Enfin, pour répondre au président Chassaigne, oui, il y a une vraie question de dépendance. Aujourd'hui, nous sommes dépendants de notre allié américain pour la mise en œuvre de nos drones stratégiques, même si nous partageons les mêmes objectifs – au Sahel en particulier, dans la lutte engagée contre les groupes armés terroristes. En l'état actuel, le décollage et l'atterrissage de nos drones Reaper sont assurés par des personnels américains. Cette dépendance est la conséquence d'un retard, qui nous force à utiliser des drones de technologie américaine. Elle se réduira à mesure de l'entrée en service du block 5 du Reaper, qui nous offre davantage d'autonomie, mais reconnaissons que notre dépendance n'est pas seulement technologique : elle est aussi opérationnelle.
C'est d'ailleurs la raison d'être de l'Eurodrone, qui ne s'accompagne pas d'une rupture technologique majeure. En revanche, il est la clé de la souveraineté française et européenne sur ce segment, tant au niveau industriel qu'opérationnel. Et en la matière, nous avons besoin d'être autonomes, du drone stratégique au nano-drone. Car au-delà de la mise en œuvre des appareils – et demain, nous aurons la capacité de les mettre en œuvre comme bon nous semble, au regard de nos règles d'intervention – se pose aussi la question de la récupération et de l'exploitation des données collectées. Dès lors qu'un produit n'est pas souverain, il peut comporter ce qu'on appelle des « back doors », qui permettent au fabricant de prendre possession les informations recueillies par nos forces. Parfois cela peut se faire à bon escient – par exemple pour améliorer l'action collective sur un territoire donné – ce qui satisfait l'ensemble des acteurs, mais il faut aussi avoir conscience que ces portes dérobées peuvent être employées à des fins auxquelles nous n'aurions pas consenti. L'Eurodrone a notamment pour objectif de répondre à cet enjeu.
Sur le segment des plus petits drones, je note qu'aujourd'hui, par facilité ou par souci de rapidité, les forces de sécurité intérieure ont ainsi acheté « sur étagère », selon l'expression consacrée, des drones du commerce, produits dans le Sud-Est asiatique, et en particulier en Chine. Ces produits sont de bonne qualité technologique mais leur emploi peut poser question, d'autant que ce sont les mêmes entreprises chinoises qui fournissent les valises de lutte anti-drones. Il y a des solutions – et je note notamment que Novadem et Parrot, pour ne citer qu'elles, sont des entreprises françaises avec lesquelles nous pouvons être plus rassurés. Sinon, nous pourrions nous retrouver demain à douter de notre capacité à défendre nos forces armées en projection, nos territoires et nos concitoyens.
Pour en revenir à l'Eurodrone, le premier système devrait être livré à la France en 2028. Le consensus est long à obtenir, comme tout projet européen, et je rappelle que nos amis allemands voient l'Eurodrone comme un moyen déployable sur le territoire national, pour survoler et protéger leurs frontières par exemple, alors que la vision française porte plutôt sur le développement d'un drone projetable en opérations. Or, selon les emplois, les caractéristiques attendues divergent, ne serait-ce que sur le plan de la furtivité et du nombre de moteurs par exemple. A priori, nous allons toutefois dans le bon sens.