La séance est ouverte à dix-huit heures dix.
Nous sommes réunis pour examiner, sur le rapport de Mme Patricia Mirallès, vice-présidente de la commission, le projet de loi portant reconnaissance de la Nation et réparation des préjudices subis par les harkis, par les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et par leurs familles du fait des conditions de leur accueil sur le territoire français.
L'examen du texte se déroulera en deux temps : l'audition de la ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants, et la discussion générale auront lieu aujourd'hui ; puis nous examinerons demain les articles du projet de loi. Moins de quarante amendements ayant été déposés, la matinée devrait suffire. Le texte a été inscrit à l'ordre du jour de la séance publique du 18 novembre.
Nous avons procédé la semaine dernière à trois auditions : la commission a ainsi entendu des historiens spécialistes de la guerre d'Algérie et de l'histoire de harkis ; le préfet Dominique Ceaux, président du groupe de travail qui a donné lieu au rapport « Aux harkis, la France reconnaissante » avec la directrice générale de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) ; et enfin des représentants de harkis : M. Serge Carel, M. Mohand Hamoumou, Mme Dalila Kerchouche et Mme Claire Tassadit Houd. Ces auditions ont été des moments de vérité et de très grande émotion, qui ont rappelé à chacun d'entre nous à quel point ce projet de loi de reconnaissance et de réparation était à la fois attendu, nécessaire et même indispensable.
À l'approche du 11 novembre, je rappelle aussi qu'il est important de soutenir l'Œuvre nationale du Bleuet de France, qui complète les actions de solidarité mises en œuvre par l'État en faveur des militaires d'active et des ressortissants de l'ONACVG : je vous recommande d'acheter, de porter et de distribuer son insigne, le bleuet, en l'honneur de tous les morts pour la France d'hier et d'aujourd'hui, des militaires blessés en opérations, des victimes d'actes de terrorisme et des pupilles de la Nation. Il est de notre responsabilité en tant que parlementaires de montrer l'exemple en arborant ce symbole.
Il faut également garder à l'esprit que le présent projet de loi s'adresse d'abord à des anciens combattants. Les Français ne le savent peut-être pas toujours : la connaissance de cette partie de notre histoire est parfois un peu incomplète.
Je vous remercie, Madame la présidente, pour votre mot concernant le Bleuet, belle œuvre de solidarité qui permet effectivement d'apporter un soutien aux blessés, aux anciens combattants et aux pupilles de la Nation : nous devons tous la promouvoir et être généreux.
Je vais vous parler de reconnaissance envers ceux qui ont servi la France, d'exigence de vérité et d'approfondissement de l'œuvre de réparation et de solidarité en faveur des anciens harkis et de leurs enfants.
Nous partageons tous le même constat : la déchirure vécue par les anciens supplétifs et par leurs familles reste une blessure dans notre mémoire nationale. C'est pour cela que le Président de la République a prononcé, le 20 septembre dernier, un discours fort, qui s'inscrivait dans une continuité mais marquait aussi une rupture. En poursuivant le chemin de reconnaissance tracé par ses prédécesseurs, en reconnaissant à nouveau la dette de la Nation à l'égard des harkis mais également la responsabilité de la France dans leurs conditions d'accueil indignes, le chef de l'État a ouvert un temps nouveau : celui du pardon. C'est un engagement de la République que je vous propose d'honorer en travaillant ensemble.
L'histoire des harkis est l'histoire de destins français, l'histoire du choix de la France, l'histoire d'une fidélité déçue et d'une fraternité en quelque sorte brisée. Vous la connaissez : vous avez écouté des témoignages, vous avez consulté des historiens et vous avez échangé avec des harkis dans vos territoires.
De 1954 à 1962, les harkis ont loyalement et fidèlement servi la France durant la guerre d'Algérie. Près de 200 000 d'entre eux ont combattu dans une grande variété de corps, de situations, d'affectations et d'opérations. Des services nombreux et indispensables ont ainsi été rendus aux armes de notre pays. Ce projet de loi rend un hommage mérité, celui de la Nation, à des soldats dévoués.
Après le 19 mars 1962 et l'indépendance, les harkis qui étaient parvenus à échapper aux exactions ont connu le déchirement et l'exil. Tous ont quitté une terre aimée, celle de leurs ancêtres, de leurs foyers et de leurs traditions. Environ 90 000 harkis sont arrivés en France. En posant le pied sur les quais marseillais, c'est un univers inconnu qu'ils ont découvert avec leurs familles, un monde qui ne leur tendait pas les bras : près de la moitié d'entre eux a été reléguée, parfois durant des années, dans des camps et des hameaux de forestage.
Leurs conditions de vie y ont été particulièrement indignes : il ne faut pas l'oublier. Ils ont connu le déracinement, la précarité, les vexations et la marginalisation. Beaucoup ont été au quotidien confrontés aux barbelés, à l'enfermement, à l'arbitraire, au froid, à la faim, au rationnement, aux carences alimentaires, à l'absence d'hygiène, aux maladies, à la promiscuité et à l'absence d'intimité. Il ne faut pas non plus oublier les humiliations, les abus et les détournements de prestations.
Nombre d'entre eux ont été détruits par l'ennui et, surtout, par des traumatismes insurmontables. Plusieurs milliers d'enfants ont été déscolarisés, mal accueillis et mal instruits. Cette injustice eut des conséquences durables : des retards dans l'apprentissage du français, une perte manifeste de chance et des difficultés d'intégration sociale et professionnelle.
Une telle mise au ban de la société a été à juste titre vécue comme une trahison. C'est une page noire pour la France qui a manqué à son devoir d'accueil envers ceux qui l'avaient loyalement servie. Telle est la singularité de la tragédie harkie. C'était en France, c'était hier. Toutes ces humiliations et toutes ces meurtrissures sont toujours présentes.
Conscient de ces souffrances et de leurs conséquences, notre pays a été depuis plusieurs décennies aux côtés des harkis sur la voie de la justice et de la réparation. Pour cela, l'État a mis en place des dispositifs spécifiques. Il continue à les actualiser et poursuit le travail de mémoire.
Toutes ces actions de mémoire et toutes ces mesures de réparation ont été intensifiées depuis 2017.
Nous avons avancé de façon très significative pour la première génération, c'est-à-dire les combattants, avec la plus forte augmentation des allocations de reconnaissance et viagères depuis leur création.
Pour la deuxième génération, c'est-à-dire les enfants de harkis, un dispositif d'aide destiné à ceux passés par les camps et les hameaux de forestage a été déployé. Il aide un nombre sans cesse plus grand d'entre eux à faire face à des dépenses d'insertion, de santé ou de logement. Près de 2 000 enfants de harkis ont ainsi été aidés, et ce travail continuera bien sûr en 2022.
Nous avons également développé le réseau des lieux de mémoire harkis en l'enrichissant de plaques, de stèles et de panneaux. La Maison d'histoire et de mémoire d'Ongles, seul lieu de mémoire uniquement dédié à l'histoire des harkis et de leurs proches, a été soutenue par le ministère des armées et pérennisée.
Le Président de la République a souhaité aller plus loin et inscrire dans le marbre de nos lois la reconnaissance et la réparation. Je suis fière de défendre ce projet de loi particulièrement attendu par la communauté harkie, les associations, les enfants de harkis et les ayants droit.
Il permettra pleinement à la représentation nationale d'acter la reconnaissance de l'accueil indigne fait en métropole, de tracer un nouveau chemin en matière de réparation et de déterminer les mécanismes et les conditions y ouvrant droit.
Pour la première fois, la nation française reconnaît par ce texte sa responsabilité dans les conditions d'accueil indignes, précaires et dégradantes des anciens membres des formations supplétives sur notre territoire postérieurement aux accords d'Évian du 19 mars 1962.
Le projet de loi précise le périmètre de la réparation des préjudices subis : elle prendra la forme d'une indemnisation forfaitaire et individualisée selon la durée de séjour dans les structures concernées. Les mesures de réparation accordées bénéficieront d'exonérations fiscales.
Le texte instaure une commission nationale de reconnaissance et de réparation auprès de l'ONACVG, qui sera chargée de statuer sur les demandes de réparation après instruction par les services de l'Office.
Parce que le travail de mémoire est essentiel, la commission mènera également une mission mémorielle afin de recueillir, de conserver et de transmettre la parole des harkis, de leurs enfants et de leurs épouses qui ont vécu dans des conditions difficiles au sein des camps et des hameaux de forestage.
Enfin, le projet de loi actualise les dispositifs préexistants et les renforce, pour assurer davantage d'équité. Il rend ainsi plus favorable le régime de l'allocation viagère en supprimant les forclusions, ce qui permettra de rouvrir l'octroi de cette allocation au conjoint survivant qui n'avait pas présenté de demande dans le délai légal.
Parallèlement, l'accès à l'allocation viagère est étendu aux personnes dont les conjoints décédés avaient fixé leur domicile dans un autre État membre de l'Union européenne et aux veuves des personnes assimilées aux membres des formations supplétives.
Vous le constatez, le présent projet de loi parachève la reconnaissance institutionnelle de cette tragédie française et organise la réparation par l'État. Nous souhaitons en outre accomplir un geste fort à l'égard de l'ensemble des harkis combattants et de leurs veuves : nous avons décidé de doubler les montants de l'allocation de reconnaissance et de l'allocation viagère, qui avaient déjà fait l'objet d'importantes revalorisations. Cette mesure ne figure pas dans le projet de loi, car elle relève d'un texte réglementaire, plus précisément d'un arrêté.
Par l'ensemble de ces mesures, nous traduisons en actes le discours d'honneur et de vérité prononcé par le Président de la République, véritable tournant historique dans la reconnaissance. Si rien ne peut changer le passé, ni ne fera disparaître la douleur et les traumatismes, nous contribuons aujourd'hui à reconnaître les fautes de notre République, à les compenser au mieux et, surtout, à faire œuvre de fraternité.
Néanmoins, notre travail ne s'achèvera pas avec cette loi, car le travail de mémoire doit être constamment amplifié, argumenté, approfondi. Comme je l'ai affirmé tout à l'heure lors des questions au Gouvernement, pour qu'il y ait une reconnaissance de la part du peuple français, il faut qu'il y ait une connaissance de l'histoire des harkis. Or celle-ci est mal connue. Nous devons donc nous engager pour mieux la faire connaître, à un maximum de Français. C'est un objectif majeur, d'autant qu'il s'agit de l'histoire de notre société actuelle et de sa composition.
Vos paroles sont déterminées et touchantes, Madame la ministre déléguée. Merci pour les harkis et pour leurs familles.
« Au nom de la France, je dis aux harkis et à leurs enfants, à voix haute et solennelle, que la République a alors contracté à leur égard une dette. Aux combattants, je veux dire notre reconnaissance. Nous n'oublierons pas. Aux combattants abandonnés, à leurs familles qui ont subi les camps, la prison, le déni, je demande pardon, nous n'oublierons pas. […] Le Gouvernement portera, avant la fin de l'année, un projet visant à inscrire dans le marbre de nos lois la reconnaissance et la réparation à l'égard des harkis. »
Tels furent les mots prononcés par le Président de la République le 20 septembre dernier. Très forts, ils ont été appréciés comme tels par les harkis et leurs familles. Le projet de loi que j'ai l'honneur de rapporter est la traduction concrète de cet engagement.
Comme vous le savez, beaucoup a déjà été fait sous la présente législature pour améliorer les conditions de vie des harkis et de leurs familles, et je tiens à vous en remercier, Madame la ministre déléguée. Un fonds social destiné aux enfants de harkis a été créé par un décret du 28 décembre 2018. Depuis 2017, l'allocation de reconnaissance et l'allocation viagère ont également été revalorisées de manière très significative : de 600 euros.
Si ces mesures étaient nécessaires pour améliorer le sort matériel des harkis, elles n'étaient pas suffisantes, car elles ne répondaient pas en tant que telles au sentiment qu'expriment les harkis et leurs familles depuis près de soixante ans : ils estiment que leur souffrance et le préjudice qu'ils ont subi à l'occasion de leur rapatriement et de leur accueil ne sont pas pleinement reconnus par l'État.
Cette soif de reconnaissance et de réparation est parfaitement légitime lorsque l'on sait les conditions de vie indignes et les privations qu'ont connues les harkis et leurs familles dans les structures d'accueil – qui portent si mal leur nom. Les différents témoignages que nous avons pu recueillir dans le cadre de nos travaux les ont mises en exergue : tutelle sociale exercée par des chefs de camp, restriction de la liberté de circulation, absence des conditions minimales d'hygiène et de sécurité, négation de l'identité même des personnes – auxquelles on imposait des prénoms français –, déscolarisation des enfants, internements d'office en hôpital psychiatrique, détournements des allocations familiales. Et je ne parle pas des violences et des humiliations parfois infligées aux femmes et aux enfants.
Face à ce drame subi par tant de familles, la République se devait de reconnaître sa responsabilité et de réparer le préjudice causé. Tel est l'objet de ce projet de loi, qui marque, il faut le souligner, une véritable révolution par rapport aux précédents dispositifs en faveur des harkis. En effet, la logique n'est plus ici de créer de nouvelles mesures sociales au bénéfice des plus nécessiteux ; il s'agit véritablement de rendre justice aux harkis.
En l'espèce, rendre justice consiste, premièrement, à reconnaître la faute de l'État ainsi que le préjudice subi par les harkis du fait de cette faute ; deuxièmement, à créer un mécanisme visant à réparer ce préjudice ; troisièmement, à contribuer à l'édification et à la transmission d'une mémoire des harkis.
La reconnaissance par la Nation de la faute de l'État à l'égard des harkis fait l'objet de l'article 1er du projet de loi. En la matière, les mots revêtent un poids symbolique particulièrement fort, et ils doivent être à la hauteur du drame qu'ont subi les harkis et leurs familles. C'est pourquoi je vous proposerai, à l'instar du Président de la République dans le discours que j'ai cité, d'utiliser le mot « abandonnés » plutôt que le terme « délaissés », qui me semble relever d'un euphémisme malvenu lorsqu'il s'agit de décrire le comportement de l'État à l'égard des harkis au lendemain de la guerre d'Algérie. Plusieurs d'entre vous ont déposé des amendements similaires, et je me félicite que nous nous retrouvions sur ce point, au-delà de nos appartenances politiques.
L'article 2 porte sur la réparation du préjudice subi par les harkis du fait des conditions de vie indignes qu'eux et leurs familles ont connues dans les structures qui les ont accueillis.
Conformément à la mission de rapporteure qui m'a été confiée, il me revient de vous faire part en toute transparence de la manière dont ce texte est perçu par les acteurs concernés. Les anciens combattants harkis s'accordent tous pour reconnaître la valeur du pardon, et en sont fiers. En revanche, ils ne souscrivent pas pleinement aux critères fixés par le projet de loi : seuls ceux qui ont résidé dans un camp ou un hameau de forestage pourraient être indemnisés. Les associations mettent en exergue ces limites aux mesures de réparation, alors que tous les harkis partagent une communauté de destin et, bien souvent, les mêmes souffrances.
En outre, les auditions que j'ai menées avec plusieurs d'entre vous ont révélé qu'il existe des zones grises et que la liste des structures d'accueil donnant droit à indemnisation, qui sera fixée par décret, est susceptible d'évoluer. Tel a d'ailleurs été le cas de la liste des structures retenue en 2018 au titre du fonds de solidarité pour les enfants de harkis : elle a été actualisée par décret le 4 mai 2020. C'est pourquoi je proposerai que la commission nationale de reconnaissance et de réparation créée par l'article 3 puisse, au vu de ses travaux, recommander toute évolution de la liste qu'elle jugerait souhaitable. Par ailleurs, afin de respecter la communauté de destin revendiquée par les harkis, les représentants que j'ai rencontrés m'ont suggéré de supprimer la durée minimale de séjour en vigueur pour l'attribution des aides du fonds de solidarité.
Les modalités concrètes de réparation, prévues à l'article 2, me paraissent particulièrement opportunes.
Tout d'abord, le projet de loi pose une présomption de responsabilité, principe très important qui signifie que les harkis n'auront pas à justifier de leur préjudice : pour être éligibles au mécanisme de réparation, il leur suffira de fournir la preuve d'un passage dans un camp ou un hameau de forestage. En pratique, la preuve sera apportée par un certificat de passage, que les services de l'ONACVG obtiennent assez aisément, d'après ce que nous a indiqué la directrice générale de l'Office lorsque nous l'avons auditionnée. Celle-ci nous a par ailleurs confirmé un point important : le mécanisme forfaitaire prévu permettra un traitement rapide et efficace des demandes d'indemnisation – sachant que le montant sera croissant selon la durée de séjour et qu'aucun seuil minimal n'est fixé. Selon l'étude d'impact, 50 000 personnes pourraient ainsi bénéficier du dispositif. Autre gage de crédibilité : c'est une commission indépendante, à savoir la commission nationale créée par l'article 3, qui sera chargée de statuer sur les demandes d'indemnisation.
Au-delà de la réparation financière, il était essentiel – c'est également ressorti des auditions – de répondre à l'exigence d'un devoir de mémoire envers les harkis et leur histoire. À cette fin, l'article 3 confère aussi à la commission nationale une mission de recueil des témoignages et de transmission de la mémoire des harkis et de leurs familles. Cet aspect est majeur : la reconnaissance, c'est aussi le temps de l'écoute, le recueil de la parole des harkis, pour qu'ils puissent témoigner des drames qu'ils ont vécus.
Les articles 5 et 6 prévoient l'exonération fiscale et sociale des sommes accordées à titre de réparation, ce qui est logique dans la mesure où il s'agit d'une indemnisation.
Quant à l'article 7, il procède à trois modifications de l'allocation viagère, créée en 2015, dont bénéficient spécifiquement les conjoints survivants de harkis.
Il tend d'abord à lever les forclusions en vigueur, ce qui permettra aux conjoints survivants qui ne l'avaient pas fait de déposer une demande d'allocation viagère.
Il vise ensuite à étendre le bénéfice de l'allocation aux conjoints survivants des personnes assimilées aux membres des formations supplétives. Sont visés notamment les agents contractuels de police auxiliaire, les agents de renseignement et les gardes champêtres. En principe, ils bénéficiaient déjà de l'allocation, car tel était l'esprit du législateur, mais le texte permettra d'assurer la sécurité juridique de cette extension.
Enfin, l'article 7 ouvrira l'accès à l'allocation viagère aux conjoints ayant établi leur domicile dans un autre État de l'Union européenne que la France. Sont particulièrement visées les familles ayant établi leur domicile en Allemagne.
Madame la ministre déléguée, je tiens également à saluer le doublement des allocations que vous venez d'annoncer, compte tenu du soutien précieux qu'elles représentent.
C'est avec beaucoup d'émotion et une grande fierté que je rapporte ce projet de loi, qui constitue une avancée décisive dans le processus de reconnaissance de la Nation et de réparation à l'égard des harkis. Il est aussi et surtout un témoignage de ce qu'est et doit être notre République, un système politique au sein duquel cohabitent des sensibilités variées, des parcours parfois tragiques, des vies multiples, unies par un principe fondamental de reconnaissance de l'altérité et de respect de ce qui nous distingue. Il nous revient d'ancrer dans la loi et, par ce biais, dans l'Histoire ce que sont les harkis et ce que leur doit la France.
Madame la rapporteure, je vous remercie pour votre présentation et votre engagement, tant au sein de la commission de la défense qu'en tant que citoyenne.
La commission de la défense nationale et des forces armées examine un texte en tous points historique. Ce projet de loi de reconnaissance et de réparation est indispensable pour nous permettre d'avancer sur un chemin de réconciliation des mémoires. Il me tient particulièrement à cœur car je travaille depuis de nombreuses années sur ce sujet : je suis député de la troisième circonscription du Lot-et-Garonne, qui comprend la ville de Bias, où se situe l'une des six structures d'accueil – bien que provisoire, elle existe toujours.
Le texte fait suite aux déclarations du Président de la République, du 20 septembre dernier, et répond à son engagement de voir aboutir un texte portant reconnaissance de la Nation et réparation des préjudices subis par les harkis, par les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et par leurs familles du fait des conditions de leur accueil sur le territoire français. Ce projet de loi est l'aboutissement d'un long processus, entamé dès 2001, de reconnaissance de leur abandon par la République française.
Nous sommes là aujourd'hui pour faire avancer l'Histoire, mais aussi pour mettre en lumière cet épisode peu glorieux de la France. Il importe que ce pan de notre passé soit connu de tous. C'est l'histoire de la France, de la République, notre histoire commune. En tant que représentants de la Nation, nous devons participer au devoir de mémoire.
Le projet de loi fait également suite à une proposition du rapport « Aux harkis, la France reconnaissante », remis par le préfet Ceaux en juillet 2018, qui visait à acter la pleine reconnaissance par la représentation nationale du sort fait aux harkis et à leurs familles, tant en Algérie qu'à l'occasion de leur arrivée en France – et quelle arrivée ! Le texte tend, selon les mots du Président de la République, à « inscrire dans le marbre de nos lois la reconnaissance et la réparation à l'égard des harkis ».
Plus précisément, le projet de loi reconnaît sans ambiguïté la responsabilité des autorités françaises dans les conditions indignes d'accueil des harkis sur notre territoire après les accords d'Évian. La France les a abandonnés, leur a tourné le dos, leur a lâché la main. Nous examinerons demain les différents amendements qu'a évoqués Mme la rapporteure et j'espère que, le 18 novembre, nous pourrons tous être fiers du travail accompli.
Le sort des harkis et de leurs familles est un épisode douloureux de l'histoire de France. Plusieurs dizaines de milliers d'entre eux ont été tués dans des conditions atroces après le 19 mars 1962. Entre 85 000 et 90 000 personnes, en comptant les femmes et les enfants, ont certes pu se réfugier en France, mais elles ont été accueillies – ou plutôt parquées – dans des conditions parfois indignes, ignorées de la plupart de nos compatriotes.
Le président Jacques Chirac et ses successeurs ont mis fin à l'ignorance et au silence, et entamé le processus, qui n'est pas terminé, de reconnaissance et de réparation. Je pense notamment à la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés et à la loi du 7 mars 2012 relative aux formations supplétives des forces armées, dite loi Couderc.
La réparation n'est pas complète : les auditions des représentants des associations de harkis, de descendants de harkis et de leurs familles l'ont montré. Il reste de trop nombreuses zones d'ombre. La reconnaissance des sacrifices accomplis n'a pas été suffisante. Surtout, il faut aller au fond de la réparation.
Les députés du groupe Les Républicains accueillent très favorablement le projet de loi, mais seront attentifs à ce que l'on utilise les bons mots pour décrire les atrocités qui ont été commises à l'égard des harkis et de leurs familles. C'est une condition de la réparation.
Celle-ci doit aussi se traduire par des mesures financières – cela doit être dit –, qui prennent en compte l'intégralité des périodes pendant lesquelles les harkis et leurs familles ont été parqués dans des conditions indignes en France. Le choix des dates est important : nous défendrons des amendements sur ce point. Il faut également que le montant des réparations soit suffisant.
Nous abordons l'examen de ce texte avec une position de principe favorable mais nous serons vigilants lors de la discussion des articles.
Madame la ministre déléguée, le projet de loi que vous présentez ne déroge pas à votre constant engagement durant ces cinq dernières années au sein du ministère des armées.
D'indéniables avancées ont déjà été réalisées en faveur des droits du monde combattant au cours du quinquennat d'Emmanuel Macron, notamment l'attribution de la carte du combattant à plus de 37 500 personnes ayant servi en Algérie entre juillet 1962 et juillet 1964, la revalorisation de l'allocation de reconnaissance et de l'allocation viagère, à hauteur de 600 euros annuels – il s'agit de l'évolution la plus notable depuis leur création –, et la mise en place d'un fonds de soutien de 13,6 millions d'euros destiné aux enfants de harkis, dont 2 000 d'entre eux ont déjà pu profiter depuis 2019.
L'inscription à l'ordre du jour, par le Gouvernement, d'un projet de loi portant reconnaissance de la Nation et réparation des préjudices subis par les harkis, par les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et par leurs familles du fait des conditions de leur accueil sur le territoire français participe de la volonté du Président de la République, Emmanuel Macron, de continuer à œuvrer pour toutes ces personnes dont l'honneur, la bravoure et l'engagement ont contribué, parfois au péril de leur vie et de celle des membres de leur famille, à faire de la France ce qu'elle est.
Jeudi dernier, notre commission a eu l'honneur et l'immense émotion d'auditionner plusieurs membres d'associations de harkis, notamment la Fédération nationale pour la reconnaissance des harkis. Un de ses représentants, Serge Carel, récemment décoré aux Invalides par le Président de la République, à l'âge de 84 ans, a combattu en Algérie aux côtés des troupes armées françaises. Malgré le traumatisme que de tels faits ont pu susciter chez lui, il nous a décrit les tortures qui lui ont été infligées. Ce sont autant de données que notre histoire doit conserver, autant d'éléments qui doivent nous conduire, par le biais des outils législatifs dont nous disposons, à rendre à tous les harkis maltraités, abandonnés, parfois massacrés, l'hommage et la reconnaissance qui leur sont dus, dans le cadre d'une volonté politique consensuelle. Notre émotion lorsque nous entendons et appréhendons leur vécu n'est en rien comparable à la souffrance que continuent de ressentir ces personnes, dans de nombreuses circonscriptions. Nous nous associons à leur peine et nous souhaitons leur apporter un soutien et une réponse.
Madame la ministre déléguée, pouvez-vous préciser le champ d'application du projet de loi et les conditions d'indemnisation qui sont prévues ? Comme l'annonçait le discours prononcé par le Président de la République le 20 septembre dernier, le texte réserve la réparation aux harkis et à leurs familles ayant transité par des camps et des hameaux de forestage : comment est établie la liste de ces structures ? Quels critères permettent de les définir ?
Le groupe démocrate apporte son plein soutien à ce projet de loi, essentiel pour la Nation et pour tous ceux qui, à l'image des harkis, se sont engagés pour elle. En la matière, nous faisons entièrement confiance au Gouvernement.
Dans le département de Josy Poueyto, qui est aussi le mien, les familles Abbas, Ferki ou Rafa ont fait l'histoire de la France en Algérie et ont continué à la faire en France. Il existe d'autres exemples dans chacune de nos circonscriptions. Olivier Damaisin a ainsi rappelé ce qu'a été la souffrance des harkis et de leurs familles dans le Lot-et-Garonne. En Aquitaine – votre région d'origine, Madame la ministre déléguée, et la mienne –, ces camps, jusqu'à leur fermeture, étaient une tache autour de laquelle tous les gouvernements tournaient.
Dans un moment de vérité que je salue, vous avez rappelé que votre initiative s'inscrit dans un processus engagé par le président Jacques Chirac et poursuivi par ses successeurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Au-delà de la démarche très conjoncturelle du président-candidat, notre rôle, ici, doit être d'apporter à nos concitoyens harkis une réponse adaptée à la souffrance qui fut la leur. Nous avons tous été sollicités par des associations, et nous avons déposé des amendements pour essayer d'améliorer le texte, s'agissant de la nature du préjudice, de la méthode pour l'évaluer et du calcul des indemnités, qui ne doivent pas venir en déduction d'autres indemnités déjà versées. Sur toutes ces questions, nous essayons de trouver un chemin de vérité, de justice et de gratitude pour nos concitoyens français harkis.
Nous voterons le texte avec la volonté de poursuivre l'œuvre engagée, qui dépasse ce quinquennat et cette majorité. Nous essayerons par nos amendements de compléter le projet de loi, et en tout cas de faire en sorte que l'unanimité qu'il pourrait susciter ici se manifeste aussi dans la Nation, que le sentiment que tout le monde en sort gagnant dépasse l'hémicycle et s'impose à tous : les élus, le Gouvernement mais aussi les associations – toutes les associations.
Ne nous trompons pas : la communauté harkie est travaillée par un certain nombre de mouvements qui cherchent beaucoup moins à améliorer la situation des Français d'origine harkie qu'à développer leur propre potentiel électoral. Nous devons regarder ces discours avec réalisme et apporter la réponse la plus juste et la plus complète possible.
C'est ce qui nous inspirera. Olivier Faure ne pouvait pas être là en ce jour de réunion du secrétariat national du Parti socialiste, mais nous tenions à ce que l'un d'entre nous puisse exprimer avec force le désir de poursuivre l'action menée par Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et désormais Emmanuel Macron.
Merci pour cette expression très claire de la position de votre groupe, à laquelle nous sommes tous très sensibles. Je précise simplement que, si le projet de loi a été retardé par la crise sanitaire, le préfet Ceaux avait remis dès juillet 2018 le rapport que le Président de la République avait commandé au début de cette année-là.
Pendant de longues années, l'histoire des harkis n'a pas été pleinement assumée. Dans la foulée du processus engagé par le président Chirac et poursuivi par ses successeurs, il nous faut désormais avancer vers davantage de reconnaissance et de réparation.
Ce texte s'inscrit dans le cadre d'une large action menée au profit des harkis depuis le début du quinquennat. L'allocation de reconnaissance et l'allocation viagère ont ainsi connu leur plus forte augmentation depuis leur création – elles ont été revalorisées de près de 600 euros par an. Par ailleurs, un fonds social de soutien d'un montant de 13,6 millions d'euros a été créé en 2019 pour les enfants de harkis, ce qui a permis d'aider près de 2 000 d'entre eux pour un montant moyen de l'ordre de 7 600 euros.
Dans son discours du 20 septembre dernier, le Président de la République a bien rappelé l'objet de ce projet de loi. Il n'a pas vocation à dire ce qu'est l'histoire, mais il souligne la singularité du drame des harkis, la part d'abandon militaire dans celui-ci et la maltraitance qu'ont connue les familles accueillies en métropole.
Le texte acte également la volonté de recueillir des témoignages et de faire vivre la mémoire de ce drame. C'est tout l'objet de l'article 1er et de la commission instituée à l'article 3.
En retranscrivant dans la loi la responsabilité de la France s'agissant des conditions d'accueil des harkis, nous passons des paroles aux actes et nous envoyons un signal fort, attendu depuis longtemps par les associations.
Avec ce texte, nous engageons aussi une réparation, d'abord pour la première génération, en revalorisant les allocations des anciens combattants harkis et de leurs veuves, qui furent moins bien traités que les autres, puis pour la deuxième génération, qui a connu les camps, les hameaux de forestage ou les foyers et leurs conditions de vie indignes. C'est l'objet de l'article 2, appuyé par les articles 5 et 6 qui affranchissent cette réparation de l'impôt sur le revenu et des cotisations sociales.
Enfin, les membres du groupe Agir ensemble se félicitent que les demandes de Loïc Kervran concernant le délai de forclusion soient satisfaites par l'article 7.
C'est pourquoi nous voterons ce texte.
Je voudrais d'abord remercier et féliciter notre rapporteure, qui a travaillé dans un laps de temps restreint.
Le groupe UDI et indépendants se réjouit que les mots particulièrement forts prononcés par le Président de la République le 20 septembre dernier lors de la réception consacrée à la mémoire des harkis se concrétisent aujourd'hui avec ce texte.
Il est bien sûr impossible en quelques minutes de couvrir l'intégralité de l'histoire des membres des troupes supplétives de l'armée française en Algérie. Néanmoins, en partie parce que nos concitoyens ne les connaissent sans doute pas suffisamment, il faut rappeler quelques faits pour souligner l'importance de ce projet de loi.
Lors de la guerre d'Algérie, alors que la France faisait face à un territoire de plus de 2 millions de kilomètres carrés qu'elle ne pouvait soumettre, le gouvernement de l'époque a décidé de faire appel à des supplétifs parmi la population. Ces derniers constitueront les harkas, les groupes mobiles de sécurité, les sections administratives spécialisées, les groupes d'autodéfense ou encore les unités territoriales. Plus de 200 000 personnes, que nous gardons en mémoire sous le nom de harkis, serviront ainsi sous l'uniforme français et joueront un rôle essentiel dans la guerre psychologique livrée au Front de libération nationale.
À l'issue de la guerre d'Algérie, plutôt que de leur apporter protection et soutien, le pouvoir français a préféré leur lâcher la main et leur tourner le dos, comme l'a très bien dit Olivier Damaisin. Ces femmes et ces hommes qui avaient servi la France, qui s'étaient battus pour elle avec confiance, n'imaginaient pas que le pays des lumières pourrait un jour les abandonner dans l'obscurité. Et pourtant, ceux restés en Algérie ont été désarmés, livrés à eux-mêmes, sacrifiés, abandonnés aux représailles et à la cruauté ; les autres, qui décidèrent de gagner la France malgré les instructions officielles et grâce à la désobéissance de certains officiers français, furent « accueillis » dans des conditions précaires et particulièrement indignes au sein de camps de transit et d'hébergement ou de hameaux de forestage.
Dans ces endroits, ils connurent le froid, la faim, les rationnements d'électricité, de charbon, de chauffage, des conditions d'hygiène épouvantables, la maladie, les infections. S'y ajoutèrent le détournement de leurs aides et allocations, les abus d'autorité, les vexations, les brimades exercées parfois par le personnel des camps, les restrictions de liberté, avec couvre-feu et circulation contrôlée, les coupures quotidiennes d'électricité ou encore la taxation pour l'usage des douches.
Ce contexte particulièrement dur, qui a profondément affecté les harkis, a également eu de sérieuses répercussions sur leurs descendants, dont les difficultés, notamment dans le domaine scolaire, ont obéré les capacités d'insertion professionnelle.
Si des paroles fortes et des mesures sont déjà intervenues par le passé en faveur des harkis et assimilés et de leurs familles, ce texte entend inscrire dans le marbre de la loi la reconnaissance de la Nation à leur égard, affirmer la responsabilité de la France dans leurs conditions d'accueil et de vie et réparer les préjudices occasionnés par leur séjour dans ces structures. De surcroît, le texte étend le périmètre de l'allocation viagère servie aux conjoints et ex-conjoints survivants des membres des formations supplétives.
Ce projet de loi, parce qu'il contribue à exprimer la vérité telle qu'elle fut, à reconnaître la lourde responsabilité de la France, à réparer les préjudices subis et à apaiser des plaies encore vives, sera voté par le groupe UDI et indépendants.
Évoquer cette page d'histoire, c'est évidemment évoquer ce moment sombre et tragique qu'est la guerre d'Algérie, à presque soixante ans des accords d'Évian.
Le premier message que nous devons tous faire passer, c'est que la guerre est finie. Il est adressé à ceux qui voudraient en permanence raviver les plaies, considérant que les problèmes que rencontre notre pays seraient sans cesse le même conflit réactivé, avec quasiment les mêmes acteurs et le même vocabulaire.
Il faut veiller à utiliser un vocabulaire de paix et de réconciliation. Des choses ont été dites que je partage. Peut-être, en revanche, le Président de la République, en se prononçant sur l'histoire de la nation algérienne, n'a-t-il pas aidé à ce que nous puissions avancer. Malgré les difficultés, malgré la capacité de réaction du gouvernement algérien, et même si cette affaire douloureuse demeure complexe, nous devons continuer à débattre et à échanger.
Oui, la guerre est finie. Or le mot « harki » est un terme militaire. Les harkis étaient des supplétifs de l'armée, membres des harkas, des groupes paramilitaires. Ceux que nous appelons harkis sont souvent des femmes et des hommes qui n'étaient pas membres de ces troupes mais ils restent marqués par le vocabulaire militaire. Bien sûr, les associations et les familles utilisent ce terme, mais ne perdons pas de vue que nous réactivons ainsi un vocabulaire guerrier alors même que nous voulons aussi apporter réparation à des femmes et à des hommes qui n'ont pas participé au conflit.
Nous voulons avoir une attitude positive vis-à-vis de ce texte, même si des choses avaient déjà été dites en 2001, en 2005 et en 2016, par des présidents de la République précédents – le nom de Jacques Chirac a été évoqué, et je rappelle aussi celui de François Hollande.
Des choses courageuses avaient également été faites. Je pense notamment à un texte adressé au Président de la République en 2005, qui avait été rédigé par Henri Alleg et signé par beaucoup de figures importantes – à vos yeux sans doute et aux miens certainement – allant du président de la Ligue des droits de l'homme, Jean-Pierre Dubois, à des intellectuels tels que Jean Lacouture et Bertrand Tavernier. Le texte se concluait par la phrase suivante : « Parmi les signataires de cette lettre, certains ont approuvé la lutte du peuple algérien pour son indépendance, d'autres non, mais quelle qu'ait été notre opinion, nous ne pouvons admettre que la République ne reconnaisse pas, au regard des droits de l'Homme, ses torts vis-à-vis des harkis et de leurs familles. »
En effet, apporter réparation aux harkis n'est pas choisir un camp dans ce conflit. Soixante ans plus tard, nous voulons tous, quelles que soient nos positions, qu'il y ait réparation.
Nous n'avons pas pu déposer d'amendements sur le texte ; nous le ferons en séance. Nous sommes critiques sur certains aspects. En faisant les choses maladroitement, on risque de raviver des blessures. David Habib mettait en garde contre certaines des associations qui représentent les harkis – il est vrai que le paysage est assez éclaté –, mais certaines questions sont tout de même à prendre au sérieux.
Ainsi, qui est vraiment concerné par la réparation ? Certaines familles qui ont été accueillies dans des zones dites urbaines, notamment dans les cités de Narbonne et d'Amiens, ne seront pas concernées alors qu'elles ont vécu des situations tout aussi difficiles que les autres. Ceux qui, parmi les harkis, ne se trouvaient pas dans des structures de transit ont également subi des troubles psychiques et psychologiques extrêmement forts, mais ils ne seront pas concernés. Cela crée parmi les familles le sentiment que les choses se font à géométrie variable, et cela rouvre des tensions, des blessures.
Par ailleurs, avouons que les sommes proposées ne sont pas à la hauteur. Nous les voterons, car c'est toujours ça de pris, mais tout de même : entre 12 000 et 13 000 euros pour plus de dix ans dans un camp de transit… Quand on a vécu plus de dix ans avec sa famille dans des préfabriqués, peut-être que la réparation pourrait être un petit peu plus élevée.
Voilà où nous en sommes. Nous essaierons de participer à ce débat qui soulève de nombreux points d'interrogation. Peut-être y aura-t-il des améliorations au cours de la discussion ; nous le souhaitons. Nous ne voulons pas nous opposer à ce texte qui marque une avancée d'un point de vue historique, mais nous mettons en garde contre le risque de trop vouloir jouer sur le symbole en ne prévoyant que des sommes presque vexantes pour les familles. La réparation est bien maigre.
Il ne s'agit pas aujourd'hui de porter une appréciation sur les choix qui ont amené des Algériens, au cœur d'une guerre coloniale, à s'engager dans l'armée française, à ne pas quitter les rangs des troupes au sein desquelles ils étaient des supplétifs ou encore à servir comme auxiliaires civils. Les raisons qui ont conduit à de tels choix sont diverses et il ne nous appartient pas de les juger ni de les hiérarchiser.
Le constat est largement partagé : après les accords d'Évian, les harkis ont été les grands oubliés de l'histoire. Trop longtemps considérés comme des parias en France et des collaborateurs de l'ennemi en Algérie, ils ont énormément souffert d'un manque de reconnaissance. Quel que soit le regard que nous portons sur une guerre de libération qui imprègne encore nos relations avec l'État algérien, nous leur devons cette reconnaissance.
Le gouvernement en place en 1962 a désarmé les harkis et les a laissés se faire massacrer, avec leurs familles, par les partisans du nouveau pouvoir algérien. Les mêmes responsables politiques ont ensuite relégué dans des camps, pour les cacher à la population française, ceux d'entre eux qui avaient souhaité et pu venir en métropole. Puis, quelle que soit leur couleur politique, les gouvernements successifs ont trop longtemps refusé de satisfaire leurs légitimes revendications matérielles, en matière d'indemnités ou d'aides à l'emploi et au logement, et de mettre fin aux discriminations de toutes sortes, notamment sociales et économiques, auxquelles ont été confrontés leurs enfants et petits-enfants.
Il aura fallu attendre bien longtemps pour que soient prises des mesures fortes en leur faveur. Faut-il le rappeler, une allocation de reconnaissance ne leur a été servie qu'à partir de 2005, avant d'être complétée par une allocation viagère en 2015. Le rapport « Aux harkis, la France reconnaissante », commandé par le Président de la République en 2018, a ensuite donné lieu à l'instauration d'aides financières à vocation sociale pour les enfants de harkis et rapatriés ayant séjourné dans des camps ou des hameaux de forestage. Les aides prévues s'élèvent à 26,63 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2022.
Malgré ces mesures, le soutien aux harkis et à leurs familles demeure un enjeu d'importance. Ce projet de loi de reconnaissance et de réparation était très attendu. Il devrait concerner le même public que celui visé par le décret de 2018, modifié en 2020. Toutefois, la vocation première des crédits afférents à ce projet de loi est la réparation alors que les indemnités versées jusqu'ici ont d'abord un objet social. Nous devrons veiller à ce que l'application du texte ne s'accompagne pas d'une diminution des fonds à vocation sociale dans le budget – vous nous le confirmerez sans doute, Madame la ministre déléguée.
Jusqu'à présent, les dispositifs d'aide sont gérés par l'ONACVG avec le concours des associations, qui informent les bénéficiaires potentiels. À mes yeux, la réparation doit d'abord s'appuyer sur le travail de la commission instituée par l'article 3 du texte. Le rôle de l'ONACVG doit être d'apporter un appui administratif pour la préparation des dossiers soumis à la commission et ensuite de mettre en œuvre les décisions.
Les députés communistes et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront en faveur du projet de loi tout en souhaitant que soient satisfaites les demandes d'améliorations formulées par de nombreuses associations représentatives des harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local.
Environ 200 000 harkis ont réussi à s'en sortir grâce à l'action d'officiers français ayant enfreint les ordres. Les militaires qui ont sauvé ces vies seront-ils honorés ou récompensés, sous une forme ou une autre, à travers le projet de loi ?
Certains sujets doivent être traités autrement qu'en faisant de la politique. Notre unanimité est la preuve que c'est possible. Je vous remercie et je suis fière des propos qui ont été tenus par tous les groupes politiques.
Je remercie la rapporteure, qui a été confrontée à des délais un peu contraints, lesquels ne sont pas liés à des circonstances particulières qui feraient que l'on voudrait aller vite. Ce texte est le fruit d'un travail mené d'abord par Jacques Chirac, puis par Nicolas Sarkozy et par François Hollande. Le président Emmanuel Macron, lorsqu'il était candidat, s'était engagé à faire adopter une loi. Le moment est particulièrement opportun puisque nous entrons bientôt dans une année de commémoration au cours de laquelle toutes les mémoires doivent être honorées. Les harkis sont l'objet d'une mémoire très singulière dans notre République. Il n'y a pas de temporalité cachée : le soixantième anniversaire est le bon moment pour saluer cette mémoire.
Je tiens à tous vous remercier pour vos remarques qui témoignent de notre volonté commune d'obtenir des avancées pour ces combattants et leurs familles. Ayons aussi à l'esprit que nombre de harkis attendent moins une indemnisation ou une réparation qu'un apaisement et une reconnaissance. Le chemin sera encore long. Je reste persuadée que la reconnaissance doit venir, au-delà du Parlement et du gouvernement, de la population. Cela nécessite un travail de médiation et de transmission qui est essentiel.
Madame Poueyto, les critères servant à définir les camps et les hameaux de forestage sont assez simples. Bien souvent, ils étaient délimités par des barbelés et surtout les personnes qui y vivaient étaient privées de liberté : ces lieux se caractérisaient par un enfermement, un isolement, une entrave à la liberté d'aller et venir. Les personnes ne pouvaient pas en sortir si ce n'est pour aller travailler dans des endroits précis. Elles étaient mises sous tutelle par l'administration : un chef de camp réglementait tout ; le courrier et les démarches administratives étaient surveillés ; la vie des familles et des individus était soumise à un contrôle intrusif. Par ailleurs, les aides sociales destinées aux harkis étaient utilisées pour le fonctionnement des structures. Outre les conditions de logement indignes ou très rustiques – à Bias, des personnes sont restées des mois sous des tentes, y compris l'hiver –, la tutelle et la privation de liberté constituent vraiment un préjudice très spécifique, de même que l'absence d'accès aux services publics fondamentaux, comme la santé et l'éducation.
La durée du séjour dans ces structures déterminera le niveau d'indemnisation. Je n'ai pas souhaité fixer un plancher : si on y a passé un ou deux mois, cela sera reconnu, mais pas au même niveau que si on y est resté dix ans.
Monsieur Corbière, on ne raisonnera pas par famille mais par personne – le harki et chacun de ses enfants passés par un camp.
Le dispositif sera complètement différent du fonds de solidarité institué en 2018 pour ces mêmes personnes, victimes de pertes de chance lourdes. Le fonds était doté de presque 35 millions d'euros sur quatre ans. Il faudra le maintenir au-delà de l'échéance de 2022, car il a eu un peu de mal à démarrer, et peut-être ensuite le pérenniser, d'une autre façon, mais cela relève d'un décret. Le fonds joue son rôle social : il permet de financer des dépenses de santé, de logement, de formation professionnelle ou d'insertion. L'indemnisation prévue dans le cadre de la réparation a une logique totalement différente. Elle ne dépendra pas de critères sociaux : elle sera ouverte à toutes les personnes qui sont passées par des structures d'accueil particulièrement indignes.
Monsieur Son-Forget, de nombreux officiers ont obtenu une reconnaissance, notamment dans les expositions consacrées aux harkis, par exemple à Ongles. Sans aller jusqu'à les comparer aux Justes, je rappelle qu'ils ont pris la responsabilité de désobéir pour secourir leurs hommes. Le général François Meyer a été décoré par le Président de la République le 20 septembre. Nous devons continuer à accorder à ces militaires une reconnaissance et à transmettre la mémoire de leurs actes.
Par ailleurs, je n'oublie pas les maires qui ont fait face dans l'urgence. Lorsqu'il a été décidé de fermer les camps, en 1975, la privation de liberté a été levée mais certaines personnes y sont demeurées, et y ont vécu dès lors dans des conditions différentes. Elles ont souvent été aidées à s'installer plus confortablement par des maires, des élus locaux. Je tiens à saluer ces personnes, qui ont agi la plupart du temps dans la discrétion. Il y a toujours, dans les histoires sombres, une part de lumière.
Monsieur Chassaigne, le rôle de l'ONACVG sera exactement celui que vous avez décrit : il n'apportera qu'un soutien technique pour l'instruction des dossiers, lesquels seront les plus simples possible. Pour effectuer sa demande, il suffira de cocher une case dans un formulaire, de justifier de son statut familial et de produire une pièce d'identité ainsi que son numéro de rapatrié – que l'Office se chargera, le cas échéant, de retrouver. Beaucoup de dossiers sont déjà prêts à être instruits. Je pense notamment aux 3 000 personnes qui ont déposé un dossier dans le cadre du fonds de solidarité : nous les connaissons bien et elles n'auront donc pas besoin, si elles font une demande de réparation, de produire d'autres pièces. Je souhaite que les choses se fassent de la façon la plus simple et la plus fluide possible. Le règlement doit donc être également simple.
Le moment est historique, comme l'a dit Olivier Damaisin, que je sais très actif dans sa circonscription – je la connais bien pour m'y être rendue à plusieurs reprises. Je mesure que, pour certains, l'attente est très forte ; pour d'autres, elle l'est moins ; enfin, beaucoup d'enfants de harkis – qui exercent des métiers tout à fait classiques, sont très bien insérés à tous les niveaux de la société et font la fierté de la République – ont toujours cette histoire douloureuse en eux, mais sont sans colère. Ils considèrent que, certes, la République a commis des manquements mais aussi qu'elle leur a permis de construire une vie équilibrée.
Tous les profils sociaux existent, et c'est normal. Par ce projet de loi, nous parlons à tous : toutes les personnes concernées seront reconnues et obtiendront réparation. Certaines associations estiment que nous devrions reconnaître l'ensemble des enfants de harkis venus en France, mais il faut un préjudice spécifique ; sinon, nous entrons dans une sorte de droit commun qu'il aurait été plus difficile de faire valider par le Conseil d'État. Le texte vise un préjudice spécifique important, que la République s'honorera de réparer.
Je crois avoir répondu à toutes vos questions. Nous devons nous efforcer d'adopter une approche qui ne soit pas trop technique, tout en allant au fond des choses et en faisant en sorte que cette loi soit indiscutable et ne pose pas de problème juridique.
Merci, Madame la ministre déléguée.
Mes chers collègues, nous avons déjà franchi ce soir une belle étape républicaine. Je suis très fière de vous et de notre unanimité sur le fond. Il faut reconnaître les harkis et leurs familles – chaque Français doit comprendre qu'ils ont servi notre pays ; ils doivent être très fiers de ce qu'ils sont et de ce qu'ils sont devenus. Certains ressentent beaucoup de souffrance ; d'autres, moins ; d'autres encore, pas du tout. Je sais quelles peuvent être la souffrance mais aussi la résilience de beaucoup de harkis – un terme qui vient du mot signifiant « mouvement » en arabe, une harka étant un groupe mobile – et de leurs familles. Il nous revient de contribuer à l'évolution de la République en examinant ce texte de réparation, qui traduit ce qu'elle a de plus beau : la fraternité.
La séance est levée à dix-neuf heures trente.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Françoise Ballet-Blu, M. Xavier Batut, M. Jean-Jacques Bridey, M. André Chassaigne, M. Alexis Corbière, M. Olivier Damaisin, M. Rémi Delatte, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. David Habib, M. Fabien Lainé, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Meyer, Mme Monica Michel-Brassart, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Josy Poueyto, M. Joachim Son-Forget, Mme Sabine Thillaye, M. Charles de la Verpillière
Excusés. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Florian Bachelier, M. Olivier Becht, M. Christophe Castaner, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, Mme Anissa Khedher, M. Patrick Mignola, Mme Muriel Roques-Etienne, Mme Nathalie Serre, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille