Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mercredi 9 février 2022 à 9h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • OTAN
  • boussole
  • présidence
  • russie

La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

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Chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Françoise Dumas, présidente de notre commission, pour son absence. Elle effectue, avec deux de nos collègues, une mission auprès des éléments français au Gabon.

C'est ce déplacement qui me vaut l'honneur d'accueillir en notre nom à tous Mme Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées.

Les enjeux de défense de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) sont le thème principal de cette audition, mais, étant donné l'étendue de vos compétences, Madame Guitton, je serais très étonnée que mes collègues ne tentent pas de recueillir votre point de vue sur d'autres questions d'actualité.

La PFUE, qui a commencé le 1er janvier, intervient dans un contexte de crises internationales qui intéressent tout particulièrement l'Union européenne. Je pense à l'Ukraine, bien sûr : une centaine de milliers de soldats russes sont massés aux frontières du pays. Je pense également au Mali, dont les autorités ont récemment expulsé notre ambassadeur et renvoyé le contingent danois de la task force Takuba. La zone Indo-Pacifique, quant à elle, est toujours marquée par de fortes tensions entre la Chine et les États-Unis, dont notre pays a fait les frais en septembre dernier avec l'annulation du contrat des sous-marins australiens.

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que les enjeux de défense occupent très largement la PFUE. C'est dans ce contexte tendu que l'Union européenne parachève sa « boussole stratégique », qui doit être adoptée lors du Conseil européen des 24 et 25 mars 2022. Pouvez-vous nous éclairer sur le contenu du projet et l'avancée des travaux ? Peut-on espérer que la version finale soit à la hauteur des enjeux ?

Si la boussole stratégique a vocation à donner un cadre ou une direction à l'action de l'Union européenne en matière de politique de défense et de sécurité commune pour les années à venir, trois enjeux appellent une réponse plus urgente.

D'abord, l'OTAN doit adopter son nouveau concept stratégique en juin prochain, lors du sommet de Madrid. Comment percevez-vous l'avancée parallèle des travaux européens et otaniens ? Quelle est la teneur des discussions ? Êtes-vous optimiste quant à la bonne articulation finale des deux documents ? Je ne vous le cache pas, la compréhension qu'a le secrétaire général de l'OTAN des enjeux de l'Europe de la défense suscite notre inquiétude.

La Russie et l'architecture de sécurité en Europe posent elles aussi question. La situation en Biélorussie et à la frontière de l'Ukraine est très préoccupante. À cet égard, nous soutenons la démarche de désescalade engagée par le Président de la République. Alors que nous sommes encore en pleine crise et que nous entendrons la semaine prochaine les ministres concernés, il serait utile que vous reprécisiez les voies ouvertes pour conforter l'architecture de sécurité. Quel regard portez-vous sur le bilan des sanctions adoptées depuis 2014 et sur la perspective de nouvelles mesures ? Dans un contexte de dépendances croisées, en particulier en ce qui concerne l'approvisionnement énergétique, de telles sanctions ne sont pas sans risques.

Enfin, compte tenu de l'évolution de la situation politique au Sahel, comment les réflexions autour de la présence européenne dans la région s'organisent-elles ? Nous devons rester engagés, « mais pas à n'importe quel prix », comme l'a affirmé plusieurs fois Josep Borrell à l'unisson des pays européens. En l'état des travaux, et en fonction de ce que vous pourrez nous en dire, quelle évolution peut-on entrevoir, au sujet tant de la mission de formation de l'Union européenne (EUTM) au Mali que de la task force Takuba et de l'opération Barkhane ?

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Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées

C'est pour moi un privilège de répondre à ces questions. Il s'agit effectivement d'enjeux qui nous préoccupent et justifient une action interministérielle – de fait, le travail conjoint du ministère de l'Europe et des affaires étrangères et du ministère des armées est un atout pour faire face au programme particulièrement dense qui vient d'être esquissé.

Le Président de la République a évoqué la présidence française de l'Union européenne en des termes pesés et choisis : « nous devons passer d'une Europe de coopération à l'intérieur de nos frontières à une Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin ». Le terrorisme, les rivalités de puissance, l'opportunisme des puissances intermédiaires, la contestation des espaces stratégiques et l'érosion de l'architecture de sécurité européenne montrent combien les défis pour l'Europe se multiplient et lui font courir le risque d'un déclassement stratégique. Tel fut le constat dressé dans l'actualisation stratégique 2021, et nous en sommes toujours là.

Permettez-moi de décrire les priorités de la PFUE au regard du contexte, et les réponses que nous nous sommes efforcés de proposer afin que l'Europe pèse sur le plan stratégique tout en ayant la capacité de protéger ses citoyens.

La dégradation du contexte stratégique se poursuit et même s'accélère à de nombreux égards. Dès 2017, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale a mis en lumière un environnement instable et incertain. L'actualisation stratégique 2021, pour sa part, a montré que la pandémie a accéléré et amplifié les tendances. L'environnement est encore plus volatil : outre la poursuite de la pandémie, les derniers mois de l'année 2021 ont été marqués par des événements tels que la reprise du conflit au Haut-Karabakh, la prise de Kaboul par les talibans ou encore l'annonce du partenariat entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis (AUKUS) – lequel est simplement venu confirmer la réalité de la confrontation sino-américaine et la difficulté à asseoir des alliances stables et durables, dans la confiance, en dépit de leur nécessité. Si l'année 2021 a vu se produire des surprises stratégiques, il n'est pas un de ces événements qui n'ait été perçu en amont et face auquel nous n'ayons déjà esquissé des réponses.

Une amplification des tendances s'annonce en 2022. La montée des tensions à l'est de l'Ukraine, inédite depuis la fin de la guerre froide, nous rappelle combien les défis de sécurité sont de plus en plus proches de nous et recèlent des risques d'escalade. Le Président de la République est engagé dans une séquence diplomatique d'une extrême intensité, comme le montrent les déplacements organisés cette semaine et la vingtaine d'appels téléphoniques passés avec des chefs d'État de pays alliés. La situation est particulièrement délicate. Le risque qu'un conflit d'ampleur éclate est bel et bien présent, face à une Russie qui, plus que jamais, s'affirme comme une puissance de nuisance.

D'autres tendances de fond perdurent et justifient que l'on continue à se doter des moyens d'y faire face. Les groupes armés terroristes sont affaiblis par la perte de nombreux cadres – al-Sahraoui a été neutralisé par la France en août 2021 et al-Qourachi, calife de l'organisation État islamique, a été éliminé en Syrie par les États-Unis le 3 février –, mais ils ne sont pas pour autant vaincus : ce n'est pas parce que la Chine est devenue la priorité de Washington qu'ils ont cessé d'exécuter leur stratégie. Ils continuent à tenter de s'enraciner localement, partout où ils le peuvent. Ils se démultiplient sous des formes insurrectionnelles et recherchent une dissémination mondiale. Les Occidentaux restent l'une des cibles prioritaires des centrales djihadistes ; nous devons donc continuer à lutter contre elles.

La prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs constitue elle aussi une menace croissante. La reprise des essais de vecteurs et les nouveaux tirs de missiles par la Corée du Nord en janvier, de même que le cas iranien, qui mobilise activement notre diplomatie avec les négociations autour du plan d'action global commun – le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) –, en sont des illustrations particulièrement préoccupantes. Derrière, se dessinent un risque de prolifération secondaire et la réduction de la distance des menaces.

Tout cela s'inscrit dans un contexte où la compétition stratégique et militaire entre grandes puissances est désormais affichée et assumée. Ce que j'évoque là n'est pas une grille de lecture supplémentaire de toutes les crises que nous observons, c'est un constat public établi dans la sphère informationnelle.

La compétition sino-américaine, qui structure désormais les relations internationales, conduit la Russie à hausser le ton pour tenter de préserver son statut et s'affirmer face aux États-Unis. Un espace est ainsi laissé à l'aventurisme des puissances intermédiaires régionales qui, suivant un programme unilatéral parfois nationaliste, s'enhardissent. Nous devons, face à elles, défendre nos valeurs et nos principes.

Ce retour des rivalités de puissance se traduit par une contestation des espaces stratégiques communs. Or ces derniers restent essentiels non seulement pour garantir notre accès aux ressources, donc notre prospérité économique et sociale, mais aussi pour préserver l'usage pacifique de certains domaines, tels que l'espace exo-atmosphérique. Nous devons éviter que l'escalade ne devienne beaucoup plus abrupte et donc difficile à maîtriser, notamment dans le cyberespace, en haute mer et dans l'espace. La poldérisation de la mer de Chine méridionale, le détournement d'un appareil civil par la Biélorussie, les cyberattaques profitant de la crise du covid-19 et le tir du missile antisatellite Nudol, le 15 novembre, nous rappellent la terrible acuité de ces enjeux.

Dans ces espaces clés pour nos opérations, mais aussi critiques pour nos sociétés et nos économies, certains compétiteurs, qu'ils soient étatiques ou non, ont développé des stratégies dites « hybrides » ou « asymétriques », qui combinent des modes d'action militaires et non militaires, directs et indirects, légaux et illégaux. L'inhibition des démocraties face à la désinhibition des régimes autoritaires tend à affaiblir le rapport de forces. Il nous faut donc pouvoir rétablir ce rapport, sur une base que nous avons toujours consolidée : le droit. Si nous voulons éviter que notre liberté d'action ne soit restreinte, nous devons retrouver des marges de manœuvre.

Alors que la compétition, la contestation, l'affrontement ou la déstabilisation se substituent à la distinction ancienne entre la guerre et la paix – même si celle-ci n'était pas aussi claire que cela, au demeurant –, nous devons plus que jamais être prêts à déployer une capacité de réponse dans tous les domaines. Il s'agit d'assurer non pas seulement une réponse de défense, mais une réponse multidimensionnelle, combinant d'autres outils – notamment les sanctions.

J'en viens à la fragilisation de l'architecture de sécurité internationale, qui constitue à mes yeux l'aspect le plus important de l'environnement stratégique. Cette évolution est grave et inquiétante. Tout ce que l'on a bâti à l'issue de la guerre froide et qui nous a permis d'assurer une certaine stabilité stratégique et d'éviter une course à l'armement en Europe a été battu en brèche. C'est en tout cas ce qui ressort de la suspension de la participation de la Russie au traité sur les forces armées conventionnelles en Europe en 2007, de la violation du mémorandum de Budapest et de la remise en cause de l'acte final d'Helsinki en 2014, de la fin du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en 2019, après sa violation par la Russie, ou encore des retraits russe et américain du traité « Ciel ouvert » en 2020. Nonobstant la bonne nouvelle de la prolongation du traité New Start jusqu'en 2026, l'avenir demeure très incertain.

La refonte du document de Vienne sur les mesures de confiance et de sécurité, à laquelle nous appelons depuis de longues années, reste bloquée. L'érosion de l'architecture de sécurité est patente. Dans ce contexte, le programme que propose le Président de la République apparaît très exigeant.

Dans un autre registre, le traité sur l'interdiction des armes nucléaires, entré en vigueur en janvier 2021, participe aussi de cette déstabilisation, notamment dans la mesure où il tend à remettre en cause le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Nous avons tout intérêt à ce que les Américains, qui s'apprêtent à diffuser leur nouvelle Nuclear Posture Review (NPR) – autrement dit leur politique dans le domaine du nucléaire –, ne renoncent pas à l'ambiguïté qui caractérise leur seuil de dissuasion.

L'évolution de la relation transatlantique est un aspect fondamental de ces différentes transformations. N'hésitons pas à réaffirmer cette évidence : les États-Unis sont un grand partenaire, un allié historique de la France. Il est bien évident qu'ils le resteront, en dépit de l'AUKUS. L'intensité des contacts franco-américains à haut niveau ces derniers jours en est l'illustration. Du reste, plusieurs tendances récentes montrent combien il est essentiel de consolider la relation transatlantique, de lui donner une maturité politique supplémentaire et une robustesse accrue, de garantir une plus grande réciprocité.

Les États-Unis manifestent une profonde fatigue s'agissant des interventions dans les crises régionales. Les pays concernés en tirent eux-mêmes les conséquences, ce qui conduit à des réorganisations régionales, comme c'est le cas au Moyen-Orient. Le refus d'intervenir en Syrie en 2013 et le retrait d'Afghanistan en 2021 ont eu un impact profond sur l'opinion publique et les gouvernements d'un grand nombre de pays. La bascule vers l'Indo-Pacifique et le recentrage sur la rivalité sino-américaine ne datent pas de l'administration Biden, ils se sont consolidés progressivement. De ce fait, les États-Unis se voient contraints de donner des preuves de leur réengagement en faveur de la défense du continent européen face à une Russie beaucoup plus agressive.

Le dialogue que nous avons ouvert avec Washington sur l'Europe de la défense, notamment à la suite de la déclaration des présidents Macron et Biden à Rome, ouvre de nouvelles perspectives. Nous devons accomplir un travail de fond avec les États-Unis sur toute une série de sujets pour faire gagner en maturité le lien transatlantique. En Europe, la France est certainement le pays le plus déterminé à entraîner ses partenaires dans la recherche d'une relation plus équilibrée.

Les consultations et les échanges que j'évoquais ont permis de renforcer la relation transatlantique. Par ailleurs, la coopération franco-américaine, s'agissant de la crise ukrainienne, est extrêmement dense ; la dynamique est positive, nous devons la maintenir. Le lien transatlantique passe aussi par l'OTAN, qui doit poursuivre son adaptation.

En effet, nous devons nous assurer, dès le stade de l'actualisation du concept stratégique, que l'alliance transatlantique peut être porteuse d'un contrat politique modernisé, permettant aux Européens non seulement de peser et de faire valoir leurs propres préoccupations – en matière de sécurité ainsi que d'industrie et d'économie de la défense –, mais aussi d'assumer en retour une part croissante d'efforts et de responsabilité.

Le lien transatlantique vit aussi grâce à notre engagement dans le dossier ukrainien à travers l'OTAN. À cet égard, le renforcement de la présence avancée de l'OTAN en Roumanie posséderait une immense valeur. La France pourrait, à cette occasion, exercer les fonctions de nation cadre.

Je me suis quelque peu attardée sur les défis de l'environnement stratégique. Il me semble important de poser le contexte dans lequel nous concevons l'Europe de la défense et la défense de l'Europe. Il existe une multiplicité de défis, au sud et à l'est, proches et lointains, tangibles – comme les forces russes aux portes de l'Ukraine – et intangibles – telle l'érosion du droit international. Ils sont nourris par une grande diversité d'acteurs en quête de puissance, dont des groupes non étatiques.

Face à cette dégradation de l'environnement stratégique, la réponse doit d'abord être nationale. La loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025 garantit la remontée en puissance de nos armées. Elle crédibilise ainsi notre capacité à peser sur tous ces enjeux et à proposer des options. L'engagement pris par la France de consacrer 2 % de son PIB aux efforts de défense amorce une trajectoire absolument indispensable, d'autant plus dans le contexte que je décris.

La direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) a contribué abondamment aux travaux qui ont été menés. Notre stratégie a été adaptée sous des angles précis : cyberstratégie en 2018, stratégie spatiale en 2019, stratégie énergétique en 2020. En outre, l'initiative « Changement climatique et forces armées » a été lancée le 12 novembre 2020, lors du Forum de Paris sur la paix. Quant à notre réseau diplomatique de défense, il joue un rôle de consolidation et de décryptage tout à fait précieux : les missions de défense constituent des relais d'influence.

Face à la dégradation de l'environnement stratégique, la réponse nationale demeure robuste et déterminée. Cependant, nous ne pouvons agir seuls ; les alliances et les partenariats sont, pour la France, des vecteurs de puissance et de solidarité stratégique. La coopération au sein de l'Europe est indispensable. Ainsi que l'a déclaré la ministre des armées, « soit l'Europe fait face, soit l'Europe s'efface ». Nous travaillons donc avec nos partenaires à la consolidation de solutions pragmatiques. Notre action se déploie dans plusieurs cadres : l'Union européenne, l'OTAN et les formats bilatéraux, « minilatéraux » et plurilatéraux. Ces cadres, bien que divers, sont cohérents les uns par rapport aux autres et se renforcent mutuellement.

L'OTAN est le fondement de notre défense collective. Nous avons besoin des États-Unis en Europe tout en préservant notre autonomie. La France prend pleinement part au lien transatlantique. Toulouse se prépare ainsi à accueillir le centre d'excellence de l'OTAN pour l'espace. Alors que la tension grandit aux frontières de l'Ukraine et de la Biélorussie, la France doit assurer le commandement des composantes aérienne et terrestre de la Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF) de l'OTAN. Nos alliés peuvent compter sur notre capacité à déployer cette force de réaction dans des délais plus courts. La France joue un rôle tout particulier dans les missions de réassurance de l'OTAN, aussi bien en faveur des pays baltes que de la Roumanie.

Notre engagement en tant qu'allié s'en trouve renforcé et nous permet de faire plus à l'échelon de l'Union européenne. À cet égard, des avancées considérables ont été accomplies depuis 2017. La création de la coopération structurée permanente (CSP), du Fonds européen de défense (FED) et de la facilité européenne pour la paix (FEP), encore impensables politiquement il y a quelques années, ont sans doute constitué des points de bascule. Au-delà de ces caps politiques, de ces changements de culture, on voit s'accomplir des progrès concrets, ce qui était indispensable. Près de 500 millions d'euros ont été alloués à quarante-deux projets, dont vingt-quatre sont issus de la CSP. Cela a permis de financer, entre autres, le développement de récepteurs Galileo à des fins militaires, de minidrones terrestres et de capacités de missiles sol-sol pour l'avenir.

Les coopérations bilatérales et les cadres d'échange ad hoc jouent aussi pleinement leur rôle. L'Initiative européenne d'intervention reste un creuset inédit de réflexion commune. Ainsi, au lendemain de la prise de Kaboul par les talibans, l'IEI a été immédiatement utilisée par les pays européens pour partager, de manière transparente et approfondie, des expériences collectives, parfois négatives. Cela a permis de nourrir des travaux plus parcellaires menés du côté de l'OTAN et de l'Union européenne.

La task force Takuba, ainsi que l'opération Agénor – dans le cadre de la mission européenne de surveillance maritime dans le détroit d'Ormuz (EMASOH) –, convoquent les efforts de plusieurs pays. Elles montrent que les capacités peuvent être engagées dès lors que les États européens en ont la volonté politique.

Le renforcement de l'Europe de la défense s'appuie sur des partenariats bilatéraux qui ont été considérablement diversifiés. Nous allons de plus en plus loin dans notre capacité à articuler les convergences stratégiques, la coopération opérationnelle et militaire et la coopération d'armement. Le partenariat stratégique franco-grec, entre autres, en est une bonne illustration. L'actuel trio de présidences du Conseil de l'Union européenne – ouvert par la France, il sera poursuivi par la République tchèque puis par la Suède – et le format « CSP4 », qui allie notre pays à l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, sont des cercles privilégiés qui nous permettront d'avancer. Du reste, nous devons veiller à ce que, sur l'ensemble de ces sujets, les rouages du moteur franco-allemand tournent aussi bien que possible.

Le travail de renforcement de l'Europe de la défense est lié au renforcement du lien transatlantique dans tous les modes de relation – OTAN-Union européenne, États-Unis-Union européenne et échanges bilatéraux – et conduit à une meilleure reconnaissance par nos alliés américains du partage du fardeau.

J'en viens à nos priorités pour le temps de la présidence française. Ce que nous accomplissons est bien réel ; nous n'inventons pas de nouveaux tigres de papier. Pour rester un acteur pertinent, l'Europe a besoin d'assurer sa souveraineté stratégique sur un terrain de cohésion et d'unité. Telle est l'ambition que chacun doit s'approprier – et elle ne saurait être le plus petit dénominateur commun.

Nous avons développé cinq objectifs en coopération étroite avec le Quai d'Orsay.

Le premier consiste à rehausser l'ambition opérationnelle de l'Europe. Celle-ci doit être capable d'intervenir de manière plus robuste et flexible, d'apporter un soutien plus global à nos partenaires et de répondre aux crises, quelles qu'elles soient.

Le deuxième objectif est de garantir la résilience de l'Europe et sa solidarité face aux influences extérieures, qu'il s'agisse de cyberattaques, d'actions de lawfare, de campagnes de désinformation ou de tentatives de prise de contrôle de secteurs stratégiques.

Le troisième objectif est d'assurer la présence de l'Europe sur toute la surface du globe. L'Europe doit pouvoir protéger ses intérêts avec détermination et contribuer à la préservation de l'accès aux espaces communs et leur utilisation. Cet enjeu n'était pas inscrit à l'ordre du jour de l'Union européenne avant la présidence française ; c'est nous qui l'avons introduit.

Le quatrième objectif est d'affirmer la souveraineté de l'Europe sur le plan technologique et industriel. Là encore, il y a une part de dessillement à l'égard de l'action de certains de nos compétiteurs.

Enfin, le cinquième objectif consiste à faire en sorte que l'Europe noue des relations équilibrées avec ses partenaires, à commencer par l'OTAN et les États-Unis.

Au carrefour de ces ambitions se trouve la boussole stratégique. Le document fera l'objet de discussions au Conseil des affaires étrangères le 21 mars prochain. Il devra être endossé quatre jours plus tard par les chefs d'État et de gouvernement lors du Conseil européen. Nous avons activement contribué à sa rédaction, en lien étroit avec le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) – n'oublions pas que nous sommes dans un contexte post-traité de Lisbonne – et nos partenaires européens. La boussole stratégique n'est pas qu'un Livre blanc – à cet égard, le simple fait que l'Union européenne soit parvenue à une compréhension commune des menaces représenterait déjà un progrès considérable –, c'est aussi une feuille de route, un plan de mise en œuvre. En ce sens, elle s'apparente davantage à un point de départ qu'à un point d'arrivée.

Les propositions que nous avons formulées ont été le résultat d'un travail d'influence nourri auprès du SEAE, de la Commission européenne et de l'Agence européenne de défense. Quelques États partenaires ont, dans une logique affinitaire, joué un rôle de chef de file pour certaines dynamiques : le Portugal en matière maritime, la Belgique en ce qui concerne la réglementation américaine relative au trafic d'armes au niveau international (ITAR), les Pays-Bas s'agissant de la taxonomie.

Contrairement à ce qui s'était produit lors de la précédente présidence française du Conseil de l'Union européenne, nous avons souhaité relayer nos idées au travers de think tanks, d'universités et des milieux de la recherche. En outre, nous nous sommes astreints à un effort de concertation et de transparence avec les partenaires extérieurs à l'Union européenne – notamment avec les États-Unis, le Canada, la Norvège et la Suisse –, pour les rassurer sur nos ambitions.

Quelques motifs d'irritation subsistent néanmoins. La reconnaissance par Washington, via la déclaration conjointe de Rome, de la contribution et des efforts européens à la sécurité transatlantique est très positive. Encore faut-il la faire prospérer. Nous espérons qu'elle sera reflétée autant dans le contenu de la boussole stratégique qu'au travers de la troisième déclaration conjointe sur la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN, que nous essayons de faire aboutir le plus rapidement possible.

Nous sommes parvenus à régler la question du mandat de négociation de l'arrangement administratif entre les États-Unis et l'Agence européenne de défense, qui demeurait sensible pour les Américains et était quelquefois poussée à l'extrême sur le plan idéologique. Les négociations sont lancées, mais un long chemin reste à parcourir pour atteindre l'équilibre.

Bruxelles et Washington s'accusent mutuellement de vouloir retarder le calendrier de la troisième déclaration conjointe sur la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN. Quoi qu'il en soit, ce retard n'est pas le fait de la France. Notre pays, à la fois comme allié et en tant qu'il assure la présidence du Conseil de l'Union européenne, fait tout son possible pour parvenir à un accord.

D'autres contraintes sont à prendre en compte. Les situations au Sahel et en Ukraine et les divergences qu'elles induisent entre Européens sont un motif de préoccupation. Je l'ai dit d'emblée : il n'y aura de souveraineté européenne que si l'on endosse les priorités et que nous assurons une cohésion réelle. Nous poursuivons nos efforts pour consolider une vision commune sur les sujets les plus pressants.

Notre relation avec l'Allemagne ne devrait pas fondamentalement changer avec le nouveau gouvernement de coalition, même si notre partenaire a eu du mal à se positionner au début. Certaines difficultés restent à surmonter.

Je souhaiterais dire quelques mots de la substance de la boussole stratégique. Ce document, qui fixe une vision pour l'horizon 2030, comprend une analyse partagée des menaces, une feuille de route concrète et un mécanisme de suivi permettant de s'assurer de sa mise en œuvre par le Conseil européen.

La troisième version du texte devrait voir le jour à la mi-février. Les négociations se dérouleront sur une période ramassée, de sorte que l'on ne se retrouve pas avec un document n'atteignant pas ses objectifs, y compris sur le plan de la communication. En effet, la boussole stratégique doit être compréhensible, tant pour nos concitoyens européens que pour nos partenaires, et doit adresser des messages forts. Il y va de notre détermination et de notre crédibilité face à nos adversaires.

La boussole stratégique comporte quatre grands volets. Le premier concerne notre faculté à agir, notamment face aux crises. Nous sommes plutôt satisfaits, à ce stade, des avancées en ce qui concerne la capacité de déploiement rapide. Toutefois, celle-ci porte en germe plusieurs étapes intermédiaires sur lesquelles le travail doit être poursuivi : développement des capacités critiques nécessaires et outils permettant de le faire, renforcement des synergies avec les engagements ad hoc, en application de l'article 44 du traité sur l'Union européenne (TUE), consolidation commandement et du contrôle (C2) européen, mise en place d'une planification à froid et réforme des groupes de travail de l'Union européenne.

La boussole stratégique fixe également des orientations sur l'avenir des EUTM. Celles-ci doivent monter en gamme et évoluer vers un modèle de coopération structurelle, permettant d'aider les états-majors de nos partenaires à charpenter leurs armées tout en soutenant la bonne gouvernance et l'État de droit.

Au-delà de la boussole stratégique, la présidence française sera jalonnée des revues stratégiques de l'EUTM au Mali, de l'EUTM en République centrafricaine et de l'opération Atalante, prévues au printemps 2022. Pour ce qui est des EUTM, nous devrons prendre acte du rôle joué par la société militaire privée russe Wagner auprès des autorités politiques à Bangui et à Bamako. Quant à la revue stratégique d'Atalante, elle vise à articuler celle-ci avec la présence maritime coordonnée que nous souhaitons lancer dans le nord de l'océan Indien, sur la base de l'expérience pilote menée dans le golfe de Guinée.

La présidence française marquera par ailleurs la première année de pleine mise en œuvre de la FEP – seul un nombre limité de mesures avait pu être financé en 2021. Dans cette phase de montée en puissance, il nous faudra rester vigilants et mettre l'accent sur l'Afrique, le financement des capacités de défense et la fourniture de matériel létal.

Le deuxième volet de la boussole stratégique se rapporte à la sécurisation. Celle-ci concerne les espaces communs et la stratégie spatiale de sécurité et de défense de l'Union européenne, que nous souhaitons élaborer d'ici à 2023 et promouvoir grâce à l'exercice militaire AsterX. Le 4 mars prochain, les ministres auront l'occasion de présenter leurs orientations au SEAE et à la Commission européenne. Dans le domaine maritime, nous souhaitons lancer l'actualisation de la stratégie de sûreté maritime de l'Union européenne. En matière de résilience, nous devons davantage prendre en considération les défis de demain, notamment le lawfare et le désarmement par le droit.

Le troisième volet de la boussole concerne notre capacité à investir. Plusieurs perspectives sont envisagées : le renforcement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne, inscrit à l'ordre du jour du sommet des 10 et 11 mars, l'accès aux financements de nos industries de défense, la réduction de nos dépendances stratégiques ou encore le rôle d'innovation que nous souhaitons attribuer à l'Agence européenne de défense.

Enfin, le quatrième volet a trait à la coopération. Reste à voir comment la complémentarité entre l'Union européenne et l'OTAN sera déclinée dans le document ; les périmètres sont différents et chaque organisation a ses objectifs propres. Les partenariats sont essentiels pour déployer la stratégie européenne en Indo-Pacifique. Nous devons aussi faire plus avec l'Union africaine : tel est l'objet du sommet UE-UA des 17 et 18 février.

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L'adoption en mars par le Conseil européen de la boussole stratégique sera incontestablement l'un des temps forts de la présidence française. L'Union européenne se verra ainsi dotée, pour les années à venir, d'orientations politiques et stratégiques dans quatre domaines : la gestion de crise, la résilience, les capacités opérationnelles et les partenariats internationaux. C'est une priorité que le Président de la République a exprimée dès 2017 dans son discours à la Sorbonne. Il avait ainsi proclamé : « Ce qui manque le plus à l'Europe aujourd'hui, cette Europe de la défense, c'est une culture stratégique commune. »

La boussole stratégique prévoit, entre autres mesures, la mise en place d'une capacité de déploiement rapide de 5 000 hommes d'ici à 2025 pour répondre à des menaces imminentes ou réagir à une situation de crise. La boussole vise également à renforcer le mandat des missions civiles et militaires de l'Union européenne et à développer des liens opérationnels avec les coalitions européennes, comme la task force Takuba au Sahel. Est en outre prévue la création, dès 2022, d'un centre d'innovation de défense au sein de l'Agence européenne de défense.

La résilience et notre capacité à nous protéger des attaques situées au-dessous du seuil de conflictualité et des tentatives de déstabilisation sont essentielles. Il s'agit de préserver l'accès aux espaces stratégiques – cyberespace, espace, mer, espace aérien –, considérés comme autant de biens communs. Le Président de la République a fait de la sécurisation de l'accès aux biens communs l'une des priorités de la présidence française de l'Union européenne. De nouveaux seuils de conflictualité ont été franchis ces dernières années dans le domaine du cyber : il est impératif que l'Union européenne soit en mesure de prévenir et décourager les cyberattaques.

Que prévoit la boussole stratégique pour intensifier la coopération européenne en matière de cybersécurité ? Pensez-vous que la France puisse impulser une mise en œuvre rapide de ce document ?

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L'envolée des tarifs de l'énergie est une préoccupation majeure pour nos concitoyens et les Européens. En France, les chèques énergie ou les ponctions sur les ressources d'EDF ne peuvent constituer qu'une réponse à court terme. Les approvisionnements en énergie se font avec des pays producteurs différents, heureusement. Cela nous permet de ne pas dépendre de relations commerciales avec un seul État.

Nos relations avec la Russie se sont fortement dégradées ces dernières semaines avec la crise ukrainienne. La Russie, bien qu'elle s'affirme comme puissance de nuisance, reste un fournisseur majeur de gaz pour les pays européens. Quelle stratégie la France et l'Europe comptent-elles développer ces prochains mois pour réduire la dépendance aux exportations russes ? Nous ne saurions être soumis au bon vouloir de la Russie, d'autant qu'elle est potentiellement hostile dans le contexte de tensions actuel.

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Les défis sont nombreux et on se demande parfois si la réactivité de l'Europe est suffisante. La France a cependant toujours su maintenir un niveau de défense qui lui permet d'être considérée comme une cheville ouvrière à l'échelon européen.

Vous l'avez dit clairement : le besoin de souveraineté stratégique sur un terrain de cohésion est l'une des priorités de la présidence française. Mais je doute qu'une telle cohésion existe au vu des crises qui se multiplient – je pense notamment à l'Ukraine. Qu'en est-il de la position de notre partenaire allemand ? Le gouvernement de coalition semble encore se chercher. Concernant la FEP, la livraison d'armes létales pose problème à bon nombre de nos partenaires. Bref, tout cela affecte la réactivité qui doit être la nôtre.

En juin prochain, l'OTAN doit présenter son nouveau concept stratégique. Comment celui-ci s'articule-t-il avec la boussole stratégique ? Ces documents se complètent-ils ?

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Je tiens à saluer votre travail, Madame la directrice générale ; au-delà de la finesse de leurs analyses, je constate à quel point on peut compter sur la grande réactivité de vos équipes, alors que le temps se raccourcit pour faire face aux menaces.

Selon vous, beaucoup de défis appellent une réponse multidimensionnelle intégrée. Cela peut consister notamment à imposer des sanctions financières, à mobiliser le levier de l'aide publique au développement ou encore à jouer sur la délivrance de visas. Quels leviers de puissance non militaires pourrait-on utiliser ?

La Russie souhaite rester dans le jeu des grandes puissances. Depuis la fin de la guerre froide, elle n'a plus de contre-modèle à proposer. Elle déploie désormais une stratégie de nuisance, en recourant notamment à des menaces hybrides sur divers terrains : désinformation, cyberattaques, approvisionnement énergétique. Si la puissance et la dissuasion sont nécessaires, elles ne sont pas toujours suffisantes contre des attaques se situant en deçà du seuil du conflit ouvert ou des attaques qu'il est impossible d'attribuer précisément. D'où l'importance de la résilience. Le groupe Agir ensemble a inscrit ce thème à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale depuis plus d'un an ; nous vous remercions, Madame Guitton, de l'avoir intégré aux ambitions de la stratégie de défense européenne. Quelles actions pourrions-nous mener, aussi bien à l'échelon national qu'européen, pour renforcer notre résilience ?

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Plutôt que d'édulcorer la situation actuelle, vous la décrivez avec lucidité, réalisme et beaucoup de passion ; tout le monde ici se rend compte de son extrême précarité. Je suis d'autant plus frappé par l'incohérence de nos amis européens, alors même que le danger est à nos portes. L'épisode malien l'a montré : nous sommes seuls partout. Je me demande combien de chefs d'État espéraient au fond d'eux-mêmes la réussite de l'initiative de notre président auprès de M. Poutine…

Je suis très surpris que M. Scholz se soit précipité aux États-Unis plutôt que d'essayer de faire avancer le projet de défense européenne. Mais il est vrai que si ce projet est de déployer 5 000 hommes dans cinq ou six ans, M. Poutine peut continuer à faire peur… Je pense toutefois que celui-ci joue en réalité à se faire peur à lui-même, car il n'a sans doute pas les moyens de ses ambitions. Il n'en demeure pas moins que je suis préoccupé. Si un certain nombre de pays ne se rendent pas compte de la situation, l'Europe n'aura strictement plus rien à dire. Heureusement que la France, ces dernières années, a relancé les efforts en faveur de la défense nationale et de la défense européenne.

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Je souhaite revenir sur l'actualité brûlante et évoquer nos relations avec certaines grandes puissances étrangères. Le covid-19 demeure une préoccupation quotidienne, mais la menace actuelle n'est pas seulement sanitaire. Le président Macron a pris la tête des Vingt-Sept avec pour objectif de trouver une formule équilibrée visant à faire comprendre à la Russie qu'elle fera face à de lourdes sanctions de la part de l'Union européenne en cas d'attaque de l'Ukraine, tout en préservant des relations bilatérales aussi apaisées que possible.

La crise ukrainienne ne serait-elle pas le premier grand test du couple franco-allemand renouvelé, comme l'estiment de nombreux observateurs ? Pensez-vous que le plan de relance européen et l'autonomie stratégique de l'Europe pourraient, eux aussi, constituer à court terme des sujets de débat au sein du couple franco-allemand ?

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Le Conseil des affaires générales – l'un des plus importants avec le Conseil des affaires étrangères – se réunira à Arles, dans ma circonscription, les 3 et 4 mars. Tirant directement son existence des traités, il assure la cohérence des travaux des différentes formations du Conseil européen. Il préparera, à ce titre, les réunions des 24 et 25 mars.

Ces réunions clés assurent, au sein du Conseil, l'avancement des priorités françaises en matière de défense, au premier rang desquelles figure la boussole stratégique. Ce Livre blanc européen de défense et de sécurité permet l'avènement d'une véritable souveraineté stratégique européenne. Une Europe puissance, souveraine dans ses choix et autonome dans ses actions, implique le renforcement des capacités opérationnelles de l'Union européenne en dehors du bas du spectre. Les forces doivent être réellement employables, dans un contexte opérationnel exigeant ; l'Union européenne doit être en mesure de s'engager en premier dans la résolution d'une crise si ses intérêts stratégiques vitaux le nécessitent. Comme l'affirme le directeur général de l'état-major de l'Union européenne, Hervé Bléjean, il y va de la crédibilité de l'Europe.

La France est-elle prête à défendre la montée en puissance des battle groups de l'Union européenne, inscrite dans la boussole stratégique ? Comment entend-elle moderniser puis appliquer ce concept ancien et rassembler autour de lui le plus grand nombre possible d'États membres volontaires ?

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Le Président de la République a déclaré vouloir avancer en matière de politique européenne de défense, dans la continuité des progrès accomplis depuis 2017 avec le Fonds européen de défense, des coopérations structurées et des programmes d'armement. Il a également indiqué vouloir profiter de la présidence française pour préciser la boussole stratégique, dont la présidence allemande a eu l'initiative, et présenter les priorités et les choix collectifs pour les prochaines années.

Quels seront les axes de travail concernant les coopérations multilatérales industrielles, compte tenu du renforcement de l'industrie de défense européenne, notamment eu égard à l'augmentation du budget qui lui est alloué ? Sur quels programmes précis la France souhaite-elle avancer en priorité ?

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L'un des objectifs de la PFUE consiste à assurer la présence de l'Europe sur toute la surface du globe en vue de préserver les espaces communs. Mon collègue Philippe Michel-Kleisbauer et moi-même sommes corapporteurs de la mission d'information relative aux enjeux de défense en Méditerranée ; nous présenterons nos conclusions la semaine prochaine. Certaines des personnes que nous avons auditionnées nous ont confié que la France souhaitait, dans le cadre de sa présidence, promouvoir l'actualisation de la stratégie maritime de l'Union européenne, lancée en 2014. Quels en sont les principaux axes ? Où en sont les négociations ?

Vous avez aussi évoqué l'Afrique. La Méditerranée, qui se situe pourtant juste au-dessus, semble avoir été quelque peu délaissée. Quel est votre avis à ce propos ?

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Étant élue d'une circonscription qui borde la Méditerranée, j'approuve les propos de M. Ferrara.

Vous avez évoqué la question des puissances sous-régionales. S'agissant du conflit qui oppose l'Arménie et l'Azerbaïdjan, comment reprendre les négociations sur la reconnaissance de l'Artsakh ? Comment assurer la mise en place de couloirs humanitaires pour secourir les populations rurales particulièrement isolées qui vivent dans cette région ? En l'occurrence, l'influence de la Russie est plutôt positive – deux visions de l'action russe sur le continent européen coexistent.

La création d'une sécurité civile européenne, notamment en ce qui concerne les moyens aériens, vous semble-t-elle être un facteur de résilience et un facteur stratégique au sein de l'Union européenne ?

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Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées

Les préoccupations de la représentation nationale nourrissent notre travail.

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Ce sont aussi, à travers nous, les préoccupations des Français !

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Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées

Absolument.

Les priorités de la présidence française en matière de cybersécurité sont claires. Les États membres, comme les institutions de l'Union européenne, doivent être en ordre de bataille. Cela signifie que nous devons protéger nos réseaux de communication internes. À cet égard, l'actualisation de la directive relative à la sécurité des réseaux et des systèmes d'information (NIS) est incontournable. L'OTAN s'est déjà doté du système de recueil et d'exploitation des informations du champ de bataille (BICES). L'Union européenne, de son côté, doit assurer la montée en puissance de ses réseaux d'information afin de garantir la confidentialité de ses échanges.

Il existe un effet d'apprentissage collectif. Les exercices que nous avons lancés, qui incluent un palier d'activation de l'article 42 alinéa 7 du TUE, sont essentiels. Ils permettent de planifier, au niveau des outils capacitaires et des réponses politiques, la façon dont nous réagirions à des cyberattaques majeures qui ajouteraient à l'escalade un cran supplémentaire – les cas d'espèce sont nombreux.

Nous nous sommes engagés à développer la boîte à outils cyberdiplomatique. La concertation doit être plus efficace sur les sujets d'attribution, qui demeurent périlleux, et les modalités de réponse plus appropriées. Nos capacités d'assistance mutuelle, adossées par exemple à des coopérations bilatérales, doivent être suffisantes pour garantir une réponse rapide – tout cela devant être cohérent avec un programme plus vaste, car le cyber devient l'un des éléments d'une équation qui inclut toutes les stratégies hybrides, parmi lesquelles figure la désinformation.

Je suis convaincue de la nécessité de réduire notre dépendance énergétique. Plusieurs axes d'efforts, discutés au plus haut niveau et soumis à une évaluation interministérielle, permettent d'appréhender la réponse d'abord à l'échelon national. J'estime toutefois que la France n'est pas le pays le plus exposé à la dépendance énergétique, même si le stock du gaz russe pose problème. Au-delà de la sphère énergétique, nous devons réduire d'autres dépendances liées aux ressources précieuses, comme le titane qui illustre le durcissement des sanctions prises par la France et les États-Unis contre la Russie. Comment approfondir la cohésion avec notre partenaire allemand ? Nous avons observé avec beaucoup d'attention le contenu du contrat de coalition. L'ambition en matière de défense européenne est bien présente ; elle devra être consolidée, y compris au travers des grands programmes en coopération. En revanche, je relève aussi que le contrat de coalition envisage que l'Allemagne puisse devenir membre observateur du traité sur l'interdiction des armes nucléaires et cela nous préoccupe car cela conduirait à affaiblir la crédibilité de la posture nucléaire de l'alliance au profit de nos compétiteurs.

La France doit demeurer une puissance exportatrice d'armement. Or la mise en place d'un mécanisme de contrôle des exportations européennes, tel que proposé par l'eurodéputée Hannah Neumann, viendrait contraindre les prérogatives nationales, pourtant sanctuarisées par les traités. Cela pose d'autant plus de difficultés que nous sommes censés développer des programmes structurants, tels que le système de combat aérien du futur (SCAF).

Au regard de la FEP ou des engagements opérationnels, Berlin est limité dans ses capacités et sa volonté politique à s'engager sur le terrain opérationnel dans des environnements moins permissifs. Nous accomplissons ainsi des efforts graduels, notamment au Sahel. L'engagement allemand s'agissant de la capacité de déploiement rapide de l'Union européenne – malgré quelques résistances – constituera un jalon important.

La France et l'Allemagne sont capables d'incarner une voix européenne crédible d'un point de vue stratégique, lorsque c'est nécessaire. Le format Normandie reste l'axe d'effort principal pour répondre à la crise ukrainienne et revenir à la mise en œuvre pleine et entière des accords de Minsk.

Le fait que le chancelier se soit rendu aux États-Unis est cohérent avec la séquence diplomatique engagée par la France ; le président Macron s'en était d'ailleurs entretenu avec Joe Biden. Il serait inconcevable que les initiatives européennes lancées par le couple franco-allemand ne bénéficient pas du soutien des Américains, pour la raison fondamentale que les capacités structurantes du haut du spectre en Europe – défense antimissile ou aviation à long rayon d'action – sont aussi américaines. En parallèle, le Président de la République a appelé de ses vœux l'élaboration d'un programme à long terme de maîtrise des armements.

Comment coordonner la boussole stratégique et le concept stratégique ? Il s'agit de deux exercices distincts. L'Union européenne et l'OTAN ne sont pas des organisations de même nature ; chacune a ses prérogatives propres. Cependant, nous recherchons une coopération concrète partout où les complémentarités sont possibles. Il est temps de mettre fin au débat idéologique qui oppose l'OTAN et l'Union européenne. Leur action se complète sur divers sujets : l'espace, la Chine, la réduction des dépendances, etc. Cela n'enlève rien au fait que des appétits industriels et la recherche d'une primauté technologique s'affirment ici ou là – ce sont des terrains sur lesquels l'Union européenne a des atouts.

La réponse stratégique est multidimensionnelle. Elle implique un grand nombre de secteurs et des leviers qui sont parfois non militaires. La DGRIS joue en quelques sortes un rôle d'alerte avancée. Elle n'a pas pour but de déterminer tous les outils à même de répondre au lawfare. Elle cherche plutôt à mettre en évidence la façon dont le lawfare peut être utilisé – par la Chine notamment – à des fins de pression ou d'intimidation sur des terrains autres que militaires.

Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a aussi tout son rôle à jouer. Pour ce qui est des leviers non militaires, son travail concerne notre capacité à faire face aux chantages migratoires – surtout en Méditerranée et en Biélorussie – et prend en compte la question de la dépendance énergétique, qui appelle parfois des sanctions et la protection d'intérêts sectoriels découverts à mesure qu'ils sont exposés.

M. Lassalle a fait part de son sentiment que la France était seule, notamment au Mali. Je veux d'emblée dissiper tout malentendu : la France n'est pas seule, loin de là. Les interventions au Sahel et au Mali ont clairement démontré une européanisation des efforts. Si nous sommes confrontés à une situation extrêmement délicate, cela est non pas par manque de solidarité européenne, mais en raison de l'évolution interne au Mali, qui conduit à envisager certaines reconfigurations d'ampleur. L'Europe a réalisé un effort inédit, notamment grâce à la task force Takuba. Nous devons trouver les moyens de préserver cet effort à l'avenir pour continuer à lutter avec nos partenaires contre le terrorisme en Afrique de l'Ouest.

Le déploiement de 5 000 hommes à l'échelle européenne n'est pas le débouché principal de la boussole stratégique. Nous sommes satisfaits d'être revenus à une formulation des objectifs en termes de capacité de déploiement rapide. Pourquoi ? Ce n'est pas que nous refusions une ambition chiffrée ou de nous soumettre à des objectifs quantitatifs dans la durée. Seulement, ce qui compte, c'est le chemin par lequel on arrive à constituer des forces réactives en Europe. Cela suppose des structures de commandement solides, de s'appuyer sur nos propres réseaux d'information sécurisés et de répondre à nos lacunes capacitaires pour s'engager dans le haut du spectre. Cela nécessite aussi une planification à froid et d'envisager des scénarios à même de pousser plus loin la capacité de nos partenaires à s'engager et à être réactifs. Quant à la flexibilité, il s'agit d'une avancée majeure que l'on doit viser.

Le couple franco-allemand n'intervient pas toujours là où on le souhaite. Toutefois, c'est à travers lui qu'on parvient le plus souvent à résoudre les problèmes et à défendre des ambitions renouvelées. Si la boussole stratégique est adoptée lors du Conseil européen, elle sera appliquée dès le 26 mars ; nous avons déjà engagé des discussions avec les Allemands sur la manière dont elle sera mise en œuvre.

J'en viens aux coopérations industrielles entre partenaires. Nous avons réussi, via la CSP et différentes vagues de projets, à combler les lacunes dans un grand nombre de domaines, en cohérence avec le processus d'examen annuel coordonné de défense (CARD). La capacité militaire de planification et de conduite de l'Union européenne est distincte du processus OTAN de planification de défense. La boussole stratégique devra orienter la manière dont il sera répondu aux lacunes capacitaires. Des projets nationaux ou des projets à plusieurs pays, tels que le SCAF ou le système principal de combat terrestre (MGCS), pourront toujours être développés et des coopérations pourront être assurées dans le cadre du FED ou de mesures de soutien à l'innovation.

La Méditerranée n'est pas délaissée, au contraire. Nous avons tenté d'intégrer dans la boussole stratégique des éléments supplémentaires la concernant. Si l'on réfléchit en termes de flux et de sécurisation, il sera nécessaire de construire un continuum entre les espaces maritimes, surtout vu l'attitude de l'Iran, de la Turquie ou de certains pays du Golfe, comme l'Arabie Saoudite. Ce continuum nécessitera de mettre en cohérence de multiples efforts.

Le durcissement de l'environnement naval en Méditerranée est considérable. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la situation en Syrie et en Libye. Force est de constater que la Russie et la Chine soutiennent mutuellement leurs lignes rouges ; une récente déclaration conjointe l'a démontré. Cette consolidation réciproque, qui s'étend de la mer Baltique jusqu'à la Méditerranée et au Golfe, risque d'avoir une résonance majeure.

Notre priorité au titre de la stratégie de sûreté maritime de l'Union européenne en Indo-Pacifique est la coordination des moyens – c'est plus réaliste compte tenu de la réalité des capacités navales européennes – et leur optimisation à des fins de signalement stratégique. Nous voulons montrer notre détermination à préserver la liberté de navigation. Il s'agit également de créer des synergies entre les domaines civil et militaire, par exemple en ce qui concerne les enjeux liés à l'économie bleue, tels que la pêche illicite. Nous devons parvenir à mobiliser des sources de financement au service de la sécurité maritime comme enjeu de coopération en Indo-Pacifique. Quant aux partenariats entre l'Union européenne et les pays de l'Indo-Pacifique, ils doivent être renforcés et crédibilisés.

S'agissant du conflit opposant l'Arménie et l'Azerbaïdjan, deux types d'influences s'exercent. L'Europe doit trouver le moyen de continuer à peser entre la Russie et la Turquie. Même si des avancées ont été récemment obtenues par le Président de la République avec les pays concernés, la crise ukrainienne risque d'avoir des effets de rebond sur le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Concernant l'attitude de la Russie, un constat s'impose : ce que nous voyons aux frontières de l'Ukraine est cohérent avec les démonstrations de force et la volonté de tester la volonté des Occidentaux sur bien d'autres théâtres. De la même manière que la Chine a une stratégie globale, la Russie déploie une stratégie de nuisance et cherche à profiter d'effets d'aubaine partout où elle le peut – l'Afrique en est un exemple.

En ce qui concerne la sécurité civile européenne, je suis bien en peine de vous répondre : c'est plutôt le ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui est compétent en la matière.

La séance est levée à dix heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, Mme Françoise Ballet-Blu, Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Catherine Daufès-Roux, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, Mme Marie Guévenoux, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Jean Lassalle, Mme Sereine Mauborgne, M. Nicolas Meizonnet, M. Gérard Menuel, M. Philippe Meyer, Mme Monica Michel-Brassart, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, Mme Catherine Pujol, Mme Sabine Thillaye, M. Stéphane Trompille, M. Stéphane Vojetta

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Olivier Becht, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Christophe Castaner, M. André Chassaigne, M. Rémi Delatte, Mme Françoise Dumas, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Richard Ferrand, M. Claude de Ganay, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, M. Jean-Michel Jacques, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jacques Marilossian, M. Philippe Michel-Kleisbauer, M. Patrick Mignola, M. Gwendal Rouillard, Mme Isabelle Santiago, Mme Nathalie Serre, M. Thierry Solère, M. Joachim Son-Forget, M. Aurélien Taché, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Alexandra Valetta Ardisson