Intervention de Jean-Jacques Ferrara

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Ferrara, rapporteur pour avis (Préparation et à l'emploi des forces aériennes) :

Avant de vous exposer mon appréciation de l'évolution des crédits de l'armée de l'air et de l'espace proposés par le Gouvernement pour 2022, j'aimerais revenir en quelques mots sur les évolutions que celle-ci a connues depuis 2017. L'armée de l'air a ainsi changé de nom en 2020 pour devenir l'armée de l'air et de l'espace. Et bien qu'il ne soit pas encore aussi « grand » que le Président de la République l'avait souhaité, le commandement de l'espace poursuit sa montée en puissance.

Ses capacités ont fortement évolué : le couple A400M/MRTT a montré toute sa pertinence, tant au cours de la crise sanitaire qu'en Afghanistan, au Sahel ou au Levant. Les drones Reaper ont été armés, et leurs capacités accrues avec la mise en service opérationnelle du Reaper Block 5. Nos moyens spatiaux ont été modernisés et, sur terre, les radars de détection en partie renouvelés. Dans le même temps, les Mirage 2000N ont été retirés du service, de même qu'une partie des vieux ravitailleurs C-135, livrés du temps du Général de Gaulle.

Mais tout ne va pas pour le mieux : la flotte d'avions de transport présente encore de nombreuses fragilités, les hélicoptères sont vieillissants, nous manquons cruellement de capacités de défense sol-air et les avions de combat restent peu nombreux.

L'organisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) a été profondément revue avec la création de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), venue remplacer la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD). La nouvelle démarche de globalisation et de verticalisation des contrats de maintenance commence à porter ses fruits, même si la disponibilité demeure insuffisante, notamment celle des hélicoptères ou des C-130 Hercules.

Le contexte opérationnel a également évolué. Au Levant, sur les 2 500 frappes effectuées depuis les bases aériennes d'Al Dhafra et H5 depuis 2014, à peine une soixantaine ont eu lieu ces deux dernières années. Au Sahel, les drones Reaper jouent un rôle déterminant en matière de renseignement comme de frappe, dont ils assurent une part croissante. La reconfiguration de l'opération Barkhane aura d'ailleurs peu d'impact sur l'armée de l'air et de l'espace, amenée à rester fortement engagée au Sahel, en particulier depuis la base aérienne projetée de Niamey.

L'armée de l'air et de l'espace est donc au rendez-vous des opérations, qu'il s'agisse de poursuivre les engagements ancrés dans le temps, de conduire un raid en Syrie lors de l'opération Hamilton, d'évacuer plus de 2 800 personnes de Kaboul, de porter secours à nos compatriotes des outre-mer frappés par l'ouragan Irma, de procéder à des évacuations sanitaires et de transporter du matériel médical dans le cadre de l'opération Résilience.

Ces rappels permettent d'apprécier l'évolution des crédits alloués à la préparation des forces aériennes. Pour 2022, ils s'élèvent à 3,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement (moins 56,9 %) et à 2,6 milliards en crédits de paiement (plus 6,07 %). La très forte baisse des AE s'explique par le fait que la démarche de verticalisation et de globalisation des contrats de MCO a atteint son pic en 2021, avec notamment la signature du contrat Boléro, relatif au moteur M88 du Rafale, et celle, prochaine, du contrat Balzac qui couvrira l'entretien des Mirage 2000 jusqu'à leur retrait de service. Les ressources affectées à l'entretien programmé des flottes aériennes s'élèvent à près de 3 milliards en AE et à 1,75 milliard en CP, des sommes considérables : en trois ans, ce sont 16,4 milliards qui auront été engagés. Il nous faudra veiller à ce que cette réforme porte réellement ses fruits.

En outre, les ressources allouées aux équipements d'accompagnement sont en augmentation ; 90 millions permettront de financer des travaux d'infrastructures – bâtiment du commandement de l'espace à Toulouse, préparation de l'arrivée des deux escadrons de Rafale à Orange.

Les ressources allouées à l'armée de l'air et de l'espace pour l'année 2022 me semblent donc plutôt satisfaisantes, et je ne vois pas de raison de m'opposer à leur adoption.

Je reste pourtant préoccupé. La trajectoire prévue par la LPM pour les dernières années de la programmation sera-t-elle respectée ? L'essentiel de l'effort financier porte sur la période 2023-2025 et si nous avons réussi à accroître le budget de la défense d'1,7 milliard d'euros par an, je crains que nos marges budgétaires, éprouvées par la crise sanitaire, ne permettent pas de l'augmenter encore de 3 milliards l'an prochain.

Je m'inquiète aussi des effets de l'ajustement annuel 2021 de la programmation militaire (A2PM) et de l'actualisation de la programmation militaire sur la trajectoire. L'A2PM a conduit à intégrer, sous enveloppe constante, les mesures du plan de soutien au secteur aéronautique ainsi que les douze Rafale commandés par la ministre en début d'année. Toujours sous enveloppe constante, de nouvelles priorités ont été intégrées, si bien que l'addition atteint plusieurs milliards et que nous ne savons toujours pas – du moins pas moins – par quelles économies ces dépenses seront compensées.

Nous avons seulement appris le retrait anticipé des Transall et d'ailleurs, les conséquences de cette décision, dans l'attente du programme Archange, m'inquiètent. En matière de renseignement d'origine électromagnétique, les C-160 Gabriel, par ailleurs appréciés de nos alliés, apportaient une capacité spécifique à laquelle les satellites ou les drones ne peuvent totalement se substituer. Quels autres renoncements ou ruptures capacitaires avons-nous dû accepter ?

Je m'inquiète aussi de la baisse du nombre d'heures de vol accordées pour la formation et l'entraînement des pilotes – la crise sanitaire a fait perdre à l'aviation de chasse 34 000 heures de vol, une dette organique qui ne pourra être résorbée. En 2022 seront programmées 162 heures par équipage, loin de la norme de 180 heures fixée par l'OTAN.

J'en viens à présent à ma partie thématique. En 2017, j'avais étudié l'impact du niveau d'engagement sur la préparation opérationnelle, l'usure des matériels et des hommes ainsi que le format de l'aviation de combat. Quatre ans et cinq rapports plus tard, j'ai souhaité mesurer le chemin parcouru et identifier les tensions qui continuent de peser sur la chasse française. Je me concentrerai sur deux points.

En premier lieu, les conséquences du succès à l'export du Rafale. Sur les 18 Rafale achetés à ce jour par la Grèce, 12 sont des avions d'occasion, tout comme les 12 avions que la Croatie doit acquérir : ce sont donc 24 Rafale qui seront prélevés sur le parc de l'armée de l'air et de l'espace, qui en compte 102. D'ici à la fin 2024, 27 Rafale seront livrés, suivis par 12 autres en 2025 pour compenser la commande grecque. Fin 2025, l'armée de l'air comptera donc 117 Rafale au lieu des 129 prévus par la LPM. J'ai bien noté que la ministre s'était engagée à passer une commande de 12 Rafale pour compenser la cession des appareils d'occasion à la Croatie, mais quand ? Ces incertitudes m'inquiètent d'autant plus que Florence Parly a récemment laissé entendre au Sénat que les Rafale remis à niveau grâce au produit de la cession croate pourraient être assimilés à des appareils de compensation… J'estime indispensable de procéder dès à présent à une commande ferme de 12 Rafale et je déposerai un amendement en ce sens en séance publique.

En outre, il convient d'identifier dès à présent les moyens de compenser les effets immédiats de ces prélèvements. Car il faut continuer à assurer les missions et à former les futurs équipages. Plusieurs pistes sont à l'étude : rehaussement capacitaire des Rafale – livraison de pods, de brouilleurs ou de radars à antennes actives –, amélioration de leur disponibilité, contribution de la marine aux missions assurées par l'armée de l'air et de l'espace – prise en charge d'un plot de police du ciel, délivrance de formations, réalisation de certaines opérations.

L'aviation de combat s'apprête à traverser une période difficile d'ici à 2025 – retrait annoncé des Mirage 2000-C, immobilisation annuelle d'une douzaine de Mirage 2000-D, besoins renforcés en appareils pour assurer la formation des pilotes étrangers, travaux de définition des futurs standards.

Avant d'être en mesure de gagner la guerre en 2040 – l'horizon du SCAF (système de combat aérien du futur) –, il faudrait être en mesure de la gagner en 2035… Le Rafale, qui évoluera dans des environnements toujours plus contestés en raison de l'amélioration constante des dispositifs de défense sol-air et de brouillage, devra être doté de moyens de connectivité, de systèmes guerre de navigation (Navwar) performants et éventuellement de moyens efficaces de suppression des défenses aériennes adverses. Les premières réflexions autour du standard F5 sont en cours mais veillons à ne pas oublier l'avant-SCAF !

D'autres défis pour l'aviation de combat, que je ne peux évoquer ici faute de temps, figurent dans mon rapport.

Je vous remercie de m'avoir accordé votre confiance tout au long de cette législature. Je remercie les services de la commission pour l'aide qu'ils m'ont apportée. Enfin, je remercie une personne que je ne nommerai pas, mais elle se reconnaîtra dans ces mots de René Char à Albert Camus : « Il est des rencontres fertiles qui valent bien des aurores. »

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