J'adresse à tous mes vœux de bonheur et de santé.
Je ne reviens pas sur les éléments historiques, présentés de manière très précise par mon camarade Lachaud dans une introduction de grande qualité. J'essaierai modestement d'apporter mon regard et de répondre aux arguments, que l'on peut certes entendre, avancés par nos collègues opposés au texte.
Il est question de faire un geste législatif d'ordre symbolique, donc politique. Nous ne faisons pas l'histoire ; ce sont les historiens qui la font, et nous n'entendons pas nous substituer à eux. Mais c'est éclairés par eux, précisément, que nous pouvons envisager ce nouveau pas législatif.
Le rapporteur l'a précisé, il ne s'agit pas de réhabiliter les 740 « fusillés pour l'exemple ». Lorsque j'ai été auditionné par le groupe de travail animé par Antoine Prost, nous ne disposions pas du chiffre de 639 fusillés n'ayant été condamnés ni pour des faits de droit commun ni pour la participation à des activités d'espionnage. Cet élément nouveau nous a été fourni en octobre 2014 par les historiens, plus précisément par le service historique de la défense, sous l'impulsion du secrétaire d'État Kader Arif. Après avoir écouté les historiens, nous pouvons considérer, en notre qualité de législateurs, qu'il est nécessaire d'accomplir un acte politique.
Des orateurs qui se sont opposés au texte – ce qui est respectable – ont néanmoins prononcé des paroles fortes. Évoquant les conseils de guerre, notre collègue du groupe La République en marche a ainsi parlé de « parodie de justice ». Dont acte. En tant que législateurs, nous pouvons donc signifier, par un acte législatif, que nous ne voulons plus d'une telle parodie de justice et que nous réhabilitons ceux qui en ont été victimes. Ce point justifierait à lui seul que nous légiférions.
Certains collègues ont dit préférer une réhabilitation au cas par cas à une réhabilitation collective. Parlons-nous franchement, cela signifie qu'il n'y aura pas de réhabilitation. En effet, d'après les historiens, 20 % des dossiers ont disparu, et il n'est plus possible d'aller plus loin dans les autres cas, car les témoins ne sont plus là. Cent quatre ans après la fin de la première guerre mondiale, c'est peut-être notre dernière chance de légiférer en la matière.
Sur ces 639 fusillés, ont dit d'autres collègues, nous risquons d'en réhabiliter quelques-uns qui ont, en quelque sorte, mérité leur sort, en tout cas au regard du droit de l'époque. Sans doute. Mais, au nom du fait que certains ont peut-être mérité leur sort, nous ne réhabiliterions pas ceux qui n'ont pas mérité le leur ? Pour ma part, puisqu'il est question d'actes symboliques, je préfère réhabiliter quelques coupables pour permettre la réhabilitation d'un grand nombre d'innocents plutôt que de refuser la réhabilitation des innocents au nom de la présence de quelques coupables !
Quel message voulons-nous envoyer ? Nous sommes tous attachés à notre armée. La grandeur d'une armée tient, bien sûr, à la discipline, mais même la discipline terrible qui est celle du feu doit s'accompagner du respect des hommes. Et la grandeur d'une armée tient aussi à sa lucidité sur sa propre histoire et à sa capacité à être juste – je me félicite d'ailleurs que les services historiques des armées aient apporté leur contribution. Nos soldats, à qui nous demandons parfois de se sacrifier, doivent avoir la conviction que les ordres restent justes même lorsqu'ils sont terribles. Autrement dit, nous nous honorerions en agissant dans ce sens.
Notre collègue du groupe Les Républicains nous a appelés à ne pas rouvrir des plaies. Or tous les protagonistes sont morts, sans exception. On peut comprendre que, pendant longtemps, l'armée n'ait pas été favorable à une réhabilitation générale, car elle ne voulait pas remettre en cause nombre d'officiers qui avaient pris des décisions au front. Cent quatre ans plus tard, tout cela est derrière nous : aucun officier, fût-il à la retraite, ne se sentira visé par ce texte ; personne ne se sentira blessé.
C'est précisément en rejetant ce texte de loi après avoir été éclairés par les services historiques des armées que nous rouvririons des blessures ; comme Français et comme républicains, c'est en acceptant l'idée qu'il y ait des innocents parmi ces 639 fusillés que nous déchirerions la nation ! Je ne le comprendrais pas. Il est des moments où nous devons accomplir des actes de fraternité. Contrairement à notre collègue, je pense que l'adoption de ce texte serait un acte d'apaisement, de nature à fermer définitivement une cicatrice.
La réhabilitation fait effectivement débat parmi les associations mémorielles. Néanmoins, la Ligue des droits de l'homme et la Fédération nationale de la libre pensée, entre autres, continuent à plaider en ce sens.
Le rapporteur n'a pas évoqué la lettre poignante que lui a adressée l'arrière-petit-fils d'un soldat « fusillé pour l'exemple ». Si ce texte était adopté, le nom de son aïeul pourrait enfin être ajouté au monument aux morts du village, et il y serait particulièrement sensible. Je le répète, cela nous honorerait.
Merci, collègue Lachaud, d'avoir présenté ce texte. C'est un sujet difficile, auquel il est légitime de réfléchir. Néanmoins, pour le dire en termes simples, je crois que nous n'insultons personne ; nous ne manquons de respect ni à l'armée ni à nos officiers. Plus que les armées britannique, néo-zélandaise ou canadienne, l'armée française a soumis ses soldats à rude épreuve, en particulier en 1914 et 1915. Rappelons en particulier la rudesse du général Nivelle, évoquée dans les livres d'histoire. Nous pouvons comprendre que, devant le nombre de soldats qui tombaient pour gagner quelques mètres, lorsqu'on n'en venait pas à reculer, certains aient tout simplement voulu que cela cesse et l'aient exprimé de manière désespérée, en se blessant à la main ou, au bout d'un moment, en refusant d'obéir à une consigne.
Nous disons que nous ne voulons plus que cela se reproduise. Adopter ce texte, c'est tourner cette page de l'histoire et mieux se projeter vers l'avenir.