Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 16h50

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • conflit
  • maritime
  • migratoire
  • méditerranée
  • orientale
  • russe
  • sud
  • tension
  • turquie
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PCF & ultramarins    En Marche    MoDem    Les Républicains  

La réunion

Source

La séance est ouverte à seize heures cinquante.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, pour clôturer cette journée particulièrement riche et dense, nous avons le plaisir d'entendre les conclusions de nos collègues Jean-Jacques Ferrara et Philippe Michel-Kleisbauer sur les enjeux de défense en Méditerranée.

Notre commission a naturellement déjà eu l'occasion de s'intéresser à la Méditerranée, notamment à travers la récente mission d'information sur « la stabilité au Moyen-Orient dans la perspective de l'après Chammal » que j'avais eu l'honneur de présider, aux côtés de nos collègues rapporteurs Philippe Meyer et Gwendal Rouillard, qui abordait également la situation de certains pays méditerranéens au Levant.

Toutefois, au regard du caractère stratégique de cet espace et de l'évolution de son contexte géopolitique, il nous est apparu essentiel de consacrer une mission spécifique à cette zone, centrée sur les enjeux de défense.

Car la Méditerranée est en effet un espace stratégique en soi. Pour la France bien sûr : la Méditerranée constitue notre frontière, notre première approche maritime, de sorte que la protection de notre territoire, notre sécurité, notre stabilité se jouent aussi, évidemment, en Méditerranée. Un espace stratégique aussi pour ses 22 États riverains, rassemblant près de 520 millions d'habitants : la Méditerranée est un pont entre ces différents pays, ces différentes civilisations, dont le destin est irrémédiablement lié par cette mer qui les rapproche, qui les réunit, cette mer si importante dans notre histoire et notre patrimoine commun. La situation de chacun des pays riverains de la Méditerranée ne peut donc nous laisser indifférent : toute crise qui s'y déroule aura en effet tôt ou tard un impact sur la France et l'Europe, comme l'ont rappelé la crise migratoire de 2015 ou la résurgence du terrorisme.

Un espace stratégique enfin pour le reste du monde, en raison de l'importance des flux économiques qui transitent par la Méditerranée : celle-ci représente 25 % du commerce maritime mondial, 30 % du trafic pétrolier. L'obstruction du canal de Suez par l' Ever Given en mars 2021 a ainsi coûté au commerce mondial plus de 6 milliards de dollars par jour de blocage.

Or, ce pont entre les deux rives qu'est la Méditerranée semble être aujourd'hui devenu surtout « un pont entre l'Europe et des zones de tensions qui ne cessent de s'intensifier, de s'imbriquer et de se rapprocher », pour reprendre les propos du président de la République Emmanuel Macron dans son discours aux forces armées du 13 juillet 2020.

Le président poursuivait ainsi : « la zone Méditerranée sera le défi des prochaines années, tant les facteurs de crise sont nombreux : contestation des zones maritimes, affrontements entre pays riverains, déstabilisation de la Libye, migrations, trafics (…). Un jeu de nouvelles puissances s'y joue aussi ».

Dans ce contexte, l'enjeu est double, Messieurs les rapporteurs. D'une part, quelle est votre appréciation sur l'évolution des tensions et des menaces dans cet espace ? D'autre part, comment la France, et plus particulièrement nos forces armées, font face au défi sécuritaire que représente la Méditerranée ?

Avant de vous laisser la parole, je tiens à vous remercier pour la grande qualité de votre travail et à vous féliciter pour votre investissement au titre de ce rapport, comme pour l'ensemble des travaux que vous avez menés les uns et les autres dans le cadre de vos rapports budgétaires.

Dans le cadre de cette mission, vous avez effectué deux déplacements : l'un à Toulon, au centre des opérations de la marine ; l'autre en Italie, d'une part à Naples, au quartier général du commandement de forces interarmées de l'OTAN, et, d'autre part, à Rome, notamment au siège de la mission européenne IRINI.

Sans plus tarder, Messieurs les rapporteurs, vous qui êtes très attachés à la Méditerranée, tout comme moi, je vous cède la parole. Je vous remercie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la présidente, mes chers collègues. Je vous remercie, Madame la présidente, pour vos mots d'introduction. Je remercie également la commission pour nous avoir confié la conduite de cette mission sur les enjeux de défense en Méditerranée. Mission qui nous tenait à cœur avec mon collègue, pour des raisons évidentes, puisque nous sommes députés respectivement du Var et de la Corse. C'est une mission qui a été passionnante et nous sommes ravis aujourd'hui de pouvoir vous présenter les conclusions de nos travaux.

Je devine ce que pourrait être votre premier sentiment, mes chers collègues, sur l'objet de cette mission : la Méditerranée, vous dites-vous peut-être, ce n'est pas vraiment la priorité du moment. La situation au Sahel, en Ukraine, voire en Indo-Pacifique est bien plus préoccupante. J'en conviens bien volontiers, il existe actuellement d'autres théâtres de crises qui concentrent, légitimement, l'attention politique et médiatique. Cependant, cela n'enlève rien à la nécessité de comprendre les enjeux en Méditerranée, bien au contraire, et cela pour deux raisons majeures à mon sens.

La première est que la Méditerranée n'est pas un espace clos, mais le maillon d'une chaîne mondiale : une crise en Ukraine, une dégradation sécuritaire au Sahel ou encore un conflit en Indo-Pacifique aura nécessairement des conséquences, directes ou indirectes, en Méditerranée. D'où la nécessité de comprendre les dynamiques de puissance et les rapports de force à l'œuvre en Méditerranée.

La seconde raison est que la Méditerranée est, comme vous l'avez souligné Madame la présidente, notre frontière, notre première approche : toute crise qui s'y déroule affecte directement nos intérêts et notre sécurité ; la France a donc vocation à se retrouver en première ligne en cas de conflit dans cet espace. Ce n'est pas forcément le cas de tous les autres théâtres précités.

C'est dans cette optique que nous avons concentré nos travaux sur le « haut du spectre », afin d'identifier les facteurs de tensions, les logiques de puissance qui se déploient dans cet espace et les défis auxquels sont confrontées nos forces armées. Or, ce qui ressort de nos travaux, c'est que la Méditerranée est devenue un espace de compétition et de conflictualité. Et ce en raison principalement de deux dynamiques : d'une part, la multiplication des foyers de tensions, que je vais évoquer brièvement, et, d'autre part, un fait relativement récent : le retour des stratégies de puissance – des puissances régionales mais aussi des puissances mondiales – en Méditerranée, qu'évoquera mon collègue.

La Méditerranée est tout d'abord le foyer de multiples tensions. Première cause de tension majeure, la fragilité des États de la rive Sud. Il y a bien sûr le conflit libyen, qui a déstabilisé l'ensemble de la région. Malgré l'accord de cessez-le-feu d'octobre 2020, les défis restent nombreux à l'heure actuelle : la Turquie et la Russie veulent faire de la Libye le relais de leur puissance en Afrique ; les milices et mercenaires étrangers sont toujours présents dans le pays ; enfin, le processus de stabilisation politique demeure précaire, comme l'a démontré le report de l'élection présidentielle en décembre 2021.

Au-delà de la Libye, l'évolution de la situation interne de certains autres pays de la rive Sud pourrait également être une source de déstabilisation majeure, comme l'ont souligné de nombreuses personnes auditionnées. Je pense notamment au mouvement de contestation dit du Hirak en Algérie ; je pense également à la paralysie des institutions politiques en Tunisie, dans un contexte de crise économique et financière. Les fragilités des pays de la rive Sud alimentent en outre la multiplication des flux illicites, notamment migratoires, la Méditerranée centrale constituant actuellement la principale voie d'accès vers l'Europe, essentiellement depuis la Libye.

Deuxième cause de tension majeure, les conflits territoriaux. Le statut de Chypre constitue le « nœud gordien » des tensions en Méditerranée orientale. La Turquie, qui souhaite une bipartition définitive de l'île en deux États, y mène une politique agressive caractérisée par : le renforcement de sa présence militaire à Chypre Nord ; les violations répétées du statu quo militaire le long de la « ligne verte » administrée par l'ONU ; la réouverture unilatérale de la ville fermée de Varohsa. Parmi les possibles scénarios de crises majeures en Méditerranée, de nombreuses personnes auditionnées ont ainsi évoqué un coup de force de la Turquie à Chypre.

L'autre conflit territorial de la zone concerne le Sahara occidental. La rupture à la fin de l'année 2020 du cessez-le-feu en place depuis 1991 a été à l'origine de la recrudescence des tensions entre l'Algérie et le Maroc, conduisant à la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays en août 2021. Toutefois, d'après la majorité des personnes auditionnées, le risque d'un conflit conventionnel entre ces deux acteurs régionaux reste faible à l'heure actuelle.

Enfin, troisième et dernière cause de tension majeure dans la zone, la contestation des espaces maritimes. La découverte d'importants gisements gaziers durant la dernière décennie au large de Chypre a réactivé les contestations historiques relatives à la délimitation des espaces maritimes. La crise de l'été 2020 a ainsi démontré le risque d'escalade suscité par les enjeux énergétiques, avec la conduite d'activités de prospection illicites par des navires turcs, escortés militairement, dans les zones économiques exclusives de Chypre et de la Grèce. L'intervention de la France, avec l'envoi en Grèce de Rafale, d'un porte-hélicoptère et d'une frégate, a été déterminante pour stopper cette stratégie turque du fait accompli.

L'année 2021 a certes été marquée par une certaine désescalade, mais celle-ci est bien fragile. Une résurgence des tensions est ainsi vraisemblable et pourrait éventuellement s'accompagner d'actions hybrides. En revanche, la majorité des personnes auditionnées ne croient pas à l'avènement d'un conflit conventionnel en Méditerranée orientale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la présidente, je vous remercie pour vos mots introductifs et vos encouragements. Mes chers collègues, je me joins aux remerciements de Jean-Jacques Ferrara pour la confiance que vous nous avez accordée. Je tiens à souligner également la participation de nos collègues Jacques Marilossian, Thomas Gassilloud, Stephane Vojetta et Jean-Christophe Lagarde à cette mission. Vous nous avez confié une mission d'information qui soulève des enjeux stratégiques pour notre pays et nos forces armées.

Outre les différents facteurs de tensions évoqués à l'instant par Jean-Jacques Ferrara, une autre dynamique nous a frappés dans le cadre de nos travaux : il s'agit du retour des stratégies de puissance en Méditerranée. L'affirmation des puissances régionales constitue la première illustration de ce phénomène. On pense évidemment à la Turquie, dont l'ambition est de devenir une puissance qui compte sur l'ensemble du bassin méditerranéen, et pratique à cette fin une stratégie assumée de rapports de force.

En Libye, son intervention en soutien du gouvernement d'entente nationale s'est ainsi effectuée au mépris de l'embargo des Nations unies sur les armes, mais également au mépris de ses alliés, comme l'a illustré l'affaire du Courbet, où une frégate turque a illuminé la frégate française qui souhaitait contrôler un cargo turc, illumination radar de notre frégate Courbet.

À ce sujet, nous estimons avec mon Jean-Jacques Ferrara que le retrait de la France de l'opération de l'OTAN Sea Guardian était la bonne décision, au regard du manque de soutien des alliés. Il y a par ailleurs peu de chance, selon la majorité des personnes auditionnées, que la France réintègre Sea Guardian, les conditions posées par la France n'étant pas réunies à ce stade.

En Méditerranée orientale, la Turquie cherche à appuyer ses revendications territoriales en harcelant les navires de prospection opérant dans les ZEE chypriotes et grecques. Elle a également conclu un accord de délimitation des frontières maritimes avec le gouvernement libyen, qui est contraire au droit international, et dont l'objet est de bloquer le passage du gazoduc EastMed développé par la Grèce, Chypre et Israël.

Enfin, la Turquie développe une politique d'armement très ambitieuse centrée sur la production nationale, afin de développer son autonomie stratégique. Sa spécialisation dans les drones lui permet en outre de gagner en influence auprès des acteurs régionaux à travers une politique d'exportation volontariste.

Seconde illustration de cette affirmation des puissances régionales : le réarmement massif et généralisé. Ce réarmement couvre l'ensemble du spectre capacitaire et concerne l'ensemble des pays. Deux exemples, mes chers collègues, pour mesure l'ampleur du phénomène. Le premier concerne l'évolution projetée du tonnage des marines entre 2008 et 2030 : Égypte : + 170 % ; Israël : + 166 % ; Algérie : + 120 % ; Turquie : + 32 %. À comparer au + 3,5 % de la France sur la même période. Ces chiffres me semblent assez éloquents sur l'ampleur du défi auquel doit faire face la marine française en Méditerranée.

Le second exemple de ce réarment massif est la course aux armements entre l'Algérie et le Maroc, sur fond de tensions régionales, notamment au Sahara occidental comme l'a rappelé Jean-Jacques Ferrara. L'Algérie consacre 10 milliards de dollars à sa politique de défense, soit 6, 5 % de son PIB, tandis qu'en 2006, ces dépenses ne représentaient que 2,6 % du PIB. Grâce à cet effort, l'Algérie a développé des facultés importantes de déni d'accès et d'interdiction en Méditerranée occidentale, ainsi que des capacités de frappe dans la profondeur, y compris en Europe, avec notamment ses six sous-marins dotés de missiles Kalibr. Le Maroc s'est également lancé dans une course aux armements, avec une augmentation de son budget de défense de 29 % en 2021 puis de 12 % en 2022. Acquisition de systèmes de défense anti-aérienne, d'avions de chasse F-16, de drones, l'effort du Maroc couvre l'ensemble du spectre capacitaire.

Néanmoins, ce retour des stratégies de puissance en Méditerranée ne se limite pas aux acteurs régionaux, mais concerne également les puissances mondiales. La première illustration de ce réinvestissement des puissances mondiales est le retour de la Russie en Méditerranée. À la faveur de son intervention en Syrie, la Russie s'est notamment implantée dans le port de Tartous, modeste point d'appui logistique qu'elle a transformé en véritable base navale accueillant une dizaine de bâtiments, dont deux sous-marins. Le dispositif russe en Syrie est complété par la base aérienne de Lattaquié, qui a été agrandie et sur laquelle a déjà été déployée des bombardiers supersoniques.

La présence russe en Syrie constitue un véritable défi pour nos forces armées en Méditerranée orientale, même si les interactions se déroulent à ce stade de façon professionnelle. Plusieurs officiers auditionnés ont ainsi souligné que la réitération de l'opération Hamilton serait aujourd'hui rendue bien plus complexe à mettre en œuvre du fait de la présence russe à Tartous et Lattaquié. La Russie renforce également son influence dans la région : outre son rapprochement avec la Turquie dans le cadre du processus d'Astana et son soutien aux forces du maréchal Haftar en Libye, elle développe des relations privilégiées avec l'Égypte, et surtout avec l'Algérie, ce qui est une source de préoccupation dans le contexte de l'implantation du groupe Wagner au Sahel, dont nous avons parlé précédemment avec le chef d'état-major des Armées.

De même, la Chine a également renforcé sa présence en Méditerranée, bien qu'elle soit pour l'heure essentiellement économique, avec la prise de participations dans de nombreux ports méditerranéens dans le cadre des « Routes maritimes de la soie ». Diverses personnes auditionnées nous ont cependant mis en garde quant à une possible militarisation à terme des infrastructures chinoises en Méditerranée, sur le modèle de ce qui a été pratiqué sur la base de Djibouti.

L'affirmation de ces stratégies de puissances s'inscrit dans un contexte de relatif retrait des puissances occidentales en Méditerranée. Dans le cadre de leur « pivot stratégique », les États-Unis se sont sensiblement désengagés de la Méditerranée, qui est devenue essentiellement une zone de transit pour leurs navires. L'illustration de ce désengagement est la forte réduction de la VIe flotte. Toutefois, nous considérons que les États-Unis resteront malgré tout un acteur important en Méditerranée, notamment dans sa partie orientale. Et ce en raison de facteurs structurels, les États-Unis disposant de nombreux points d'appui dans la zone, mais également conjoncturels. Nous faisons ici référence à la présence renforcée des Américains en mer Noire, dans le cadre des tensions actuelles avec la Russie.

Quant à l'OTAN, son action sur ce théâtre est entravée par la division entre alliés, consécutive aux provocations de la Turquie. Cette dernière a non seulement provoqué le départ de la France de l'opération Sea Guardian, comme nous l'avons dit, mais elle s'oppose aussi à toute collaboration avec l'opération européenne IRINI. L'OTAN est enfin à la recherche d'une stratégie globale à l'égard de la rive Sud, le « Dialogue méditerranéen » initié dans les années 90 ayant abouti à des résultats très contrastés.

Je finirai ce rapide panorama en évoquant l'Union européenne, essentiellement présente en Méditerranée à travers l'opération IRINI, centrée sur le respect de l'embargo de l'ONU sur les armes en Libye. Cette opération est utile et a un effet dissuasif certain. Cependant, elle souffre de trois limites majeures : des capacités restreintes ; un mandat insuffisamment robuste, les agents ne pouvant pas passer outre les refus d'inspection des pays des navires, tels que la Turquie ; enfin, l'absence de collaboration avec l'OTAN, qui limite la collecte et le partage de renseignements.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous avons évoqué les principaux facteurs de tensions en Méditerranée, puis le retour des stratégies de puissance dans cette zone, venons-en maintenant à l'action de la France et de nos forces armées. Trois axes se dégagent dans la stratégie française en Méditerranée : premièrement, assurer une présence permanente sur l'ensemble du bassin ; deuxièmement, intensifier la préparation opérationnelle ; troisièmement, consolider nos partenariats dans la zone.

Sur le premier axe relatif à la présence française, un constat nous a été confirmé par l'ensemble des acteurs : la France est le seul pays européen à être présent sur l'ensemble du bassin méditerranéen. Naturellement, les finalités de cette présence diffèrent selon les zones : en Méditerranée occidentale, il s'agit avant tout de défendre notre territoire, de surveiller nos côtes et d'assurer la liberté de manœuvre de nos forces militaires ; en Méditerranée centrale et orientale, la présence permanente française a pour objectif, d'une part, de conserver une faculté d'appréciation autonome de la situation, et, d'autre part, de préserver la liberté de navigation et la liberté d'opérer dans l'espace aérien contre les logiques de sanctuarisation.

Dans le domaine naval, cinq à six frégates se relaient ainsi chaque année pour assurer une présence quasi-permanente en Méditerranée orientale. La présence aérienne dans la zone est quant à elle assurée par la conduite régulière de campagnes de renseignements d'origine électromagnétique assurée par des Rafale et des Mirage équipés de pods de reconnaissance, ainsi que par des avions radars AWACS. Les Rafale de la base H5 en Jordanie participent ainsi de plus en plus à des missions en Méditerranée.

Nos forces armées sont également présentes en Méditerranée dans un cadre international. Le groupe aéronaval a ainsi été déployé en Méditerranée en soutien à l'opération interalliés Chammal dans le cadre des missions Foch 20 et Clemenceau 21 et le sera encore cette année. La France participe également aux groupes navals permanents de l'OTAN (Standing Nato Forces) et contribue à la « présence avancée adaptée » de l'OTAN en mer Noire. Enfin, la France est un des principaux contributeurs à la mission IRINI, évoquée par mon collègue, avec notamment un bâtiment français affecté de façon permanente en soutien direct à la mission, et des moyens aériens, dont un drone Reaper, qui a été mis à disposition sur une base ponctuelle.

Le deuxième axe de la stratégie française est d'intensifier la préparation opérationnelle. La Méditerranée est ainsi le lieu des principaux exercices de nos forces armées, qu'il s'agisse de se préparer aux actions hybrides, comme l'a illustré l'exercice anti-terroriste Rhéa de mai 2021, ou de se préparer à un conflit de haute intensité, comme c'était l'objet de l'exercice Polaris, présenté par nos collègues rapporteurs de la mission d'information sur la haute intensité ce matin. Les exercices menés en Méditerranée ont également pour finalité de renforcer notre interopérabilité avec nos partenaires. Pour s'en tenir au domaine aérien, dans le cadre de l'établissement d'une « communauté Rafale » en Méditerranée, des aéronefs ont participé en 2021 à l'exercice Skyros avec l'Égypte et la Grèce et à l'exercice Iniochos organisé par la Grèce. Enfin, les exercices dans la zone peuvent être menés aux fins de réassurance : tel était l'objet de l'exercice Eunomia mené avec la Grèce, Chypre et l'Italie en août 2020, au paroxysme des tensions avec la Turquie en Méditerranée orientale.

Enfin, le troisième et dernier axe de la stratégie française en Méditerranée repose sur la consolidation de nos partenariats régionaux. La période récente a en effet été caractérisée par l'intensification de la coopération en matière d'armements, avec la Grèce, bien sûr, mais également la Croatie et l'Égypte. Le traité dit du « Quirinal » ouvre également la voie à un approfondissement de notre alliance avec l'Italie, et ce dans tous les domaines : une lettre d'intention sur la coopération en matière de défense spatiale a ainsi été signée récemment par les deux pays.

Un mot si vous le permettez sur le partenariat avec la Grèce. Tout d'abord, si ce partenariat n'est dirigé contre personne, selon la formule consacrée des autorités, il n'en reste pas moins que, du côté grec, il s'inscrit dans le prolongement des fortes tensions de l'été 2020 avec la Turquie. À ce titre, ce partenariat caractérise la volonté de la Grèce non pas de résorber mais à tout le moins de réduire la disparité capacitaire existante avec les forces turques. Il exprime également le besoin de réassurance de la Grèce contre les provocations de la Turquie, comme l'illustre la clause de défense mutuelle contenue dans l'accord. Côté français, ce partenariat est cohérent avec, d'une part, la volonté de donner la priorité à la solidarité européenne, et, d'autre part, de renforcer la dimension européenne de notre politique d'exportation d'armements. La France fait également le pari que la montée en gamme de la Grèce permettra à celle-ci de constituer un allié solide pour relever les défis à venir en Méditerranée orientale. Enfin, le risque, évoqué par certains, que la France soit instrumentalisée dans des différends bilatéraux entre la Grèce et la Turquie nous paraît faible, dès lors que la clause d'assistance mutuelle nécessite le constat « conjoint » d'une agression armée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme vous l'avez compris, chers collègues, les menaces auxquelles sont confrontées nos forces armées en Méditerranée sont protéiformes : dégradation sécuritaire consécutive à une déstabilisation majeure d'un pays de la rive Sud ; amplification des logiques de sanctuarisation et de déni d'accès ; risque d'escalade non maîtrisé des tensions, notamment à la suite d'un incident dans cet espace militairement congestionné qu'est la Méditerranée ; importation en Méditerranée d'une crise venant d'un autre théâtre ; voire conflit conventionnel entre rivaux régionaux.

Si un conflit de haute intensité n'est pas le plus probable selon nous - ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas s'y préparer -, en revanche, la menace d'actions hybrides en cas de crise majeure en Méditerranée paraît forte. Celles-ci pourraient prendre des formes variées : instrumentalisation de flux migratoires ; mise en place de bulles d'interdiction navale et aérienne ; rupture des axes de communication maritimes ; dégradation de l'environnement électromagnétique pour nos forces armées ; guerre informationnelle, etc.

Face à ces défis opérationnels, il convient dans un premier temps d'être en capacité d'anticiper et de prévenir les crises. Anticiper les crises tout d'abord, en développant le renseignement. Deux points d'attention majeurs à ce titre. D'une part, développer le renseignement humain dans les pays de la rive Sud, pour mieux appréhender les évolutions de ces pays et ne pas réitérer l'absence totale d'anticipation de la France à l'égard des printemps arabes. D'autre part, développer nos capacités en drones, avec trois axes d'amélioration à ce sujet : accroître les capacités de renseignement d'origine électromagnétique des drones Reaper ; développer les capacités de survol maritime ; enfin, réduire les lourdeurs du processus de certification qui ont été soulignées par de nombreux officiers auditionnés et qui est un sujet souvent abordé par notre commission.

Prévenir les crises ensuite, en se donnant les moyens de lutter en cas de guerre informationnelle. Dans cette perspective, l'urgence est de développer dans nos navires des systèmes de communication capables de transmettre en temps réel les images d'un incident supposé ou réel. En l'état, ce n'est pas possible en raison d'un manque de débit. Or, un tel système permettrait non seulement de prévenir tout malentendu lié à un incident, mais également de lutter contre les campagnes de désinformation. Nous en avons parlé ce matin, à propos d'un incident en 2018 en Méditerranée orientale.

Anticiper et prévenir les crises, c'est bien, être prêt au combat, c'est mieux. Le chef d'état-major des Armées ne cesse de nous le dire. À cet égard, il est nécessaire de combler nos lacunes capacitaires. Dans le domaine naval, outre les problématiques liées aux réductions de capacités temporaires des patrouilleurs de haute mer et des bâtiments de commandement et de ravitaillement, le réarmement naval généralisé doit nous inciter à une réflexion sur le nombre de bâtiments de premier rang de notre marine, comme cela a été abordé tout à l'heure. En outre, en cas de conflit de haute intensité, l'exercice Polaris a rappelé combien nos missiles anti-navires, tels que l'Exocet, étaient devenus peu compétitifs face aux missiles supersoniques de nos compétiteurs, tels que le Zircon russe.

Dans le domaine aérien, au-delà des drones, il faut développer nos capacités de ravitaillement en vol, qui permettent de s'affranchir des contraintes d'élongation, comme l'a montré l'exercice Rhéa. Il est ainsi essentiel que les futurs hélicoptères Guépard soient dotés d'une telle capacité de ravitaillement en vol, ce qui ne semble pas garanti à ce stade.

Le dernier point d'attention relatif à nos capacités concerne les conséquences de nos exportations de Rafale et de frégates, qui sont pour partie prélevées sur nos stocks. Il convient non seulement de compenser ces prélèvements, mais également d'engager une véritable réflexion pour que nos succès en termes d'exportations – que nous ne pouvons que saluer – ne se traduisent pas systématiquement en prélèvements sur nos forces armées, sauf à fragiliser de façon structurelle ces dernières.

Être prêt au combat en Méditerranée certes, mais avec nos partenaires. À ce titre, le défi pour les prochaines années sera de transformer nos accords d'armement en véritables partenariats opérationnels. La France gagnerait également à approfondir sa relation avec l'Espagne, qui est la grande absente des différents accords conclus récemment avec nos partenaires méditerranéens.

Enfin, notre conviction, et j'en terminerai par-là, c'est qu'il faut construire l'Europe de la Défense en Méditerranée. Deux raisons majeures à cela : d'une part, les défis sécuritaires en Méditerranée sont communs à l'ensemble des pays européens et une crise majeure en Méditerranée aurait un impact sur l'ensemble des États membres, comme l'a montré la vague migratoire de 2015 ; d'autre part, les États-Unis n'exerceront plus le même rôle de réassurance qu'auparavant, notamment en Méditerranée occidentale et centrale. Il faut donc se saisir de l'opportunité de la Boussole stratégique et de l'actualisation de la stratégie de sûreté maritime dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne pour faire de la Méditerranée une priorité stratégique et construire l'Europe de la défense dans cet espace.

Comme avancée concrète pour construire cette Europe de la défense en Méditerranée, nous proposons l'établissement de bases navales communes dans le bassin méditerranéen, afin d'optimiser les points d'appuis d'une présence navale européenne dans la zone. En outre, la question de l'établissement d'une présence maritime coordonnée en Méditerranée orientale pourrait se poser, même si nous n'avons pas d'avis tranché à ce sujet. Il est vrai que les différentes marines européennes et l'OTAN sont déjà présents dans la zone. Nous comprenons en outre que la France n'y est pas à ce stade favorable. Cependant, au vu du caractère stratégique de cette zone pour la sécurité de l'Europe, une discussion ouverte sur l'opportunité d'une telle PMC paraît légitime.

Enfin, je conclurai par un souhait : que notre rapport puisse contribuer à la prise de conscience que la Méditerranée est devenue un espace de compétition intense entre les puissances et qu'il alimente la nécessaire réflexion pour que nos forces armées puisse faire face à un tel défi à nos frontières. J'observe enfin que nos travaux sont est en parfaite complémentarité avec l'excellent rapport qui nous a été présenté ce matin sur la haute intensité par Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot. Je vous remercie mes chers collègues.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci chers collègues pour ce rapport extrêmement précis et intéressant. Depuis l'antiquité, la Méditerranée est au cœur de conflits. Elle reste une zone où se déploie tout l'éventail des grands enjeux contemporains : stratégique, économique, énergétique, migratoire, juridique… Un constat : pendant que les puissances régionales investissent dans la défense, avec une présence croissante de la Russie et de la Chine, les capacités opérationnelles de nos partenaires européens tels que l'Espagne et l'Italie semblent se dégrader. Il est donc d'autant plus essentiel que la France maintienne de bonnes relations avec les pays et les peuples de cette région, représente un facteur de stabilité et joue un rôle moteur dans les relations UE-Méditerranée.

Ma question porte sur les relations franco-algériennes. Pour le ministre des Affaires étrangères algérien, M. Ramtane Lamamra, « les relations franco-algériennes dépendent du moment, sont bonnes ou mauvaises mais jamais banales ». Il est vrai que pendant ce quinquennat, nos relations bilatérales ont souvent été tendues, que ce soit sur les questions mémorielles ou sur notre coopération économique et sécuritaire en matière de chaînes d'approvisionnement. L'escalade des tensions avec le Maroc à propos du Sahara occidental n'a, par ailleurs, rien arrangé.

La remise en question de l'influence française s'amplifie, que ce soit dans le cadre des relations politique et diplomatique, de l'entreprenariat et de la relation commerciale, ou de nos liens avec l'armée algérienne. On dit que l'émergence d'élites arabophones formées au pays et n'ayant pas la culture francophone peut jouer dans cette dégradation. Sans doute y a-t-il d'autres explications que celles-ci. Néanmoins, dans un entretien avec des médias français le 5 février, M. Ramtane Lamamra a jugé que les relations franco-algériennes sont dans une phase « laborieusement ascendante ». Il a pris en compte la demande de réouverture de l'espace aérien aux avions militaires français. D'où ma première question : quelle est votre analyse sur nos relations avec l'Algérie ?

J'en viens maintenant à un aspect plus militaire. L'Algérie opère un réarmement massif, largement approvisionné par la Russie, mais aussi par la Chine. Entre 2010 et 2020, l'Algérie a dépensé 90 milliards de dollars en équipements militaires. Le pays dispose désormais de la deuxième marine la plus étoffée et la plus moderne de la rive sud de la Méditerranée, après l'Égypte, et a fait part de son intention d'acquérir auprès de la Russie des missiles anti-aériens S-500 et la quatrième génération d'avions de combat russes Su-57. Vu la coopération intensifiée entre les deux pays, y a-t-il, à votre connaissance, des relations avec les mercenaires russes présents au Mali ?

Enfin, depuis août dernier, les tensions entre le Maroc et l'Algérie montent : rupture des relations diplomatiques, révélations sur l'usage par le Maroc du logiciel israélien Pegasus, signature d'un accord sécuritaire entre le Maroc et Israël, fermeture par l'Algérie des vannes des gazoducs Maghreb-Europe. L'Algérie accuse le Maroc d'une guerre de 4e génération, d'importation massive d'armements et d'une alliance militaire d'un type nouveau ainsi que d'une vente drones d'attaques de la part d'Israël. Quel pourrait être le rôle de la France dans cette crise ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Que nos relations avec l'Algérie soient fluctuantes est tout à fait vrai, comme est également vrai le fait que les élites émergentes algériennes soient de moins en moins tournées vers la France et plus vers d'autres pays, comme la Russie.

Sur les moyens à mettre en œuvre, nos interlocuteurs ont attiré notre attention sur la nécessité de renforcer nos moyens de renseignement humain dans les pays du Maghreb, lesquels ont montré leurs défaillances en n'anticipant pas le « printemps arabe ».

Pour l'Algérie, le danger n'est pas au Nord, mais au Sud, au Sahel, comme pour nous, ce qui explique qu'elle ait levé l'interdiction de survol de son territoire par nos avions militaires. Ils ont conscience que nous menons dans cette région un combat commun, par bien des aspects.

Nos relations avec ce pays sont soumises aux aléas de la situation intérieure algérienne. Le réarmement actuel et la crise avec « l'ennemi héréditaire » marocain peuvent apparaître comme une volonté de détourner l'attention populaire et, ainsi, d'apaiser les tensions internes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le cadre de nos travaux, il est apparu rapidement que personne n'imagine qu'un accrochage en Méditerranée puisse dégénérer en guerre ouverte. En revanche, s'il y a des inquiétudes s'agissant des pays de la rive Sud, c'est plutôt le risque d'effondrement d'un de ces pays.

S'agissant de l'Algérie, les auditions nous ont permis, à défaut de nous y rendre, de mieux appréhender la réalité du pays : le poids de l'armée toujours fort, une contestation importante, une jeunesse nombreuse moins tournée vers la France.

La réouverture de l'espace aérien, que nous avons appris en audition, a été consécutive aux évènements récents au Burkina-Faso, ce qui démontre que l'Algérie est préoccupée par la situation au Sud.

J'ai également été frappé par la qualité de sa marine, vantée par nombre d'interlocuteurs. Les capacités maritimes de l'Algérie sont très élevées, comme l'ont montré les exercices conjoints menés avec la Marine française. En comparaison, le Maroc est très loin derrière dans le domaine naval.

Cette question mérite certainement un approfondissement dans le cadre des travaux à venir car le véritable « cygne noir », c'est-à-dire le pire scénario pour la Méditerranée, serait un effondrement d'un pays de la rive Sud.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Chers collègues, en tant qu'orateur du groupe LR, je tenais à vous remercier et vous féliciter pour ce rapport de qualité sur la Méditerranée. Madame la présidente Dumas, dans vos propos liminaires, vous avez insisté, à juste titre, sur le fait que la Méditerranée était notre frontière et que d'elle dépendait notre stabilité. Or, on observe une multiplication des foyers de tensions dans cette zone. Chers collègues, vous avez fait référence au partenariat stratégique avec la Grèce. Dans un contexte de rivalité avec la Turquie et de multiplication des incidents en Méditerranée orientale, n'y a-t-il pas le risque d'une instrumentalisation de notre pays, qui se retrouverait entraîné, par le jeu des alliances, dans un conflit gréco-turc ?

Par ailleurs, les sous-marins russes, lorsqu'ils quittent leur base du grand nord pour rejoindre la Méditerranée, passent par la ZEE française. Ils sont alors suivis par un bâtiment de la marine nationale. Pour cette dernière, c'est un non-évènement qui ne fait l'objet habituellement d'aucune communication. Mais avec la crise ukrainienne, la présence russe dans ces eaux prend une autre dimension. Est-ce que la marine nationale a revu à la hausse les moyens de surveillance de ces mouvements ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pour ma part, je ne suis pas inquiet de l'éventuelle implication de la France dans un conflit gréco-turc, dans le cadre du partenariat conclu avec la Grèce.

L'accord de défense signé avec la Grèce comporte deux volets : l'un capacitaire, l'autre sur la réassurance. Le volet capacitaire vise à permettre à la Grèce de rattraper le retard capacitaire qu'elle a pris à la suite de la crise financière, en renforçant ses capacités de dissuasion à l'égard du rival turc dans un contexte de fortes tensions régionales. Le volet sur la réassurance est quant à lui illustré par la clause d'assistance mutuelle contenue dans cet accord de partenariat. Par une telle clause, la France réaffirme la prédominance de la solidarité européenne, face à la neutralité que l'OTAN garde vis-à-vis du conflit gréco-turc, les deux pays étant membres de l'Alliance. Par cet accord, nous contribuons donc à l'édification d'une véritable Europe de la défense et, à titre personnel, je m'en félicite.

Quant au risque d'entraînement dans un conflit, il faut être prudent, mais nous n'y croyons pas. Pour que cette clause d'assistance mutuelle soit activée, encore faut-il que les deux parties aient la même lecture d'un incident et le qualifient d'« agression armée ». Il faudrait en conséquence un incident de très grande ampleur. En revanche, on peut penser que le caractère dissuasif de cet accord de défense mutuelle, notamment à l'égard de la Turquie, participe à la désescalade en Méditerranée orientale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je me félicite, en ce qui me concerne, que la France soit capable de réassurer un pays, un pays européen qui plus est, soumis à une menace d'agression. C'est pour la France un signe de puissance et un signal politique fort vis-à-vis de l'OTAN et de l'Union européenne.

S'agissant de la Russie, il est vrai que la marine française ne communique pas beaucoup sur les mouvements des sous-marins russes, mais on peut être sûr qu'elle les suit très attentivement. Sur ce point, j'ai pu constater dans le cadre de nos travaux le respect que les Russes avaient pour notre marine et, d'une manière générale, pour la France. Alors que le contact est rugueux avec les Américains et les Britanniques, comme l'a montré l'épisode du Queen Elizabeth, ils restent très professionnels vis-à-vis des marins français. Ce respect a des conséquences très pratiques. En septembre 2018, la frégate Auvergne a été accusée d'avoir abattu un avion russe. Grâce à ce respect, à cette confiance et aux canaux de discussion directs, la vérité a pu être rétablie et la France disculpée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce n'était certes pas un sous-marin mais le 23 janvier dernier, un navire de renseignement russe a fait une incursion vers le Golfe du Lion puis au large de la Corse. Des moyens de surveillance aériens et maritimes ont été déployés mais ces moyens sont notoirement insuffisants, compte tenu de l'ampleur de la tâche. Il est par exemple envisagé d'acquérir sur étagère des drones, en attendant que soit disponible le drone MALE européen. Il y a certainement une urgence dans ce domaine.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je rappelle que l'amiral Prazuk a lui aussi longé les côtes russes mais que lui n'a pas été repéré.

M. Fabien Lainé. Merci Madame la présidente et merci à cette tribune de parlementaires méditerranéens, mieux à même de nous décrire la situation. C'était nourrissant sur l'état des lieux, sur vos analyses et sur votre effort de prospective.

Le retour des stratégies de puissances mondiales en Méditerranée que vous évoquez largement, semble s'inscrire dans un contexte de relatif vide laissé par le retrait des États-Unis. Dès lors, pourriez-vous, Messieurs les rapporteurs, nous donner des précisions quant au rôle à venir des États-Unis ?

Par ailleurs, comment les forces françaises sont-elles perçues par les puissances présentes en Méditerranée ? Et comment nos partenaires perçoivent-ils cette puissance française sur le bassin méditerranéen ? Pour eux, sommes-nous légitimes à être l'« embryon de départ » d'une puissance maritime européenne ? Vous avez évoqué des bases navales communes que vous appelez de vos vœux : est-ce qu'on est crédible et est-ce que nos partenaires nous suivraient sur cette voie ?

M. Philippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur. On a tous constaté ces dernières années que la VIe flotte des États-Unis se désengageait en raison du changement de stratégie lié au recentrage vers l'Indo-Pacifique. Cependant, nos interlocuteurs, notamment à Naples, ont souligné qu'on est probablement arrivé au bout d'un cycle. Aujourd'hui, la tendance est davantage à un renforcement de la présence américaine qu'à la poursuite de ce désengagement, en raison notamment des tensions en mer Noire.

Ce retour en Méditerranée est facilité par le fait qu'ils disposent de nombreuses infrastructures, en Espagne, en Italie, en Grèce et en Turquie, sur lesquelles ils peuvent s'appuyer pour monter en puissance très rapidement.

En outre, comme l'a souligné Madame la présidente dans son propos liminaire, 25 % des échanges commerciaux transitent par la Méditerranée, sur la route du canal de Suez jusqu'à Gibraltar. Cela signifie que les Américains sont nécessairement attachés à la sécurisation des échanges commerciaux et à la liberté de navigation dans cette zone.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il nous a été dit par un officier supérieur à Naples que la doctrine du Pentagone s'était en effet quelque peu infléchie, en raison du contexte actuel. Ainsi, le porte-avion américain stationne plus régulièrement qu'auparavant en Méditerranée orientale depuis quelques mois. On le comprend à cause de la présence russe et de ses points d'appui en Syrie. Les Américains considèrent donc la Méditerranée comme un continuum de sécurité avec l'Indo-Pacifique. Il me paraît important que les Européens adoptent le même état d'esprit, notamment dans le cadre de la Boussole stratégique. Tel était le sens de ma question d'hier à Madame la ministre sur les orientations de la Boussole stratégique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il s'agit du point peut-être le plus fort de notre conclusion, à savoir que la Méditerranée aujourd'hui ne doit plus être appréhendée comme un espace clos, mais comme le maillon d'une chaîne mondiale qu'elle forme avec l'Indo-Pacifique, par où transitent les principaux flux économiques et énergétiques, a fortiori avec la découverte de gisement de gaz en Méditerranée orientale. Ce caractère stratégique de la Méditerranée dans cette chaîne mondiale explique que toutes les puissances y soient présentes et y soient en compétition. Même la Chine aura, à terme, des velléités sur la Méditerranée. La Méditerranée est une « petite baignoire » dans laquelle toutes les puissances vont se retrouver.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Concernant notre crédibilité auprès des autres puissances et de nos partenaires, je pense que nous sommes crédibles. Contrairement aux autres pays, la France continue d'être présente sur l'ensemble du bassin méditerranéen, dans ses parties occidentale, orientale et centrale, bien qu'avec des moyens insuffisants. Pour autant, nous ne sommes naturellement pas en mesure de mener seul un conflit dans la zone.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'exercice mené ces derniers jours entre les porte-avions italien, américain et français démontre la volonté des États-Unis de réinvestir la Méditerranée. Les Italiens en outre montent en puissance en termes de capacité et ils sont amenés à être un partenaire privilégié dans la zone. Le traité du Quirinal est à cet égard très important.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'amiral de La Faverie du Ché, ancien préfet de la façade méditerranéenne et grand homme de la mer, disait à propos des enjeux en Méditerranée : « On danse sur un volcan ». Il y a la question du trafic maritime, avec un dumping social très important, qui accroît le risque d'accidents et de non-respect des règles de navigabilité. Il faisait aussi référence à la partie orientale de la Méditerranée que vous avez déjà évoquée dans votre propos, notamment quant à la rivalité gréco-turque et chypriote. On peut en effet se demander si la France ne risque pas de se retrouver instrumentalisée en cas d'incidents entre les nations, en raison du jeu des alliances.

En outre, en tant que présidente de la commission des droits de l'homme à l'AP-OSCE, je pense à la question de la migration et de l'usage qui en est fait parfois, notamment par la Turquie. Ainsi, à Chypre, il y a des vagues de migrants qui sont poussées au Sud et qui tendent à étouffer économiquement la partie sud de Chypre. Ce n'est pas une tentative de colonisation mais bien une logique d'étouffement, du fait de la nécessité humanitaire des Chypriotes du Sud de répondre à cette invasion qui est complètement instrumentalisée, comme en Biélorussie. Quel est votre point de vue sur cette question de l'instrumentalisation des migrations ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Merci chère collègue pour cette question très importante et très intéressante. L'amiral du Ché, que j'apprécie beaucoup, a raison. L'outil migratoire, l'arme migratoire, fait partie des stratégies déployées dans le cadre guerres hybrides et constitue un levier puissant qui a été utilisé et qui pourra naturellement l'être à nouveau à l'avenir. En Méditerranée, la voie principale des migrations illicites est la route de la Méditerranée centrale, depuis la Libye, où est présente la Turquie. Or, celle-ci a déjà utilisé l'arme migratoire par le passé. En outre, une éventuelle déstabilisation des États du Maghreb, qui sont dans une situation très instable, pourrait générer une importante problématique migratoire, et ce à nos portes. Je rappelle que la Méditerranée, du Nord au Sud, c'est un jour de navigation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'OTAN a fait un rapport sur la question des migrations, qui démontre que celles-ci sont globalement en baisse, après le pic atteint en 2015, et que la présence d'éléments dangereux au sein de ces migrations est vraiment anecdotique. Par ailleurs, le risque migratoire concerne également les pays du Sud. Nous revenons ainsi d'une mission où Madame la présidente a rencontré les plus hautes autorités gabonaises la semaine dernière. Or, ces dernières nous ont indiqué craindre une augmentation de l'immigration du fait notamment du réchauffement climatique. C'est un réel sujet, qui peut effectivement être instrumentalisé dans le cadre de stratégies hybrides.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons eu à Rome un entretien avec un général italien, qui est le directeur d'un département équivalent de notre DGRIS. Il a fait un constat très lucide sur la question migratoire, en insistant sur sa dimension démographique et en soulignant que le problème persistera tant que les populations toujours plus nombreuses du Sud ne bénéficieront pas de moyens suffisants pour leur permettre de rester chez eux.

Dans cette perspective, l'instrumentalisation des flux migratoires va certainement devenir de plus en plus fréquente.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Chers collègues, merci pour l'exposé de votre rapport et vos réponses. En tant que membre de la mission d'information, je salue la qualité du travail fourni au titre de ce rapport. Les auditions ont toutes été très instructives. Dans vos conclusions, j'ai noté que la Méditerranée est en passe de devenir une zone de compétition pour certaines puissances comme la Russie et la Turquie. À ce titre, vous avez soulevé la nécessité de faire la Méditerranée un enjeu central de la réflexion autour de nos moyens capacitaires dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire (LPM). Deux questions très simples. Y a- t-il selon vous des programmes en cours dans le cadre de l'actuelle LPM qui devraient être accélérés ? Deuxièmement, quelles sont vos pistes quant aux moyens capacitaires supplémentaires qui doivent être développés et intégrés dans le cadre de la prochaine LPM ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. La principale demande concerne, comme vous le savez en votre qualité d'ancien rapport du budget « Marine », les bâtiments de surface et notamment le vieillissement des patrouilleurs de haute mer. Or, la LPM ne prévoit l'arrivée de bâtiments de remplacement en Méditerranée que d'ici 2027-2028.

L'autre enjeu est le risque de déclassement eu égard aux évolutions capacitaires des autres marines. Sans parler de la Chine, qui livre en bâtiments nouveaux l'équivalent de notre marine tous les 3 ou 4 ans, l'Italie par exemple monte en puissance. En 2030, les Italiens auront ainsi 19 frégates, tandis que la France n'en aura que 15. Il est donc nécessaire de rester au niveau des Italiens, voire de les dépasser.

Enfin, une autre problématique concerne le prélèvement sur les stocks de nos armées de certaines exportations, notamment de Rafale. Afin d'éviter que de tels prélèvements deviennent permanents et affaiblissent nos armées, nous faisons une proposition dans notre rapport, consistant à intégrer dans les commandes publiques à destination de nos armées un quota prévisible destiné à l'exportation. Cela fera certainement l'objet de discussions dans le cadre de la prochaine LPM.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les drones constituent également un véritable sujet pour nos forces armées, comme cela a été souligné lors de notre visite à Toulon. Peut-être faudrait-il faire l'acquisition de drones, compte tenu des insuffisances que nous connaissons.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cela fait en effet partie des éléments qui ont été mis en avant par nos interlocuteurs, à savoir que la marine doit avoir ses propres drones dotés de capacités de survol maritime. L'autre problématique est celle de la lenteur de nos procédures administratives et techniques pour valider et homologuer nos équipements, de sorte qu'au moment où l'armée est dotée, le matériel est quasiment obsolescent. Il s'agit d'un vrai sujet sur lequel nous devons nous pencher.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si nous voulons conserver une faculté d'appréciation autonome de la situation sur l'ensemble de la Méditerranée, les drones sont une nécessité absolue.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai une question complémentaire sur la question migratoire : quelle est la mission de la marine nationale française quant au sauvetage des migrants ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

. Concernant la question du sauvetage des migrants, nous ne nous sommes pas intéressés à cette mission de la marine nationale car nos travaux ont porté davantage sur le « haut du spectre ». Cependant, la mission IRINI, au siège duquel nous nous sommes rendus, est source d'information et de renseignement concernant les trafics migratoires, même s'il ne s'agit pas de sa mission principale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le mandat actuel d'IRINI s'achevant en 2023, la question se pose de savoir si la mission va être prolongée ou non. S'agissant de la mission relative à l'embargo des exportations d'armes à destination de la Libye, nous sommes dans une situation de relatif échec, comme cela est souligné dans le rapport, avec un sous-dimensionnement marin et aérien. En outre, en raison des contraintes du droit international qui impose le consentement de l'État du navire civil pour toute inspection, il est impossible de contrôler les bâtiments turcs. La question du devenir d'IRINI, par exemple une évolution de sa mission vers les questions migratoires, dépendra de l'évolution de la situation en Libye.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les capacités de la marine nationale en termes de collecte d'informations et de renseignement sont exploitables dans de nombreux domaines, notamment dans le cadre de l'action de l'État en mer, que ce soit pour le sauvetage des migrants ou encore la détection des pollutions marines. On l'a encore vu récemment, lorsqu'un Mirage s'entraînant au large de Solenzara a découvert une nappe d'hydrocarbures. Plus on sera présent, plus on aura des moyens de collecte d'informations, plus on sera efficace sur tout le spectre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis ravie que vous ayez pu présenter ce rapport le même jour que notre rapport sur la haute intensité car les deux rapports sont parfaitement complémentaires. Pour nous Méditerranéens, ce travail est important et permettra d'avoir une lecture plus claire des enjeux nationaux et internationaux dans cet espace.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il y avait effectivement une très belle continuité entre ces travaux, qui ouvrent également des perspectives pour les travaux à venir. Il nous faut effectivement monter en puissance, consolider la loi de programmation militaire pour faire face aux défis actuels et futurs, notamment dans cette Méditerranée qui nous est si chère, porteuse de tant d'Histoire et malheureusement de tant de conflits.

Je vous remercie d'avoir rappelé combien la Méditerranée est un espace stratégique, et d'avoir donné des pistes susceptibles d'apporter, à moyen terme, des réponses très concrètes et pragmatiques aux défis dans cet espace. Je suis très fière de l'ensemble des travaux présentés aujourd'hui, qui montrent à quel point nous avons une cohérence politique lorsqu'il s'agit d'enjeux majeurs.

La commission de la Défense nationale et des forces armées autorise à l'unanimité le dépôt du rapport d'information sur les enjeux de défense en Méditerranée en vue de sa publication.

La séance est levée à dix-huit heures cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Françoise Ballet-Blu, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. André Chassaigne, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Fabien Lainé, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Josy Poueyto, Mme Nathalie Serre, M. Jean-Louis Thiériot

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, M. Christophe Castaner, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Richard Ferrand, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Séverine Gipson, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean Lassalle, M. Patrick Mignola, Mme Isabelle Santiago, M. Joachim Son-Forget, M. Aurélien Taché, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson