Intervention de Françoise Dumas

Réunion du mercredi 7 juillet 2021 à 17h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Dumas, présidente :

Général, mes chers collègues, je commence habituellement mes quelques mots d'introduction en soulignant le plaisir et l'honneur qui sont les nôtres de recevoir notre invité. Ce soir, ce sont d'autres mots que je voudrais privilégier, ceux d'émotion et de fierté. Émotion de vous recevoir cet après-midi, général, car cette audition est la dernière. Quelques jours seulement après le 14 juillet, vous ferez votre adieu aux armes. Un départ dont la date a été convenue avec le Président de la République ; et qui illustre cette volonté constante qui a été la vôtre durant toute votre carrière, de soumettre en toute liberté votre destin à l'intérêt du pays. Vous avez en effet émis le vœu de ne pas prolonger vos fonctions, estimant qu'il n'était pas souhaitable qu'il y ait coïncidence entre le renouvellement du chef d'état-major des armées et celui du mandat du Président de la République.

Mais notre émotion est également teintée de fierté. Fierté d'avoir su construire avec vous un dialogue empreint de compréhension et de vérité.

Dans le dernier chapitre du « Fil de l'épée », le général de Gaulle analyse longuement les relations entre le politique et le militaire. Il constate leur interdépendance, rappelant qu'il ne saurait y avoir de politique qui puisse réussir lorsque les armes succombent.

Mais il établit une différence entre le temps de guerre, durant lequel gouvernants et militaires sont condamnés à s'accorder, et le temps de paix où les sujets de friction sont nombreux, et notamment, souligne le général de Gaulle, ceux relatifs au montant des budgets qu'il convient de consacrer aux armées.

Je crois que tous les deux, général – et Charles de la Verpillière voudra bien me le pardonner – nous avons fait mentir le général de Gaulle. Car nous nous sommes toujours rejoints sur l'essentiel. Et l'aspect budgétaire a sans doute été le plus facile car depuis le début de la législature, nous avons chaque année voté un projet de loi de finances conforme à la loi de programmation militaire.

Mais ce sur quoi il y a eu aussi convergence de vue, ce sur quoi nous nous sommes accordés et qui a fait l'objet entre nous de nombreuses conversations, c'est la nécessité de préserver la singularité de l'état militaire.

Lors de votre précédente audition, début juin, vous nous aviez exprimé le souhait de partager avec nous votre conception de la singularité militaire qui est selon vous, mais aussi selon nous, constitutive de l'identité de la France et qui se trouve au sein des institutions de la Cinquième République. Vous nous aviez promis de nous dire ce que vous aviez « au fond du cœur », soulignant que cette vision de la singularité avait orienté toutes vos actions et toutes vos réflexions depuis quatre ans.

Nous ne pouvions donc vous laisser partir sans cette dernière rencontre consacrée à la place des armées dans la société française et la singularité militaire.

Dans le « Premier homme », le dernier roman d'Albert Camus que sa mort accidentelle ne lui a pas permis d'achever, l'auteur cite un mot de son père selon lequel « un homme, ça s'empêche ». Ce mot fut une boussole dans la vie de Camus, et j'ai le sentiment qu'il pourrait également s'appliquer à vous.

Vous qui en savez le prix dans l'emportement des combats, et je pense notamment à l'assaut victorieux du pont de Vrbanja à Sarajavo, symbole, selon le mot de Jacques Chirac, de la dignité retrouvée et du refus de toutes les humiliations.

Mais, vous vous êtes aussi empêché de sombrer dans la démagogie et les demandes déraisonnables tout en rappelant la nécessité de ne pas sacrifier l'armement et la sécurité de la France à une approche purement comptable de la réduction de la dette.

Vous vous êtes empêché de tenir des discours que certains politiques auraient pu instrumentaliser tout en rappelant toutefois les contraintes inhérentes à l'état militaire qui justifient qu'on leur accorde un statut et des droits particuliers.

Vous vous êtes empêché d'ériger l'armée en modèle de société même, si je le sais, vous estimez qu'en matière de vivre ensemble et de respect d'autrui, elle a beaucoup à apporter. Ce dont je suis pour ma part intimement convaincue, et plus que jamais !

Une dernière anecdote avant de vous laisser la parole qui témoigne à mes yeux du chef rigoureux et attentionné que vous êtes. Nous étions tous les deux à une cérémonie officielle, nous attendions l'autorité, et vous avez profité de ces quelques minutes pour m'expliquer l'uniforme militaire. Vous m'avez précisé que l'uniforme était certes le même pour tous, mais que cette uniformité n'était qu'apparence car en regardant un uniforme, on savait tout de ce qu'avait vécu le militaire qui vous faisait face. Et joignant l'acte à la parole, vous avez fait venir un sous-officier et m'avez détaillé, en observant ce qu'il portait, la diversité de sa carrière. Vous l'avez ainsi « re-connu » et j'ai lu sa fierté dans son regard.

Dans les « feuillets d'Hypnos », René Char, à la note 87, rappelle les conseils à respecter par un chef : « dans le travail, faites toujours quelques kilos de plus que chacun, sans en tirer orgueil » ; ou encore « contrariez les habitudes monotones » et surtout « additionnez, ne divisez pas ». Je vous retrouve pleinement dans la figure de ce résistant poète vous qui êtes le militaire le plus humaniste que je connaisse, humaniste à la fois par l'amour que vous portez à vos hommes et aussi par la culture littéraire et philosophique qui est la vôtre et qui vous porte.

C'est donc, général, je l'ai dit, avec émotion, fierté et gratitude que je vais vous laisser la parole pour ce dernier message à notre attention d'un grand serviteur de l'État.

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