Intervention de Françoise Dumas

Réunion du mardi 28 septembre 2021 à 17h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Dumas, présidente :

Mes chers collègues, avant d'aborder notre ordre du jour, permettez-moi, en votre nom à tous, de rendre hommage au caporal-chef Maxime Blasco, du 7e bataillon de chasseurs alpins de Varces, mort pour la France vendredi dernier au cours d'une opération de reconnaissance et de harcèlement conduite par la force Barkhane au Mali, à proximité de la frontière avec le Burkina Faso. Les états de service de ce commando de montagne étaient exceptionnels. Il était titulaire de quatre citations. Le Président de la République lui a personnellement remis la médaille militaire en juin dernier, après le sauvetage, dans des conditions incroyables – vous en avez peut-être vu les images –, de deux membres d'équipage de son hélicoptère. Alors même qu'il était blessé, il est parvenu à les arrimer sur le train d'atterrissage d'un hélicoptère Tigre venu les évacuer. J'assure ses compagnons d'armes, sa compagne et son enfant de notre solidarité, ainsi que de notre profonde gratitude et de notre reconnaissance pour la conduite héroïque – il n'y a pas d'autre adjectif – du caporal-chef Maxime Blasco.

Notre ordre du jour appelle l'audition de M. Pierre Éric Pommellet, président-directeur général (PDG) de Naval Group, en vue de faire le point avec lui sur les circonstances et les conséquences de l'annulation, annoncée le 15 septembre dernier, du contrat dit « australien », relatif à la production et à la livraison de douze sous-marins de classe Attack. Cette audition se déroule à huis clos. Conformément à ce qui est désormais une tradition des auditions de la commission de la défense, les appareils électroniques ont été déposés à l'entrée de la salle, dans les casiers prévus à cet effet.

En préambule, je vous félicite, Monsieur le président, de la signature d'un protocole d'accord annoncée ce jour pour la commande, par la Grèce, de trois frégates de défense et d'intervention (FDI), conclu dans le cadre d'un renforcement du partenariat stratégique entre la France et la Grèce, et assorti d'une option d'achat d'une frégate supplémentaire. Le président Macron a souligné que ce contrat devait être considéré comme « un témoignage de confiance et de démonstration de la qualité de l'offre française », ce qui constitue un hommage à votre entreprise. Je sais combien les Grecs ont été sensibles aux multiples efforts que vous avez déployés pour remporter ce marché. J'y vois un autre intérêt : le partage d'une même vision, fondée sur la nécessité de promouvoir l'autonomie stratégique de l'Europe, afin qu'elle soit capable de se défendre elle-même, dès lors que les États-Unis semblent avoir choisi de se concentrer sur la zone indo-Pacifique.

J'en viens au contrat « australien ». L'annulation brutale et unilatérale de ce programme, assortie du lancement d'un accord stratégique, baptisé « AUKUS », entre les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni, a été dénoncée par le ministre des affaires étrangères français comme « un coup dans le dos » et une trahison de la « relation de confiance » construite avec l'Australie. Elle a provoqué une grave crise diplomatique, incluant le rappel de nos ambassadeurs en Australie et aux États-Unis, que nous auditionnerons, conjointement avec la commission des affaires étrangères, ce soir et demain. Nous aurons l'occasion d'aborder avec eux les aspects géostratégiques de ces décisions. Je compte également sur les travaux de la mission d'information sur les enjeux de défense en Indo-Pacifique, menée depuis le printemps dernier par Mmes Monica Michel-Brassart et Laurence Trastour-Isnart, pour nous aider à comprendre ces problèmes et à nous positionner de façon plus prospective à leur sujet. Une bonne part de leur rapport devrait être consacrée aux conditions et aux conséquences de la décision australienne, ce qui satisfera les demandes, formulées çà et là, de création d'une mission d'information spécifique. Nos rapporteures sont à l'œuvre. Elles poursuivront leurs investigations avec toute la rigueur et la détermination nécessaires. Nos collègues menant une mission d'information dans le cadre de la commission des affaires étrangères sont sans doute dans le même état d'esprit.

Cet après-midi, c'est l'aspect industriel de cette affaire qui nous préoccupe avant tout, notamment les conséquences de la rupture du contrat sur Naval Group. Après la stupeur vient le temps de l'analyse des conséquences du revirement australien sur l'avenir de votre entreprise, ainsi que sur ses personnels et ses sous-traitants, et de l'action juridique à engager pour faire valoir vos droits contractuels, qui sont aussi ceux de la France, l'État étant actionnaire de Naval Group à plus de 60 %. Concrètement, la rupture du contrat vous fera-t-elle perdre de l'argent ? Menace-t-elle des emplois ? Si oui, sur quels sites ? La survie de certains sous-traitants est-elle en jeu ? Espérez-vous un soutien supplémentaire de l'État ? Si oui, lequel ?

Nous attendons également que vous nous expliquiez précisément la façon dont vous avez été informé de la décision des autorités australiennes, et que vous indiquiez les jalons déjà franchis. Même si vous n'êtes pas devant une commission d'enquête, tant s'en faut, nous souhaitons que vous nous disiez franchement et sans détour, en toute confiance, laquelle est réciproque, s'il y a eu des signes avant-coureurs de cette décision, et si vous regrettez rétrospectivement de ne pas avoir pu ou su capter certains signaux faibles. En d'autres termes, à quel point pensez-vous avoir été trompé ? Le président Lescure et moi-même avons répondu favorablement à votre demande de huis clos. Nous attendons donc de vous des paroles franches, directes et précises, dont j'espère qu'elles nous permettront – pour ma part, j'en suis convaincue, vous connaissant un peu – de mieux comprendre cette crise et peut-être d'anticiper les prochaines.

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