Intervention de Patricia Mirallès

Réunion du mardi 9 novembre 2021 à 18h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatricia Mirallès, rapporteure :

« Au nom de la France, je dis aux harkis et à leurs enfants, à voix haute et solennelle, que la République a alors contracté à leur égard une dette. Aux combattants, je veux dire notre reconnaissance. Nous n'oublierons pas. Aux combattants abandonnés, à leurs familles qui ont subi les camps, la prison, le déni, je demande pardon, nous n'oublierons pas. […] Le Gouvernement portera, avant la fin de l'année, un projet visant à inscrire dans le marbre de nos lois la reconnaissance et la réparation à l'égard des harkis. »

Tels furent les mots prononcés par le Président de la République le 20 septembre dernier. Très forts, ils ont été appréciés comme tels par les harkis et leurs familles. Le projet de loi que j'ai l'honneur de rapporter est la traduction concrète de cet engagement.

Comme vous le savez, beaucoup a déjà été fait sous la présente législature pour améliorer les conditions de vie des harkis et de leurs familles, et je tiens à vous en remercier, Madame la ministre déléguée. Un fonds social destiné aux enfants de harkis a été créé par un décret du 28 décembre 2018. Depuis 2017, l'allocation de reconnaissance et l'allocation viagère ont également été revalorisées de manière très significative : de 600 euros.

Si ces mesures étaient nécessaires pour améliorer le sort matériel des harkis, elles n'étaient pas suffisantes, car elles ne répondaient pas en tant que telles au sentiment qu'expriment les harkis et leurs familles depuis près de soixante ans : ils estiment que leur souffrance et le préjudice qu'ils ont subi à l'occasion de leur rapatriement et de leur accueil ne sont pas pleinement reconnus par l'État.

Cette soif de reconnaissance et de réparation est parfaitement légitime lorsque l'on sait les conditions de vie indignes et les privations qu'ont connues les harkis et leurs familles dans les structures d'accueil – qui portent si mal leur nom. Les différents témoignages que nous avons pu recueillir dans le cadre de nos travaux les ont mises en exergue : tutelle sociale exercée par des chefs de camp, restriction de la liberté de circulation, absence des conditions minimales d'hygiène et de sécurité, négation de l'identité même des personnes – auxquelles on imposait des prénoms français –, déscolarisation des enfants, internements d'office en hôpital psychiatrique, détournements des allocations familiales. Et je ne parle pas des violences et des humiliations parfois infligées aux femmes et aux enfants.

Face à ce drame subi par tant de familles, la République se devait de reconnaître sa responsabilité et de réparer le préjudice causé. Tel est l'objet de ce projet de loi, qui marque, il faut le souligner, une véritable révolution par rapport aux précédents dispositifs en faveur des harkis. En effet, la logique n'est plus ici de créer de nouvelles mesures sociales au bénéfice des plus nécessiteux ; il s'agit véritablement de rendre justice aux harkis.

En l'espèce, rendre justice consiste, premièrement, à reconnaître la faute de l'État ainsi que le préjudice subi par les harkis du fait de cette faute ; deuxièmement, à créer un mécanisme visant à réparer ce préjudice ; troisièmement, à contribuer à l'édification et à la transmission d'une mémoire des harkis.

La reconnaissance par la Nation de la faute de l'État à l'égard des harkis fait l'objet de l'article 1er du projet de loi. En la matière, les mots revêtent un poids symbolique particulièrement fort, et ils doivent être à la hauteur du drame qu'ont subi les harkis et leurs familles. C'est pourquoi je vous proposerai, à l'instar du Président de la République dans le discours que j'ai cité, d'utiliser le mot « abandonnés » plutôt que le terme « délaissés », qui me semble relever d'un euphémisme malvenu lorsqu'il s'agit de décrire le comportement de l'État à l'égard des harkis au lendemain de la guerre d'Algérie. Plusieurs d'entre vous ont déposé des amendements similaires, et je me félicite que nous nous retrouvions sur ce point, au-delà de nos appartenances politiques.

L'article 2 porte sur la réparation du préjudice subi par les harkis du fait des conditions de vie indignes qu'eux et leurs familles ont connues dans les structures qui les ont accueillis.

Conformément à la mission de rapporteure qui m'a été confiée, il me revient de vous faire part en toute transparence de la manière dont ce texte est perçu par les acteurs concernés. Les anciens combattants harkis s'accordent tous pour reconnaître la valeur du pardon, et en sont fiers. En revanche, ils ne souscrivent pas pleinement aux critères fixés par le projet de loi : seuls ceux qui ont résidé dans un camp ou un hameau de forestage pourraient être indemnisés. Les associations mettent en exergue ces limites aux mesures de réparation, alors que tous les harkis partagent une communauté de destin et, bien souvent, les mêmes souffrances.

En outre, les auditions que j'ai menées avec plusieurs d'entre vous ont révélé qu'il existe des zones grises et que la liste des structures d'accueil donnant droit à indemnisation, qui sera fixée par décret, est susceptible d'évoluer. Tel a d'ailleurs été le cas de la liste des structures retenue en 2018 au titre du fonds de solidarité pour les enfants de harkis : elle a été actualisée par décret le 4 mai 2020. C'est pourquoi je proposerai que la commission nationale de reconnaissance et de réparation créée par l'article 3 puisse, au vu de ses travaux, recommander toute évolution de la liste qu'elle jugerait souhaitable. Par ailleurs, afin de respecter la communauté de destin revendiquée par les harkis, les représentants que j'ai rencontrés m'ont suggéré de supprimer la durée minimale de séjour en vigueur pour l'attribution des aides du fonds de solidarité.

Les modalités concrètes de réparation, prévues à l'article 2, me paraissent particulièrement opportunes.

Tout d'abord, le projet de loi pose une présomption de responsabilité, principe très important qui signifie que les harkis n'auront pas à justifier de leur préjudice : pour être éligibles au mécanisme de réparation, il leur suffira de fournir la preuve d'un passage dans un camp ou un hameau de forestage. En pratique, la preuve sera apportée par un certificat de passage, que les services de l'ONACVG obtiennent assez aisément, d'après ce que nous a indiqué la directrice générale de l'Office lorsque nous l'avons auditionnée. Celle-ci nous a par ailleurs confirmé un point important : le mécanisme forfaitaire prévu permettra un traitement rapide et efficace des demandes d'indemnisation – sachant que le montant sera croissant selon la durée de séjour et qu'aucun seuil minimal n'est fixé. Selon l'étude d'impact, 50 000 personnes pourraient ainsi bénéficier du dispositif. Autre gage de crédibilité : c'est une commission indépendante, à savoir la commission nationale créée par l'article 3, qui sera chargée de statuer sur les demandes d'indemnisation.

Au-delà de la réparation financière, il était essentiel – c'est également ressorti des auditions – de répondre à l'exigence d'un devoir de mémoire envers les harkis et leur histoire. À cette fin, l'article 3 confère aussi à la commission nationale une mission de recueil des témoignages et de transmission de la mémoire des harkis et de leurs familles. Cet aspect est majeur : la reconnaissance, c'est aussi le temps de l'écoute, le recueil de la parole des harkis, pour qu'ils puissent témoigner des drames qu'ils ont vécus.

Les articles 5 et 6 prévoient l'exonération fiscale et sociale des sommes accordées à titre de réparation, ce qui est logique dans la mesure où il s'agit d'une indemnisation.

Quant à l'article 7, il procède à trois modifications de l'allocation viagère, créée en 2015, dont bénéficient spécifiquement les conjoints survivants de harkis.

Il tend d'abord à lever les forclusions en vigueur, ce qui permettra aux conjoints survivants qui ne l'avaient pas fait de déposer une demande d'allocation viagère.

Il vise ensuite à étendre le bénéfice de l'allocation aux conjoints survivants des personnes assimilées aux membres des formations supplétives. Sont visés notamment les agents contractuels de police auxiliaire, les agents de renseignement et les gardes champêtres. En principe, ils bénéficiaient déjà de l'allocation, car tel était l'esprit du législateur, mais le texte permettra d'assurer la sécurité juridique de cette extension.

Enfin, l'article 7 ouvrira l'accès à l'allocation viagère aux conjoints ayant établi leur domicile dans un autre État de l'Union européenne que la France. Sont particulièrement visées les familles ayant établi leur domicile en Allemagne.

Madame la ministre déléguée, je tiens également à saluer le doublement des allocations que vous venez d'annoncer, compte tenu du soutien précieux qu'elles représentent.

C'est avec beaucoup d'émotion et une grande fierté que je rapporte ce projet de loi, qui constitue une avancée décisive dans le processus de reconnaissance de la Nation et de réparation à l'égard des harkis. Il est aussi et surtout un témoignage de ce qu'est et doit être notre République, un système politique au sein duquel cohabitent des sensibilités variées, des parcours parfois tragiques, des vies multiples, unies par un principe fondamental de reconnaissance de l'altérité et de respect de ce qui nous distingue. Il nous revient d'ancrer dans la loi et, par ce biais, dans l'Histoire ce que sont les harkis et ce que leur doit la France.

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