Intervention de Geneviève Darrieussecq

Réunion du mardi 9 novembre 2021 à 18h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès de la ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants :

Je vous remercie, Madame la présidente, pour votre mot concernant le Bleuet, belle œuvre de solidarité qui permet effectivement d'apporter un soutien aux blessés, aux anciens combattants et aux pupilles de la Nation : nous devons tous la promouvoir et être généreux.

Je vais vous parler de reconnaissance envers ceux qui ont servi la France, d'exigence de vérité et d'approfondissement de l'œuvre de réparation et de solidarité en faveur des anciens harkis et de leurs enfants.

Nous partageons tous le même constat : la déchirure vécue par les anciens supplétifs et par leurs familles reste une blessure dans notre mémoire nationale. C'est pour cela que le Président de la République a prononcé, le 20 septembre dernier, un discours fort, qui s'inscrivait dans une continuité mais marquait aussi une rupture. En poursuivant le chemin de reconnaissance tracé par ses prédécesseurs, en reconnaissant à nouveau la dette de la Nation à l'égard des harkis mais également la responsabilité de la France dans leurs conditions d'accueil indignes, le chef de l'État a ouvert un temps nouveau : celui du pardon. C'est un engagement de la République que je vous propose d'honorer en travaillant ensemble.

L'histoire des harkis est l'histoire de destins français, l'histoire du choix de la France, l'histoire d'une fidélité déçue et d'une fraternité en quelque sorte brisée. Vous la connaissez : vous avez écouté des témoignages, vous avez consulté des historiens et vous avez échangé avec des harkis dans vos territoires.

De 1954 à 1962, les harkis ont loyalement et fidèlement servi la France durant la guerre d'Algérie. Près de 200 000 d'entre eux ont combattu dans une grande variété de corps, de situations, d'affectations et d'opérations. Des services nombreux et indispensables ont ainsi été rendus aux armes de notre pays. Ce projet de loi rend un hommage mérité, celui de la Nation, à des soldats dévoués.

Après le 19 mars 1962 et l'indépendance, les harkis qui étaient parvenus à échapper aux exactions ont connu le déchirement et l'exil. Tous ont quitté une terre aimée, celle de leurs ancêtres, de leurs foyers et de leurs traditions. Environ 90 000 harkis sont arrivés en France. En posant le pied sur les quais marseillais, c'est un univers inconnu qu'ils ont découvert avec leurs familles, un monde qui ne leur tendait pas les bras : près de la moitié d'entre eux a été reléguée, parfois durant des années, dans des camps et des hameaux de forestage.

Leurs conditions de vie y ont été particulièrement indignes : il ne faut pas l'oublier. Ils ont connu le déracinement, la précarité, les vexations et la marginalisation. Beaucoup ont été au quotidien confrontés aux barbelés, à l'enfermement, à l'arbitraire, au froid, à la faim, au rationnement, aux carences alimentaires, à l'absence d'hygiène, aux maladies, à la promiscuité et à l'absence d'intimité. Il ne faut pas non plus oublier les humiliations, les abus et les détournements de prestations.

Nombre d'entre eux ont été détruits par l'ennui et, surtout, par des traumatismes insurmontables. Plusieurs milliers d'enfants ont été déscolarisés, mal accueillis et mal instruits. Cette injustice eut des conséquences durables : des retards dans l'apprentissage du français, une perte manifeste de chance et des difficultés d'intégration sociale et professionnelle.

Une telle mise au ban de la société a été à juste titre vécue comme une trahison. C'est une page noire pour la France qui a manqué à son devoir d'accueil envers ceux qui l'avaient loyalement servie. Telle est la singularité de la tragédie harkie. C'était en France, c'était hier. Toutes ces humiliations et toutes ces meurtrissures sont toujours présentes.

Conscient de ces souffrances et de leurs conséquences, notre pays a été depuis plusieurs décennies aux côtés des harkis sur la voie de la justice et de la réparation. Pour cela, l'État a mis en place des dispositifs spécifiques. Il continue à les actualiser et poursuit le travail de mémoire.

Toutes ces actions de mémoire et toutes ces mesures de réparation ont été intensifiées depuis 2017.

Nous avons avancé de façon très significative pour la première génération, c'est-à-dire les combattants, avec la plus forte augmentation des allocations de reconnaissance et viagères depuis leur création.

Pour la deuxième génération, c'est-à-dire les enfants de harkis, un dispositif d'aide destiné à ceux passés par les camps et les hameaux de forestage a été déployé. Il aide un nombre sans cesse plus grand d'entre eux à faire face à des dépenses d'insertion, de santé ou de logement. Près de 2 000 enfants de harkis ont ainsi été aidés, et ce travail continuera bien sûr en 2022.

Nous avons également développé le réseau des lieux de mémoire harkis en l'enrichissant de plaques, de stèles et de panneaux. La Maison d'histoire et de mémoire d'Ongles, seul lieu de mémoire uniquement dédié à l'histoire des harkis et de leurs proches, a été soutenue par le ministère des armées et pérennisée.

Le Président de la République a souhaité aller plus loin et inscrire dans le marbre de nos lois la reconnaissance et la réparation. Je suis fière de défendre ce projet de loi particulièrement attendu par la communauté harkie, les associations, les enfants de harkis et les ayants droit.

Il permettra pleinement à la représentation nationale d'acter la reconnaissance de l'accueil indigne fait en métropole, de tracer un nouveau chemin en matière de réparation et de déterminer les mécanismes et les conditions y ouvrant droit.

Pour la première fois, la nation française reconnaît par ce texte sa responsabilité dans les conditions d'accueil indignes, précaires et dégradantes des anciens membres des formations supplétives sur notre territoire postérieurement aux accords d'Évian du 19 mars 1962.

Le projet de loi précise le périmètre de la réparation des préjudices subis : elle prendra la forme d'une indemnisation forfaitaire et individualisée selon la durée de séjour dans les structures concernées. Les mesures de réparation accordées bénéficieront d'exonérations fiscales.

Le texte instaure une commission nationale de reconnaissance et de réparation auprès de l'ONACVG, qui sera chargée de statuer sur les demandes de réparation après instruction par les services de l'Office.

Parce que le travail de mémoire est essentiel, la commission mènera également une mission mémorielle afin de recueillir, de conserver et de transmettre la parole des harkis, de leurs enfants et de leurs épouses qui ont vécu dans des conditions difficiles au sein des camps et des hameaux de forestage.

Enfin, le projet de loi actualise les dispositifs préexistants et les renforce, pour assurer davantage d'équité. Il rend ainsi plus favorable le régime de l'allocation viagère en supprimant les forclusions, ce qui permettra de rouvrir l'octroi de cette allocation au conjoint survivant qui n'avait pas présenté de demande dans le délai légal.

Parallèlement, l'accès à l'allocation viagère est étendu aux personnes dont les conjoints décédés avaient fixé leur domicile dans un autre État membre de l'Union européenne et aux veuves des personnes assimilées aux membres des formations supplétives.

Vous le constatez, le présent projet de loi parachève la reconnaissance institutionnelle de cette tragédie française et organise la réparation par l'État. Nous souhaitons en outre accomplir un geste fort à l'égard de l'ensemble des harkis combattants et de leurs veuves : nous avons décidé de doubler les montants de l'allocation de reconnaissance et de l'allocation viagère, qui avaient déjà fait l'objet d'importantes revalorisations. Cette mesure ne figure pas dans le projet de loi, car elle relève d'un texte réglementaire, plus précisément d'un arrêté.

Par l'ensemble de ces mesures, nous traduisons en actes le discours d'honneur et de vérité prononcé par le Président de la République, véritable tournant historique dans la reconnaissance. Si rien ne peut changer le passé, ni ne fera disparaître la douleur et les traumatismes, nous contribuons aujourd'hui à reconnaître les fautes de notre République, à les compenser au mieux et, surtout, à faire œuvre de fraternité.

Néanmoins, notre travail ne s'achèvera pas avec cette loi, car le travail de mémoire doit être constamment amplifié, argumenté, approfondi. Comme je l'ai affirmé tout à l'heure lors des questions au Gouvernement, pour qu'il y ait une reconnaissance de la part du peuple français, il faut qu'il y ait une connaissance de l'histoire des harkis. Or celle-ci est mal connue. Nous devons donc nous engager pour mieux la faire connaître, à un maximum de Français. C'est un objectif majeur, d'autant qu'il s'agit de l'histoire de notre société actuelle et de sa composition.

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