Intervention de le général de division Philippe Susnjara

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 9h05
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général de division Philippe Susnjara, chef du Centre de planification et de conduite des opérations :

Je commencerai en vous donnant quelques chiffres : sur les 798 rotations d'aéronefs décomptées, les Américains en ont effectué 387, les Britanniques 100, les Italiens 87 et les Allemands 38. Les autres pays en ont effectué, en moyenne, une vingtaine chacun. Les vecteurs étaient principalement des A400M, des C17 et des C130, les plus adaptés au regard des menaces et de la problématique géographique. Les pays se sont appuyés sur des partenaires différents – l'Ouzbékistan, le Pakistan, le Qatar ou encore les Émirats arabes unis – et ont donc bénéficié de l'accès à une base aérienne.

Effectivement, la base aérienne 104 a été essentielle. Il est important de pérenniser ce point d'appui, non seulement pour conduire ce type d'opérations, mais aussi, par exemple, dans le cadre de l'opération Agenor. La zone est sensible, et nous voyons bien l'intérêt d'y être présents. Nous avons d'excellentes relations, équilibrées, avec notre partenaire.

Serions-nous capables de faire sans cette base, ou différemment ? Comment une telle opération aurait-elle pu se dérouler dans une autre zone ? Quand nous préparons une évacuation de ressortissants, nous cherchons toujours des points d'entrée. Or, fort heureusement, la grande majorité des ressortissants ou des ayants droit français qui se trouvent dans des pays où nous sommes susceptibles de conduire de telles opérations habitent dans les capitales ou les grands centres économiques, c'est-à-dire dans de grandes métropoles disposant d'un ou deux points d'entrée – un aéroport, un port… En fonction de la situation locale et de l'élongation géographique, nous pouvons avoir besoin d'un point intermédiaire, comme nous en avons eu à Abou Dabi. Nous pouvons parfaitement imaginer une opération d'évacuation de ressortissants dans une ambiance permissive, où les forces de sécurité et de défense locales assurent en grande partie la sécurité. Un pont aérien pourrait alors facilement être mis en place entre ce pays et la France. En revanche, si les conditions sont semi-permissives, le travail de « tri » effectué au départ nécessite d'être affiné à un point intermédiaire.

Les plans d'opération ne se réalisent que très rarement, voire quasiment jamais comme prévu, mais ils nous permettent d'avoir à l'esprit un certain nombre de données qui nous aident à mieux réagir face à des situations imprévues.

Le fait est qu'au moment de conduire cette opération Arpagan, un accord a été conclu avec les talibans ; nous avons alors intégré cette nouvelle donnée dans notre plan, et l'opération a pu être conduite dans des conditions semi-permissives. Sans cet accord, il est certain que l'opération aurait été totalement différente, tant dans son organisation que dans les moyens déployés. Peut-être aurions-nous dû organiser une opération beaucoup plus cinétique, ne serait-ce que pour atteindre l'ambassade.

La menace identifiée depuis le début par toutes les nations, notamment par les Américains chargés de la sécurité de l'aéroport, venait évidemment de Daech avec sa fameuse wilaya du Khorasan, qui s'oppose à la fois à l'Occident et aux talibans. Nous imaginions bien qu'ils ne laisseraient pas les talibans récolter les fruits de leur victoire sans agir. Malheureusement, en raison du chaos qui régnait à Kaboul, l'attentat-suicide n'a pas pu être évité.

La menace des drones constitue une difficulté certaine, et nous avons encore beaucoup de progrès à faire pour nous en protéger. Cependant, nous la prenons en compte sur tous nos théâtres d'opérations, et elle avait évidemment été intégrée par les Américains, chargés de la sécurité de l'aéroport, qui redoutaient la destruction d'un appareil au sol. Une telle attaque aurait été symboliquement très forte et aurait gêné toute l'horlogerie des rotations aériennes.

Aucun avion français n'est parti vide ou semi-vide. Nous avons réussi à optimiser chaque vol bien mieux que nous ne le prévoyions, les personnes évacuées n'ayant quasiment rien emporté. Un A400M, qui embarque d'habitude 100 passagers, a même décollé avec plus de 200 personnes à bord. Comme pour tous les pays, le principal enjeu a été d'obtenir, de la part du consulat ou de l'ambassade, des informations fiables sur le nombre de personnes qui seraient « disponibles » à l'embarquement à l'aéroport. Il convenait alors de bien comprendre le flux pour indiquer aux Américains quand nous souhaitions bénéficier d'un créneau. Il s'agissait d'un pari quotidien. Toute cette mécanique était assurée par nos personnels présents à Kaboul – principalement les équipes de l'ambassadeur – ainsi que par nos collègues situés aux Émirats arabes unis, chargés de trouver les créneaux de vol et de déclencher les rotations.

D'autres pays ont-ils fait partir des avions vides ou semi-vides ? Honnêtement, je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est que des arrangements ont eu lieu sur place – je pense aux Afghans que nous avons évacués pour le compte du Portugal.

Il n'y a pas eu de sas de décompression au retour de nos soldats, l'opération ayant duré très peu de temps – même si elle a été difficile, elle a également été valorisante. En revanche, nous avons déployé, en lien avec le Quai d'Orsay, une petite équipe sur la base aérienne 104, composée notamment de deux psychologues, pour les militaires et les ressortissants qui le souhaitaient.

S'agissant du largage de leurres antimissiles, la raison est simple : les nombreux incendies non maîtrisés par les talibans, très localisés mais éparpillés dans tout Kaboul, pouvaient s'apparenter à un départ de missiles et ont déclenché notre système antimissiles. Les leurres ont donc été largués au décollage, sans incident particulier.

En ce qui concerne les Afghans ayant aidé la France, le choix a été fait de ne pas faire de différence entre les auxiliaires de l'armée française et ceux qui avaient travaillé pour le ministère des affaires étrangères. Sur place, nous avons apporté notre soutien aux services consulaires, qui géraient eux-mêmes la liste des gens devant être évacués. Notre mission a été de les transporter jusqu'à Paris, où ils ont été accueillis et pris en charge, notamment – mais pas seulement – par le ministère de l'intérieur. Il n'y a pas eu de suivi ou de prise en charge par les armées. Localement, des militaires afghans ayant effectué leur scolarité en France se sont spontanément proposés pour rester à Kaboul avec nos unités pour servir d'interprètes ; ils ont été évacués en dernier. Je le souligne, car il s'agit d'un beau geste de leur part.

S'agissant des facteurs limitants, je l'ai dit, nous avons un parc d'A400M très efficace, qui monte en puissance, mais qui est tout de même un peu limité. Si l'opération avait dû se prolonger, les choses auraient été plus compliquées, d'autant que nous aurions dû organiser des relèves. En l'occurrence, nous n'avons pas eu à le faire.

Étant donné les circonstances très particulières de cette évacuation, notamment le fait que les Américains étaient chargés de la sécurisation et de la coordination sur l'aéroport de Kaboul, tout ce qui aurait pu poser problème était géré soit par les Américains, soit par la coalition, selon des habitudes bien rodées – ce sont les mêmes centres qui travaillent aujourd'hui sur l'opération Inherent Resolve (OIR) en Irak.

Enfin, nous nous sommes appuyés sur les Émirats arabes unis, et nous n'avons eu aucune demande particulière concernant le Qatar.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.