Intervention de Christophe Lejeune

Réunion du mercredi 20 octobre 2021 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Lejeune, rapporteur pour avis (Équipement des forces et Dissuasion) :

Avec plus de 17 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 14,5 milliards en crédits de paiement, le programme 146 Équipement des forces se voit affecter plus de la moitié des nouveaux crédits alloués à la mission Défense. Levons donc immédiatement le suspense : j'émettrai un avis favorable à leur adoption ! Ces ressources supplémentaires permettront de poursuivre le vaste plan de réarmement engagé depuis 2017, qui a vu le budget de la défense passer de 32,3 à 40,9 milliards, et celui du programme 146 de 10,05 à 14,5 milliards, soit une hausse de 45 % en cinq ans.

L'année 2022 verra en particulier la livraison d'un Rafale – le premier depuis 2016 –, de deux A400M, de trois A330-MRTT Phénix, de 20 fusils brouilleurs de drones, d'une FREMM de défense aérienne, du deuxième sous-marin du programme Barracuda – le Duguay-Trouin –, de 245 nouveaux véhicules du programme SCORPION – Griffon, Jaguar et Serval – et de 14 drones tactiques. Dans le domaine spatial, un satellite d'écoutes électromagnétiques CERES, un satellite d'observation MUSIS et un satellite de communication Syracuse IV seront lancés.

Au rang des commandes, je mentionnerai les 400 blindés du programme SCORPION, les 50 chars Leclerc, la rénovation de quatre C-130 Hercules et les travaux d'infrastructure pour accueillir à Toulouse le commandement de l'espace.

Chaque jour, nos armées se modernisent ; il faut s'en féliciter car, en 2017, la France n'était plus suffisamment armée face à l'accélération des désordres du monde. Malgré l'actualisation de la loi de programmation militaire de 2015, les armées avaient été fortement éprouvées par les effets délétères de la revue générale des politiques publiques (RGPP) et plus largement par des années de naïveté et de renoncements. Je n'accuse personne, les « dividendes de la paix » en ont aveuglé plus d'un…

La LPM prévoit 295 milliards d'investissement sur la période 2019-2025. Ceux-ci ont un impact sur l'économie de notre pays : l'activité des entreprises de la BITD, la base industrielle et technologique de défense, génère environ 200 000 emplois directs et indirects et les dépenses de défense alimentent des industriels français, dont la production comme les sous-traitants sont français et répartis sur nos territoires.

Mais rien n'est encore gagné et, comme l'a dit la ministre, nous n'en sommes qu'à la moitié du chemin.

L'année 2021 a apporté quelques motifs de satisfaction : les retards de production dus à la crise sanitaire seront quasiment tous rattrapés d'ici à décembre, grâce à l'action de la DGA et à la mobilisation des industriels. L'export repart : malgré l'affaire australienne, les succès du Rafale, des canons CAESAR, des frégates de défense et d'intervention (FDI) ou de l'A400M dessinent une tendance salutaire. Tombé à moins de 5 milliards d'euros en 2020, le montant des exportations pourrait retrouver dès cette année son niveau de 2019.

D'autres points méritent davantage d'attention. Compte tenu des défis, il ne faudra pas mollir et poursuivre l'effort de réarmement au-delà de 2022, voire l'accentuer. Le général Lecointre avait pour habitude de dire que, malgré la LPM, notre armée resterait une armée de temps de paix. Alors que les menaces prolifèrent et qu'il faut se préparer à l'hypothèse d'un conflit de haute intensité, la France devra poursuivre le rehaussement de ses capacités militaires et continuer de se préparer à des affrontements dans les nouveaux domaines de conflictualité que sont l'espace, le cyber ou les grands fonds marins.

Dans ce contexte, l'approfondissement de l'Europe de la défense est plus que jamais une nécessité. Or, je m'inquiète de l'état de notre coopération avec les Britanniques, en particulier des tensions sur le programme futur missile antinavire / futur missile de croisière (FMAN/FMC). La coopération franco-allemande n'est pas sans soulever certaines interrogations : si les choses avancent bien sur l'Eurodrone ou le SCAF, elles sont plus laborieuses concernant le char du futur (MGCS), voire suspendue ou à l'arrêt s'agissant de l'hélicoptère de combat Tigre Mk3 et de l'avion de patrouille maritime.

Heureusement, les choses sont plus sereines avec la Belgique, l'Espagne, l'Italie et la Grèce, avec laquelle nous avons même signé un partenariat stratégique, ce dont nous pouvons nous féliciter. Les équilibres de la LPM s'appuyant fortement sur une politique volontariste de coopération européenne, il nous faut continuer à œuvrer en faveur d'une Europe de la défense tant capacitaire qu'opérationnelle.

Cette année, j'ai choisi de consacrer la partie thématique de mon rapport à la modernisation et au renouvellement de la dissuasion nucléaire, tout juste cinq ans après la publication du rapport de Jean-Jacques Bridey et Jacques Lamblin sur les enjeux technologiques et industriels du renouvellement des deux composantes. En chiffres, le renouvellement de ces composantes fait l'objet d'un financement de 25 milliards d'euros sur les quatre premières années de la LPM ; 5,29 milliards sont inscrits en projet de loi de finances pour 2022, soit 12,6 % des crédits de la mission Défense. Encore ces données ne traduisent-elles que l'effort de la nation au titre de l'agrégat budgétaire Dissuasion ; d'autres crédits y contribuent, notamment au travers des programmes Rafale et Airbus A330 MRTT ou encore du porte-avions.

La modernisation et le renouvellement de nos composantes sont évidemment déjà en cours.

La composante aéroportée fait l'objet du programme d'ensemble Horus. Les travaux engagés portent d'abord sur la rénovation du missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A). Un tir d'essai a été réalisé le 9 décembre 2020 et un tir de qualification devrait avoir lieu en 2022. Des réflexions ont été engagées au sujet du missile air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G), son successeur à l'horizon 2035. La solution technologique retenue devrait être entérinée prochainement et la phase de réalisation serait lancée en 2025.

Le programme d'ensemble Cœlacanthe est consacré à la composante océanique. La conception et la production du troisième incrément du missile nucléaire M51 ont été lancées, et un tir d'essai du missile sans charge militaire a été effectué avec succès le 28 avril 2021. Il en va de même des travaux relatifs au SNLE de troisième génération (SNLE 3G), engagés à la suite de l'annonce du lancement en réalisation du programme par la ministre, le 19 février dernier.

S'agissant enfin de la troisième composante, c'est-à-dire les transmissions nucléaires, le programme Hermès se poursuit, avec la modernisation des centres de transmission des deux composantes et la réalisation du programme Anubis, successeur du réseau maillé durci (RAMSES).

Ces programmes suivent leur cours de manière satisfaisante, mais je relève tout de même quatre points, sinon de préoccupation, au moins de vigilance. Premièrement, le maintien des compétences. À titre d'exemple je m'interroge sur les conséquences de la situation d'ArianeGroup sur l'entretien des compétences nécessaires notamment à l'évolution du M51. D'autant plus que si ArianeGroup s'oriente vers des lanceurs réutilisables, elle privilégiera un système de propulsion liquide pour l'évolution du lanceur Ariane alors que le M51 demeurera à propulsion solide.

Deuxièmement, concernant le futur porteur de la composante aéroportée, on parle beaucoup du SCAF, mais moins du standard du Rafale à l'horizon 2035. Or il devra évoluer face à des systèmes de défense sol-air plus performants tels les systèmes S-500 russes et équivalents, et dans des environnements extrêmement brouillés. En outre, même si le calendrier du SCAF était respecté, il est peu probable que l'avion de combat NGF assure l'alerte nucléaire avant la fin de la décennie 2040. Veillons donc à financer le développement d'un standard F5 du Rafale au meilleur niveau.

Troisièmement, il importe de continuer à anticiper les futures ruptures technologiques, comme les systèmes d'armes présents et futurs de planeurs hypersoniques, d'autant que la Chine aurait, selon la presse, testé une telle arme en août dernier.

Quatrièmement, l'évolution de l'environnement politique, médiatique et diplomatique sur la question nucléaire doit être suivie avec la plus grande attention, en particulier la renégociation du traité New Start de réduction des armes stratégiques, en vigueur jusqu'au 5 février 2026. En outre, nombre de mes interlocuteurs m'ont alerté quant aux risques de répercussion sur le nucléaire militaire des débats sur la place du nucléaire civil. Si la France décidait de s'en détourner, elle ne serait sans doute pas en mesure d'entretenir sur le long terme les compétences nécessaires au maintien d'une filière de propulsion nucléaire. Je suis convaincu de la nécessité de débattre de la place du nucléaire, et plus encore qu'il s'agit d'une solution d'avenir.

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