Intervention de Anna-Bella Failloux

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 9h30
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs » :

Il faut tout d'abord faire le bilan des événements et des phénomènes produits par les maladies à transmission vectorielle. En général, il n'existe pas de traitement spécifique de ces maladies, on ne traite que leurs symptômes. Les symptômes de la fièvre sont traités par du paracétamol. Nous n'avons pas d'antiviraux spécifiques qui pourraient, dès le début, guérir l'infection. Nous n'avons pas non plus de vaccins pour protéger la population à risque, en dehors du vaccin contre la fièvre jaune qui fonctionne très bien. Les autres vaccins existants pour ces maladies sont souvent critiqués. Et certaines maladies n'ont même pas de vaccins.

Actuellement, le seul moyen de se protéger est d'éviter d'être piqué. Pour cela, il y a plusieurs stratégies, en fonction du cycle biologique du moustique. L'œuf pondu ne peut pas être éliminé, même par les insecticides. Lorsqu'il est en contact avec l'eau, il éclot et produit des larves de moustiques qui, en fonction des espèces, se trouveront dans des eaux propres ou sales. Il existe quatre stades de larves, dont un stade particulier de nymphe qui est la pupe, pendant lequel se détermine le sexe du moustique. Nous pouvons soit cibler les gîtes larvaires en pulvérisant un insecticide approprié à ce stade de développement, et appelé « larvicide », soit cibler les adultes avec des sprays « adulticides ».

Il n'existe pas beaucoup d'insecticides performants. Nous utilisons six grandes familles d'insecticides, et les moustiques ont développé des résistances vis-à-vis de presque toutes. La situation est critique. Nous n'avons presque pas de moyens pour réduire les densités de moustiques. Lorsqu'ils sont résistants, nous devons utiliser une dose d'insecticide plus élevée pour tuer la même quantité de moustiques. Vous pouvez ainsi imaginer les impacts qu'engendrent ces pulvérisations massives sur la faune non-cible, notamment les abeilles. Ces insecticides affectent l'environnement, et plusieurs débats ont eu lieu à ce sujet.

Il faut trouver des méthodes alternatives. Certaines ne sont pas à la pointe de la technologie, comme l'éducation de la population. Cela ne coûte pas cher mais c'est très compliqué. Même sur une île comme la Martinique où, chaque année, les populations sont frappées par des épidémies de dengue, certaines personnes remettent encore en question la transmission du virus par le moustique. Voilà la situation actuelle. Le lien entre les gîtes larvaires, les moustiques et la maladie nous semble évident, mais ce n'est pas le cas pour beaucoup de personnes. Dans les pays où il existe des problèmes d'éducation, c'est compliqué. Les populations éduquées à ces questions peuvent éliminer les gîtes larvaires, en nettoyant les jardins notamment.

Les moustiquaires installées aux fenêtres peuvent être efficaces pour éviter l'entrée des moustiques dans la maison. Ces moustiques sont attirés par l'odeur humaine. Ils entrent donc dans les habitations. Et comme ils piquent en journée, installer des moustiquaires aux lits n'est pas suffisant, à moins que vous y restiez toute la journée ! Cette stratégie est adaptée pour lutter par exemple contre le moustique Anopheles, vecteur du paludisme. La réduction du nombre de cas de paludisme dans le monde est principalement liée à l'utilisation des moustiquaires imprégnées.

L'éducation de la population est donc essentielle. Nous pouvons limiter le nombre de cas, si nous expliquons la situation à la population. Mais c'est une tâche de longue haleine qui prend énormément de temps. La population la plus réceptive est les enfants. Dans des pays communistes, comme le Vietnam, la sensibilisation des enfants a très bien fonctionné. Et toutes les semaines, ils vont chasser les gîtes larvaires.

C'est un problème mondialisé qui n'a pas de couleur politique. Les frontières ne protègent pas, parce que les personnes voyagent. Par conséquent, il ne faut pas seulement régler le problème chez nous, mais aussi autour de chez nous. Par exemple, à l'Institut Pasteur, nous travaillons beaucoup avec le Maghreb. Cette région est à la frontière de toutes les pathologies d'Afrique subsaharienne, pathologies qui peuvent progresser vers le nord avec le changement climatique. Il faut donc investir davantage sur ces aspects de cordon. Se cantonner à l'Europe n'est pas suffisant, parce qu'il faut anticiper l'avenir. L'éducation de la population et les insecticides ne sont donc pas suffisants.

De nouvelles technologies existent également, bien qu'elles fassent peur à beaucoup de personnes. Concrètement, ce sont des moustiques génétiquement modifiés. Il y a différentes catégories, dont celle du moustique doté d'un gène létal, inséré dans son génome. Et si ce gène létal s'exprime, il tue le moustique. Dans la pratique, des moustiques mâles à gène létal sont lâchés dans la nature. En s'accouplant avec des femelles sauvages, ils vont donner une descendance qui ne sera pas viable et qui est destinée à mourir, lorsque le gène létal s'exprime. Le seul moyen d'empêcher ce gène de s'exprimer est d'avoir un antibiotique dans son milieu : or, dans la nature, il n'y a pas d'antibiotique, l'agent qui pourrait empêcher l'expression du gène létal n'existe pas. Finalement, il y a moins de moustiques, et donc moins de problèmes de transmission ou d'épidémies.

Toutefois, comme le moustique est génétiquement modifié, il lui arrive d'être moins compétitif. Dans la nature, les moustiques sont sélectionnés de façon naturelle pour s'adapter à leur environnement. Et ce n'est pas le cas du moustique génétiquement modifié. Lorsqu'il est libéré dans la nature, il peut arriver après le mâle sauvage, parce qu'il prendra plus de temps à féconder les femelles. Et les femelles Aedes aegypti et Aedes albopictus ne sont fécondées qu'une seule fois dans leur vie. Elles ont des bourses, des spermathèques, qui contiennent tous les spermatozoïdes d'un seul mâle, qui, après avoir fécondé la femelle, place un bouchon copulatoire empêchant l'introduction des spermatozoïdes d'autres mâles. Et à chaque ponte, ces spermatozoïdes provenant d'un seul mâle fertilisent tous les œufs. Cette caractéristique biologique est donc importante, puisque si le mâle sauvage vient avant le mâle génétiquement modifié, celui-ci ne pourra pas féconder la femelle.

C'est important d'expliquer ces nouvelles technologies pour que la population comprenne mieux. Si elles sont expliquées dans les grandes lignes dans un journal, cela peut être assez violent. Aussi, lorsque vous me dites qu'il faudrait éradiquer tous les moustiques, je vous répondrais : D'accord, mais comment ?

Il existe une autre technique qui s'appelle « Wolbachia ». Il s'agit d'une bactérie qui existe de façon naturelle dans plus de 60 % des insectes. Elle n'est donc pas modifiée. Mais le moustique Aedes aegypti n'a pas de bactérie Wolbachia. Les chercheurs lui ont donc injecté du Wolbachia qu'ils ont récupéré sur la drosophile, c'est-à-dire la mouche des fruits. Et ils ont observé qu'après l'injection, la femelle moustique a une durée de vie plus limitée. De plus, elle est capable d'interrompre la transmission du virus de la dengue. Concrètement, la bactérie empêche le virus de progresser le long de son tube digestif, avant d'atteindre les glandes salivaires.

Cette technique biocide est prometteuse. Une équipe australienne a monté un consortium, financé par la Bill & Melinda Gates Foundation. Elle a testé cette technique en Australie et dans différents pays d'Amérique du Sud. Parmi les territoires ultramarins, cette technique est testée actuellement dans le Pacifique Sud, c'est-à-dire en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Cette technique doit être testée dans des îles, parce qu'il y a très peu d'espèces de moustiques. Par exemple, sur l'île de la Réunion, il n'y a que douze espèces de moustiques recensées : cela ne veut pas dire qu'il y a moins de moustiques à la Réunion, mais il n'y a que douze espèces. En Nouvelle-Calédonie, il existe vingt-cinq espèces de moustiques, et une vingtaine en Polynésie. Ce sont des milieux relativement pauvres en termes de biodiversité. Nous pouvons donc contrôler l'arrivée extérieure et la sortie des moustiques. Ce sont des laboratoires naturels, dans lesquels les chercheurs libèrent des moustiques contaminés par la bactérie Wolbachia, afin d'en observer les conséquences. La technique est donc actuellement testée. Et si elle fonctionne, elle pourra être étendue à d'autres îles. Donc la technique Wolbachia est très prometteuse. Il ne s'agit pas de moustiques génétiquement modifiés, mais de ce qu'on appelle les « biocides ».

D'autres techniques sont aussi testées par exemple à La Réunion, comme celle du moustique mâle stérile. Ce sont des moustiques mâles irradiés, c'est-à-dire que leurs chromosomes ont été coupés. Et lorsque les mâles irradiés sont libérés, ils ne sont pas capables de donner de descendance, malgré l'accouplement avec la femelle. Par conséquent, grâce à nos territoires ultramarins, nous allons pouvoir peut-être avoir une idée beaucoup plus précise de l'efficacité de ces différentes techniques.

Elles ont été utilisées par exemple en Amérique du Sud, en Colombie et au Brésil, pendant l'épidémie de Zika. Mais leurs résultats ne sont pas très clairs, parce qu'il y a eu une nouvelle invasion de moustiques extérieurs. Lorsque des moustiques sont libérés dans une ville, nous essayons ensuite de limiter leur développement en testant les nouvelles techniques. Mais dans le cas de la ville de Rio par exemple, qui n'est pas sur une île, il y a eu une nouvelle colonisation. Les résultats ne sont donc pas très clairs lorsque les tests sont menés sur un continent. Et c'est pour cette raison que les tests menés dans les territoires ultramarins sont importants.

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