Intervention de Bastien Lachaud

Réunion du mardi 4 janvier 2022 à 18h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud, rapporteur :

En effet. Vous ne souhaitez pas que les noms de personnes justement condamnées apparaissent sur ces monuments. Mais nombre de communes y ont déjà inscrit, indistinctement, les noms des « fusillés pour l'exemple ». Combien, parmi eux, l'ont été justement ? Nul ne le sait. Pourquoi inscrire leurs noms sur les monuments aux morts dans certaines communes et pas partout ? C'est une injustice de plus qui s'ajoute à celle de leur condamnation !

Ce qui est certain, quels que soient les actes commis par ces personnes, c'est que toutes, sans exception, ont été victimes d'une procédure inique et arbitraire – pas d'instruction, pas d'avocat professionnel, pas de circonstances atténuantes, aucun recours et aucun droit de grâce. Le simple fait d'avoir été victime d'une justice inique et arbitraire justifierait une réhabilitation collective. Aucun de ces jugements ne peut être considéré comme valide.

Les plaies, malheureusement, sont encore vives, et ce n'est pas cette proposition de loi qui les rouvre. Le combat pour la réhabilitation mobilise, il faut le saluer, de nombreuses associations : la Fédération nationale de la libre pensée, la Ligue des droits de l'homme et d'autres encore. Alexis Corbière a évoqué le message, d'un descendant de fusillé, que j'ai reçu. Il faut refermer les plaies, et pour cela on doit réhabiliter. Nous sommes cent quatre ans après la fin de ce terrible conflit, mais il n'y a pas de juste moment pour dénoncer une injustice : on doit le faire quand on en a l'occasion, et nous l'avons aujourd'hui.

Il est impossible de savoir si ces personnes ont failli. Il y a forcément des héros parmi elles. Qui peut dire, en effet, qu'un poilu n'était pas un héros ?

Je remercie les orateurs qui se sont prononcés pour l'adoption de ce texte. Les autres estiment, d'une certaine manière, qu'il vaut mieux flétrir le nom d'hommes injustement condamnés que de risquer d'honorer des soldats coupables de désobéissance, face à l'horreur des tranchées. Ce faisant, c'est vous qui portez un regard d'aujourd'hui sur les événements d'hier.

Je tiens à citer les propos du brancardier-musicien Leleu, du 102e régiment d'infanterie : « Je me suis laissé dire qu'après la guerre, des fusillés avaient été considérés comme morts pour la France , ce qui serait une sorte de réhabilitation. Je ne sais si cela est exact, mais, quant à moi, je crois sincèrement que beaucoup de ces malheureux sont effectivement morts pour le pays, car c'est la France qui les a appelés, et c'est pour elle qu'ils se sont battus, qu'ils ont souffert là où les menait leur tragique destinée, et ce n'est pas un moment de défaillance physique ou morale qui peut effacer leur sacrifice. J'ose m'incliner devant leur mémoire. Jugera qui voudra, à condition qu'il soit passé par là. »

Je n'aurais jamais osé comparer les combats de 1914 avec les OPEX actuelles, quelle que soit la valeur de nos soldats ! Nul ne peut revivre l'existence des poilus et l'horreur des tranchées.

Une publicité, visant à frapper de déshonneur, d'opprobre les soldats et leur famille, a entouré les exécutions. Voici un extrait du rapport d'Antoine Prost : « Dans la société d'interconnaissance des villages et des faubourgs, on savait que le fils untel avait été fusillé, et la réputation de toute la famille en était entachée, comme s'il avait tué quelqu'un. Certains faisaient honte de leur père aux enfants des fusillés dans la cour des écoles ; leurs parents, leur femme, leurs frères et sœurs se sentaient montrés du doigt. La famille tout entière ressentait l'opprobre. Ma grand‐mère a subi toute sa vie les sarcasmes et l'opprobre de nombreuses personnes et n'a jamais bénéficié de pension, élevant seule et difficilement sa fille, ma mère , écrit le petit‐fils d'un soldat probablement fusillé ». Pour l'honneur de ces familles, une réhabilitation est nécessaire.

Je rappelle aussi ce qu'a dit le député Aristide Jobert lors d'un débat portant sur le Chemin des Dames : « En présence des faits criminels commis par des généraux, la faute de ces soldats devient excusable sinon inévitable. Quels sont les coupables ? On en a fusillé et je trouve cela épouvantable. On en a fusillé peu mais c'est encore trop. N'y en eût-il qu'un, ce serait trop. Messieurs, ces coupables qui sont des victimes ont droit à la justice, et nous devons nous opposer à ce qu'aucune exécution de ce genre soit désormais consommée. Il est déjà trop tard. [...] Je vous demande, Monsieur le ministre de la guerre, de vous montrer juste. Dans l'ordre du jour que mes amis et moi déposerons, nous demanderons une amnistie pleine et entière pour tous ces faits. » Chers collègues, je vous demande, comme en 1917, d'être justes lors de votre vote.

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