Intervention de le général d'armée Christian Rodriguez

Réunion du mardi 25 janvier 2022 à 17h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale :

Je remercie cette commission pour son soutien constant dans des moments qui nous ont semblé compliqués tels que la période qui a précédé la décision relative au temps de travail. La gendarmerie est particulièrement attachée à cet appui.

J'ai une pensée pour les femmes et les hommes qui sont tombés. Plus tôt dans la journée, j'étais en télécommunication avec les gendarmes basés à Gao. Les obus sont tombés à proximité. Ces explosions ont été fatales pour un de nos soldats. L'ambiance est très tendue et particulièrement compliquée. Pour autant, les gendarmes et les militaires des Armées demeurent engagés au quotidien dans ces territoires.

Pour reprendre les mots du Président de la République, il existe un droit à la vie paisible. Nos concitoyens ont des attentes légitimes en matière de sécurité. Ils souhaitent la présence de forces de l'ordre plus proches d'eux, qui les protègent et font respecter l'ordre républicain en tout temps, en tout lieu et tout en anticipant les menaces de demain. Ce besoin est d'autant plus prégnant dans le contexte actuel de crises permanentes. Ces crises sont souvent hybrides. Elles sont sociales, climatiques, migratoires ou sanitaires. Nous subissons des menaces terroristes persistantes et une hausse du niveau des violences. Un gendarme est agressé toutes les deux heures ; un véhicule fonce délibérément sur un gendarme toutes les trente minutes ; un forcené tire ou menace de tirer sur les gendarmes toutes les quarante-huit heures. Les élus connaissent une augmentation de 47 % des violences commises à leur encontre. Les gendarmes effectuent 165 000 interventions par an pour des violences intrafamiliales. Dans le même temps, la population subit une fragilisation du lien social, une médiatisation accrue et l'apparition de nouvelles menaces qu'elles soient cyber ou environnementales. Dans ce contexte, la militarité constitue un atout important de la gendarmerie dans l'exercice de sa mission et pour répondre aux attentes de la population.

Lors de ses vœux aux armées le 19 janvier 2022, le Président de la République a rappelé son attachement à la militarité de la gendarmerie. Il nous appartient de la conserver et de la renforcer. Il s'agit là du cœur de ma stratégie depuis 2019, GEND 20-24. La gendarmerie se transforme profondément pour mieux répondre aux besoins et s'adapter aux nouveaux défis tout en densifiant ce qui fait sa force : sa militarité.

Depuis sept siècles, c'est autour de la militarité que s'est défini notre modèle d'arme. La militarité de la gendarmerie doit être entendue dans son acception la plus large car elle conditionne l'ensemble de la structure, les hommes, les missions et les moyens. Le modèle de la gendarmerie tel que nous l'avons souhaité garantit la proximité, la disponibilité et la réactivité. La gendarmerie doit toujours être au plus proche et être redevable.

Le territoire de la gendarmerie est en profonde mutation démographique. Il compte une hausse de 2 millions d'habitants en dix ans, soit deux tiers de l'augmentation de la population française. D'ici à 2027, nous comptabiliserons une hausse supplémentaire d'un million d'habitants. Au plan social, après un phénomène de métropolisation, le territoire connaît une augmentation et une concentration de la population sur la France périphérique, et donc majoritairement en zone gendarmerie nationale (ZGN). Les citoyens sont consommateurs de sécurité. Ils exigent des réponses rapides et adaptées à leurs spécificités, où qu'ils se trouvent sur le territoire, qu'il s'agisse de réponses physiques ou numériques. Ces attentes sont légitimes.

Les facteurs clés de notre succès, et je choisis volontairement des termes militaires, sont la disponibilité et la réactivité. Ces deux éléments s'avèrent indispensables pour gérer dans le meilleur rapport coût/efficacité la fluctuation de l'activité dans une zone aussi vaste (96 % du territoire) que variée : environ 60 % de la population de la zone gendarmerie se situe en milieu urbain ou péri-urbain. Notre statut militaire est la condition de la disponibilité et de la réactivité, et le logement en est le moyen. Le tout forme le système d'arme de la gendarmerie. La décision du Conseil d'État du 17 décembre 2021 sur la transposition de la directive européenne du temps de travail a consolidé le modèle d'organisation de la gendarmerie. Cependant, cette décision impose de rester vigilant quant à d'éventuels contentieux à venir. La vie en caserne garantit non seulement la disponibilité et la réactivité, mais aussi beaucoup plus que cela. Le gendarme est au cœur de la population qu'il protège : il vit où il sert et il sert où il vit. Cela conforte son ancrage territorial, l'imbrication de sa vie privée et de sa vie professionnelle, sa proximité, sa connaissance, sa compréhension, son implication dans le milieu dans lequel il vit, et tout cela sous le contrôle social de la population sur laquelle il veille.

Nous avons mis en place de nouveaux modes d'organisation opérationnelle, tels que le dispositif de gestion des événements ou encore le dispositif d'appui interdépartemental, qui évite que les brigades soient gênées par les frontières administratives lorsqu'elles poursuivent un délinquant.

Nous sommes redevables aux élus et à la population. Le dispositif de consultation et d'amélioration du service nous amène à rendre des comptes aux élus et à travailler avec eux régulièrement. Nous atteignons 80 % de satisfaction des élus dans les zones où nous avons développé ce concept qui est en cours de généralisation. Par ailleurs, nous développons et élargissons l'offre de contact au travers du numérique. La brigade numérique n'a pas vocation à remplacer le contact physique mais ouvre un canal supplémentaire à une population demandeuse de contacts accessibles 24 heures sur 24.

Des réflexions sont en cours sur le besoin de transformation, notamment en ce qui concerne la densification du maillage territorial. En une quinzaine d'années, nous avons perdu 500 brigades territoriales. Nous sommes passés de 3 600 à 3 100 brigades. Le Président de la République a annoncé, dans le cadre des travaux de la future loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur, la recréation de 200 brigades en milieu rural. Deux tiers d'entre elles seront fixes. Le dernier tiers sera constitué d'une brigade itinérante qui se rendra dans les communes les plus reculées, à l'image du boulanger qui se déplace pour vendre son pain. C'est la première fois que la tendance, qui était auparavant à la dissolution de brigades, est inversée.

En outre, nous réfléchissons à d'autres modèles de brigades, par exemple des postes installés dans les mairies ou dans les locaux municipaux avec des réservistes employés pour accroître la proximité. Ces derniers, issus de la population, conforteront le lien avec la gendarmerie. Ainsi, le président de la République a annoncé l'augmentation de la réserve opérationnelle de la gendarmerie de 30 000 à 50 000 personnes.

Nous souhaitons que le gendarme soit pétri de valeurs, qu'il protège tous les citoyens en portant un regard particulier aux plus fragiles et aux plus exposés. La gendarmerie protège plus d'un Français sur deux, dans dix-neuf communes sur vingt. Indirectement, elle veille sur tous les citoyens et sur l'intégralité des territoires, y compris dans le cyberespace. La gendarmerie dispose d'une vision mobile et dynamique des territoires. La population, les délinquants et les valeurs se déplacent. Les contentieux deviennent de plus en plus spécialisés tels que ceux qui intéressent l'environnement. Nous avons également évoqué la question du maintien de l'ordre et des opérations extérieures. Parmi les citoyens, certains sont plus fragiles ou davantage exposés : les personnes âgées, le jeune public, les victimes de violences intrafamiliales, les personnes handicapées. Je pense également aux élus, à l'encontre desquels le nombre d'agressions est en augmentation très importante. Or la République leur doit une attention renforcée et particulière.

Notre état d'esprit et les valeurs communes partagées constituent les facteurs clés du succès. Les formations initiale et continue composent la clé de voûte de notre système d'arme. Elles garantissent une force juste, exemplaire et transparente dans son action. Cela passe par l'apprentissage de savoir-faire, mais aussi de savoir-être militaires : une discipline, une rigueur morale, un esprit de sacrifice et de corps. La diversité du recrutement, liée à la richesse des parcours professionnels, à la mobilité et à la vie en caserne ancre dans la culture du gendarme et de sa famille, la notion d'égalité, des valeurs de cohésion, de solidarité et d'empathie. La polyvalence du militaire permet aux gendarmes de s'adapter à la diversité des situations, des victimes et contribue également au bien-être du gendarme au sein de la population, le rendant ainsi plus efficace.

L'éthique et l'exemplarité collective dans l'exercice du monopole de la violence légitime requièrent une responsabilité individuelle ainsi qu'un contrôle hiérarchique permanent à tous les échelons. Nous poursuivons ce but, notamment lors de la formation de nos cadres et de nos jeunes gendarmes. À cet égard, nous avons mis en œuvre une sécurité sur mesure vis-à-vis des violences intrafamiliales. Un élan nous a été demandé par notre ministre de tutelle en ce sens face à la croissance du nombre de victimes et à la libération de la parole. Nous généralisons les maisons de protection des familles ainsi que les salles Mélanie pour les auditions de mineurs, nous construisons des chaînes de spécialistes pour diffuser et irriguer la formation afin de recueillir convenablement les témoignages. D'autres initiatives ont vu le jour, comme les opérations « tranquillité senior »,« répondre présent » ou « présent pour les élus », lancée en décembre 2021 et dont l'objectif est d'être plus transparent et plus réactif au service des élus. Nous accordons une attention toute particulière à des franges de la population qui font face à des menaces particulières.

Nous consolidons notre chaîne de formation et évoquons régulièrement ce sujet. Nous désirons sans cesse nous adapter afin de répondre en permanence aux besoins de la population. Nous travaillons actuellement sur la symbolique du drapeau et des cérémonies. Nous avons souhaité que les héros du quotidien défilent lors de la commémoration du 14 Juillet. Ainsi, les escadrons de gendarmerie mobile défilent sur les Champs Élysées et symbolisent cet engagement de tous les jours. Le 16 février, la cérémonie consacrée aux morts de la gendarmerie évoluera. Elle rendra hommage aux morts de la gendarmerie et permettra de saluer l'engagement des héros du quotidien. Cette cérémonie symbolisera dorénavant le souvenir mais aussi l'optimisme.

D'autres réflexions sont en cours telles que la logique du pas de porte. Nous souhaitons changer le modèle d'une brigade où le gendarme attend l'usager, pour davantage nous déplacer vers ce dernier. Cette procédure devrait nous permettre d'apporter des réponses plus rapides aux victimes, au moment et sur le lieu où elles le veulent. En effet, nous pouvons désormais faire toutes les procédures en mobilité. Ce dispositif est en cours d'expérimentation dans différents départements pour les victimes de violences intrafamiliales et les élus.

L'approche missionnelle par la manœuvre garantit le respect de l'ordre et du pacte républicain. Notre quotidien est marqué par une multitude d'événements auxquels s'ajoutent des crises d'ampleur de plus en plus fréquentes – des forcenés avec échanges de tirs notamment. Il n'existe pas de petites ou de grandes crises. Chaque événement est important ou peut le devenir pour la victime, l'ordre public et la cohésion nationale. Les petites crises du quotidien doivent être gérées avec la même rigueur et selon les mêmes méthodes que les crises d'ampleur. Cela impose l'acquisition d'automatismes et un nécessaire rôle de régulation. L'approche par la manœuvre rend nécessaire d'anticiper les facteurs d'adversité, de planifier des opérations et de manœuvrer sur la totalité du spectre : compétition, contestation, affrontement. Nous ne pouvons connaître l'évolution d'une crise à l'avance. Nous devons tout appréhender afin de ne pas prendre de risques plus importants pour les victimes, les auteurs ou les gendarmes. Cela impose une complémentarité des moyens de la gendarmerie pour une montée en puissance rapide en tous points du territoire. C'est d'ores et déjà le cas en zone gendarmerie et dans l'appui que nous pouvons apporter en zone police dans le cadre de la coopération opérationnelle (CORAT) en cas de pic de crise. Cet ensemble de moyens est mis à la disposition d'un chef unique à l'image de l'adage militaire « un chef, une mission et des moyens ».

La robustesse et la résilience, termes très employés dans le monde militaire, représentent la capacité du gendarme à tenir dans le temps sur les terrains les plus difficiles. Cela implique un soutien intégré et une interopérabilité entre nous et avec les armées. Nous pouvons constater ce phénomène en opérations extérieures mais aussi sur le territoire national comme ce fut le cas lors du référendum en Nouvelle-Calédonie. Dans ce cadre, le GIGN a évolué, de même que le centre national des opérations : plus du tiers de la direction générale a été modifiée afin d'accompagner et de monter en puissance lorsqu'une crise se produit. Depuis le 1er juin 2021, nous pouvons mettre en place un dispositif d'intervention augmentée de gendarmerie (DIAG), capacité nous permettant de faire manœuvrer de concert nos blindés, le GIGN, les escadrons de gendarmerie mobile et les hélicoptères. Lorsque le niveau de violence augmente, nous avons besoin de ces capacités. En termes d'opération et d'emploi, il s'agit de capacités de projection opérationnelle en métropole –tempête Alex, crise des gilets jaunes – ; en outre-mer – tempête Irma, référendum – ; ou à l'étranger – Afghanistan, Sahel, Libye, Côte d'Ivoire –, à la fois du GIGN et d'escadrons de gendarmerie mobile.

Nous avons renforcé notre formation tactique. Tous nos candidats à l'École de guerre possèdent une formation tactique car ce sont des personnes qui commanderont, à terme, des groupements de gendarmerie. Le chef, quel que soit son grade, doit être en mesure de se rendre sur le terrain et de manœuvrer. Le diplôme d'arme (DA), qui permet à un gendarme mobile d'être chef, a été transformé et comporte désormais une formation au combat. Celle-ci est délivrée par l'armée de Terre. Ainsi, les gendarmes des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) peuvent désormais passer l'OPJ ou le DA. Ils reçoivent dès lors une formation au combat, devenue indispensable face à la hausse des menaces. Ils sont en mesure de se défendre et de neutraliser un attaquant. Je remercie l'ancien chef d'état-major de l'armée de Terre, Thierry Burkhard qui a accepté cette demande de formation supplémentaire. Les gendarmes en sont satisfaits.

Dans l'optique d'une densification de la gendarmerie mobile, nous durcissons sa formation, notamment grâce au passage à Saint-Astier. Nous professionnalisons les simulateurs. Les armées nous aideront en ce sens. Nous prenons exemple sur le soldat augmenté. Au-delà de la gendarmerie mobile, je m'intéresse également aux gendarmes des brigades territoriales qui risquent aussi leur vie au quotidien. Nous remettons au cœur de la profession l'entretien physique et le sport que certains cherchaient à éviter.

La gendarmerie anticipe, innove et investit de nouvelles frontières de la délinquance. Nous collaborons en ce sens avec les armées. Nous avons affecté des officiers à l'Agence pour l'innovation de défense (AID). Nous nous abonnons à toutes les nouveautés diffusées par l'AID qui invente de nouvelles techniques et de nouveaux moyens, de même qu'à ceux proposés par le délégué interministériel à la transformation publique. Nous souhaitons nous engager davantage avec l'AID. En effet, les frontières de la délinquance bougent et s'étendent au-delà des contentieux traditionnels, en particulier parce qu'elles sont repoussées sous la pression des évolutions technologiques, sociétales et légales. À ce titre, les bouleversements connus par l'environnement nous obligent à être davantage présents. Nous avons réalisé un sondage avec les maires des communes sur l'amélioration des services. Or le sujet de l'environnement y est évoqué de manière récurrente. Nous souhaitons monter en gamme sur ce sujet. Nous avons créé des antennes de l'Office de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique (OCLAESP) et nous continuons à former nos gendarmes sur ces thématiques car la criminalité organisée y gagne pour l'instant beaucoup sans prendre de risques.

Nous devons continuer à anticiper les enjeux et investir les nouvelles frontières. Le facteur-clé de succès repose sur une démarche capacitaire. Le militaire est culturellement tourné vers l'innovation scientifique. Notre statut nous permet de recruter des scientifiques. L'an dernier, parmi les officiers recrutés, 52 % sont ingénieurs ou titulaires d'un master 2 de sciences dites « dures ». Cette réflexion capacitaire nous permet d'éviter de perdre de l'énergie et du budget. Elle porte sur l'évolution de la gendarmerie d'ici à une dizaine d'années. En fonction des axes de réflexion élaborés, des évolutions sociétales et scientifiques envisagées, nous définissons le cadre vers lequel nous souhaitons nous diriger pour ne pas nous éloigner de la cible.

Nous avons créé un « salon de la demande » à la station F. Il s'agit de proposer à des entreprises françaises et à des start-ups des speed dating avec les responsables du programme gendarmerie pour présenter nos besoins et montrer qu'il y a un marché. En effet, dès lors qu'un marché nous intéresse, il intéresse également la police, en France et à l'étranger. Ce processus est bénéfique à la fois pour l'entreprise et pour nous, puisqu'il nous permet de co-construire des produits adaptés à nos besoins.

Le cyber, c'est notre commandement cyber et 7 000 enquêteurs. Nous disposerons de 10 000 enquêteurs dans deux ans. Le cyber campus permettra d'accompagner, à Paris et dans les territoires, des initiatives intéressantes dans ce domaine. Nous profitons ainsi du dynamisme du secteur privé, des universités et des écoles pour améliorer nos dispositifs. Enfin, nous travaillons de concert avec Europol et avec l'Union européenne, qui finance par ailleurs des formations, la production d'informations et de synergies communes.

Pour conclure, ce n'est pas la mission en elle-même qui est militaire, mais plutôt la façon dont elle est anticipée, conduite et exécutée par des militaires formés, un collectif soudé, doté de matériels innovants et adaptés aux besoins. Nous donnons également beaucoup d'importance aux enseignements que nous tirons grâce à la culture du retour d'expérience et de la redevabilité. Je vous remercie et suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

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