Intervention de Alice Guitton

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 9h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées :

C'est pour moi un privilège de répondre à ces questions. Il s'agit effectivement d'enjeux qui nous préoccupent et justifient une action interministérielle – de fait, le travail conjoint du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et du ministère des armées est un atout pour faire face au programme particulièrement dense qui vient d'être esquissé.

Le Président de la République a évoqué la présidence française de l'Union européenne en des termes pesés et choisis : « nous devons passer d'une Europe de coopération à l'intérieur de nos frontières à une Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin ». Le terrorisme, les rivalités de puissance, l'opportunisme des puissances intermédiaires, la contestation des espaces stratégiques et l'érosion de l'architecture de sécurité européenne montrent combien les défis pour l'Europe se multiplient et lui font courir le risque d'un déclassement stratégique. Tel fut le constat dressé dans l'actualisation stratégique 2021, et nous en sommes toujours là.

Permettez-moi de décrire les priorités de la PFUE au regard du contexte, et les réponses que nous nous sommes efforcés de proposer afin que l'Europe pèse sur le plan stratégique tout en ayant la capacité de protéger ses citoyens.

La dégradation du contexte stratégique se poursuit et même s'accélère à de nombreux égards. Dès 2017, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale a mis en lumière un environnement instable et incertain. L'actualisation stratégique 2021, pour sa part, a montré que la pandémie a accéléré et amplifié les tendances. L'environnement est encore plus volatil : outre la poursuite de la pandémie, les derniers mois de l'année 2021 ont été marqués par des événements tels que la reprise du conflit au Haut-Karabakh, la prise de Kaboul par les talibans ou encore l'annonce du partenariat entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (AUKUS) – lequel est simplement venu confirmer la réalité de la confrontation sino-américaine et la difficulté à asseoir des alliances stables et durables, dans la confiance, en dépit de leur nécessité. Si l'année 2021 a vu se produire des surprises stratégiques, il n'est pas un de ces événements qui n'ait été perçu en amont et face auquel nous n'ayons déjà esquissé des réponses.

Une amplification des tendances s'annonce en 2022. La montée des tensions à l'est de l'Ukraine, inédite depuis la fin de la guerre froide, nous rappelle combien les défis de sécurité sont de plus en plus proches de nous et recèlent des risques d'escalade. Le Président de la République est engagé dans une séquence diplomatique d'une extrême intensité, comme le montrent les déplacements organisés cette semaine et la vingtaine d'appels téléphoniques passés avec des chefs d'État de pays alliés. La situation est particulièrement délicate. Le risque qu'un conflit d'ampleur éclate est bel et bien présent, face à une Russie qui, plus que jamais, s'affirme comme une puissance de nuisance.

D'autres tendances de fond perdurent et justifient que l'on continue à se doter des moyens d'y faire face. Les groupes armés terroristes sont affaiblis par la perte de nombreux cadres – al-Sahraoui a été neutralisé par la France en août 2021 et al-Qourachi, calife de l'organisation État islamique, a été éliminé en Syrie par les États-Unis le 3 février –, mais ils ne sont pas pour autant vaincus : ce n'est pas parce que la Chine est devenue la priorité de Washington qu'ils ont cessé d'exécuter leur stratégie. Ils continuent à tenter de s'enraciner localement, partout où ils le peuvent. Ils se démultiplient sous des formes insurrectionnelles et recherchent une dissémination mondiale. Les Occidentaux restent l'une des cibles prioritaires des centrales djihadistes ; nous devons donc continuer à lutter contre elles.

La prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs constitue elle aussi une menace croissante. La reprise des essais de vecteurs et les nouveaux tirs de missiles par la Corée du Nord en janvier, de même que le cas iranien, qui mobilise activement notre diplomatie avec les négociations autour du plan d'action global commun – le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) –, en sont des illustrations particulièrement préoccupantes. Derrière, se dessinent un risque de prolifération secondaire et la réduction de la distance des menaces.

Tout cela s'inscrit dans un contexte où la compétition stratégique et militaire entre grandes puissances est désormais affichée et assumée. Ce que j'évoque là n'est pas une grille de lecture supplémentaire de toutes les crises que nous observons, c'est un constat public établi dans la sphère informationnelle.

La compétition sino-américaine, qui structure désormais les relations internationales, conduit la Russie à hausser le ton pour tenter de préserver son statut et s'affirmer face aux États-Unis. Un espace est ainsi laissé à l'aventurisme des puissances intermédiaires régionales qui, suivant un programme unilatéral parfois nationaliste, s'enhardissent. Nous devons, face à elles, défendre nos valeurs et nos principes.

Ce retour des rivalités de puissance se traduit par une contestation des espaces stratégiques communs. Or ces derniers restent essentiels non seulement pour garantir notre accès aux ressources, donc notre prospérité économique et sociale, mais aussi pour préserver l'usage pacifique de certains domaines, tels que l'espace exo-atmosphérique. Nous devons éviter que l'escalade ne devienne beaucoup plus abrupte et donc difficile à maîtriser, notamment dans le cyberespace, en haute mer et dans l'espace. La poldérisation de la mer de Chine méridionale, le détournement d'un appareil civil par la Biélorussie, les cyberattaques profitant de la crise du covid-19 et le tir du missile antisatellite Nudol, le 15 novembre, nous rappellent la terrible acuité de ces enjeux.

Dans ces espaces clés pour nos opérations, mais aussi critiques pour nos sociétés et nos économies, certains compétiteurs, qu'ils soient étatiques ou non, ont développé des stratégies dites « hybrides » ou « asymétriques », qui combinent des modes d'action militaires et non militaires, directs et indirects, légaux et illégaux. L'inhibition des démocraties face à la désinhibition des régimes autoritaires tend à affaiblir le rapport de forces. Il nous faut donc pouvoir rétablir ce rapport, sur une base que nous avons toujours consolidée : le droit. Si nous voulons éviter que notre liberté d'action ne soit restreinte, nous devons retrouver des marges de manœuvre.

Alors que la compétition, la contestation, l'affrontement ou la déstabilisation se substituent à la distinction ancienne entre la guerre et la paix – même si celle-ci n'était pas aussi claire que cela, au demeurant –, nous devons plus que jamais être prêts à déployer une capacité de réponse dans tous les domaines. Il s'agit d'assurer non pas seulement une réponse de défense, mais une réponse multidimensionnelle, combinant d'autres outils – notamment les sanctions.

J'en viens à la fragilisation de l'architecture de sécurité internationale, qui constitue à mes yeux l'aspect le plus important de l'environnement stratégique. Cette évolution est grave et inquiétante. Tout ce que l'on a bâti à l'issue de la guerre froide et qui nous a permis d'assurer une certaine stabilité stratégique et d'éviter une course à l'armement en Europe a été battu en brèche. C'est en tout cas ce qui ressort de la suspension de la participation de la Russie au traité sur les forces armées conventionnelles en Europe en 2007, de la violation du mémorandum de Budapest et de la remise en cause de l'acte final d'Helsinki en 2014, de la fin du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en 2019, après sa violation par la Russie, ou encore des retraits russe et américain du traité « Ciel ouvert » en 2020. Nonobstant la bonne nouvelle de la prolongation du traité New Start jusqu'en 2026, l'avenir demeure très incertain.

La refonte du document de Vienne sur les mesures de confiance et de sécurité, à laquelle nous appelons depuis de longues années, reste bloquée. L'érosion de l'architecture de sécurité est patente. Dans ce contexte, le programme que propose le Président de la République apparaît très exigeant.

Dans un autre registre, le traité sur l'interdiction des armes nucléaires, entré en vigueur en janvier 2021, participe aussi de cette déstabilisation, notamment dans la mesure où il tend à remettre en cause le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Nous avons tout intérêt à ce que les Américains, qui s'apprêtent à diffuser leur nouvelle Nuclear Posture Review (NPR) – autrement dit leur politique dans le domaine du nucléaire –, ne renoncent pas à l'ambiguïté qui caractérise leur seuil de dissuasion.

L'évolution de la relation transatlantique est un aspect fondamental de ces différentes transformations. N'hésitons pas à réaffirmer cette évidence : les États-Unis sont un grand partenaire, un allié historique de la France. Il est bien évident qu'ils le resteront, en dépit de l'AUKUS. L'intensité des contacts franco-américains à haut niveau ces derniers jours en est l'illustration. Du reste, plusieurs tendances récentes montrent combien il est essentiel de consolider la relation transatlantique, de lui donner une maturité politique supplémentaire et une robustesse accrue, de garantir une plus grande réciprocité.

Les États-Unis manifestent une profonde fatigue s'agissant des interventions dans les crises régionales. Les pays concernés en tirent eux-mêmes les conséquences, ce qui conduit à des réorganisations régionales, comme c'est le cas au Moyen-Orient. Le refus d'intervenir en Syrie en 2013 et le retrait d'Afghanistan en 2021 ont eu un impact profond sur l'opinion publique et les gouvernements d'un grand nombre de pays. La bascule vers l'Indo-Pacifique et le recentrage sur la rivalité sino-américaine ne datent pas de l'administration Biden, ils se sont consolidés progressivement. De ce fait, les États-Unis se voient contraints de donner des preuves de leur réengagement en faveur de la défense du continent européen face à une Russie beaucoup plus agressive.

Le dialogue que nous avons ouvert avec Washington sur l'Europe de la défense, notamment à la suite de la déclaration des présidents Macron et Biden à Rome, ouvre de nouvelles perspectives. Nous devons accomplir un travail de fond avec les États-Unis sur toute une série de sujets pour faire gagner en maturité le lien transatlantique. En Europe, la France est certainement le pays le plus déterminé à entraîner ses partenaires dans la recherche d'une relation plus équilibrée.

Les consultations et les échanges que j'évoquais ont permis de renforcer la relation transatlantique. Par ailleurs, la coopération franco-américaine, s'agissant de la crise ukrainienne, est extrêmement dense ; la dynamique est positive, nous devons la maintenir. Le lien transatlantique passe aussi par l'OTAN, qui doit poursuivre son adaptation.

En effet, nous devons nous assurer, dès le stade de l'actualisation du concept stratégique, que l'alliance transatlantique peut être porteuse d'un contrat politique modernisé, permettant aux Européens non seulement de peser et de faire valoir leurs propres préoccupations – en matière de sécurité ainsi que d'industrie et d'économie de la défense –, mais aussi d'assumer en retour une part croissante d'efforts et de responsabilité.

Le lien transatlantique vit aussi grâce à notre engagement dans le dossier ukrainien à travers l'OTAN. À cet égard, le renforcement de la présence avancée de l'OTAN en Roumanie posséderait une immense valeur. La France pourrait, à cette occasion, exercer les fonctions de nation cadre.

Je me suis quelque peu attardée sur les défis de l'environnement stratégique. Il me semble important de poser le contexte dans lequel nous concevons l'Europe de la défense et la défense de l'Europe. Il existe une multiplicité de défis, au sud et à l'est, proches et lointains, tangibles – comme les forces russes aux portes de l'Ukraine – et intangibles – telle l'érosion du droit international. Ils sont nourris par une grande diversité d'acteurs en quête de puissance, dont des groupes non étatiques.

Face à cette dégradation de l'environnement stratégique, la réponse doit d'abord être nationale. La loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 garantit la remontée en puissance de nos armées. Elle crédibilise ainsi notre capacité à peser sur tous ces enjeux et à proposer des options. L'engagement pris par la France de consacrer 2 % de son PIB aux efforts de défense amorce une trajectoire absolument indispensable, d'autant plus dans le contexte que je décris.

La direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) a contribué abondamment aux travaux qui ont été menés. Notre stratégie a été adaptée sous des angles précis : cyberstratégie en 2018, stratégie spatiale en 2019, stratégie énergétique en 2020. En outre, l'initiative « Changement climatique et forces armées » a été lancée le 12 novembre 2020, lors du Forum de Paris sur la paix. Quant à notre réseau diplomatique de défense, il joue un rôle de consolidation et de décryptage tout à fait précieux : les missions de défense constituent des relais d'influence.

Face à la dégradation de l'environnement stratégique, la réponse nationale demeure robuste et déterminée. Cependant, nous ne pouvons agir seuls ; les alliances et les partenariats sont, pour la France, des vecteurs de puissance et de solidarité stratégique. La coopération au sein de l'Europe est indispensable. Ainsi que l'a déclaré la ministre des armées, « soit l'Europe fait face, soit l'Europe s'efface ». Nous travaillons donc avec nos partenaires à la consolidation de solutions pragmatiques. Notre action se déploie dans plusieurs cadres : l'Union européenne, l'OTAN et les formats bilatéraux, « minilatéraux » et plurilatéraux. Ces cadres, bien que divers, sont cohérents les uns par rapport aux autres et se renforcent mutuellement.

L'OTAN est le fondement de notre défense collective. Nous avons besoin des États-Unis en Europe tout en préservant notre autonomie. La France prend pleinement part au lien transatlantique. Toulouse se prépare ainsi à accueillir le centre d'excellence de l'OTAN pour l'espace. Alors que la tension grandit aux frontières de l'Ukraine et de la Biélorussie, la France doit assurer le commandement des composantes aérienne et terrestre de la Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF) de l'OTAN. Nos alliés peuvent compter sur notre capacité à déployer cette force de réaction dans des délais plus courts. La France joue un rôle tout particulier dans les missions de réassurance de l'OTAN, aussi bien en faveur des pays baltes que de la Roumanie.

Notre engagement en tant qu'allié s'en trouve renforcé et nous permet de faire plus à l'échelon de l'Union européenne. À cet égard, des avancées considérables ont été accomplies depuis 2017. La création de la coopération structurée permanente (CSP), du Fonds européen de défense (FED) et de la facilité européenne pour la paix (FEP), encore impensables politiquement il y a quelques années, ont sans doute constitué des points de bascule. Au-delà de ces caps politiques, de ces changements de culture, on voit s'accomplir des progrès concrets, ce qui était indispensable. Près de 500 millions d'euros ont été alloués à quarante-deux projets, dont vingt-quatre sont issus de la CSP. Cela a permis de financer, entre autres, le développement de récepteurs Galileo à des fins militaires, de minidrones terrestres et de capacités de missiles sol-sol pour l'avenir.

Les coopérations bilatérales et les cadres d'échange ad hoc jouent aussi pleinement leur rôle. L'Initiative européenne d'intervention reste un creuset inédit de réflexion commune. Ainsi, au lendemain de la prise de Kaboul par les talibans, l'IEI a été immédiatement utilisée par les pays européens pour partager, de manière transparente et approfondie, des expériences collectives, parfois négatives. Cela a permis de nourrir des travaux plus parcellaires menés du côté de l'OTAN et de l'Union européenne.

La task force Takuba, ainsi que l'opération Agénor – dans le cadre de la mission européenne de surveillance maritime dans le détroit d'Ormuz (EMASOH) –, convoquent les efforts de plusieurs pays. Elles montrent que les capacités peuvent être engagées dès lors que les États européens en ont la volonté politique.

Le renforcement de l'Europe de la défense s'appuie sur des partenariats bilatéraux qui ont été considérablement diversifiés. Nous allons de plus en plus loin dans notre capacité à articuler les convergences stratégiques, la coopération opérationnelle et militaire et la coopération d'armement. Le partenariat stratégique franco-grec, entre autres, en est une bonne illustration. L'actuel trio de présidences du Conseil de l'Union européenne – ouvert par la France, il sera poursuivi par la République tchèque puis par la Suède – et le format « CSP4 », qui allie notre pays à l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, sont des cercles privilégiés qui nous permettront d'avancer. Du reste, nous devons veiller à ce que, sur l'ensemble de ces sujets, les rouages du moteur franco-allemand tournent aussi bien que possible.

Le travail de renforcement de l'Europe de la défense est lié au renforcement du lien transatlantique dans tous les modes de relation – OTAN-Union européenne, États-Unis-Union européenne et échanges bilatéraux – et conduit à une meilleure reconnaissance par nos alliés américains du partage du fardeau.

J'en viens à nos priorités pour le temps de la présidence française. Ce que nous accomplissons est bien réel ; nous n'inventons pas de nouveaux tigres de papier. Pour rester un acteur pertinent, l'Europe a besoin d'assurer sa souveraineté stratégique sur un terrain de cohésion et d'unité. Telle est l'ambition que chacun doit s'approprier – et elle ne saurait être le plus petit dénominateur commun.

Nous avons développé cinq objectifs en coopération étroite avec le Quai d'Orsay.

Le premier consiste à rehausser l'ambition opérationnelle de l'Europe. Celle-ci doit être capable d'intervenir de manière plus robuste et flexible, d'apporter un soutien plus global à nos partenaires et de répondre aux crises, quelles qu'elles soient.

Le deuxième objectif est de garantir la résilience de l'Europe et sa solidarité face aux influences extérieures, qu'il s'agisse de cyberattaques, d'actions de lawfare, de campagnes de désinformation ou de tentatives de prise de contrôle de secteurs stratégiques.

Le troisième objectif est d'assurer la présence de l'Europe sur toute la surface du globe. L'Europe doit pouvoir protéger ses intérêts avec détermination et contribuer à la préservation de l'accès aux espaces communs et leur utilisation. Cet enjeu n'était pas inscrit à l'ordre du jour de l'Union européenne avant la présidence française ; c'est nous qui l'avons introduit.

Le quatrième objectif est d'affirmer la souveraineté de l'Europe sur le plan technologique et industriel. Là encore, il y a une part de dessillement à l'égard de l'action de certains de nos compétiteurs.

Enfin, le cinquième objectif consiste à faire en sorte que l'Europe noue des relations équilibrées avec ses partenaires, à commencer par l'OTAN et les États-Unis.

Au carrefour de ces ambitions se trouve la boussole stratégique. Le document fera l'objet de discussions au Conseil des affaires étrangères le 21 mars prochain. Il devra être endossé quatre jours plus tard par les chefs d'État et de gouvernement lors du Conseil européen. Nous avons activement contribué à sa rédaction, en lien étroit avec le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) – n'oublions pas que nous sommes dans un contexte post-traité de Lisbonne – et nos partenaires européens. La boussole stratégique n'est pas qu'un Livre blanc – à cet égard, le simple fait que l'Union européenne soit parvenue à une compréhension commune des menaces représenterait déjà un progrès considérable –, c'est aussi une feuille de route, un plan de mise en œuvre. En ce sens, elle s'apparente davantage à un point de départ qu'à un point d'arrivée.

Les propositions que nous avons formulées ont été le résultat d'un travail d'influence nourri auprès du SEAE, de la Commission européenne et de l'Agence européenne de défense. Quelques États partenaires ont, dans une logique affinitaire, joué un rôle de chef de file pour certaines dynamiques : le Portugal en matière maritime, la Belgique en ce qui concerne la réglementation américaine relative au trafic d'armes au niveau international (ITAR), les Pays-Bas s'agissant de la taxonomie.

Contrairement à ce qui s'était produit lors de la précédente présidence française du Conseil de l'Union européenne, nous avons souhaité relayer nos idées au travers de think tanks, d'universités et des milieux de la recherche. En outre, nous nous sommes astreints à un effort de concertation et de transparence avec les partenaires extérieurs à l'Union européenne – notamment avec les États-Unis, le Canada, la Norvège et la Suisse –, pour les rassurer sur nos ambitions.

Quelques motifs d'irritation subsistent néanmoins. La reconnaissance par Washington, via la déclaration conjointe de Rome, de la contribution et des efforts européens à la sécurité transatlantique est très positive. Encore faut-il la faire prospérer. Nous espérons qu'elle sera reflétée autant dans le contenu de la boussole stratégique qu'au travers de la troisième déclaration conjointe sur la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN, que nous essayons de faire aboutir le plus rapidement possible.

Nous sommes parvenus à régler la question du mandat de négociation de l'arrangement administratif entre les États-Unis et l'Agence européenne de défense, qui demeurait sensible pour les Américains et était quelquefois poussée à l'extrême sur le plan idéologique. Les négociations sont lancées, mais un long chemin reste à parcourir pour atteindre l'équilibre.

Bruxelles et Washington s'accusent mutuellement de vouloir retarder le calendrier de la troisième déclaration conjointe sur la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN. Quoi qu'il en soit, ce retard n'est pas le fait de la France. Notre pays, à la fois comme allié et en tant qu'il assure la présidence du Conseil de l'Union européenne, fait tout son possible pour parvenir à un accord.

D'autres contraintes sont à prendre en compte. Les situations au Sahel et en Ukraine et les divergences qu'elles induisent entre Européens sont un motif de préoccupation. Je l'ai dit d'emblée : il n'y aura de souveraineté européenne que si l'on endosse les priorités et que nous assurons une cohésion réelle. Nous poursuivons nos efforts pour consolider une vision commune sur les sujets les plus pressants.

Notre relation avec l'Allemagne ne devrait pas fondamentalement changer avec le nouveau gouvernement de coalition, même si notre partenaire a eu du mal à se positionner au début. Certaines difficultés restent à surmonter.

Je souhaiterais dire quelques mots de la substance de la boussole stratégique. Ce document, qui fixe une vision pour l'horizon 2030, comprend une analyse partagée des menaces, une feuille de route concrète et un mécanisme de suivi permettant de s'assurer de sa mise en œuvre par le Conseil européen.

La troisième version du texte devrait voir le jour à la mi-février. Les négociations se dérouleront sur une période ramassée, de sorte que l'on ne se retrouve pas avec un document n'atteignant pas ses objectifs, y compris sur le plan de la communication. En effet, la boussole stratégique doit être compréhensible, tant pour nos concitoyens européens que pour nos partenaires, et doit adresser des messages forts. Il y va de notre détermination et de notre crédibilité face à nos adversaires.

La boussole stratégique comporte quatre grands volets. Le premier concerne notre faculté à agir, notamment face aux crises. Nous sommes plutôt satisfaits, à ce stade, des avancées en ce qui concerne la capacité de déploiement rapide. Toutefois, celle-ci porte en germe plusieurs étapes intermédiaires sur lesquelles le travail doit être poursuivi : développement des capacités critiques nécessaires et outils permettant de le faire, renforcement des synergies avec les engagements ad hoc, en application de l'article 44 du traité sur l'Union européenne (TUE), consolidation commandement et du contrôle (C2) européen, mise en place d'une planification à froid et réforme des groupes de travail de l'Union européenne.

La boussole stratégique fixe également des orientations sur l'avenir des EUTM. Celles-ci doivent monter en gamme et évoluer vers un modèle de coopération structurelle, permettant d'aider les états-majors de nos partenaires à charpenter leurs armées tout en soutenant la bonne gouvernance et l'État de droit.

Au-delà de la boussole stratégique, la présidence française sera jalonnée des revues stratégiques de l'EUTM au Mali, de l'EUTM en République centrafricaine et de l'opération Atalante, prévues au printemps 2022. Pour ce qui est des EUTM, nous devrons prendre acte du rôle joué par la société militaire privée russe Wagner auprès des autorités politiques à Bangui et à Bamako. Quant à la revue stratégique d'Atalante, elle vise à articuler celle-ci avec la présence maritime coordonnée que nous souhaitons lancer dans le nord de l'océan Indien, sur la base de l'expérience pilote menée dans le golfe de Guinée.

La présidence française marquera par ailleurs la première année de pleine mise en œuvre de la FEP – seul un nombre limité de mesures avait pu être financé en 2021. Dans cette phase de montée en puissance, il nous faudra rester vigilants et mettre l'accent sur l'Afrique, le financement des capacités de défense et la fourniture de matériel létal.

Le deuxième volet de la boussole stratégique se rapporte à la sécurisation. Celle-ci concerne les espaces communs et la stratégie spatiale de sécurité et de défense de l'Union européenne, que nous souhaitons élaborer d'ici à 2023 et promouvoir grâce à l'exercice militaire AsterX. Le 4 mars prochain, les ministres auront l'occasion de présenter leurs orientations au SEAE et à la Commission européenne. Dans le domaine maritime, nous souhaitons lancer l'actualisation de la stratégie de sûreté maritime de l'Union européenne. En matière de résilience, nous devons davantage prendre en considération les défis de demain, notamment le lawfare et le désarmement par le droit.

Le troisième volet de la boussole concerne notre capacité à investir. Plusieurs perspectives sont envisagées : le renforcement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne, inscrit à l'ordre du jour du sommet des 10 et 11 mars, l'accès aux financements de nos industries de défense, la réduction de nos dépendances stratégiques ou encore le rôle d'innovation que nous souhaitons attribuer à l'Agence européenne de défense.

Enfin, le quatrième volet a trait à la coopération. Reste à voir comment la complémentarité entre l'Union européenne et l'OTAN sera déclinée dans le document ; les périmètres sont différents et chaque organisation a ses objectifs propres. Les partenariats sont essentiels pour déployer la stratégie européenne en Indo-Pacifique. Nous devons aussi faire plus avec l'Union africaine : tel est l'objet du sommet UE-UA des 17 et 18 février.

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