Intervention de Philippe Michel-Kleisbauer

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 16h50
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Michel-Kleisbauer, co-rapporteur :

Comme vous l'avez compris, chers collègues, les menaces auxquelles sont confrontées nos forces armées en Méditerranée sont protéiformes : dégradation sécuritaire consécutive à une déstabilisation majeure d'un pays de la rive Sud ; amplification des logiques de sanctuarisation et de déni d'accès ; risque d'escalade non maîtrisé des tensions, notamment à la suite d'un incident dans cet espace militairement congestionné qu'est la Méditerranée ; importation en Méditerranée d'une crise venant d'un autre théâtre ; voire conflit conventionnel entre rivaux régionaux.

Si un conflit de haute intensité n'est pas le plus probable selon nous - ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas s'y préparer -, en revanche, la menace d'actions hybrides en cas de crise majeure en Méditerranée paraît forte. Celles-ci pourraient prendre des formes variées : instrumentalisation de flux migratoires ; mise en place de bulles d'interdiction navale et aérienne ; rupture des axes de communication maritimes ; dégradation de l'environnement électromagnétique pour nos forces armées ; guerre informationnelle, etc.

Face à ces défis opérationnels, il convient dans un premier temps d'être en capacité d'anticiper et de prévenir les crises. Anticiper les crises tout d'abord, en développant le renseignement. Deux points d'attention majeurs à ce titre. D'une part, développer le renseignement humain dans les pays de la rive Sud, pour mieux appréhender les évolutions de ces pays et ne pas réitérer l'absence totale d'anticipation de la France à l'égard des printemps arabes. D'autre part, développer nos capacités en drones, avec trois axes d'amélioration à ce sujet : accroître les capacités de renseignement d'origine électromagnétique des drones Reaper ; développer les capacités de survol maritime ; enfin, réduire les lourdeurs du processus de certification qui ont été soulignées par de nombreux officiers auditionnés et qui est un sujet souvent abordé par notre commission.

Prévenir les crises ensuite, en se donnant les moyens de lutter en cas de guerre informationnelle. Dans cette perspective, l'urgence est de développer dans nos navires des systèmes de communication capables de transmettre en temps réel les images d'un incident supposé ou réel. En l'état, ce n'est pas possible en raison d'un manque de débit. Or, un tel système permettrait non seulement de prévenir tout malentendu lié à un incident, mais également de lutter contre les campagnes de désinformation. Nous en avons parlé ce matin, à propos d'un incident en 2018 en Méditerranée orientale.

Anticiper et prévenir les crises, c'est bien, être prêt au combat, c'est mieux. Le chef d'état-major des Armées ne cesse de nous le dire. À cet égard, il est nécessaire de combler nos lacunes capacitaires. Dans le domaine naval, outre les problématiques liées aux réductions de capacités temporaires des patrouilleurs de haute mer et des bâtiments de commandement et de ravitaillement, le réarmement naval généralisé doit nous inciter à une réflexion sur le nombre de bâtiments de premier rang de notre marine, comme cela a été abordé tout à l'heure. En outre, en cas de conflit de haute intensité, l'exercice Polaris a rappelé combien nos missiles anti-navires, tels que l'Exocet, étaient devenus peu compétitifs face aux missiles supersoniques de nos compétiteurs, tels que le Zircon russe.

Dans le domaine aérien, au-delà des drones, il faut développer nos capacités de ravitaillement en vol, qui permettent de s'affranchir des contraintes d'élongation, comme l'a montré l'exercice Rhéa. Il est ainsi essentiel que les futurs hélicoptères Guépard soient dotés d'une telle capacité de ravitaillement en vol, ce qui ne semble pas garanti à ce stade.

Le dernier point d'attention relatif à nos capacités concerne les conséquences de nos exportations de Rafale et de frégates, qui sont pour partie prélevées sur nos stocks. Il convient non seulement de compenser ces prélèvements, mais également d'engager une véritable réflexion pour que nos succès en termes d'exportations – que nous ne pouvons que saluer – ne se traduisent pas systématiquement en prélèvements sur nos forces armées, sauf à fragiliser de façon structurelle ces dernières.

Être prêt au combat en Méditerranée certes, mais avec nos partenaires. À ce titre, le défi pour les prochaines années sera de transformer nos accords d'armement en véritables partenariats opérationnels. La France gagnerait également à approfondir sa relation avec l'Espagne, qui est la grande absente des différents accords conclus récemment avec nos partenaires méditerranéens.

Enfin, notre conviction, et j'en terminerai par-là, c'est qu'il faut construire l'Europe de la Défense en Méditerranée. Deux raisons majeures à cela : d'une part, les défis sécuritaires en Méditerranée sont communs à l'ensemble des pays européens et une crise majeure en Méditerranée aurait un impact sur l'ensemble des États membres, comme l'a montré la vague migratoire de 2015 ; d'autre part, les États-Unis n'exerceront plus le même rôle de réassurance qu'auparavant, notamment en Méditerranée occidentale et centrale. Il faut donc se saisir de l'opportunité de la Boussole stratégique et de l'actualisation de la stratégie de sûreté maritime dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne pour faire de la Méditerranée une priorité stratégique et construire l'Europe de la défense dans cet espace.

Comme avancée concrète pour construire cette Europe de la défense en Méditerranée, nous proposons l'établissement de bases navales communes dans le bassin méditerranéen, afin d'optimiser les points d'appuis d'une présence navale européenne dans la zone. En outre, la question de l'établissement d'une présence maritime coordonnée en Méditerranée orientale pourrait se poser, même si nous n'avons pas d'avis tranché à ce sujet. Il est vrai que les différentes marines européennes et l'OTAN sont déjà présents dans la zone. Nous comprenons en outre que la France n'y est pas à ce stade favorable. Cependant, au vu du caractère stratégique de cette zone pour la sécurité de l'Europe, une discussion ouverte sur l'opportunité d'une telle PMC paraît légitime.

Enfin, je conclurai par un souhait : que notre rapport puisse contribuer à la prise de conscience que la Méditerranée est devenue un espace de compétition intense entre les puissances et qu'il alimente la nécessaire réflexion pour que nos forces armées puisse faire face à un tel défi à nos frontières. J'observe enfin que nos travaux sont est en parfaite complémentarité avec l'excellent rapport qui nous a été présenté ce matin sur la haute intensité par Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiériot. Je vous remercie mes chers collègues.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.