Intervention de Général Laurent Marboeuf

Réunion du mercredi 12 janvier 2022 à 9h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Laurent Marboeuf, officier général « relations internationales militaires » de l'état-major des armées :

C'est un grand honneur pour moi de m'exprimer devant vous sur la Boussole stratégique ; j'espère que cette audition complétera utilement celle de la ministre des armées sur les enjeux de défense et celle du directeur général de l'état-major de l'Union européenne.

Je commencerai mon propos en expliquant ce que recouvrent les relations internationales militaires et mes responsabilités en tant qu'officier général chargé de cette question à l'état-major des armées, afin que vous cerniez le prisme à travers lequel nous appréhendons la coopération militaire européenne. Puis, je vous ferai part de l'appréciation que je porte sur les évolutions récentes de l'Europe de la défense, afin de replacer dans leur contexte les axes de nos efforts au sein de l'Union européenne. Je dresserai ensuite un bilan provisoire de l'exercice de réflexion en cours sur la Boussole stratégique, avant de conclure en soulignant la nécessité d'inscrire cette dynamique dans la durée afin d'obtenir des avancées tangibles pour l'efficacité militaire de l'Union européenne.

Officier général chargé des relations internationales militaires depuis septembre 2020, je suis chargé, au nom du chef d'état-major des armées (CEMA) – qui se voit attribuer par le code de la défense de nombreuses responsabilités en matière de relations internationales militaires – de la coordination des relations militaires des armées françaises avec les armées étrangères, notamment au sein des structures militaires et des organisations internationales telles que l'OTAN, l'Union européenne ou l'ONU. Pour exercer ces attributions, je m'appuie sur deux divisions de l'état-major des armées, les divisions euratlantique et coopération bilatérale Sud, qui constituent, dans leurs périmètres de compétence respectifs, l'échelon de synthèse des actions entreprises en matière de relations internationales par les différentes divisions de l'état-major des armées et les armées, directions et services relevant de l'autorité du CEMA. Nous entretenons à cette fin d'étroites relations de coordination avec d'autres acteurs du ministère, comme la direction générale de l'armement ou la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS).

Nos missions s'exercent dans un environnement stratégique en mutation, marqué par l'exacerbation des logiques de puissance, le développement des stratégies hybrides et la désinhibition de nos grands compétiteurs. Comme l'indique le CEMA dans sa vision stratégique publiée en octobre 2021, le continuum paix-crise-guerre, au prisme duquel nous analysions les soubresauts internationaux depuis la fin de la guerre froide, est devenu partiellement caduc. Nous devons désormais envisager et préparer notre stratégie militaire à la lumière des notions, étroitement intriquées, de compétition, de contestation et d'affrontement.

Cette grille de lecture appelle deux remarques liminaires.

En premier lieu, le besoin de relations internationales militaires, de diplomatie et de partenariats militaires n'a jamais été aussi fort. De fait, si les armées françaises conservent leur capacité à agir seules, le cadre normal de notre engagement est celui de l'action collective. À cet égard, les relations internationales militaires jouent un rôle crucial d'impulsion et de rassemblement de nos partenaires en appui des opérations - pour disposer des bons alliés au bon moment ; pour favoriser le développement capacitaire - accroître l'interopérabilité de nos forces et ancrer le partenariat sur le long terme ; et, enfin, pour renforcer notre influence dans les organisations internationales et y garantir la bonne prise en compte de nos intérêts. Dans ses directives, le chef d'état-major des armées, que je suis souvent amené à représenter, promeut ainsi le développement d'un esprit de solidarité stratégique envers nos partenaires – dont l'attente est souvent forte vis-à-vis de la France –, dans un souci constant d'équilibre et de pédagogie, grâce à une grande capacité d'écoute dans chacun de nos échanges internationaux.

En second lieu, face au durcissement du contexte géopolitique, l'Union européenne doit, pour éviter tout déclassement et une dépendance accrue, s'assumer comme un pourvoyeur de sécurité autonome pour sa population et ses partenaires. Elle doit être capable de gérer mais aussi de prévenir des crises de différentes natures sur l'ensemble du spectre et dans son voisinage élargi. Comme l'indiquait récemment la ministre des armées dans ces murs, « il s'agit d'avoir une Europe qui agit pour elle-même et qui ne subit pas les appétits et les priorités des autres ».

La défense dispose pour ce faire d'une fenêtre d'opportunité offerte par la conjonction de différents facteurs : l'exercice d'une responsabilité institutionnelle et politique rare – la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) ; une relative prise de conscience stratégique européenne – provoquée notamment par le retrait américain d'Afghanistan, l'engagement commun en Afrique et, dans une moindre mesure, l'affaire AUKUS ; la conduite des deux grandes réflexions stratégiques que sont la Boussole stratégique et la rénovation du concept stratégique de l'OTAN ; enfin, la densification de nos relations militaires bilatérales avec plusieurs de nos partenaires, tels que la Grèce, l'Italie, l'Espagne et la Croatie.

Il y a un moment européen que nous devons exploiter avec ambition et pragmatisme pour rehausser la stature et l'efficacité de l'Union européenne en tant qu'acteur militaire et, en conséquence, soutenir les efforts français.

Avant d'en venir à la Boussole stratégique proprement dite, je souhaiterais partager avec vous divers constats, que j'espère lucides, sur les imperfections et les mérites de l'action militaire européenne, qu'ils s'inscrivent dans le cadre de l'Union européenne stricto sensu, c'est-à-dire celui de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), ou dans des cadres ad hoc. Ce détour est utile pour comprendre la genèse et la logique des priorités que nous défendons depuis plus d'un an et demi dans le cadre de la préparation de la Boussole.

Qu'en est-il, tout d'abord, des imperfections de l'action militaire européenne ? L'Europe s'est longtemps construite sans la défense. Entreprise assez récente, la PSDC, issue en 2010 du traité de Lisbonne, a ainsi dû se faire une place dans un écosystème où les sujets de défense étaient et demeurent, dans une certaine mesure, des sujets de souveraineté et des sujets otaniens. Je citerai un seul chiffre pour illustrer mon propos : le Service européen pour l'action extérieure (SEAE), qui est le service diplomatique de l'Union européenne, structure qui rassemble plus de 4 000 personnes, ne compte que 250 militaires en uniforme. Ces derniers composent l'état-major de l'Union européenne, commandé par le vice-amiral d'escadre Bléjean, et sa capacité militaire de planification et de conduite, la MPCC.

À cette donnée historique s'ajoute le principe de l'unanimité, qui est la règle en matière de PSDC : autant cette règle confère une grande force politique lorsque les Vingt-Six – le Danemark ne participant pas à cette politique – se mettent d'accord, autant elle entrave l'ambition opérationnelle et la rapidité décisionnelle lorsqu'ils n'y parviennent pas. Les divergences de culture stratégique entre des pays à l'ADN expéditionnaire, comme le nôtre, et des États membres plus embarrassés par la chose militaire ralentissent aussi régulièrement les débats. Sur le plan capacitaire, les dix années, ou presque, qui se sont écoulées entre la signature du traité de Lisbonne et l'activation effective de la coopération structurée permanente (CSP) montrent bien que le réflexe de coopération entre Européens n'allait pas de soi.

Parallèlement, le contexte stratégique est devenu plus exigeant. Sur la plupart des théâtres de crise contemporains, se trouvent plusieurs organisations internationales mais aussi plusieurs pays, dont, de plus en plus souvent, certains de nos compétiteurs qui recourent de manière décomplexée aux actions hybrides. Le ticket d'entrée pour agir sur ces crises est devenu plus élevé. Il faut désormais être capable de déployer rapidement des capacités critiques de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR), de ravitaillement en vol, de transport stratégique ou tactique dans plusieurs milieux, dont les nouveaux champs opérationnels que sont le cyber ou l'espace, qui complexifient les champs traditionnels sans s'y substituer.

Pour ces raisons, l'Union européenne s'est parfois résignée à une certaine modestie en matière d'action militaire extérieure, un décalage évident se créant entre les objectifs politiques décidés en commun et leur traduction pratique. Après une première série d'opérations sous leadership français – Artémis, EUFOR RD Congo, EUFOR Tchad –, elle s'est ainsi cantonnée à des déploiements dans des environnements permissifs, ne comportant pas de risques humains ou matériels conséquents.

La plupart des États membres conçoivent la PSDC comme un instrument de gestion de crises lointaines et de basse intensité. Dans cette perspective, elle est pour eux un cadre utile, certes, mais auquel ils ne pensent que secondairement, lorsque leurs intérêts directs sont en jeu. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles la plupart des opérations et missions de la PSDC lancées au cours de la dernière décennie pâtissent d'une génération de force insuffisante. Ce constat vaut également pour l'architecture de commandement militaire de l'Union européenne, dont le vice-amiral d'escadre Bléjean vous a récemment fourni un aperçu, qui fait face, en matière de ressources humaines, d'infrastructures et de systèmes d'information et de communication, à des carences qui ne lui permettent pas de conduire ses missions dans des conditions techniques et de sécurité équivalentes à celles de la plupart des états-majors des États membres.

Toutefois, en dépit de ces imperfections, l'Union européenne de la défense a remporté des succès opérationnels reconnus et connaît des évolutions prometteuses. Je pense, par exemple, à l'opération navale Atalante, lancée lors de la dernière PFUE, en 2008, au large des côtes de la Somalie, qui est parvenue à mettre un coup d'arrêt aux actes de piraterie dans la zone.

Plus récemment, la montée en puissance de la facilité européenne pour la paix – nouvel instrument financier prenant en charge les coûts communs des opérations de l'Union européenne – permet, et c'est une grande nouveauté, de fournir des équipements, notamment létaux, aux partenaires que nous formons. De premières mesures d'assistance visant à équiper les compagnies de forces spéciales qui seront formées par la dernière-née des missions de la PSDC, EUTM Mozambique, à laquelle nous participons, sont ainsi en cours de mise en œuvre. Cette mission fait figure d'exemple, car elle cristallise deux des évolutions que nous souhaiterions imprimer aux missions de la PSDC dans les années à venir : d'une part, une plus grande efficacité vis-à-vis de nos compétiteurs grâce à la fourniture d'équipements, d'autre part une plus grande flexibilité dans les modes de participation des États membres. Les soldats français engagés dans l'EUTM Mozambique seront ainsi rejoints ponctuellement par des détachements d'instruction opérationnelle de nos forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), basés à La Réunion. Le fait que cette mission ait été lancée sous l'impulsion politique et militaire du Portugal n'est pas anodin. Cela démontre l'appropriation, certes lente mais en progrès constant, des mécanismes de la PSDC par l'ensemble des États membres – au-delà des quatre pays majeurs que sont la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne.

Ces dernières années, le moteur capacitaire a tourné à plein régime, à la faveur du lancement de la coopération structurée permanente, de l'examen annuel coordonné en matière de défense (CARD) et du Fonds européen de la défense (FEDef), dont la décision concernant la première vague de projets financés devrait être connue à la fin du premier semestre 2022. Il s'agit d'une source d'opportunités importante, à condition toutefois de veiller à ce que ces projets correspondent aux besoins militaires prévisibles et à ce que la priorisation capacitaire reste bien dans les mains des États membres. Eux seuls, en effet, achètent les équipements développés, les emploient en opération et en assument les conséquences politiques.

Enfin, en dehors du cadre de l'Union européenne stricto sensu, on constate un mouvement d'approfondissement de l'Europe de la défense. Trois ans après son lancement, l'initiative européenne d'intervention (IEI), composée de treize États membres et destinée à favoriser le développement d'une culture stratégique commune, arrive à maturité. Je pense également au succès de la task force Takuba, qui suscite l'intérêt d'un nombre croissant de nos partenaires et dont nous devons assumer la bonne prise en compte dans la Boussole stratégique, sur laquelle je vais à présent revenir en détail.

Si elle anime depuis quelque temps maintenant la place bruxelloise, les ministères et les états-majors, la Boussole stratégique demeure relativement confidentielle hors de ces cénacles. Permettez-moi donc de vous en rappeler les principaux paramètres.

La Boussole stratégique a vocation à être l'équivalent d'un Livre blanc pour la défense européenne. C'est une entreprise importante mais rare, puisque c'est seulement la troisième fois, après la stratégie européenne de sécurité, en 2003, et la stratégie globale de 2016, que l'Union européenne se dote d'un document de portée stratégique sur les questions de défense.

La Boussole a franchi plusieurs étapes successives au cours des derniers mois : à la diffusion, en novembre 2020, de l'analyse des menaces, qui a mis à contribution les services de renseignement de l'ensemble des États membres, a succédé une phase dite de dialogue stratégique, alimentée par des contributions écrites des États membres, des ateliers de réflexion et des discussions de haut niveau en filière politique comme en filière militaire. Les CEMA ont abordé le sujet à plusieurs reprises au Comité militaire de l'Union européenne afin de faire émerger les premières orientations. Sur cette base, le SEAE, qui tient la plume, a présenté aux ministres, en novembre 2021, un premier projet de texte articulé autour des quatre fonctions stratégiques que vous mentionniez, Madame la présidente : agir et se préparer – la gestion de crise ; anticiper et se protéger – la résilience ; investir et innover – les capacités – ; coopérer avec les partenaires – le partenariat. Une version révisée a été récemment communiquée. L'objectif, tributaire des aléas de la négociation, est d'endosser ce document au plus haut niveau lors du Conseil européen de mars 2022.

Pour l'heure, le projet de document nous paraît prometteur : le niveau d'ambition est le bon, les objectifs concrets et les jalons proches, échelonnés entre 2022 et 2025. La Boussole, et c'est très positif, se veut à la fois une stratégie et un plan d'action. Il ne s'agit donc pas, comme nous avions pu le craindre aux prémices de l'exercice, d'un document creux se bornant à énumérer de grands principes.

Quant au contenu, si certaines propositions méritent encore d'être appréciées, force est de constater que les idées françaises, notamment celles des armées – réforme des EUTM, assouplissement du cadre politico-juridique des opérations, travail sur la non-permissivité – ont infusé et même façonné la réflexion menée à Bruxelles. Il est encore trop tôt pour s'en réjouir, mais c'est encourageant. Ce résultat intermédiaire est le fruit de l'intense travail de conviction réalisé auprès des États membres, travail pour lequel nos états-majors, attachés de défense et officiers de liaison, entre autres, ont été activement mis à contribution. Les bonnes relations de travail établies avec les autres services concernés du ministère des armées, la coordination avec le Quai d'Orsay et la mobilisation de nos relais dans les institutions européennes jouent également à plein.

Le principal enjeu de la phase de négociation qui s'ouvre est de maintenir ce niveau d'ambition et de verrouiller les avancées qui correspondent à nos attentes.

Quelles sont, précisément, les priorités du CEMA ?

Premièrement, nous souhaitons introduire plus de flexibilité dans le cadre politico-juridique des opérations européennes, en suivant deux axes. D'une part, il s'agit d'assouplir le cadre de décision de l'Union européenne en matière de gestion de crise afin de pouvoir engager une nation cadre au nom de l'Union européenne. Cela est possible sans affaiblir le consensus puisque l'article 44 du traité sur l'Union européenne, jamais utilisé, permet à un noyau d'États membres capables et volontaires de mettre en œuvre une mission au nom de l'Union européenne en gardant la main sur sa conduite opérationnelle. En résumé, il s'agit de permettre des initiatives ad hoc au sein de l'Union européenne. D'autre part, il convient de développer la complémentarité et la cohérence entre les engagements ad hoc et ceux de la PSDC par un soutien politique, opérationnel ou financier. Cela doit valoir en particulier pour EUTM Mali et Takuba ainsi que pour Atalante et Agénor, qui évoluent sur des théâtres identiques ou adjacents.

Deuxième axe d'effort : la réforme des EUTM. Nous considérons qu'il faut passer d'une offre d'entraînement dispensée à des partenaires souvent accaparés par l'engagement opérationnel de leurs unités à une coopération de défense plus structurelle, consistant en une offre élargie de conseil, de formation, d'équipement et, si nécessaire, d'accompagnement au combat. En d'autres termes, en complément de la nécessaire capacité à gérer les crises, il nous faut pouvoir les prévenir en aidant sur le long terme nos partenaires à restructurer leur appareil de défense. À cet égard, plusieurs pistes concrètes figurant dans la version actuelle de la Boussole peuvent être approfondies, telles que l'allongement de la durée de déploiement des conseillers spécialisés, l'élévation des prérequis culturels et linguistiques ou l'utilisation à plein de la facilité européenne pour la paix.

Le troisième axe d'effort est l'actualisation du niveau d'ambition opérationnelle de l'Union européenne. L'évolution du contexte stratégique nous impose, à nous et à l'Union européenne, de nous préparer à des engagements plus ambitieux. Aussi plaidons-nous en faveur de l'intégration de « l'entrée en premier » – à l'instar de l'opération Serval, en 2013 – dans les réflexions de l'Union européenne, afin de guider ses efforts de préparation opérationnelle et de développement capacitaire. La nécessité de se doter des enablers – capacités ISR, de ravitaillement en vol et de transport aérien – qui nous font défaut et nous rendent dépendants des Américains est fortement soulignée dans la Boussole. Notre travail dans le cadre de la quatrième vague de projets de la CSP, adoptée fin 2021, s'inscrivait dans cette logique, au travers du lancement des projets consacrés au transport aérien tactique (FMTC) ou à la protection des capacités spatiales.

Le dernier axe est la Capacité de déploiement rapide, que j'évoque en dernier lieu à dessein, car il me semble que les axes précédents y concourent en grande partie : il ne s'agit pas de créer une nouvelle force en alerte, mais de se rendre capable d'agir rapidement – flexibilité décisionnelle –, éventuellement dans un environnement non permissif – ambition opérationnelle, et ce au moyen de capacités critiques. Les formats ambitionnés permettraient de déployer jusqu'à 5 000 hommes sur la base des scénarios et des outils existants.

Je recense quatre principaux points de vigilance.

Premièrement, tous les acteurs pertinents de l'Union européenne doivent être à bord. Le rôle de la Commission notamment est fondamental pour étayer l'ambition capacitaire de la Boussole soutenue par le Conseil de l'Union européenne. La présentation de son « paquet défense », en février, sera donc suivie avec le plus grand intérêt.

Deuxièmement, la question des ressources additionnelles doit être mise sur la table. Au vu des ambitions promues par le texte, l'extension des coûts communs semble inévitable. Je crois pouvoir affirmer que la France n'y est pas opposée, mais cette extension doit être cadrée et obéir à une véritable finalité opérationnelle. Certains pays pourraient en effet être tentés de profiter de l'aubaine pour faire financer par les États membres contribuant au pot commun une partie de la préparation opérationnelle de leurs propres forces. En bref, on peut étendre le périmètre des coûts communs, à condition que cela se matérialise sur le terrain par des déploiements en opération et par une génération de force à la hauteur.

À propos du goût des grandes organisations pour la hausse des contributions nationales, je ne peux manquer de mentionner l'OTAN, dont les augmentations de budget et d'effectifs envisagées sont autrement plus importantes. La concomitance du processus de la Boussole et de la révision du concept stratégique otanien a créé une concurrence qui ne dit pas son nom entre les deux organisations. Il faut rester vigilant sur ce point, pour maintenir la cohérence entre les deux réflexions tout en préservant leurs natures distinctes.

Le dernier point sur lequel je souhaite appeler votre attention a trait au lawfare, que nous trouvons insuffisamment pris en compte dans le projet de texte de la Boussole. À l'heure actuelle, le constat d'un recours croissant au levier normatif par nos compétiteurs et nos alliés n'est pas assorti de propositions d'action. La question du désarmement par le droit européen n'est pas non plus abordée alors que la défense est de plus en plus concernée par les politiques transverses de l'Union européenne – Ciel unique européen, taxonomie – et par l'activisme de la Cour de justice de l'Union européenne. J'en reviens au constat du manque de culture militaire de l'Union européenne : il n'y a pas une volonté délibérée de nuire mais une méconnaissance de sa singularité qui peut nous lier les mains, au risque de nous faire perdre la guerre avant la guerre. Je sais votre commission sensible à ces questions ; je loue le rôle important d'ambassadeur que vous jouez à cet égard.

Vous l'aurez compris, les axes d'effort que nous promouvons sont des objectifs à moyen et long terme. En l'absence de solution miracle, ils ne seront pas atteignables durant la PFUE. Il est néanmoins intéressant d'observer comment ces différentes temporalités se renforcent mutuellement.

Je conclurai ainsi en évoquant les perspectives.

À court terme, au cours des six mois de la présidence française, les armées, directions et services organiseront un grand nombre d'événements – sur lesquels je pourrai revenir en détail – qui permettront, pour certains d'entre, de soutenir concrètement les orientations de la Boussole stratégique. Je pense à la seconde édition de l'exercice spatial AsterX, qui réunira nos partenaires européens et les institutions pour contribuer à faire émerger une culture stratégique européenne dans le spatial de défense. Je pense aussi à l'événement European wings, qui témoignera de l'importance du milieu aérien pour la politique extérieure de l'Union et valorisera les critical enablers dont j'ai parlé à plusieurs reprises.

La Boussole stratégique ne résoudra pas tout, mais elle enclenche une dynamique. Si le processus final aboutit, comme nous l'espérons, elle permettra d'inscrire nos objectifs prioritaires à l'horizon de cinq à dix ans dans le paysage bruxellois. Par ailleurs, le format du trio des présidences, que nous formons avec la République tchèque et la Suède, montre toute sa pertinence. Forts de nos échanges nourris dans ce format, notamment sur le plan militaire, nous construisons la nécessaire continuité avec nos successeurs ainsi qu'avec le trio suivant, emmené par l'Espagne, à partir de 2023. Cette entreprise de longue haleine nécessite un important travail d'accompagnement en aval. Dans ce contexte, les relations internationales militaires prennent tout leur sens et les relations de confiance que nous tâchons de tisser jour après jour avec nos partenaires prouvent leur utilité. Vous comprenez que l'état-major des armées est très investi dans cet effort commun des institutions françaises.

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