Intervention de Claude de Ganay

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude de Ganay, rapporteur pour avis (Soutien et logistique interarmées) :

L'an dernier, je commençais mon propos en évoquant le service de santé des armées (SSA), compte tenu de sa mobilisation dans le cadre de la crise sanitaire. Je soulignais que ce service ne devait pas être la béquille d'une médecine civile en difficulté – les armées et les services du ministère sont trop souvent mobilisés pour pallier les lacunes du secteur civil. Or je dois réitérer mon propos s'agissant du SSA. Il s'agit d'un service d'une qualité exceptionnelle, qui dispose des meilleurs experts de notre pays, en particulier dans le domaine de la virologie, qui fait l'actualité depuis un an et demi. Avant même la crise sanitaire, le SSA était à la fois en surchauffe et en sous-effectifs, subissant un effet de ciseaux bien connu, dont souffrent d'autres services, comme le service d'infrastructure de la défense. Dans de telles conditions, ce n'est certainement pas au SSA qu'il revient de vacciner les Français.

Venons-en à l'examen des crédits budgétaires dédiés au soutien et à la logistique interarmées dans les programmes 178 et 212.

Compte tenu de l'ampleur du budget sur lequel porte mon avis, je limiterai mon propos aux principaux sujets de l'année 2022. Je tiens à souligner la hausse de 9,7 % en AE et de 16,4 % en CP des crédits du programme 178 et, parmi eux, celle de 9,17 % en AE et de 16,4 % en CP des crédits liés à la « fonction santé » du SSA. Cette augmentation s'explique principalement par la hausse de la dotation pour les équipements, la formation et les approvisionnements en produits de santé. Je note également une hausse de 42 % des crédits dédiés aux infrastructures des systèmes d'information. En revanche, les crédits dédiés au service interarmées des munitions diminuent de 15 % en AE et de 12 % en CP. Le programme 212 sera doté de 1,46 milliard d'euros en autorisations d'engagement et de 1,26 milliard en crédits de paiement, hors titre 2.

Un certain nombre de restaurants gérés par le service du commissariat des armées (SCA) ont été confiés en concession à l'Économat des armées, avec pour objectifs de moderniser des équipements devenus vétustes et de répondre à un problème de ressources humaines. Si l'alimentation servie par les entreprises partenaires est souvent d'aussi bonne qualité que celle des restaurants restés en régie, le modèle d'externalisation soulève quand même des difficultés pratiques. Un militaire qui finit sa mission au beau milieu de la nuit ne peut pas appeler le concessionnaire pour lui demander de lui préparer un repas, comme il aurait pu le faire auprès de ses camarades militaires du cercle mess. Il doit donc se contenter de paniers-repas ou de plats à réchauffer ne présentant guère de plus-value par rapport aux rations qu'on lui sert en opération.

Par ailleurs, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM) impose un certain nombre d'obligations, dont celle d'acheter 20 % de denrées issues de l'agriculture biologique. Cela entraînera un renchérissement des coûts. N'aurait-il pas été préférable de promouvoir les circuits courts et les produits gastronomiques locaux ?

Compte tenu du temps qui m'est imparti et de l'existence d'une mission d'information sur le sujet, je ne reviendrai pas sur le plan Famille, déjà largement évoqué dans mon rapport d'il y a deux ans.

S'agissant de l'immobilier, l'ensemble des acteurs salue le plan hébergement. Je partage ce sentiment de satisfaction. Par ailleurs, la ministre des armées a annoncé le 5 octobre qu'elle avait désigné le groupement conduit par Eiffage SA et Arcade comme attributaire pressenti pour la gestion externalisée des logements domaniaux du ministère, dans le cadre du contrat CEGELOG, rebaptisé Ambition Logements. Le ministère m'a fait part du fait qu'à la suite des discussions avec le groupement nouvellement choisi, la signature du contrat devrait se concrétiser à la fin du mois de janvier 2022.

Le parc domanial de logements du ministère est géré par une filiale de la Caisse des dépôts et consignations, CDC Habitat – anciennement Société nationale immobilière (SNI) –, qui assurera jusqu'en 2022 les prestations de gestion locative, d'entretien et de rénovation. Le contrat CEGELOG prévoit, outre ces prestations, la construction de 2 500 nouveaux logements ainsi qu'un programme de réhabilitation et de rénovation énergétique. Les exigences fixées par le cahier des charges de gestion du parc domanial ont été renforcées. Il me paraît capital d'exonérer le foncier du ministère des contraintes de mixité sociale prévues par le code de la construction et de l'habitation et par le code de l'urbanisme. En effet, il importe de ne pas remettre en cause l'ambition initiale du contrat, à savoir garantir aux familles de militaires, qui sont soumises à l'obligation de mobilité et aux autres sujétions qu'implique la condition militaire, l'accès à un logement dans les meilleures conditions. Un amendement a été adopté au Sénat sur le sujet dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), dont on peut espérer l'adoption définitive avant la fin de la législature. Cette disposition doit entrer dans le droit positif avant la conclusion définitive du contrat CEGELOG.

L'année 2021 a été marquée par le début de la mise en œuvre de la nouvelle politique de rémunération des militaires, avec l'entrée en vigueur de la nouvelle indemnité de mobilité géographique. En 2022, le second volet de la réforme se traduira par la création de l'indemnité de sujétions d'absence opérationnelle, qui valorise la participation à l'activité opérationnelle, de la prime de commandement et de responsabilité, qui valorise le commandement et les résultats obtenus, et de la prime de performance, qui rémunère l'expertise technique. Si l'on peut saluer les objectifs de simplification et d'amélioration de la lisibilité de la rémunération des militaires, j'estime que la direction des ressources humaines du ministère doit à tout prix éviter que certains militaires ne soient lésés par ce nouveau dispositif, alors même qu'une grande partie de la communauté militaire a déjà été traumatisée lors de la mise en application du système Louvois, avant Source Solde.

Le 15 juillet, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt qui concerne au premier chef nos militaires. La cour a considéré que les activités des militaires liées à des services d'administration, d'entretien, de réparation, de santé, de maintien de l'ordre ou de poursuite des infractions pouvaient se voir appliquer la directive de 2003 relative au temps de travail, dès lors que ces activités n'étaient pas exercées dans le cadre d'une opération militaire ou au cours de sa préparation immédiate. Cette catégorisation remet en cause l'unicité et la singularité du modèle militaire français et méconnaît profondément la nature de l'activité de nos militaires. Sur les théâtres de l'opération Barkhane, par exemple, les effectifs sont composés à 45 % de personnel de soutien. Il convient donc de rappeler qu'aux termes de l'article 4, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, la sécurité nationale est du seul ressort des États membres. Or la jurisprudence de la CJUE, outre les contraintes de gestion considérables qu'elle entraînera, pourrait compromettre l'unité de nos armées.

J'en viens au thème de mon rapport : après avoir traité de Défense mobilité, du service des essences, de la délégation à l'information et à la communication de la défense (DICOD), du plan Famille et de la politique culturelle du ministère des armées, j'ai choisi, pour la dernière année de la législature, un thème plus transversal : je vous propose un bilan, dix ans après, de la création des bases de défense.

La création des bases de défense est intervenue dans un contexte de profond bouleversement des ressources humaines du ministère des armées. La réorganisation des services de soutien a été imposée par les réductions massives d'effectifs intervenues jusqu'en 2015. Pendant un temps, il a été envisagé de « civilianiser » le soutien, mais l'idée a finalement été abandonnée au profit d'une complémentarité civilo-militaire, les services de soutien devant être en mesure de remplir le contrat opérationnel.

La création des bases de défense a entraîné une réorganisation complète et radicale des soutiens à l'échelon local, dans une perspective de performance et d'économies. Cette réorganisation s'est appuyée sur une logique de mutualisation et sur la création, en deux phases, de chaînes de soutien professionnelles et expertes. La mutualisation des soutiens s'est accompagnée d'un double processus d'externalisations et de numérisation.

Si les bases de défense ont été constituées selon un modèle unique, chacune des cinquante-cinq bases, dont quarante-cinq sont situées en métropole, présente d'importantes spécificités territoriales. Il y a en outre, dans la cartographie des bases de défense, deux cas particuliers : l'Île-de-France et l'outre-mer. En Île-de-France a subsisté jusqu'à la fin de l'année 2020 le service parisien de soutien de l'administration centrale (SPAC). Outre-mer, le commandant de base de défense a également la casquette de commandant supérieur et a autorité sur les formations et éléments de service des trois armées ainsi que sur les services interarmées stationnés dans les limites territoriales de son commandement.

Dans chaque base, le commandant de base de défense (COMBdD) est un acteur pivot responsable de la coordination des soutiens. Il est l'autorité locale de coordination, de cohérence et de synthèse des besoins de soutien. Son rôle a été nettement renforcé en 2019 à des fins d'efficacité opérationnelle. Ainsi, a été introduite dans les textes la notion de relation zonale entre le commandant de base de défense et l'officier général commandant de zone de défense. Cette relation particulière, adossée au maillage territorial des zones militaires, permet de garantir le continuum entre structure de paix et structure de crise ou de guerre.

La réforme de 2019 fait ainsi évoluer le rôle du COMBDD sur plusieurs aspects. En cas de circonstances exceptionnelles ou de crise, il exerce les attributions dévolues au commandement. De nouvelles responsabilités budgétaires dans le domaine des infrastructures lui ont également été confiées, avec la création d'un budget pour les travaux d'améliorations mineures. Le périmètre de gestion du COMBdD a été élargi, notamment en lui accordant la présidence des conseils d'administration des cercles BdD. Enfin, le centre interarmées de coordination du soutien (CICoS) est l'interlocuteur privilégié du COMBdD auprès de l'état-major des armées.

Cette réforme a suscité au départ des réticences importantes, notamment dans l'armée de terre. La première raison est d'ordre historique : depuis la fin du xixe siècle, l'armée de terre s'est constituée selon une organisation autarcique, en unités au sein desquelles le chef de corps commande selon le célèbre adage « un chef, une mission, des moyens ». La deuxième raison tient au fait territorial : les unités de l'armée de terre ont un positionnement plus éclaté que l'armée de l'air et la marine, obéissant à une organisation régimentaire. La troisième raison est d'ordre culturel. Certains régiments de l'armée de terre se sont en effet vus rattachés à des bases de défense commandées par l'armée de l'air ou par la marine, alors qu'aucune base aérienne ou navale n'a été rattachée à une base de défense à dominante « terrestre ».

La réforme semble désormais mieux acceptée, si l'on en croit les sondages réalisés à l'aide de l'outil de mesure de la qualité du service rendu (QSR), qui est à la main du commandant de base de défense. Il perdure quand même dans les bases de défense une logique de milieu, notamment dans le domaine des infrastructures, où chaque armée répond à sa propre logique.

La réforme des bases de défense paraît inachevée et continue à soulever des interrogations. Tout d'abord, si la réforme semble un peu mieux acceptée qu'au départ, elle n'en a pas moins suscité un sentiment de déconnexion entre personnels soutenants et personnels soutenus – sentiment alimenté par la grande complexité du système. Ensuite, en dépit des efforts notables prévus en loi de programmation militaire pour favoriser la remontée en puissance des effectifs du ministère des armées, la dégradation du ratio entre soutenants et soutenus ne peut qu'entraîner une détérioration de la qualité du service rendu.

Si je me félicite de la remontée en puissance permise par la loi de programmation militaire, en particulier en faveur de l'amélioration des conditions de vie des militaires, je m'abstiendrai de voter le budget compte tenu des incertitudes quant aux besoins en crédits au-delà de 2022.

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