Intervention de Françoise Dumas

Réunion du mercredi 6 octobre 2021 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Dumas, présidente :

Monsieur le ministre, votre audition se justifie au moins par deux raisons. En votre qualité de ministre de l'Europe et des affaires étrangères, vous êtes au cœur de la crise diplomatique entraînée par la rupture du contrat entre la France et l'Australie. Il s'agit d'une crise avec ce pays, certes, mais aussi avec nos alliés américains et britanniques, et c'est une crise diplomatique autant qu'une crise de confiance, bien plus large. Votre audition se justifie également par votre qualité d'ancien ministre de la défense. Vous avez signé en décembre 2016, avec le Premier ministre australien, l'accord intergouvernemental aujourd'hui remis en cause. Vous êtes donc le mieux placé pour témoigner des motivations qui ont conduit les Australiens à signer ce contrat. À l'époque, aviez-vous perçu certaines réticences, réserves ou arrière-pensées du côté australien ? Qu'est-ce qui pourrait avoir motivé la rupture ?

Vous avez eu des mots très durs : vous avez notamment parlé de trahison. Nous comprenons encore mieux ce terme, qui a frappé les esprits, après avoir auditionné le président-directeur général de Naval Group et nos excellents ambassadeurs en Australie et aux États-Unis. Sans trahir le huis clos de ces auditions, on peut dire qu'elles ont montré sans contestation possible, au moyen du calendrier des faits et de nombreux exemples, l'existence d'une volonté délibérée et organisée, voire cynique, de nous tromper jusqu'à l'accord qui est finalement intervenu.

Pour justifier cette rupture, l'Australie a mis en avant l'évolution de ses besoins technico-opérationnels et sa volonté de passer, pour les sous-marins, de la propulsion conventionnelle à la propulsion nucléaire du fait de l'évolution de la menace chinoise. Nous percevons surtout qu'il s'agit d'un saut dans le vide et d'une volonté de s'en remettre exclusivement aux États-Unis pour protéger les intérêts de sécurité australiens. Au-delà de la forme, totalement inacceptable de la part de pays alliés, quelles raisons de fond justifient cette rupture ? Quelles en sont les causes ? Nous devinons beaucoup de choses, mais nous ne savons toujours pas le fin mot de l'histoire.

S'agissant des conséquences, nous souhaitons connaître votre sentiment sur le pacte AUKUS, qu'il faut bien considérer comme une nouvelle alliance militaire, entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, contre l'expansionnisme chinois dans l'Indo-Pacifique. Ce pacte est-il de nature à conforter la stabilité de la région ou, au contraire, à en accroître le caractère bipolaire, voire la conflictualité ?

Nous savons ce que le Président de la République a déclaré : la stratégie de la France dans l'Indo-Pacifique ne change pas. Nous nous interrogeons toutefois sur la marge de manœuvre de notre pays, qui se définit comme une puissance d'équilibre. Ce qui s'est passé n'est pas seulement une rupture d'un contrat d'armement, mais une remise en cause de notre partenariat étroit avec l'Australie. Est-il encore possible d'échapper à une logique d'affrontement dans la région ? Par ailleurs, cette situation nouvelle ne renforce-t-elle pas les enjeux du prochain référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie ?

Concernant les États-Unis, nous avons lu le communiqué conjoint des présidents Macron et Biden, qui réaffirme l'importance stratégique pour les États-Unis de l'engagement de la France et de l'Union européenne dans la région indo-pacifique. Les États-Unis ont également reconnu « l'importance d'une défense européenne plus forte et plus capable […], complémentaire à l'OTAN ». Enfin, ce communiqué a annoncé un renforcement de l'appui des États-Unis aux opérations antiterroristes conduites au Sahel. On ne peut que s'en réjouir. Néanmoins, vous avez dit à plusieurs reprises, Monsieur le ministre, que vous attendiez non des mots, mais des actes. Quelles actions concrètes attendez-vous des États-Unis ?

Chacun a pu remarquer l'incroyable désinvolture de l'Australie, qui a annoncé la rupture du contrat le jour où l'Union européenne publiait sa stratégie pour l'Indo-Pacifique. Quel jugement portez-vous sur les réactions des pays de l'Union européenne ? Vous satisfont-elles ? Estimez-vous que cette crise est susceptible de renforcer la solidarité européenne et la volonté de promouvoir une autonomie stratégique ? Il n'existe plus beaucoup d'ambiguïté sur la priorité accordée par les États-Unis à l'Indo-Pacifique, au détriment de l'Europe.

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