des forces armées se font en effet face, sans qu'aucune disposition militaire n'ait été prise pour les séparer lors des cessez-le-feu ou retraits qui se sont succédé entre 1948 et 2006. L'emploi de la force y est décomplexé. Par exemple, Israël n'hésite pas à effectuer des tirs d'artillerie éclairants dès qu'il a un doute sur des individus s'approchant de la Technical Fence. Tous les responsables politiques sont d'anciens militaires qui ont déjà fait la guerre et tous les chefs militaires en place ont servi au Sud-Liban. Aussi, même si les parties ne veulent pas la guerre, et c'est le cas, l'escalade militaire est possible à tout moment, par erreur de calcul ou perte de contrôle, d'autant plus que les exécutifs sont en difficulté aussi bien au Liban qu'en Israël.

Dans ce contexte, la FINUL opère au milieu de deux principaux équilibres :

– un équilibre entre Israël et le Liban autour de la Blue Line ;

– et un équilibre entre les différents acteurs présents au Sud-Liban : les forces armées libanaises, le Hezbollah, la FINUL, etc.

L'opération Daman incarne et matérialise la solidarité de Paris avec Beyrouth au sein de la FINUL avec la présence de 700 soldats. Il existe une cohérence de positionnement entre la centralité politique de la France au Liban comme puissance qui compte à laquelle fait écho la centralité militaire du contingent français au Sud-Liban. À travers le chef d'état-major, la France met son amitié avec le Liban au service de la FINUL, rassemblant 46 pays contributeurs. La Force Commander Reserve (FCR) est au centre de la FINUL, avec son partenaire finlandais, aussi bien géographiquement que fonctionnellement.

Armée par la France, la posture opérationnelle de la FCR est en permanence observée et interprétée, notamment par le Hezbollah, en écho aux prises de parole publiques des autorités françaises sur le Liban. Des mesures spécifiques de protection sur le contingent sont décidées lors des prises de position françaises sur le Liban, compte tenu de leur poids et de la sensibilité politique libanaise.

Les directives données par le centre de planification et de conduite des opérations à Paris pour le contingent français s'inscrivent dans une stratégie régionale bien identifiée. Les échanges de renseignement et analyses entre les différentes forces et ambassades françaises de la région fonctionnent sans difficulté. La FINUL prend sa part dans cette stratégie française, en contribuant à la stabilité du Liban.

La principale réussite de la FINUL est d'avoir permis 15 années de paix et de stabilité au Sud-Liban. Selon les FAL, l'aire d'opération de la FINUL est, de loin, la zone la plus sûre à leurs yeux du Liban, en comparaison avec la lutte antiterroriste dans le Nord et les affrontements claniques dans la plaine de la Bekaa à l'Est. Le règlement définitif du différend ne relève d'ailleurs pas de la FINUL, dont la mission se limite à la création des conditions du dialogue politique, mais du Bureau du Coordonnateur spécial des Nations Unies pour le Liban et de sa mission de bons offices.

Alors que débutent les consultations relatives au renouvellement de son mandat, une reconduction technique de la FINUL pour l'année à venir semble à rechercher, dans l'attente de possibles évolutions politiques au Liban en 2022 et d'une évolution de la donne régionale (accord avec l'Iran, dialogue entre l'Iran et l'Arabie Saoudite à Bagdad, mutation du Hezbollah).

L'appui déterminé aux FAL, qui continuent d'incarner la nation libanaise, reste la meilleure stratégie de court, moyen et long termes. Dans le cadre du renouvellement de mandat à venir, il apparaît utile de renforcer l'appui de la FINUL aux FAL en ouvrant la possibilité de fournir un soutien logistique direct dans l'aire d'opération (carburant, etc.).

Dans le contexte politique actuel, il serait illusoire de vouloir faire évoluer le mandat de la FINUL ou de l'étendre. Cette évolution ne recevrait probablement pas de soutien des pays contributeurs européens, dont certains sont fébriles au vu des tensions dans l'aire d'opération. Par ailleurs, la situation ne serait pas tenable sur le plan sécuritaire si la FINUL devait entrer en confrontation avec le Hezbollah, tant son emprise est forte dans l'aire d'opération.

En outre, si des réductions ciblées de la FINUL pourraient être envisagées avec un impact opérationnel limité, leur contrepartie politique et psychologique devrait être mesurée, notamment vis-à-vis des FAL qui pourraient en sortir découragées et se sentir abandonnées. Le redressement économique du Liban et la consolidation des FAL prendront des années. C'est probablement l'horizon de travail de la FINUL qui devra s'adapter pour accompagner ces évolutions.

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