Je répondrai tout d'abord à la question sur l'étymologie du mot « Apagan ». Il s'agit, selon mes sources, de la race d'un cheval afghan.
Vous m'avez posé plusieurs questions sur le « dernier kilomètre » et la possibilité d'opérer à l'extérieur de la zone déterminée. Nous avions souligné, dans les travaux d'anticipation menés avec le Quai d'Orsay, le fait que nous ne serions pas capables de conduire une opération d'évacuation de ressortissants dans les mêmes conditions qu'en Afrique, n'ayant ni les mêmes points d'appui ni les mêmes élongations, et l'environnement sécuritaire étant totalement différent.
Plusieurs milliers de talibans étaient disséminés partout en ville et contrôlaient presque tous les axes – les forces de l'ordre et de sécurité afghanes ayant disparu –, ce qui nous a laissés dans une incertitude complète. Dès lors, au vu des moyens déployés, il n'était pas possible d'envisager des missions d'extraction sur des sites particuliers, d'autant que les talibans avaient rapidement annoncé aux Américains qu'ils ne souhaitaient pas voir de militaires occidentaux dans Kaboul et qu'ils considéreraient tout survol d'hélicoptère comme étant hostile. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les Américains ont arrêté tous les survols dès le 17 août. Cependant, les talibans ne souhaitaient pas engager un conflit ouvert, en interdisant tous les mouvements – ce que nous appelons un environnement « non-permissif » ; ils voulaient que cette opération se passe « correctement » – avec toutes les précautions nécessaires. Malgré des comportements non appropriés, ils cherchaient à éviter de se retrouver dans une situation de blocage.
Enfin, nous n'avions pas d'hélicoptère et le dimensionnement de notre détachement de forces spéciales ne permettait pas de réaliser ce type de mission dans une ville grande comme Kaboul.
Pour toutes ces raisons, presque tous les États ont demandé à leurs ressortissants et aux ayants droit de rejoindre les abords de l'aéroport, où le filtrage était réalisé par les forces de protection, américaines et britanniques, aux trois portes. C'est là que les forces spéciales récupéraient ensuite les ayants droit et ressortissants français. Personne ne sortait plus de l'aéroport, à l'exception, je vous l'ai dit, de quelques vols d'hélicoptères américains vers la zone de regroupement américaine, extrêmement proche du périmètre défini, pour désengorger et éviter les attroupements au niveau des portes. Cette situation était particulièrement difficile et nos soldats ne pouvaient pas se permettre, sauf à interrompre l'opération, de laisser entrer tout le monde, et qui n'avaient pas la capacité d'aller chercher les personnes à l'extérieur.
C'est aussi la raison pour laquelle j'ai qualifié cette opération de « hors norme ». Du fait de la rapidité inattendue de la chute de Kaboul, nous avons presque instantanément dû passer d'une opération d'évacuation de ressortissants à une opération humanitaire, et ce dans des conditions particulières.
La quasi-totalité des pays européens ont conduit une manœuvre avec des boucles intermédiaires et des volumes comparables, voire très supérieurs aux nôtres, pour la raison simple qu'ils n'avaient pas anticipé le départ de leurs ressortissants et ayants droit – ce qui a été le cas des Américains et des Britanniques. La France, elle, avait commencé à évacuer un certain nombre de ses ressortissants les années précédentes et au premier semestre 2021. Les avions utilisés par nos alliés étaient principalement des A400M, des C17 et, parfois, des C130.
Aurions-nous pu faire mieux, ou différemment ? Des travaux sont en cours au niveau de l'IEI, mais je vous ferai part de mon expérience personnelle, car j'ai beaucoup travaillé sur ces sujets, notamment en 2011-2012. Une opération d'évacuation de ressortissants est foncièrement – et nous pouvons le regretter – une opération nationale, puisqu'elle découle de la décision d'évacuer les ressortissants qui, elle, est éminemment politique. Or nos cultures sont différentes et chaque pays prend une telle décision en fonction de ses intérêts et du nombre de ressortissants concernés. Les Anglo-Saxons, par exemple, ont tendance à demander très rapidement, dès que la situation se dégrade, à leurs ressortissants de partir, de sorte qu'en cas de crise, ils n'ont plus que les « institutionnels » à évacuer. La France a plutôt tendance à retarder cette décision, qui est un signe très fort de dégradation de la situation sur place. Les décisions des pays peuvent donc être décalées, parfois de plusieurs jours, ce qui rend difficile la préparation d'une opération commune. En revanche, nous pouvons effectivement mieux nous coordonner. Il existe pour cela des doctrines interarmées alliées qui décrivent la planification et à la conduite des opérations d'évacuation de non-combattants. Sur le terrain, elles sont dirigées par le Non-Combatant Evacuation Operations Coordination Cell (NEOCC). De mémoire, une telle opération a été menée en 2011, à Abidjan, et elle s'est bien passée. La vraie question est de savoir comment nous pouvons nous coordonner en amont. Mais comme les décisions sont éminemment politiques, nous avons besoin de plans nationaux.
Vous m'avez parlé de la menace géographique. Si nous avons privilégié l'A400M et le C130, c'est essentiellement parce que ces deux vecteurs disposent des capacités les mieux adaptées, à la fois pour effectuer les rotations entre Kaboul et la BA 104, pour voler de nuit et en termes de sécurité – ces avions sont autoprotégés.
Des Français ont-ils été évacués par les alliés ? Oui. Je n'ai pas le chiffre exact, mais entre quatre et neuf personnes ont été évacuées par les Espagnols. Cela s'est fait naturellement, car il s'agissait de civils en mission pour l'OTAN.
Effectivement, nous avons été sollicités par l'OTAN, et nous sommes d'ailleurs quasiment les seuls, me semble-t-il, à avoir répondu à sa demande. Nous avons effectué deux vols entre Al Udeid, une base de regroupement des Américains, et Ramstein, où les personnes évacuées dépendant de l'OTAN étaient réparties dans les différents pays de l'Organisation. Nous avons ainsi évacué près de 250 personnes.
Par ailleurs, nous avons bien évidemment tiré des enseignements de cette opération pour les FFEAU. Tout d'abord, nous aurons besoin de mieux identifier les renforts humains nécessaires à une éventuelle poursuite de ces opérations, notamment dans la partie état-major. En outre, nous avons changé de logique ces vingt ou trente dernières années : les forces prépositionnées ne sont plus totalement autonomes, c'est-à-dire capables de réaliser par elles-mêmes les opérations. Elles ont besoin de renforts venant de France. Mais les infrastructures d'accueil et les noyaux d'état-major sont présents, et nous avons une bonne connaissance de la région ainsi que la capacité à envoyer assez rapidement les forces complémentaires nécessaires.
En ce qui concerne l'aide humanitaire, d'un point de vue militaire, nous n'avons quasiment plus aucune marge de manœuvre. L'Afghanistan est aux mains des talibans, qui contrôlent totalement le pays. La seule solution, pour essayer d'aider les Afghans, notamment les femmes afghanes, est de mener une action diplomatique, soit pour apporter de l'aide humanitaire – un certain nombre d'ONG ont fait le choix de rester sur place –, soit pour faciliter des départs. Il serait illusoire de croire que nous sommes en mesure de déployer des forces en Afghanistan.