Intervention de Jean-Jacques Ferrara

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 16h50
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Ferrara, co-rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues. Je vous remercie, Madame la présidente, pour vos mots d'introduction. Je remercie également la commission pour nous avoir confié la conduite de cette mission sur les enjeux de défense en Méditerranée. Mission qui nous tenait à cœur avec mon collègue, pour des raisons évidentes, puisque nous sommes députés respectivement du Var et de la Corse. C'est une mission qui a été passionnante et nous sommes ravis aujourd'hui de pouvoir vous présenter les conclusions de nos travaux.

Je devine ce que pourrait être votre premier sentiment, mes chers collègues, sur l'objet de cette mission : la Méditerranée, vous dites-vous peut-être, ce n'est pas vraiment la priorité du moment. La situation au Sahel, en Ukraine, voire en Indo-Pacifique est bien plus préoccupante. J'en conviens bien volontiers, il existe actuellement d'autres théâtres de crises qui concentrent, légitimement, l'attention politique et médiatique. Cependant, cela n'enlève rien à la nécessité de comprendre les enjeux en Méditerranée, bien au contraire, et cela pour deux raisons majeures à mon sens.

La première est que la Méditerranée n'est pas un espace clos, mais le maillon d'une chaîne mondiale : une crise en Ukraine, une dégradation sécuritaire au Sahel ou encore un conflit en Indo-Pacifique aura nécessairement des conséquences, directes ou indirectes, en Méditerranée. D'où la nécessité de comprendre les dynamiques de puissance et les rapports de force à l'œuvre en Méditerranée.

La seconde raison est que la Méditerranée est, comme vous l'avez souligné Madame la présidente, notre frontière, notre première approche : toute crise qui s'y déroule affecte directement nos intérêts et notre sécurité ; la France a donc vocation à se retrouver en première ligne en cas de conflit dans cet espace. Ce n'est pas forcément le cas de tous les autres théâtres précités.

C'est dans cette optique que nous avons concentré nos travaux sur le « haut du spectre », afin d'identifier les facteurs de tensions, les logiques de puissance qui se déploient dans cet espace et les défis auxquels sont confrontées nos forces armées. Or, ce qui ressort de nos travaux, c'est que la Méditerranée est devenue un espace de compétition et de conflictualité. Et ce en raison principalement de deux dynamiques : d'une part, la multiplication des foyers de tensions, que je vais évoquer brièvement, et, d'autre part, un fait relativement récent : le retour des stratégies de puissance – des puissances régionales mais aussi des puissances mondiales – en Méditerranée, qu'évoquera mon collègue.

La Méditerranée est tout d'abord le foyer de multiples tensions. Première cause de tension majeure, la fragilité des États de la rive Sud. Il y a bien sûr le conflit libyen, qui a déstabilisé l'ensemble de la région. Malgré l'accord de cessez-le-feu d'octobre 2020, les défis restent nombreux à l'heure actuelle : la Turquie et la Russie veulent faire de la Libye le relais de leur puissance en Afrique ; les milices et mercenaires étrangers sont toujours présents dans le pays ; enfin, le processus de stabilisation politique demeure précaire, comme l'a démontré le report de l'élection présidentielle en décembre 2021.

Au-delà de la Libye, l'évolution de la situation interne de certains autres pays de la rive Sud pourrait également être une source de déstabilisation majeure, comme l'ont souligné de nombreuses personnes auditionnées. Je pense notamment au mouvement de contestation dit du Hirak en Algérie ; je pense également à la paralysie des institutions politiques en Tunisie, dans un contexte de crise économique et financière. Les fragilités des pays de la rive Sud alimentent en outre la multiplication des flux illicites, notamment migratoires, la Méditerranée centrale constituant actuellement la principale voie d'accès vers l'Europe, essentiellement depuis la Libye.

Deuxième cause de tension majeure, les conflits territoriaux. Le statut de Chypre constitue le « nœud gordien » des tensions en Méditerranée orientale. La Turquie, qui souhaite une bipartition définitive de l'île en deux États, y mène une politique agressive caractérisée par : le renforcement de sa présence militaire à Chypre Nord ; les violations répétées du statu quo militaire le long de la « ligne verte » administrée par l'ONU ; la réouverture unilatérale de la ville fermée de Varohsa. Parmi les possibles scénarios de crises majeures en Méditerranée, de nombreuses personnes auditionnées ont ainsi évoqué un coup de force de la Turquie à Chypre.

L'autre conflit territorial de la zone concerne le Sahara occidental. La rupture à la fin de l'année 2020 du cessez-le-feu en place depuis 1991 a été à l'origine de la recrudescence des tensions entre l'Algérie et le Maroc, conduisant à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays en août 2021. Toutefois, d'après la majorité des personnes auditionnées, le risque d'un conflit conventionnel entre ces deux acteurs régionaux reste faible à l'heure actuelle.

Enfin, troisième et dernière cause de tension majeure dans la zone, la contestation des espaces maritimes. La découverte d'importants gisements gaziers durant la dernière décennie au large de Chypre a réactivé les contestations historiques relatives à la délimitation des espaces maritimes. La crise de l'été 2020 a ainsi démontré le risque d'escalade suscité par les enjeux énergétiques, avec la conduite d'activités de prospection illicites par des navires turcs, escortés militairement, dans les zones économiques exclusives de Chypre et de la Grèce. L'intervention de la France, avec l'envoi en Grèce de Rafale, d'un porte-hélicoptère et d'une frégate, a été déterminante pour stopper cette stratégie turque du fait accompli.

L'année 2021 a certes été marquée par une certaine désescalade, mais celle-ci est bien fragile. Une résurgence des tensions est ainsi vraisemblable et pourrait éventuellement s'accompagner d'actions hybrides. En revanche, la majorité des personnes auditionnées ne croient pas à l'avènement d'un conflit conventionnel en Méditerranée orientale.

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