Intervention de Isabelle Santiago

Réunion du mardi 4 janvier 2022 à 18h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Santiago :

S'il ne reste plus en France de survivants du front de la première guerre mondiale, la mémoire transmise au fil des ans reste intacte. Tous ceux qui vécurent cette période et qui revinrent des combats à jamais changés, marqués et, pour certains, brisés exprimèrent le souhait de raconter et de témoigner du front, du vécu, des horreurs. Notre pays portera à jamais les lourds stigmates de ces combats : aucune famille ne fut épargnée ; il fallut reconstruire une population ; surtout, une génération entière fut sacrifiée. Nous avons tous, enfouies dans notre mémoire, les terribles images de ces pauvres soldats se débattant dans la boue et le froid.

Dans ce contexte, nous parlons aujourd'hui d'humanité, celle de ces jeunes hommes engagés dans une guerre, à qui on avait tant demandé et qui, à cause de l'usure physique et psychologique, avaient trouvé leurs limites. Pendant les quatre années de conflit, près de 650 soldats ont été condamnés à mort pour désobéissance ou mutilation volontaire.

Je tiens à rappeler les mots prononcés par Lionel Jospin en 1998 à Craonne, qui firent date : « Certains de ces soldats, épuisés par des attaques condamnées à l'avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond, refusèrent d'être des sacrifiés. Que ces soldats, “fusillés pour l'exemple”, au nom d'une discipline dont la rigueur n'avait d'égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd'hui, pleinement, notre mémoire collective nationale. »

Ces mots ont été repris par les présidents de la République successifs, et il convient désormais de leur donner un sens dans la loi. Les actions entreprises dans l'entre-deux-guerres ont été certes louables mais très circonscrites : elles ont débouché sur la réhabilitation de moins d'un fusillé sur dix ; surtout, elles n'ont pas permis d'apaiser les consciences. Après les déclarations de Lionel Jospin, de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, il est temps que cette question émerge de nouveau, d'autant que l'énorme travail de recherche historique mené par les familles et les associations montre que ces hommes ont été, depuis cette guerre, victimes d'un déni de justice. Leur image est déjà réhabilitée dans la conscience collective ; il est temps de réparer les injustices qui les ont touchés, de leur permettre de retrouver dignité et reconnaissance.

Tous les États belligérants de la Grande Guerre possédaient des dispositifs de justice militaire, qui ont prononcé des condamnations à mort. Au fil des années, la plupart des États qui furent nos alliés ont avancé sur cette question : le Royaume-Uni a procédé en 2006 à une réhabilitation générale de nature législative, suivant en cela la Nouvelle-Zélande, qui a réhabilité ses « fusillés pour l'exemple » en 2001, et le Canada, qui a honoré les siens en 2000.

La présente proposition de loi représente une réelle évolution en ce qu'elle prévoit la réhabilitation générale et collective, civique et morale, de ces hommes. Nous savons qu'une réhabilitation au cas par cas, plus de cent ans plus tard, serait impossible. Plus précisément, et cela a son importance, ce texte vise à réhabiliter les soldats condamnés « pour désobéissance militaire ou mutilation volontaire ».

François Hollande avait fait un pas en faveur de la mémoire de ces hommes en demandant que la question des « fusillés pour l'exemple » fasse l'objet d'un traitement pédagogique au sein du musée de l'Armée, aux Invalides. Cette proposition de loi prévoit en outre que les noms de ces hommes figureront sur les monuments aux morts des municipalités, élément ô combien important pour la transmission et le devoir de mémoire.

La reconnaissance et la dignité sont au cœur du texte. Il est temps que la France fasse ce geste. Pour toutes les raisons que j'ai énoncées, et pour faire avancer l'histoire, le groupe socialiste votera cette proposition de loi.

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