Cher Jean-Marie Fiévet, nous partageons le même constant s'agissant de la montée en puissance des drones : les usages augmentent, de même que les frappes à partir de drones. De nombreux pays se dotent de drones – une centaine de pays disposent de drones militaires ou sont engagés dans de tels programmes – et les 21 000 drones que vous évoquez sont sans doute largement sous-évalués tant les informations demeurent parcellaires sur le parc de drones de certains États, dont la Chine. Vous vous posez notamment la question de l'avenir des drones, en particulier sur le plan de leur alimentation en énergie et de l'accroissement de leur endurance. De nombreux travaux sont en cours en la matière, comme dans le domaine de l'aviation « classique » d'ailleurs. Je note que le recours à l'hydrogène est envisagé pour gagner en autonomie, tout en privilégiant une source d'énergie plus propre. C'est tout le sens du projet HyDrone, financé par le dispositif RAPID de la direction générale de l'armement. Nous en sommes encore au début, mais dans ce domaine-là comme dans d'autres, nous avançons très vite. S'agissant du recyclage, je rappelle que les drones stratégiques, à l'instar des drones MALE, sont assimilables à des avions. Il en va d'ailleurs de même s'agissant de certains drones tactiques, qui peuvent peser plus d'une tonne, rappelons-le. Les plus petits drones, quant à eux, pourraient être intégrés à la filière du recyclage des produits électroniques. Dans les deux cas, et nonobstant les questions d'ordre sécuritaire – qui pourraient nous amener à repenser le recyclage des drones – les filières traditionnelles du recyclage pourraient se charger de celui des drones.
J'en viens à présent à la question de Jean-Jacques Ferrara. Nous rejoignons évidemment votre constat : la menace la plus criante est celle des essaims de drones, en France comme ailleurs car nous ne sommes pas plus mauvais que les autres. Je vous laisse imaginer ce qu'il se passerait si un essaim de drones venait frapper une manifestation, un rassemblement, ou un site sensible, des drones évoluant de manière coordonnée étant difficiles à arrêter. Sans même parler de la neutralisation, nos outils de détection et d'identification ne semblent pas en mesure de faire face à une menace massive. Nous pourrions ainsi passer à côté de certaines menaces. Quant à la neutralisation, si le brouillage constitue une réponse, les choses restent complexes dès lors que nous nous situons sur le territoire national : l'emploi d'une arme cinétique ou létale, à partir d'un laser par exemple, pose en effet de nombreuses questions, tandis que la chute d'un drone « abattu » au-dessus d'une métropole serait susceptible d'emporter de lourdes conséquences. Pour appréhender cette menace, il nous faut donc continuer à travailler, et ce de manière agile, tant pour l'élaboration de notre réponse que pour la veille et l'anticipation des ruptures technologiques. Je pense notamment aux drones racer, qui parcourent un kilomètre en moins d'une minute. C'est ce type menace qu'il faut anticiper, afin de pouvoir demain l'identifier et la neutraliser dans des conditions satisfaisantes. J'insiste sur ce point car, comme je l'ai évoqué à l'instant, il ne s'agit pas que l'action de neutralisation soit aussi néfaste que l'attaque : imaginez qu'un drone emportant une charge soit abattu à 200 mètres de sa cible, rien n'indique que les dommages collatéraux ne soient pas plus importants que ceux visés au départ. Il faut donc non seulement faire évoluer nos moyens, mais également notre doctrine, et gagner en agilité. Il est aussi possible d'employer des dispositifs de protection passive, à l'instar de ce que pratiquent un certain nombre de sites sensibles comme les centrales nucléaires ou les établissements pénitentiaires.
La lutte anti-drone constitue bien un point d'attention majeur pour les prochaines années, car c'est une menace accessible et que nous éprouvons encore des difficultés à différencier les drones « amis » des drones « ennemis ». Et ce dans un contexte de fort développement de drones commerciaux – on parle de plus en plus de livraisons par drones ou de déplacement par drones dans les métropoles – ce qui complexifiera encore davantage la différenciation entre les drones.
Vous avez également pointé le retard et le décalage de certains programmes d'armement décidés dans le cadre de l'actualisation de la programmation, et que j'ai moi-même évoqués. En ce qui me concerne, ma doctrine personnelle m'a toujours conduit à préférer agir que gémir. Nous avons engagé de nombreux chantiers et peut-être n'avons-nous pas été la hauteur en termes de cadencement et d'évolution de nos moyens. Aujourd'hui, nous accélérons et il ne faut évidemment pas relâcher l'effort : on parle tout de même d'une montée en puissance importante, avec 3 000 drones rien que pour l'armée de terre. Pour respecter ces objectifs, il faut tenir le rythme, ce qui suppose d'accentuer la commande publique et les engagements budgétaires, bien sûr, mais également de veiller à disposer de capacités d'accueil de ces drones – en termes d'infrastructures ou de capacités de formation. Nous sommes donc engagés dans un effort au long cours. Celui-ci concerne d'ailleurs l'ensemble des drones, et pas seulement les drones aériens, qui ne doivent pas être l'arbre qui cache la forêt. Autant les drones aériens sont bien identifiés – du drone stratégique au micro ou au nano-drone – autant, comme vous l'avez dit, le domaine maritime apparaît encore un peu en retrait, alors que d'autres pays sont déjà fortement engagés en la matière. Il nous faut donc veiller à ce que l'attention ne soit pas uniquement portée sur les drones aériens, et à nous montrer réactifs dans l'ensemble des milieux.
J'en viens à présent à la question de Mme Poueyto, dont nous partageons les grandes orientations. Les travaux du Sénat nous ont paru effectivement tout à fait intéressants. Nous n'avions pas exactement la même approche puisque, pour nos collègues sénateurs, il s'agissait essentiellement d'actualiser un rapport réalisé il y a quelques années. Je ne reviens pas sur les retards et décalages – je viens d'en dire un mot – mais effectivement, nous allons dans le même sens s'agissant de la nécessité d'accélérer les choses, de se doter de moyens capacitaires accrus ainsi que d'une doctrine et d'un dispositif propres à la lutte anti-drones sur le territoire national, interministériel, coordonné et gradué. Il me semble toutefois que nous allons un peu plus loin que le Sénat en la matière, nos collègues ayant davantage abordé la question sous le seul angle militaire.