Intervention de Geneviève Darrieussecq

Réunion du mardi 9 novembre 2021 à 18h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée :

Je remercie la rapporteure, qui a été confrontée à des délais un peu contraints, lesquels ne sont pas liés à des circonstances particulières qui feraient que l'on voudrait aller vite. Ce texte est le fruit d'un travail mené d'abord par Jacques Chirac, puis par Nicolas Sarkozy et par François Hollande. Le président Emmanuel Macron, lorsqu'il était candidat, s'était engagé à faire adopter une loi. Le moment est particulièrement opportun puisque nous entrons bientôt dans une année de commémoration au cours de laquelle toutes les mémoires doivent être honorées. Les harkis sont l'objet d'une mémoire très singulière dans notre République. Il n'y a pas de temporalité cachée : le soixantième anniversaire est le bon moment pour saluer cette mémoire.

Je tiens à tous vous remercier pour vos remarques qui témoignent de notre volonté commune d'obtenir des avancées pour ces combattants et leurs familles. Ayons aussi à l'esprit que nombre de harkis attendent moins une indemnisation ou une réparation qu'un apaisement et une reconnaissance. Le chemin sera encore long. Je reste persuadée que la reconnaissance doit venir, au-delà du Parlement et du gouvernement, de la population. Cela nécessite un travail de médiation et de transmission qui est essentiel.

Madame Poueyto, les critères servant à définir les camps et les hameaux de forestage sont assez simples. Bien souvent, ils étaient délimités par des barbelés et surtout les personnes qui y vivaient étaient privées de liberté : ces lieux se caractérisaient par un enfermement, un isolement, une entrave à la liberté d'aller et venir. Les personnes ne pouvaient pas en sortir si ce n'est pour aller travailler dans des endroits précis. Elles étaient mises sous tutelle par l'administration : un chef de camp réglementait tout ; le courrier et les démarches administratives étaient surveillés ; la vie des familles et des individus était soumise à un contrôle intrusif. Par ailleurs, les aides sociales destinées aux harkis étaient utilisées pour le fonctionnement des structures. Outre les conditions de logement indignes ou très rustiques – à Bias, des personnes sont restées des mois sous des tentes, y compris l'hiver –, la tutelle et la privation de liberté constituent vraiment un préjudice très spécifique, de même que l'absence d'accès aux services publics fondamentaux, comme la santé et l'éducation.

La durée du séjour dans ces structures déterminera le niveau d'indemnisation. Je n'ai pas souhaité fixer un plancher : si on y a passé un ou deux mois, cela sera reconnu, mais pas au même niveau que si on y est resté dix ans.

Monsieur Corbière, on ne raisonnera pas par famille mais par personne – le harki et chacun de ses enfants passés par un camp.

Le dispositif sera complètement différent du fonds de solidarité institué en 2018 pour ces mêmes personnes, victimes de pertes de chance lourdes. Le fonds était doté de presque 35 millions d'euros sur quatre ans. Il faudra le maintenir au-delà de l'échéance de 2022, car il a eu un peu de mal à démarrer, et peut-être ensuite le pérenniser, d'une autre façon, mais cela relève d'un décret. Le fonds joue son rôle social : il permet de financer des dépenses de santé, de logement, de formation professionnelle ou d'insertion. L'indemnisation prévue dans le cadre de la réparation a une logique totalement différente. Elle ne dépendra pas de critères sociaux : elle sera ouverte à toutes les personnes qui sont passées par des structures d'accueil particulièrement indignes.

Monsieur Son-Forget, de nombreux officiers ont obtenu une reconnaissance, notamment dans les expositions consacrées aux harkis, par exemple à Ongles. Sans aller jusqu'à les comparer aux Justes, je rappelle qu'ils ont pris la responsabilité de désobéir pour secourir leurs hommes. Le général François Meyer a été décoré par le Président de la République le 20 septembre. Nous devons continuer à accorder à ces militaires une reconnaissance et à transmettre la mémoire de leurs actes.

Par ailleurs, je n'oublie pas les maires qui ont fait face dans l'urgence. Lorsqu'il a été décidé de fermer les camps, en 1975, la privation de liberté a été levée mais certaines personnes y sont demeurées, et y ont vécu dès lors dans des conditions différentes. Elles ont souvent été aidées à s'installer plus confortablement par des maires, des élus locaux. Je tiens à saluer ces personnes, qui ont agi la plupart du temps dans la discrétion. Il y a toujours, dans les histoires sombres, une part de lumière.

Monsieur Chassaigne, le rôle de l'ONACVG sera exactement celui que vous avez décrit : il n'apportera qu'un soutien technique pour l'instruction des dossiers, lesquels seront les plus simples possible. Pour effectuer sa demande, il suffira de cocher une case dans un formulaire, de justifier de son statut familial et de produire une pièce d'identité ainsi que son numéro de rapatrié – que l'Office se chargera, le cas échéant, de retrouver. Beaucoup de dossiers sont déjà prêts à être instruits. Je pense notamment aux 3 000 personnes qui ont déposé un dossier dans le cadre du fonds de solidarité : nous les connaissons bien et elles n'auront donc pas besoin, si elles font une demande de réparation, de produire d'autres pièces. Je souhaite que les choses se fassent de la façon la plus simple et la plus fluide possible. Le règlement doit donc être également simple.

Le moment est historique, comme l'a dit Olivier Damaisin, que je sais très actif dans sa circonscription – je la connais bien pour m'y être rendue à plusieurs reprises. Je mesure que, pour certains, l'attente est très forte ; pour d'autres, elle l'est moins ; enfin, beaucoup d'enfants de harkis – qui exercent des métiers tout à fait classiques, sont très bien insérés à tous les niveaux de la société et font la fierté de la République – ont toujours cette histoire douloureuse en eux, mais sont sans colère. Ils considèrent que, certes, la République a commis des manquements mais aussi qu'elle leur a permis de construire une vie équilibrée.

Tous les profils sociaux existent, et c'est normal. Par ce projet de loi, nous parlons à tous : toutes les personnes concernées seront reconnues et obtiendront réparation. Certaines associations estiment que nous devrions reconnaître l'ensemble des enfants de harkis venus en France, mais il faut un préjudice spécifique ; sinon, nous entrons dans une sorte de droit commun qu'il aurait été plus difficile de faire valider par le Conseil d'État. Le texte vise un préjudice spécifique important, que la République s'honorera de réparer.

Je crois avoir répondu à toutes vos questions. Nous devons nous efforcer d'adopter une approche qui ne soit pas trop technique, tout en allant au fond des choses et en faisant en sorte que cette loi soit indiscutable et ne pose pas de problème juridique.

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