Intervention de Monica Michel-Brassart

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMonica Michel-Brassart, rapporteure :

Enfin, la troisième conséquence d'AUKUS, c'est la marginalisation de l'Europe continentale dans la région.

Le corollaire de la réorientation des priorités stratégiques américaines vers l'indopacifique est la fin de la centralité de la relation transatlantique dans la politique étrangère américaine. L'Europe n'occupe plus la même place dans la vision stratégique américaine et l'arrivée de Joe Biden n'y a rien changé.

De plus, dans cette nouvelle stratégie américaine, l'Union européenne peut être perçue par les États-Unis comme ambigüe dans sa relation avec la Chine. La stratégie européenne pour l'indopacifique, qui fait suite à la signature d'un accord sino-européen sur les investissements, se fait ainsi le porte-étendard d'une « troisième voie », en contradiction avec la logique conflictuelle américaine. Le Brexit pèse, en outre, sur la relation à l'Europe des États-Unis, lesquels ont tendance à privilégier l'anglosphère.

Toutefois, en dépit de la vision stratégique américaine de l'Europe, nous ne pensons pas qu'il y ait une véritable volonté des États-Unis de marginaliser la France dans la région indopacifique. Si notre pays, à l'avenir, veut participer aux actions américaines, il sera le bienvenu. Toutefois, ils ne nous attendront pas et ne tiendront pas compte de nos intérêts dans la construction de leur stratégie vis-à-vis de la Chine. C'est en cela que la France apparaît comme un allié de second rang pour les États-Unis. Certes utile dans la lutte contre le terrorisme, la France, par son discours inchangé sur l'autonomie stratégique européenne, son dialogue avec la Russie et sa volonté de ménager la Chine confirmait son statut de partenaire en décalage avec les nouvelles urgences stratégiques américaines.

L'Europe et la France seront néanmoins, probablement, sommées de choisir leur camp en cas de guerre avec la Chine. Les États-Unis pourraient être tentés d'imposer à leurs alliés européens de s'aligner sur leur position, par des pressions politiques, un embargo ou des sanctions sur les banques européennes qui financeraient les entreprises chinoises ou les entreprises européennes investissant ou commerçant en Chine.

Enfin, notre rapport examine les conséquences d'AUKUS pour la stratégie française en Indopacifique.

AUKUS a non seulement torpillé la vente de sous-marins de technologie française à l'Australie mais aussi et surtout provoqué une colère froide des autorités françaises envers trois alliés pourtant très proches, accusés de « duplicité ».

Dès le 22 septembre 2021, toutefois, les liens ont été renoués avec les États-Unis et, dans un communiqué commun avec le président Macron à la suite d'un échange téléphonique, le président Biden s'est notamment engagé à renforcer l'appui des États-Unis aux opérations antiterroristes conduites par les États européens dans la région du Sahel.

À l'inverse, la colère reste vive vis-à-vis de l'Australie et la France a entrepris de réduire la portée d'une coopération militaire jusqu'alors très intense. Pour autant, comme l'a rappelé l'Amiral Vandier, il ne faut pas se tromper d'ennemi et l'Australie restera un allié de la France dans la région. Il faudra toutefois beaucoup de temps pour que la confiance revienne et ce temps n'est pas encore venu. Il est probable qu'il ne vienne qu'après le départ des personnalités australiennes impliquées dans cet épisode, lequel pourrait d'ailleurs intervenir rapidement, dès les élections générales prévues au plus tard le 30 juin 2022.

Enfin, la participation du Royaume-Uni à AUKUS ajoute aux nombreux contentieux qui, depuis plusieurs mois, enveniment la relation franco-britannique et, plus généralement celles du Royaume-Uni avec l'Union européenne : conflit sur les licences de pêche, gestion erratique des questions migratoires, protocole nord-irlandais… Vis-à-vis du Royaume-Uni, la France a toutefois gardé une certaine retenue.

La stratégie française en Indopacifique reste pertinente, et oserais-je le dire, plus que jamais. En effet, face à la logique conflictuelle incarnée par AUKUS, notre première proposition est la poursuite, par la France, de sa stratégie actuelle qui vise à dépasser la rivalité sino-américaine en traitant de l'ensemble des sujets – économie, environnement, climat, connectivité, santé… avec l'ensemble des États.

Avant d'en venir aux propositions, quelques mots sur les conséquences de l'annulation du contrat des sous-marins pour Naval Group. Au-delà du choc légitime que constitue cette annulation, les conséquences financières sont relativement limitées. Surtout, l'entreprise a très vite rebondi avec le succès obtenu en Grèce, qui a décidé d'acquérir trois frégates pour un montant de 3 milliards d'euros.

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