Absolument.
Les priorités de la présidence française en matière de cybersécurité sont claires. Les États membres, comme les institutions de l'Union européenne, doivent être en ordre de bataille. Cela signifie que nous devons protéger nos réseaux de communication internes. À cet égard, l'actualisation de la directive relative à la sécurité des réseaux et des systèmes d'information (NIS) est incontournable. L'OTAN s'est déjà doté du système de recueil et d'exploitation des informations du champ de bataille (BICES). L'Union européenne, de son côté, doit assurer la montée en puissance de ses réseaux d'information afin de garantir la confidentialité de ses échanges.
Il existe un effet d'apprentissage collectif. Les exercices que nous avons lancés, qui incluent un palier d'activation de l'article 42 alinéa 7 du TUE, sont essentiels. Ils permettent de planifier, au niveau des outils capacitaires et des réponses politiques, la façon dont nous réagirions à des cyberattaques majeures qui ajouteraient à l'escalade un cran supplémentaire – les cas d'espèce sont nombreux.
Nous nous sommes engagés à développer la boîte à outils cyberdiplomatique. La concertation doit être plus efficace sur les sujets d'attribution, qui demeurent périlleux, et les modalités de réponse plus appropriées. Nos capacités d'assistance mutuelle, adossées par exemple à des coopérations bilatérales, doivent être suffisantes pour garantir une réponse rapide – tout cela devant être cohérent avec un programme plus vaste, car le cyber devient l'un des éléments d'une équation qui inclut toutes les stratégies hybrides, parmi lesquelles figure la désinformation.
Je suis convaincue de la nécessité de réduire notre dépendance énergétique. Plusieurs axes d'efforts, discutés au plus haut niveau et soumis à une évaluation interministérielle, permettent d'appréhender la réponse d'abord à l'échelon national. J'estime toutefois que la France n'est pas le pays le plus exposé à la dépendance énergétique, même si le stock du gaz russe pose problème. Au-delà de la sphère énergétique, nous devons réduire d'autres dépendances liées aux ressources précieuses, comme le titane qui illustre le durcissement des sanctions prises par la France et les États-Unis contre la Russie. Comment approfondir la cohésion avec notre partenaire allemand ? Nous avons observé avec beaucoup d'attention le contenu du contrat de coalition. L'ambition en matière de défense européenne est bien présente ; elle devra être consolidée, y compris au travers des grands programmes en coopération. En revanche, je relève aussi que le contrat de coalition envisage que l'Allemagne puisse devenir membre observateur du traité sur l'interdiction des armes nucléaires et cela nous préoccupe car cela conduirait à affaiblir la crédibilité de la posture nucléaire de l'alliance au profit de nos compétiteurs.
La France doit demeurer une puissance exportatrice d'armement. Or la mise en place d'un mécanisme de contrôle des exportations européennes, tel que proposé par l'eurodéputée Hannah Neumann, viendrait contraindre les prérogatives nationales, pourtant sanctuarisées par les traités. Cela pose d'autant plus de difficultés que nous sommes censés développer des programmes structurants, tels que le système de combat aérien du futur (SCAF).
Au regard de la FEP ou des engagements opérationnels, Berlin est limité dans ses capacités et sa volonté politique à s'engager sur le terrain opérationnel dans des environnements moins permissifs. Nous accomplissons ainsi des efforts graduels, notamment au Sahel. L'engagement allemand s'agissant de la capacité de déploiement rapide de l'Union européenne – malgré quelques résistances – constituera un jalon important.
La France et l'Allemagne sont capables d'incarner une voix européenne crédible d'un point de vue stratégique, lorsque c'est nécessaire. Le format Normandie reste l'axe d'effort principal pour répondre à la crise ukrainienne et revenir à la mise en œuvre pleine et entière des accords de Minsk.
Le fait que le chancelier se soit rendu aux États-Unis est cohérent avec la séquence diplomatique engagée par la France ; le président Macron s'en était d'ailleurs entretenu avec Joe Biden. Il serait inconcevable que les initiatives européennes lancées par le couple franco-allemand ne bénéficient pas du soutien des Américains, pour la raison fondamentale que les capacités structurantes du haut du spectre en Europe – défense antimissile ou aviation à long rayon d'action – sont aussi américaines. En parallèle, le Président de la République a appelé de ses vœux l'élaboration d'un programme à long terme de maîtrise des armements.
Comment coordonner la boussole stratégique et le concept stratégique ? Il s'agit de deux exercices distincts. L'Union européenne et l'OTAN ne sont pas des organisations de même nature ; chacune a ses prérogatives propres. Cependant, nous recherchons une coopération concrète partout où les complémentarités sont possibles. Il est temps de mettre fin au débat idéologique qui oppose l'OTAN et l'Union européenne. Leur action se complète sur divers sujets : l'espace, la Chine, la réduction des dépendances, etc. Cela n'enlève rien au fait que des appétits industriels et la recherche d'une primauté technologique s'affirment ici ou là – ce sont des terrains sur lesquels l'Union européenne a des atouts.
La réponse stratégique est multidimensionnelle. Elle implique un grand nombre de secteurs et des leviers qui sont parfois non militaires. La DGRIS joue en quelques sortes un rôle d'alerte avancée. Elle n'a pas pour but de déterminer tous les outils à même de répondre au lawfare. Elle cherche plutôt à mettre en évidence la façon dont le lawfare peut être utilisé – par la Chine notamment – à des fins de pression ou d'intimidation sur des terrains autres que militaires.
Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a aussi tout son rôle à jouer. Pour ce qui est des leviers non militaires, son travail concerne notre capacité à faire face aux chantages migratoires – surtout en Méditerranée et en Biélorussie – et prend en compte la question de la dépendance énergétique, qui appelle parfois des sanctions et la protection d'intérêts sectoriels découverts à mesure qu'ils sont exposés.
M. Lassalle a fait part de son sentiment que la France était seule, notamment au Mali. Je veux d'emblée dissiper tout malentendu : la France n'est pas seule, loin de là. Les interventions au Sahel et au Mali ont clairement démontré une européanisation des efforts. Si nous sommes confrontés à une situation extrêmement délicate, cela est non pas par manque de solidarité européenne, mais en raison de l'évolution interne au Mali, qui conduit à envisager certaines reconfigurations d'ampleur. L'Europe a réalisé un effort inédit, notamment grâce à la task force Takuba. Nous devons trouver les moyens de préserver cet effort à l'avenir pour continuer à lutter avec nos partenaires contre le terrorisme en Afrique de l'Ouest.
Le déploiement de 5 000 hommes à l'échelle européenne n'est pas le débouché principal de la boussole stratégique. Nous sommes satisfaits d'être revenus à une formulation des objectifs en termes de capacité de déploiement rapide. Pourquoi ? Ce n'est pas que nous refusions une ambition chiffrée ou de nous soumettre à des objectifs quantitatifs dans la durée. Seulement, ce qui compte, c'est le chemin par lequel on arrive à constituer des forces réactives en Europe. Cela suppose des structures de commandement solides, de s'appuyer sur nos propres réseaux d'information sécurisés et de répondre à nos lacunes capacitaires pour s'engager dans le haut du spectre. Cela nécessite aussi une planification à froid et d'envisager des scénarios à même de pousser plus loin la capacité de nos partenaires à s'engager et à être réactifs. Quant à la flexibilité, il s'agit d'une avancée majeure que l'on doit viser.
Le couple franco-allemand n'intervient pas toujours là où on le souhaite. Toutefois, c'est à travers lui qu'on parvient le plus souvent à résoudre les problèmes et à défendre des ambitions renouvelées. Si la boussole stratégique est adoptée lors du Conseil européen, elle sera appliquée dès le 26 mars ; nous avons déjà engagé des discussions avec les Allemands sur la manière dont elle sera mise en œuvre.
J'en viens aux coopérations industrielles entre partenaires. Nous avons réussi, via la CSP et différentes vagues de projets, à combler les lacunes dans un grand nombre de domaines, en cohérence avec le processus d'examen annuel coordonné de défense (CARD). La capacité militaire de planification et de conduite de l'Union européenne est distincte du processus OTAN de planification de défense. La boussole stratégique devra orienter la manière dont il sera répondu aux lacunes capacitaires. Des projets nationaux ou des projets à plusieurs pays, tels que le SCAF ou le système principal de combat terrestre (MGCS), pourront toujours être développés et des coopérations pourront être assurées dans le cadre du FED ou de mesures de soutien à l'innovation.
La Méditerranée n'est pas délaissée, au contraire. Nous avons tenté d'intégrer dans la boussole stratégique des éléments supplémentaires la concernant. Si l'on réfléchit en termes de flux et de sécurisation, il sera nécessaire de construire un continuum entre les espaces maritimes, surtout vu l'attitude de l'Iran, de la Turquie ou de certains pays du Golfe, comme l'Arabie Saoudite. Ce continuum nécessitera de mettre en cohérence de multiples efforts.
Le durcissement de l'environnement naval en Méditerranée est considérable. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la situation en Syrie et en Libye. Force est de constater que la Russie et la Chine soutiennent mutuellement leurs lignes rouges ; une récente déclaration conjointe l'a démontré. Cette consolidation réciproque, qui s'étend de la mer Baltique jusqu'à la Méditerranée et au Golfe, risque d'avoir une résonance majeure.
Notre priorité au titre de la stratégie de sûreté maritime de l'Union européenne en Indo-Pacifique est la coordination des moyens – c'est plus réaliste compte tenu de la réalité des capacités navales européennes – et leur optimisation à des fins de signalement stratégique. Nous voulons montrer notre détermination à préserver la liberté de navigation. Il s'agit également de créer des synergies entre les domaines civil et militaire, par exemple en ce qui concerne les enjeux liés à l'économie bleue, tels que la pêche illicite. Nous devons parvenir à mobiliser des sources de financement au service de la sécurité maritime comme enjeu de coopération en Indo-Pacifique. Quant aux partenariats entre l'Union européenne et les pays de l'Indo-Pacifique, ils doivent être renforcés et crédibilisés.
S'agissant du conflit opposant l'Arménie et l'Azerbaïdjan, deux types d'influences s'exercent. L'Europe doit trouver le moyen de continuer à peser entre la Russie et la Turquie. Même si des avancées ont été récemment obtenues par le Président de la République avec les pays concernés, la crise ukrainienne risque d'avoir des effets de rebond sur le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Concernant l'attitude de la Russie, un constat s'impose : ce que nous voyons aux frontières de l'Ukraine est cohérent avec les démonstrations de force et la volonté de tester la volonté des Occidentaux sur bien d'autres théâtres. De la même manière que la Chine a une stratégie globale, la Russie déploie une stratégie de nuisance et cherche à profiter d'effets d'aubaine partout où elle le peut – l'Afrique en est un exemple.
En ce qui concerne la sécurité civile européenne, je suis bien en peine de vous répondre : c'est plutôt le ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui est compétent en la matière.