Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 9h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • a400m
  • alliés
  • américain
  • apagan
  • aérienne
  • kaboul
  • militaire
  • vol
  • évacuation

La réunion

Source

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, je suis heureuse d'accueillir le général de division Philippe Susnjara, chef du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), pour poursuivre nos auditions nous permettant d'évaluer l'action conduite par le Gouvernement en Afghanistan en août dernier.

Nous avons déjà consacré deux auditions à cette opération, respectivement avec la ministre Florence Parly et l'ambassadeur David Martinon. Ces auditions nous ont donné l'occasion de mieux percevoir les enjeux politiques et diplomatiques en Afghanistan, mais il nous manquait le point de vue purement militaire. Vous êtes le mieux placé, général, pour en parler en votre qualité de chef du CPCO. Un grand merci, donc, de votre présence aujourd'hui parmi nous pour évoquer les modalités précises de l'opération Apagan, qui s'est déroulée entre Kaboul, Abou Dabi et Paris du 15 au 27 août dernier.

Je crois qu'il n'est nul besoin d'attendre la fin de cette audition pour vous exprimer la reconnaissance des représentants de la nation et nos félicitations pour la façon dont cette opération a été planifiée et conduite, dans des conditions qualifiées par la ministre d'« incroyablement complexes ». Elle a constitué « un défi opérationnel et logistique » hors du commun. Ce fut un succès qui a permis d'évacuer vers Paris 2 834 personnes, dont plus de 2 600 Afghans.

L'opération Apagan, je le rappelais au début de mes propos, a débuté le 15 août lorsque les talibans, à la surprise générale, se sont emparés en quelques heures de Kaboul. Elle avait d'emblée un horizon limité puisque les Américains avaient annoncé leur retrait total pour le 31 août. Nous aimerions connaître la façon dont l'opération a été anticipée et planifiée avant même le début de sa mise en œuvre. Dans quels délais avez-vous pu travailler, à partir de quels renseignements et en lien avec quels alliés ?

Une fois l'opération lancée, quelles ont été les missions précises des forces déployées en Afghanistan et aux Émirats arabes unis ? Comment se sont-elles coordonnées avec l'ambassade de France, nos alliés et les groupes armés présents sur place, y compris avec les talibans ?

En outre, comment les militaires ont-ils pu regrouper, identifier, trier et faire entrer dans l'aéroport les personnes susceptibles d'être évacuées, au milieu de ce qui semblait ressembler – peut-être à tort – à un chaos ?

Nous souhaitons également vous interroger sur le retour d'expérience (RETEX) tiré de cette opération. Chacun a compris le rôle fondamental de nos capacités aériennes et de la performance du couple A400M - A330 MRTT, ainsi que le rôle majeur joué par la base 104 située aux Émirats arabes unis, mais sans doute nous en direz-vous un peu plus.

Nous aimerions aussi connaître l'analyse que vous faites a posteriori des relations civilo-militaires tout au long de la crise.

Enfin, nous serions intéressés par les leçons que vous tirez de nos relations avec nos partenaires, américains d'abord, européens ensuite. Alors que de nombreux États européens semblent avoir souffert de l'unilatéralisme américain et d'un manque cruel d'anticipation, quel bilan tirez-vous de votre côté ?

Permalien
le général de division Philippe Susnjara, chef du Centre de planification et de conduite des opérations

Je suis particulièrement honoré de me trouver devant vous aujourd'hui pour vous parler de l'opération Apagan.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je rappellerai le contexte de l'engagement des armées en Afghanistan. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, et après l'invocation de l'article 5 du traité de Washington par les Américains, la France s'est engagée en Afghanistan par solidarité envers ses alliés et pour lutter contre les groupes armés djihadistes présents dans le pays, principalement Al-Qaïda.

Notre engagement en Afghanistan peut se résumer en trois phases.

Entre 2001 et 2008, l'engagement a été très rapide et centré principalement sur les alentours de Kaboul. Dès le 3 octobre 2001, nous faisions partie de l'opération Enduring Freedom, pour laquelle nous avons engagé des moyens sur deux volets :

– un volet aérien, avec l'opération Héraclès. Après l'engagement de notre groupe aéronaval en novembre 2001, l'opération a été complétée par une composante aérienne dès février 2002 à Manas, au Kirghizistan, à Douchanbé, au Tadjikistan, et à Kandahar, en Afghanistan.

– un volet terrestre, avec l'opération Pamir, dans laquelle la France avait la responsabilité d'une partie de Kaboul et de sa région. Entre 600 et 800 hommes étaient déployés, et j'ai eu l'honneur de servir dans cette opération au cours de l'été 2003.

Entre 2008 et 2012, l'engagement de la France a été renforcé, notamment dans la région est, puisque nous avions transféré la responsabilité de la région de Kaboul aux armées afghanes. En 2010, toutes armées confondues, plus de 4 000 militaires français étaient sur place. C'était le plus haut niveau d'engagement français.

La troisième phase couvre la période 2012-2014. Le retrait de nos forces combattantes a été décidé en juin 2012 par le Président de la République et s'est achevé fin 2012. Environ un millier de militaires français étaient encore en Afghanistan jusqu'à mi-2013 pour continuer de conduire les opérations logistiques de désengagement. Il faut y ajouter quelque 500 militaires engagés au titre de différentes missions non combattantes – principalement des missions de formation –, qui ont quitté le territoire en 2014.

Suite à notre désengagement, nous nous sommes concentrés sur la mise à jour régulière de notre plan d'évacuation – une mission du CPCO –, en lien avec le poste à Kaboul. Trois éléments importants ont été pris en compte pour ce plan dès 2014-2015 : l'état de la situation sécuritaire ; la liberté de manœuvre, notamment terrestre, dans Kaboul ; la coopération avec les alliés disposant de moyens présents sur place.

J'en viens à la montée en puissance de l'opération Apagan. Courant 2020, les annonces du président Trump nous ont conduits à réviser notre plan d'évacuation des ressortissants. En effet, même si le dispositif américain était maintenu, il était clair que le processus de désengagement était enclenché. La décision du président Biden du 14 avril 2021 a confirmé que les États-Unis quitteraient l'Afghanistan avant la date anniversaire du 11 septembre. En lien avec le Quai d'Orsay et le Centre de crise et de soutien (CDCS), nous avons, dès la fin avril, recommandé l'évacuation des ressortissants français et des ayants droit locaux ainsi que leurs familles. Cette recommandation était notamment motivée par la difficulté à organiser et à conduire une opération d'évacuation d'urgence loin de nos bases.

Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a ainsi organisé plusieurs vols pour évacuer le maximum de ressortissants et d'ayants droit. D'un commun accord, les armées ont planifié un ultime vol pour rapatrier les derniers Français présents à Kaboul et le personnel de l'ambassade resté sur place. Ce vol avait été initialement planifié en juin, en raison des déclarations des militaires américains qui annonçaient un départ dès le 4 juillet. Finalement, il a été affrété par le ministère des affaires étrangères et repoussé au 17 juillet ; à cette occasion, l'effectif de l'ambassade a été réduit à quarante personnes. C'est sur cette base que les détails de notre opération d'évacuation de ressortissants (RESEVAC) ont été affinés. En tout état de cause, il était admis et assumé par les Américains que la protection de l'aéroport resterait à leur charge.

Dès juin, les principales caractéristiques de l'opération envisagée étaient les suivantes :

– L'évacuation reposerait sur une boucle primaire entre Kaboul et la base aérienne 104 d'Al Dhafra, aux Émirats arabes unis. En cas de nécessité, nous avions prévu un plan alternatif via un autre pays de la région.

– Nous avions identifié des contraintes liées aux demandes d'autorisation de survol. En temps normal, le Pakistan demande un préavis de cinq jours, et les Émirats arabes unis un préavis de trois jours. Il s'agissait donc d'un point essentiel à traiter avec le Quai d'Orsay en cas de déclenchement de l'opération.

– De même, nous avions identifié la problématique des créneaux d'atterrissage à l'aéroport de Kaboul, au vu du nombre de nations concernées.

– Nous devions prendre en compte des questions liées au covid, notamment en termes de protection des personnels, mais aussi d'exemption de protocoles sanitaires. Nous pouvions nous inspirer de travaux déjà conduits avec le Quai d'Orsay sur d'autres théâtres, notamment africains.

– Le nombre exact de ressortissants et d'ayants droit à évacuer restait toujours une inconnue majeure.

Avant d'évoquer l'opération, je ferai un bref rappel sur la détérioration de la situation en Afghanistan.

Début août, la situation sécuritaire se détériore rapidement, avec la chute de neuf capitales provinciales sur trente-quatre, dont une majorité dans le nord du pays. Le 12 août, cette situation est jugée préoccupante par les Américains. La rapidité de l'offensive des talibans leur laisse craindre une prise de Kaboul trente à soixante jours plus tard, et en tout état de cause avant Noël. Par ailleurs, les Américains confirment l'arrêt des missions d'appui aérien au 31 août, au profit des forces afghanes – ce qui devait accentuer leurs difficultés.

Bien que sensible, le sujet de cette évacuation de ressortissants n'est partagé ni par Washington ni par le commandement américain (USSOCOM) à Tampa. Il est traité en « no foreign », c'est-à-dire uniquement entre Américains, ce qui crée un sentiment de frustration chez l'ensemble des alliés, tout le monde sentant que la situation commence à se dégrader. Les Américains tentent de nous rassurer, en indiquant notamment prendre en compte la problématique des alliés. Cependant, en l'absence d'ouverture dans les travaux, tout le monde se pose la question de la coordination en cas de déclenchement de l'opération.

Dès lors, chaque pays détermine ses critères de déclenchement – les triggers – pour une opération d'évacuation.. Pour la France, il s'agit de la chute de l'une des principales bases stratégiques afghanes autour de Kaboul ou de la prise de contrôle par les talibans des axes routiers permettant le ravitaillement de la capitale.

Les deux jours suivants voient une progression fulgurante des talibans, avec une résistance de l'armée afghane quasiment inexistante. Finalement, le 15 août, les forces talibanes entrent dans la capitale.

Dans de telles conditions, comment s'est déroulée l'opération Apagan ?

Dès le 12 août au soir, le CPCO met en place une cellule de veille en raison de la forte dégradation de la situation en Afghanistan. Un premier travail de recensement des moyens disponibles est réalisé, et des directives sont données aux forces françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU) pour préparer une possible évacuation de ressortissants.

Le 13 août, les moyens sont mis en alerte en métropole et aux FFEAU. En parallèle, l'amiral qui commande les forces françaises aux Émirats arabes unis, en lien avec l'ambassade, entame des discussions avec notre partenaire émirien pour définir notamment les conditions d'accueil des renforts ou des évacués sur la base aérienne 104 d'Al Dhafra. Ce même jour, la majorité du personnel de l'ambassade de France en Afghanistan rejoint l'aéroport international de Kaboul – l'ensemble des nations présentes dans la capitale afghane avaient prévu de faire de même.

Le 15 août, avec la confirmation de l'arrivée des talibans à Kaboul, le Président de la République donne l'ordre de déclencher l'opération Apagan. Un premier détachement de forces spéciales est déployé aux FFEAU. Il est rejoint le lendemain matin par un A400M, avec à son bord du personnel du ministère des affaires étrangères, du ministère de l'intérieur et des renforts spécifiques.

Conformément à la planification, l'opération nationale Apagan a consisté en la mise en place d'un pont aérien, avec une boucle primaire entre Kaboul et la base aérienne 104 d'Al Dhafra, aux Émirats arabes unis, et une boucle secondaire entre Al Dhafra et Paris. Ce dispositif s'est appuyé sur trois piliers :

– la capacité de commandement de théâtres des FFEAU, en lien avec le CPCO à Paris, qui a permis l'ajustement du plan d'évacuation afin de tenir compte de la situation sécuritaire à Kaboul, la coordination avec nos alliés ainsi que la satisfaction des besoins exprimés par l'équipe consulaire présente sur place ;

– le volet logistique et de transit mis en place sur la base aérienne 104 ;

– la capacité de projection et d'accueil à l'aéroport de Kaboul, dès le 16 août, comprenant quatre-vingt-sept militaires au plus fort de l'opération.

Contrairement aux habitudes, cette opération d'évacuation a été menée selon une logique de flux et non de stock. En effet, le choix a été fait d'une présence limitée des personnes évacuées sur la base d'Al Dhafra. Il a donc fallu organiser une manœuvre de moyens aériens d'une grande précision pour synchroniser les deux à trois vols quotidiens menés entre Kaboul et Al Dhafra avec le vol quotidien entre Al Dhafra et Paris.

Les vols depuis et vers Kaboul ont été conduits par des A400M et des C130, principalement de nuit pour limiter les risques liés aux mouvements de foules. Les vols stratégiques entre Al Dhafra et Paris ont été essentiellement réalisés par des Airbus A330 MRTT. Nous avons réussi à conduire notre premier vol d'évacuation depuis Kaboul dès le 16 août au soir – soit moins de trente-six heures après la décision présidentielle – et notre premier vol retour vers Paris le 17 août.

Des points de regroupement ont été gérés et négociés par le ministère des affaires étrangères, notamment avec les talibans, à l'extérieur de l'aéroport. Les personnes à évacuer ont été récupérées par nos forces à l'une des trois portes de l'aéroport, en collaboration avec les forces américaines et britanniques qui étaient, elles, chargées de la sécurité du périmètre et du filtrage. Elles étaient ensuite acheminées vers notre centre de regroupement et d'évacuation, situé dans l'aéroport même.

La préparation à l'embarquement comprenait à la fois un volet consulaire traditionnel – vérification de l'identité, enregistrement – et un volet sécuritaire. J'insiste sur ce point, car le risque d'infiltration par des personnes malveillantes a été pris compte dès la projection du premier détachement et a fait l'objet d'une attention toute particulière du commandement. Nous avons notamment déployé un chien détecteur d'explosifs et un portique de détection aux rayons X.

Les vols de Kaboul vers la base aérienne 104 ont duré trois heures et demie lorsqu'ils étaient assurés par des A400M, et quatre heures et demie lorsqu'ils étaient assurés par des C130. À l'arrivée à Al Dhafra, un criblage était effectué par nos services afin de s'assurer que les personnes évacuées étaient les bonnes. Suivait le vol vers Roissy, d'une durée d'environ sept heures, avec, à l'arrivée, un accueil par les services du ministère de l'intérieur. Durant cette opération, vingt-six vols ont été réalisés entre Kaboul et les Émirats arabes unis, et seize entre les Émirats arabes unis et la France.

Sur le terrain, ce pont aérien a été rendu possible par la protection et le fonctionnement des installations aéroportuaires de Kaboul, assurés principalement par les Américains, en partie par les Britanniques, ainsi que par les capacités médicalisées fournies et déployées par la Norvège.

Il convient de noter que dès le 17 août, les Américains ont cessé les survols de Kaboul en hélicoptère. Il n'y a plus eu d'actions militaires à l'extérieur du périmètre défini, à l'exception d'une zone de regroupement américaine très proche de ce périmètre.

Pour vous présenter un bilan rapide de l'opération, il me semble utile de partir du général pour aller au particulier.

Cette opération était hors norme, principalement pour deux raisons. D'une part, devant la surprise stratégique occasionnée par la chute de Kaboul, l'ensemble des pays alliés ont dû passer d'une opération d'évacuation de ressortissants et d'ayants droit – pour nous, quelque 200 personnes à évacuer – à une opération s'apparentant à une évacuation humanitaire d'urgence de plusieurs dizaines de milliers de personnes, en milieu semi-permissif et dans un temps très réduit – moins de deux semaines. D'autre part, l'accès au théâtre n'était possible que depuis le seul aéroport international. Certains alliés ont cherché une autre solution, sans succès. La coordination des vols a donc constitué un défi majeur.

S'agissant du dispositif militaire français, trois points méritent d'être soulignés.

Premièrement, malgré une mise en alerte sur un court préavis, la génération de forces a été facilitée par l'existence du dispositif d'alerte et de l'échelon national d'urgence (ENU), dont les capacités modulaires ont permis de disposer immédiatement d'un dispositif adapté à la situation.

Deuxièmement, cette opération a une nouvelle fois souligné la pertinence des forces prépositionnées, que ce soit pour les capacités de commandement aptes à assurer le contrôle opérationnel ou pour les infrastructures d'accueil.

Troisièmement, notre réseau d'insérés au sein du Pentagone, de USCENTCOM à Tampa et du Centre de commandement des opérations aériennes (CAOC) à Al Udeid, au Qatar, nous a permis d'intégrer sans difficulté les moyens français dans la manœuvre générale de la coalition, notamment à l'aéroport de Kaboul.

Durant l'opération, la coordination interministérielle avec le CDCS du Quai d'Orsay et le centre interministériel de crise (CIC) a souvent permis un échange rapide d'informations, suscitant une réelle synergie. Il faut savoir que lors d'une crise, le CPCO déploie régulièrement des officiers de liaison au sein du CDCS ou du CIC. Pour l'opération Apagan, durant la période sensible où des Français étaient présents à l'ambassade, nous avons également envoyé un officier de l'état-major des armées (EMA) dans l'unité Recherche, Assistance, Intervention, Dissuasion (RAID), tandis qu'un officier du RAID se trouvait au CPCO. Cette coordination a permis de réaliser la phase d'évacuation, toujours traumatisante, avec la meilleure efficacité et la plus grande humanité. Les personnes arrivant à l'aéroport de Kaboul ont été évacuées le plus rapidement possible jusqu'à Paris, dans une logique de gestion de flux.

Si cette opération a été un succès, la coordination ou la coopération entre alliés est, en revanche, un facteur à améliorer. L'absence de coopération au niveau stratégique, durant la phase de planification, a été préjudiciable à une bonne coordination, voire à une optimisation des moyens au niveau tactique.

De même, au niveau européen, la coordination en amont a été inexistante. La solidarité, en revanche, a été entière en conduite. À titre d'exemple, la France a projeté et désengagé des forces irlandaises et a évacué des diplomates de l'Union européenne, ainsi que des Afghans pour le compte du Portugal. Pour autant, cette coordination n'a pas pu être institutionnalisée au sein de l'état-major de l'Union européenne (EMUE) ni opérationnalisée au sein du Commandement européen du transport aérien (EATC), et ce pour deux raisons principales. D'une part, la rapidité extrême de la conquête par les talibans et l'urgence imposée par l'évacuation n'étaient pas compatibles avec le processus de l'Union européenne. D'autre part, chacun des pays européens a employé des points d'appui différents au gré des accords – avec, en outre, une logique différente, de flux ou de stock.

Au niveau tactique, il convient de souligner que la coordination a été particulièrement efficace et fluide, dès lors que le dispositif anglo-américain a été mis en place, consolidé et stabilisé à l'aéroport. Il a en effet fallu gérer 798 rotations d'avions sur la plateforme, soit un avion toutes les trente minutes, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et ce pendant quinze jours. Finalement, 130 000 personnes ont été évacuées, ce qui est considérable. La manœuvre a été exceptionnelle.

J'en viens à la composante aérienne. D'une manière générale, nous avons bénéficié d'une conjoncture assez favorable pour conduire cette opération. En effet, malgré le volume des moyens aériens engagés, la brièveté de l'opération et l'absence de grande relève – notamment de Barkhane – ont limité l'impact sur l'activité des théâtres des autres opérations. De même, nous avons bénéficié d'une grande disponibilité des A400M, grâce à un investissement très important de nos mécaniciens sur la base d'Orléans, mais aussi à la maturité de la flotte qui commence à arriver. Cette opération a démontré la complémentarité du couple A400M - A330 MRTT, qui a permis un gain capacitaire réel. Le 18 août, nous avons réalisé un vol avec 217 passagers à bord. Nous restons cependant encore fragiles, car la capacité A400 est toujours en phase de montée en puissance.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mon général, je souhaite vous remercier et vous féliciter pour la planification et la réalisation de cette opération, menée dans des conditions que nous connaissons tous. Nos ressortissants peuvent être fiers de disposer d'une armée capable d'une telle opération.

Ma question s'appuie sur l'exposé que nous a fait l'ambassadeur Martinon, par le menu, presque heure par heure, des derniers jours de la mission. Elle concerne « le dernier kilomètre » pour arriver à la base. Dans les dernières heures, quelque 15 000 personnes étaient encore massées derrière les portes qui avaient été fermées par l'armée américaine – elle y avait adossé des blindés pour qu'elles ne s'affaissent pas. Or il restait des ressortissants ou des familles d'employés locaux à aller chercher. Nos forces spéciales sont-elles sorties de l'enceinte pour les récupérer ? Pouvez-vous nous donner des précisions, qui souligneront le courage et le professionnalisme de nos soldats ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avec l'opération Apagan, nos armées ont à nouveau fait preuve d'une réactivité et d'un engagement sans faille.

Vous avez confirmé que des ressortissants européens avaient été évacués par l'armée française. À l'inverse, des Français ou des Afghans ayant travaillé pour la France ont-ils été évacués par d'autres nations alliées ? J'ai cru comprendre qu'une fois l'opération Apagan close, nous avions été sollicités par l'OTAN pour aider à évacuer des ressortissants occidentaux depuis les pays voisins de l'Afghanistan. Pouvez-vous nous donner davantage d'éléments à ce sujet ?

La base aérienne 104 et les FFEAU ont constitué le maillon essentiel de cette opération, confirmant ainsi la nécessité de disposer de points d'appui robustes et de confiance. Le CPCO en a-t-il tiré des enseignements ?

Que pensez-vous de l'évolution de nos forces prépositionnées ? Par le passé, nous avons eu tendance à réduire notre présence plutôt qu'à la conforter, en cédant hélas du terrain à nos compétiteurs stratégiques. C'est notamment le cas à Djibouti, où je me suis rendu la semaine dernière.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je veux rendre hommage au travail accompli par nos armées lors de l'opération Apagan.

Ces dernières semaines, nous avons pu mesurer l'ampleur des besoins vertigineux qui s'expriment toujours en Afghanistan. L'aide humanitaire est l'une des réponses à apporter et concerne bien sûr une large part de la population. Je souhaiterais évoquer en particulier la « régression historique qui menace les femmes et filles d'Afghanistan », telle que l'a décrite M. Le Drian dans sa récente intervention à l'ONU. Le ministre a mis en avant la responsabilité particulière qui incombe à la communauté internationale et à la France pour accompagner et soutenir les femmes et les filles d'Afghanistan. Nous devons accompagner non seulement celles qui restent, en leur fournissant l'aide humanitaire d'urgence, mais aussi celles qui partent, qui ont trouvé refuge dans un pays voisin et qui demandent d'être accueillies dans nos universités.

Général, votre expérience en tant que chef du CPCO peut-elle nous éclairer sur les marges de manœuvre dont disposent nos armées, en lien avec nos alliés, pour contribuer à la concrétisation de ce discours ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Général, nous sommes tous fiers de l'opération que vous avez conduite de manière très réactive en milieu dangereux – semi-permissif – et nous vous en remercions.

Je m'interroge tout d'abord sur l'étymologie du mot « Apagan ». Je n'ai pas eu la chance d'apprendre l'espagnol, mais il signifierait « ils éteignent ». Pouvez-vous nous en dire plus ? S'agit-il d'un regard un peu taquin sur l'action des Américains ?

Vous l'avez dit, le RAID a été mobilisé pour sécuriser la zone. A-t-il été envisagé de projeter très ponctuellement des moyens militaires en dehors de cette zone pour faire face à une situation exceptionnelle ?

De nombreux Européens, civils ou militaires, étaient sur place. Votre RETEX est intéressant pour définir ce que nous sommes capables de faire ensemble, ou pas. À la lumière de cette opération, pourriez-vous dresser un état comparatif des moyens dont nous disposons par rapport aux autres États européens ? Comment nos voisins s'y sont-ils pris ? Ont-ils conduit la manœuvre aussi bien que nous, voire mieux ?

Vous avez ajouté que cette opération n'avait été ni institutionnalisée à l'échelle de l'EMUE, ni opérationnalisée à l'échelon de l'EATC. Je m'interroge donc sur notre capacité à organiser les choses à l'échelle européenne. Existe-t-il des scénarios, notamment au niveau de l'Initiative européenne d'intervention (IEI), qui prévoient de mener de telles opérations ensemble ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

À mon tour, mon général, je veux vous dire notre fierté devant l'ampleur et la réussite de cette belle opération militaire.

Le lieutenant-colonel Nicolas, commandant de bord de l'A400M qui a assuré le premier vol vers Kaboul, a indiqué lors d'un point presse du ministère des armées, le 31 août dernier, que deux menaces avaient dû être prises en compte : celle d'une attaque terroriste et celle de l'environnement géographique. Nous savons que l'aéroport de Kaboul se situe à 1 800 mètres d'altitude et qu'il est entouré de hautes montagnes, ce qui pouvait jouer sur les performances de nos avions. Pourriez-vous revenir sur ce second risque et nous exposer les mesures prises pour l'atténuer au maximum ?

Permalien
le général de division Philippe Susnjara, chef du Centre de planification et de conduite des opérations

Je répondrai tout d'abord à la question sur l'étymologie du mot « Apagan ». Il s'agit, selon mes sources, de la race d'un cheval afghan.

Vous m'avez posé plusieurs questions sur le « dernier kilomètre » et la possibilité d'opérer à l'extérieur de la zone déterminée. Nous avions souligné, dans les travaux d'anticipation menés avec le Quai d'Orsay, le fait que nous ne serions pas capables de conduire une opération d'évacuation de ressortissants dans les mêmes conditions qu'en Afrique, n'ayant ni les mêmes points d'appui ni les mêmes élongations, et l'environnement sécuritaire étant totalement différent.

Plusieurs milliers de talibans étaient disséminés partout en ville et contrôlaient presque tous les axes – les forces de l'ordre et de sécurité afghanes ayant disparu –, ce qui nous a laissés dans une incertitude complète. Dès lors, au vu des moyens déployés, il n'était pas possible d'envisager des missions d'extraction sur des sites particuliers, d'autant que les talibans avaient rapidement annoncé aux Américains qu'ils ne souhaitaient pas voir de militaires occidentaux dans Kaboul et qu'ils considéreraient tout survol d'hélicoptère comme étant hostile. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les Américains ont arrêté tous les survols dès le 17 août. Cependant, les talibans ne souhaitaient pas engager un conflit ouvert, en interdisant tous les mouvements – ce que nous appelons un environnement « non-permissif » ; ils voulaient que cette opération se passe « correctement » – avec toutes les précautions nécessaires. Malgré des comportements non appropriés, ils cherchaient à éviter de se retrouver dans une situation de blocage.

Enfin, nous n'avions pas d'hélicoptère et le dimensionnement de notre détachement de forces spéciales ne permettait pas de réaliser ce type de mission dans une ville grande comme Kaboul.

Pour toutes ces raisons, presque tous les États ont demandé à leurs ressortissants et aux ayants droit de rejoindre les abords de l'aéroport, où le filtrage était réalisé par les forces de protection, américaines et britanniques, aux trois portes. C'est là que les forces spéciales récupéraient ensuite les ayants droit et ressortissants français. Personne ne sortait plus de l'aéroport, à l'exception, je vous l'ai dit, de quelques vols d'hélicoptères américains vers la zone de regroupement américaine, extrêmement proche du périmètre défini, pour désengorger et éviter les attroupements au niveau des portes. Cette situation était particulièrement difficile et nos soldats ne pouvaient pas se permettre, sauf à interrompre l'opération, de laisser entrer tout le monde, et qui n'avaient pas la capacité d'aller chercher les personnes à l'extérieur.

C'est aussi la raison pour laquelle j'ai qualifié cette opération de « hors norme ». Du fait de la rapidité inattendue de la chute de Kaboul, nous avons presque instantanément dû passer d'une opération d'évacuation de ressortissants à une opération humanitaire, et ce dans des conditions particulières.

La quasi-totalité des pays européens ont conduit une manœuvre avec des boucles intermédiaires et des volumes comparables, voire très supérieurs aux nôtres, pour la raison simple qu'ils n'avaient pas anticipé le départ de leurs ressortissants et ayants droit – ce qui a été le cas des Américains et des Britanniques. La France, elle, avait commencé à évacuer un certain nombre de ses ressortissants les années précédentes et au premier semestre 2021. Les avions utilisés par nos alliés étaient principalement des A400M, des C17 et, parfois, des C130.

Aurions-nous pu faire mieux, ou différemment ? Des travaux sont en cours au niveau de l'IEI, mais je vous ferai part de mon expérience personnelle, car j'ai beaucoup travaillé sur ces sujets, notamment en 2011-2012. Une opération d'évacuation de ressortissants est foncièrement – et nous pouvons le regretter – une opération nationale, puisqu'elle découle de la décision d'évacuer les ressortissants qui, elle, est éminemment politique. Or nos cultures sont différentes et chaque pays prend une telle décision en fonction de ses intérêts et du nombre de ressortissants concernés. Les Anglo-Saxons, par exemple, ont tendance à demander très rapidement, dès que la situation se dégrade, à leurs ressortissants de partir, de sorte qu'en cas de crise, ils n'ont plus que les « institutionnels » à évacuer. La France a plutôt tendance à retarder cette décision, qui est un signe très fort de dégradation de la situation sur place. Les décisions des pays peuvent donc être décalées, parfois de plusieurs jours, ce qui rend difficile la préparation d'une opération commune. En revanche, nous pouvons effectivement mieux nous coordonner. Il existe pour cela des doctrines interarmées alliées qui décrivent la planification et à la conduite des opérations d'évacuation de non-combattants. Sur le terrain, elles sont dirigées par le Non-Combatant Evacuation Operations Coordination Cell (NEOCC). De mémoire, une telle opération a été menée en 2011, à Abidjan, et elle s'est bien passée. La vraie question est de savoir comment nous pouvons nous coordonner en amont. Mais comme les décisions sont éminemment politiques, nous avons besoin de plans nationaux.

Vous m'avez parlé de la menace géographique. Si nous avons privilégié l'A400M et le C130, c'est essentiellement parce que ces deux vecteurs disposent des capacités les mieux adaptées, à la fois pour effectuer les rotations entre Kaboul et la BA 104, pour voler de nuit et en termes de sécurité – ces avions sont autoprotégés.

Des Français ont-ils été évacués par les alliés ? Oui. Je n'ai pas le chiffre exact, mais entre quatre et neuf personnes ont été évacuées par les Espagnols. Cela s'est fait naturellement, car il s'agissait de civils en mission pour l'OTAN.

Effectivement, nous avons été sollicités par l'OTAN, et nous sommes d'ailleurs quasiment les seuls, me semble-t-il, à avoir répondu à sa demande. Nous avons effectué deux vols entre Al Udeid, une base de regroupement des Américains, et Ramstein, où les personnes évacuées dépendant de l'OTAN étaient réparties dans les différents pays de l'Organisation. Nous avons ainsi évacué près de 250 personnes.

Par ailleurs, nous avons bien évidemment tiré des enseignements de cette opération pour les FFEAU. Tout d'abord, nous aurons besoin de mieux identifier les renforts humains nécessaires à une éventuelle poursuite de ces opérations, notamment dans la partie état-major. En outre, nous avons changé de logique ces vingt ou trente dernières années : les forces prépositionnées ne sont plus totalement autonomes, c'est-à-dire capables de réaliser par elles-mêmes les opérations. Elles ont besoin de renforts venant de France. Mais les infrastructures d'accueil et les noyaux d'état-major sont présents, et nous avons une bonne connaissance de la région ainsi que la capacité à envoyer assez rapidement les forces complémentaires nécessaires.

En ce qui concerne l'aide humanitaire, d'un point de vue militaire, nous n'avons quasiment plus aucune marge de manœuvre. L'Afghanistan est aux mains des talibans, qui contrôlent totalement le pays. La seule solution, pour essayer d'aider les Afghans, notamment les femmes afghanes, est de mener une action diplomatique, soit pour apporter de l'aide humanitaire – un certain nombre d'ONG ont fait le choix de rester sur place –, soit pour faciliter des départs. Il serait illusoire de croire que nous sommes en mesure de déployer des forces en Afghanistan.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Général, cette mission de repli a été extrêmement difficile, puisqu'elle résulte d'une décision qui vous a été imposée, mais vous l'avez conduite de manière remarquable.

Ma question est simple : ne devenons-nous pas trop dépendants du Qatar, dont le passé très récent a montré que nous ne pouvons pas vraiment lui faire confiance ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En treize jours, 2 830 personnes ont été mises en sécurité, dont plus de 2 600 Afghans, grâce à un pont aérien militaire réalisé entre Kaboul et Paris dans le cadre de l'opération Apagan. Général, le sang-froid et la lucidité dont vous avez fait preuve forcent l'admiration.

Cette opération a mis en lumière le rôle stratégique de la base aérienne 104 d'Al Dhafra, qui constitue « un gage de notre crédibilité opérationnelle », selon les mots tenus par Mme la ministre des armées devant la commission le 14 septembre dernier. Cette base a permis la mise en place de vingt-six ponts tactiques entre Kaboul et Abou Dabi, s'appuyant sur les A400M et les C130, et la conduite de seize vols jusqu'à Paris. Décisif pour la réalisation de nos objectifs stratégiques et militaires, ce positionnement est précieux puisqu'il permet d'assurer la continuité de notre présence dans la région et de bénéficier d'un appui déterminant au Moyen-Orient. À ce titre, la base 104 doit continuer d'être un pivot de notre action dans la zone. Partagez-vous cette analyse ? Quels sont, selon vous, les leviers mobilisables pour pérenniser notre présence dans la zone et assurer l'avenir de la base 104 ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, général, pour votre exposé et vos premières réponses. Cette opération a été menée avec efficacité, et nous ne pouvons que féliciter tous ceux qui y ont participé.

Vous avez cité les chiffres de vingt-six rotations et 2 800 évacuations effectuées par la France, et de 198 rotations et 130 000 évacuations au total. Je suis étonné par la disproportion…

Permalien
le général de division Philippe Susnjara, chef du Centre de planification et de conduite des opérations

Ce sont 798 rotations qui ont été effectuées au total.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Combien les autres pays ont-ils fait de rotations, et combien de personnes ont-ils évacuées ? Je me demande en effet comment ils ont procédé – la France, elle, disposant d'une base à Abou Dabi. La base 104 a-t-elle joué un rôle tel que son absence pourrait nous poser problème si nous étions amenés à procéder à des évacuations du même type sur d'autres théâtres d'opérations ? Vous savez à quoi je pense…

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En tant qu'élue du Loiret domiciliée près de Bricy, je vous adresse toutes mes félicitations pour cette opération d'évacuation d'envergure et difficile, devenue humanitaire, traumatisante tant pour les évacués que pour vos hommes. Les soldats ont-ils pu bénéficier d'un sas de décompression à leur retour en France ?

Le 23 août 2021, un avion français A400M a largué des leurres antimissiles en décollant de Kaboul. Pouvez-vous nous préciser les circonstances qui ont conduit à cette action préventive ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez indiqué que le plan d'évacuation était préparé depuis 2014 et qu'il se serait déroulé sans accroc s'il avait été conduit dans les circonstances prévues, s'agissant notamment de la liberté de manœuvre dans Kaboul et de la coopération avec les alliés. Vous avez également précisé que la coordination en amont pourrait être revue.

Des rotations ont eu lieu toutes les demi-heures. Des avions sont-ils partis vides ou semi-vides ? Si oui, des ressortissants étrangers n'auraient-ils pas pu être embarqués et récupérés ensuite par leurs autorités nationales ?

Concernant la liberté de manœuvre dans Kaboul, l'ambassadeur nous a effectivement raconté le déroulement de l'opération heure par heure et indiqué qu'il avait été bloqué plus longtemps que prévu. Quelles améliorations pourriez-vous proposer ?

Vous avez enfin précisé que les avions choisis pour cette mission étaient autoprotégés. Malgré l'accord avec les talibans, vous êtes-vous sentis menacés ? D'un autre côté, n'est-ce pas parce que les talibans ont tenu leur engagement que nous avons pu accomplir cette mission efficacement ? Le reconnaître serait déjà un échec, mais n'est-ce pas la réalité ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La planification et la qualité de la formation des personnels ont permis de faire de cette opération à risque un véritable succès. En raison des évolutions techniques, de nombreux défis apparaissent ; ainsi, un attentat réalisé par un drone est maintenant envisageable à l'occasion d'une opération d'exfiltration. Quelle stratégie adoptez-vous face à ces risques toujours plus nombreux et à ces nouvelles techniques pouvant mettre en péril une opération comme celle que vous venez de mener ? Avez-vous pensé que des dangers imminents étaient possibles durant cette opération d'exfiltration ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'associe aux félicitations et aux remerciements exprimés par mes collègues. Ma question porte sur le retour d'expérience que vous pouvez faire de cette opération. Au-delà des conditions de sécurité à l'aéroport et de la coopération avec nos alliés, quels ont été les facteurs les plus limitants auxquels vous avez dû faire face ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Général, je m'associe bien entendu aux remerciements de mes collègues et je vous félicite à mon tour pour cette opération, que vous avez menée dans des conditions très difficiles. Ma question porte sur la protection des auxiliaires de l'armée française, des interprètes et de toutes les personnes qui vous ont aidés. Ont-ils été évacués et, si oui, sont-ils actuellement suivis en France ?

Permalien
le général de division Philippe Susnjara, chef du Centre de planification et de conduite des opérations

Je commencerai en vous donnant quelques chiffres : sur les 798 rotations d'aéronefs décomptées, les Américains en ont effectué 387, les Britanniques 100, les Italiens 87 et les Allemands 38. Les autres pays en ont effectué, en moyenne, une vingtaine chacun. Les vecteurs étaient principalement des A400M, des C17 et des C130, les plus adaptés au regard des menaces et de la problématique géographique. Les pays se sont appuyés sur des partenaires différents – l'Ouzbékistan, le Pakistan, le Qatar ou encore les Émirats arabes unis – et ont donc bénéficié de l'accès à une base aérienne.

Effectivement, la base aérienne 104 a été essentielle. Il est important de pérenniser ce point d'appui, non seulement pour conduire ce type d'opérations, mais aussi, par exemple, dans le cadre de l'opération Agenor. La zone est sensible, et nous voyons bien l'intérêt d'y être présents. Nous avons d'excellentes relations, équilibrées, avec notre partenaire.

Serions-nous capables de faire sans cette base, ou différemment ? Comment une telle opération aurait-elle pu se dérouler dans une autre zone ? Quand nous préparons une évacuation de ressortissants, nous cherchons toujours des points d'entrée. Or, fort heureusement, la grande majorité des ressortissants ou des ayants droit français qui se trouvent dans des pays où nous sommes susceptibles de conduire de telles opérations habitent dans les capitales ou les grands centres économiques, c'est-à-dire dans de grandes métropoles disposant d'un ou deux points d'entrée – un aéroport, un port… En fonction de la situation locale et de l'élongation géographique, nous pouvons avoir besoin d'un point intermédiaire, comme nous en avons eu à Abou Dabi. Nous pouvons parfaitement imaginer une opération d'évacuation de ressortissants dans une ambiance permissive, où les forces de sécurité et de défense locales assurent en grande partie la sécurité. Un pont aérien pourrait alors facilement être mis en place entre ce pays et la France. En revanche, si les conditions sont semi-permissives, le travail de « tri » effectué au départ nécessite d'être affiné à un point intermédiaire.

Les plans d'opération ne se réalisent que très rarement, voire quasiment jamais comme prévu, mais ils nous permettent d'avoir à l'esprit un certain nombre de données qui nous aident à mieux réagir face à des situations imprévues.

Le fait est qu'au moment de conduire cette opération Arpagan, un accord a été conclu avec les talibans ; nous avons alors intégré cette nouvelle donnée dans notre plan, et l'opération a pu être conduite dans des conditions semi-permissives. Sans cet accord, il est certain que l'opération aurait été totalement différente, tant dans son organisation que dans les moyens déployés. Peut-être aurions-nous dû organiser une opération beaucoup plus cinétique, ne serait-ce que pour atteindre l'ambassade.

La menace identifiée depuis le début par toutes les nations, notamment par les Américains chargés de la sécurité de l'aéroport, venait évidemment de Daech avec sa fameuse wilaya du Khorasan, qui s'oppose à la fois à l'Occident et aux talibans. Nous imaginions bien qu'ils ne laisseraient pas les talibans récolter les fruits de leur victoire sans agir. Malheureusement, en raison du chaos qui régnait à Kaboul, l'attentat-suicide n'a pas pu être évité.

La menace des drones constitue une difficulté certaine, et nous avons encore beaucoup de progrès à faire pour nous en protéger. Cependant, nous la prenons en compte sur tous nos théâtres d'opérations, et elle avait évidemment été intégrée par les Américains, chargés de la sécurité de l'aéroport, qui redoutaient la destruction d'un appareil au sol. Une telle attaque aurait été symboliquement très forte et aurait gêné toute l'horlogerie des rotations aériennes.

Aucun avion français n'est parti vide ou semi-vide. Nous avons réussi à optimiser chaque vol bien mieux que nous ne le prévoyions, les personnes évacuées n'ayant quasiment rien emporté. Un A400M, qui embarque d'habitude 100 passagers, a même décollé avec plus de 200 personnes à bord. Comme pour tous les pays, le principal enjeu a été d'obtenir, de la part du consulat ou de l'ambassade, des informations fiables sur le nombre de personnes qui seraient « disponibles » à l'embarquement à l'aéroport. Il convenait alors de bien comprendre le flux pour indiquer aux Américains quand nous souhaitions bénéficier d'un créneau. Il s'agissait d'un pari quotidien. Toute cette mécanique était assurée par nos personnels présents à Kaboul – principalement les équipes de l'ambassadeur – ainsi que par nos collègues situés aux Émirats arabes unis, chargés de trouver les créneaux de vol et de déclencher les rotations.

D'autres pays ont-ils fait partir des avions vides ou semi-vides ? Honnêtement, je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est que des arrangements ont eu lieu sur place – je pense aux Afghans que nous avons évacués pour le compte du Portugal.

Il n'y a pas eu de sas de décompression au retour de nos soldats, l'opération ayant duré très peu de temps – même si elle a été difficile, elle a également été valorisante. En revanche, nous avons déployé, en lien avec le Quai d'Orsay, une petite équipe sur la base aérienne 104, composée notamment de deux psychologues, pour les militaires et les ressortissants qui le souhaitaient.

S'agissant du largage de leurres antimissiles, la raison est simple : les nombreux incendies non maîtrisés par les talibans, très localisés mais éparpillés dans tout Kaboul, pouvaient s'apparenter à un départ de missiles et ont déclenché notre système antimissiles. Les leurres ont donc été largués au décollage, sans incident particulier.

En ce qui concerne les Afghans ayant aidé la France, le choix a été fait de ne pas faire de différence entre les auxiliaires de l'armée française et ceux qui avaient travaillé pour le ministère des affaires étrangères. Sur place, nous avons apporté notre soutien aux services consulaires, qui géraient eux-mêmes la liste des gens devant être évacués. Notre mission a été de les transporter jusqu'à Paris, où ils ont été accueillis et pris en charge, notamment – mais pas seulement – par le ministère de l'intérieur. Il n'y a pas eu de suivi ou de prise en charge par les armées. Localement, des militaires afghans ayant effectué leur scolarité en France se sont spontanément proposés pour rester à Kaboul avec nos unités pour servir d'interprètes ; ils ont été évacués en dernier. Je le souligne, car il s'agit d'un beau geste de leur part.

S'agissant des facteurs limitants, je l'ai dit, nous avons un parc d'A400M très efficace, qui monte en puissance, mais qui est tout de même un peu limité. Si l'opération avait dû se prolonger, les choses auraient été plus compliquées, d'autant que nous aurions dû organiser des relèves. En l'occurrence, nous n'avons pas eu à le faire.

Étant donné les circonstances très particulières de cette évacuation, notamment le fait que les Américains étaient chargés de la sécurisation et de la coordination sur l'aéroport de Kaboul, tout ce qui aurait pu poser problème était géré soit par les Américains, soit par la coalition, selon des habitudes bien rodées – ce sont les mêmes centres qui travaillent aujourd'hui sur l'opération Inherent Resolve (OIR) en Irak.

Enfin, nous nous sommes appuyés sur les Émirats arabes unis, et nous n'avons eu aucune demande particulière concernant le Qatar.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Des tirs de leurres ont été effectués pour permettre le décollage de nos A400M. Y a-t-il eu une menace sol-air basse couche sur site ? Si oui, l'avez-vous identifiée ? Si l'environnement avait été moins permissif, auriez-vous été en mesure de répondre à une telle menace, compte tenu des faibles moyens dont nous disposons ?

Permalien
le général de division Philippe Susnjara, chef du Centre de planification et de conduite des opérations

Cette menace avait été identifiée et ne pouvait provenir que des talibans. Or un accord, du moins tacite, avait été passé entre ces derniers et les Américains. Je l'ai dit tout à l'heure, nous redoutions une attaque contre l'un de nos appareils au décollage. Mais là encore, dès le début, les talibans se sont affichés dans le contrôle du périmètre extérieur de l'aéroport, non seulement pour garder le contrôle des événements, empêcher les velléités des Occidentaux de sortir pour aller en ville, mais aussi pour empêcher que leur image ne soit ternie par ce type d'action.

En réalité, la véritable menace, identifiée comme telle par tous les pays et d'ailleurs prise en compte par les talibans, était celle d'un attentat-suicide perpétré par la wilaya du Khorasan, c'est-à-dire Daech. Malheureusement, nous n'avons pas pu l'éviter.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Général, je vous remercie. Je ne peux que vous redire, au nom de l'ensemble des membres de la commission de la défense, notre fierté et vous réitérer nos félicitations, que vous voudrez bien transmettre à vos troupes.

Nos capacités nationales d'anticipation et de planification étaient bien au rendez-vous. Nos forces prépositionnées, notamment aux Émirats arabes unis, sont plus que pertinentes. Nous pouvons toutefois regretter les quelques difficultés de coopération, avant le déclenchement de l'opération, avec nos alliés américains et européens. Nous espérons que ces aspects seront discutés au niveau de l'OTAN.

La séance est levée à dix heures vingt-vinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Françoise Ballet-Blu, M. Christophe Blanchet, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. François Cormier-Bouligeon, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Catherine Daufès-Roux, M. Rémi Delatte, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Jean Lassalle, M. Christophe Leclercq, M. Jacques Marilossian, M. Gérard Menuel, Mme Monica Michel-Brassart, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, Mme Catherine Pujol, Mme Muriel Roques-Etienne, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Pierre Venteau

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Olivier Becht, M. Christophe Castaner, M. André Chassaigne, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Meyer, M. Patrick Mignola, Mme Isabelle Santiago, Mme Nathalie Serre, M. Joachim Son-Forget, M. Aurélien Taché, Mme Sabine Thillaye