Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du mardi 4 janvier 2022 à 18h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Meilleurs vœux à tous ! Je tiens d'abord à vous remercier, Monsieur le rapporteur, d'avoir inscrit à l'ordre du jour, au nom du groupe La France insoumise, cette proposition de loi visant à réhabiliter les « fusillés pour l'exemple » durant la première guerre mondiale. Hommage doit être rendu aux infatigables militants de la paix qui font progresser cette cause, année après année, depuis plus de cent ans. Ugo Bernalicis et moi avons eu l'honneur de rencontrer de nombreux membres de ces associations et de ces mouvements le 6 avril 2019 à Chauny, lors de l'inauguration d'une magnifique sculpture en hommage à ces fusillés.

Ce sujet de fond tient à cœur aux députés communistes, qui ont beaucoup œuvré pour le faire émerger au Parlement. Dès 2012, mes collègues avaient déposé une proposition de loi relative à la réhabilitation collective des « fusillés pour l'exemple » de la guerre de 1914-1918. Mme la présidente et plusieurs d'entre vous l'ont rappelé, ce texte avait été examiné en séance publique le 26 mai 2016, lors d'une niche parlementaire du groupe GDR. Mon collègue Jean-Jacques Candelier était alors à votre place, Monsieur le rapporteur. À l'époque, les socialistes et les radicaux de gauche, qui appartenaient à la majorité, avaient voté contre ce texte, de même que les élus de droite et du centre. Aujourd'hui, le groupe socialiste soutient cette proposition de loi, signe qu'elle a prévu une évolution nécessaire.

Jean-Jacques Candelier l'avait rappelé à l'époque, la question des « fusillés pour l'exemple » résonnait déjà dans l'hémicycle de l'Assemblée en 1916, notamment grâce à l'un de nos brillants prédécesseurs, Paul Meunier. Avocat et député, défenseur acharné des droits des soldats lors de la première guerre mondiale, il intima à l'exécutif d'en finir avec les conseils de guerre spéciaux, responsables de tant d'exécutions injustes. Il défendit un texte de loi en ce sens dès 1916. Le Havrais que je suis tient à rappeler que Paul Meunier avait été, en 1910, l'avocat de l'illustre docker Jules Durand, considéré par Jaurès comme le Dreyfus de la classe ouvrière. Je fais ce parallèle entre Jules Durand et les « fusillés pour l'exemple », car beaucoup de ces 639 fusillés étaient – ainsi le voulait l'époque – des ouvriers ou des paysans. Or c'est là une question de fond : il s'agit de réhabiliter des ouvriers et des paysans, parfois méprisés par la classe dirigeante, qui se battaient pour des objectifs qui les dépassaient souvent, notamment flatter l'ego de leurs généraux ou de leurs maréchaux.

Ces êtres humains qui ont refusé de repartir au combat, ont reculé ou ne sont pas sortis des tranchées, parce qu'ils ne comprenaient pas ou plus le sens d'assauts aussi inutiles que mortels, doivent être rétablis dans leur dignité. Tous ces gens avaient des raisons de ne pas aller au combat, et rien ne peut justifier le châtiment mortel qui leur a été infligé.

Entre 1914 et 1918, 2 500 soldats ont été condamnés à mort par les conseils de guerre, et 639 ont été fusillés sur le front. Ils ont parfois été choisis au hasard et exécutés pour l'exemple, comme meneurs, sans autre forme de procès. De ces 639 personnes, seule une quarantaine a été réhabilitée, principalement lors des années 1920 et 1930. Nous devons enfin aller plus loin.

Depuis deux décennies, ce sujet revient au plus haut niveau de l'État. Des hommages ont ainsi été rendus en 1998 par Lionel Jospin, en 2008 par Nicolas Sarkozy et en 2013 par François Hollande. Il est grand temps de passer à du concret, alors que, en rupture avec ses prédécesseurs, l'actuel Président de la République n'a jamais évoqué cette question. Lors de sa très pompeuse itinérance mémorielle dans les Hauts-de-France, à l'occasion du centenaire de l'armistice de novembre 1918, il a soigneusement évité le sujet, malgré des interpellations.

D'aucuns refusent de réhabiliter collectivement ces fusillés sous prétexte que, peut-être, certains d'entre eux avaient des motivations antipatriotiques : ils ont donc peur de réhabiliter « par erreur » certains soldats. Or, disons-le clairement, c'est une diversion. Personne ne mérite la peine de mort, nous en sommes tous convaincus, désormais, pas même ceux qui auraient pu être coupables d'une faute. Ces fusillés méritent collectivement la reconnaissance de la nation pour avoir tenté de survivre dans cette horreur, au même titre que tous leurs camarades qui ont participé à la Grande Guerre.

Il faut impérativement avancer vers une réhabilitation collective, pour en finir avec ce problème qui maltraite la mémoire de ces ouvriers et de ces paysans que l'on a envoyés au front dans des conditions totalement inhumaines. Je partage la conclusion de notre collègue de La France insoumise : il faut, à un moment donné, de la fraternité, et il faut clore ce dossier. Ce n'est pas en restant dans la situation actuelle que nous refermerons cette période de notre histoire. Une fois que l'exécutif s'est prononcé, avec les mots que les uns et les autres ont rappelés, c'est peut-être le rôle des parlementaires d'accompagner par leur vote un tel geste fraternel, afin de refermer cette page de l'histoire et de pouvoir la transmettre aux générations à venir comme il le faut, sans nier la réalité des faits. Merci, en tout cas, au groupe qui a de nouveau inscrit cette question à l'ordre du jour.

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