Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

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  • aedes
  • espèce
  • moustique
  • virus
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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES

Jeudi 13 février 2020

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de Mme Valérie Thomas, secrétaire du bureau de la commission d'enquête)

La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition du Pr Anna-Bella Failloux, entomologiste médicale, professeure à l'Institut Pasteur, responsable de l'équipe Arbovirus et insectes vecteurs.

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Mes chers collègues, nous engageons aujourd'hui la première session d'auditions dans le cadre de la commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles. Pour commencer, nous allons entendre Mme Anna-Bella Failloux, entomologiste médicale et professeure à l'Institut Pasteur, où elle est responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs ».

Je vous souhaite donc la bienvenue.

Je vous rappelle que les auditions de la Commission d'enquête sont publiques. Par conséquent, elles sont ouvertes à la presse et disponibles en direct ou en différé sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Je vais donc vous passer la parole pour une intervention liminaire de l'ordre d'une dizaine de minutes qui précèdera notre échange sous forme de questions et réponses.

Je vous remercie également de nous déclarer tout intérêt public ou privé, de nature à influencer votre déclaration. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une Commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité. Je vous invite donc, madame Failloux, à lever la main droite et dire : « Je le jure ».

Mme Anna-Bella Failloux prête serment.

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Merci tout d'abord, Madame la Présidente et les membres ici présents, pour cette invitation. Je suis Anna-Bella Failloux. Je suis originaire de Polynésie française et je vis en métropole depuis un certain nombre d'années. Au cours de ma carrière, j'ai pu assister à l'arrivée en métropole du moustique tigre, Aedes albopictus, mais je ne pensais pas qu'un jour, j'allais faire des travaux de terrain dans la région parisienne sur ce moustique ; mais ça y est, ce moustique est bien présent.

Il s'agit d'une espèce invasive, c'est-à-dire qu'il n'existait pas sur ces territoires jusqu'à très récemment. Les recherches menées par mon équipe à l'Institut Pasteur visent à comprendre comment ce moustique peut être un problème de santé publique. Nous allons sur le terrain capturer ces moustiques, et nous les infectons en laboratoire pour évaluer leur compétence vectorielle. Concrètement, nous nourrissons le moustique, puis nous mesurons sa température, au bout d'un certain nombre de jours. Nous observons ainsi si le moustique est capable de recracher le virus et de le transmettre à une personne en la piquant.

Les infrastructures de l'Institut Pasteur de Paris dans le 15e arrondissement nous permettent de travailler dans de bonnes conditions. Les conditions d'élevage des moustiques sont très contrôlées. Dans nos laboratoires de niveau P3, nous produisons les virus et nous infectons les moustiques par le système de « gorgement artificiel », c'est-à-dire que nous leur apportons le virus et le sang. Le moustique femelle - puisque seules les femelles piquent - va pouvoir absorber ce sang. Si la femelle n'est pas compétente, le virus est digéré dans son estomac. Dans le cas contraire, le virus traverse la paroi de son estomac et se retrouve à l'intérieur de son corps, sur ses glandes salivaires. Et lorsqu'elle pique, elle salive – comme lorsque nous mangeons –, et transmet ainsi les virus.

Comment sommes-nous arrivés à la situation actuelle ? Les moustiques vecteurs de la dengue, du chikungunya, du Zika et de la fièvre jaune existent dans les territoires ultramarins depuis de nombreuses années. Les épidémies de dengue, et plus récemment de chikungunya et de Zika, sont liées aux mêmes espèces de moustiques. Ce sont des moustiques urbains, puisque nous les avons adaptés à l'environnement humain en créant des gîtes larvaires, c'est-à-dire des petits contenants d'eau stagnante servant au nettoyage ou à l'assainissement dans les maisons. Et ces contenants sont propices au développement des moustiques. Par conséquent, plus il y a d'habitants en ville, et plus nous créons des conditions favorables à la multiplication des moustiques.

De plus, ces moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus piquent essentiellement les humains. Ce sont des moustiques anthropophiles qui restent en ville pour le piquer. Ce fait explique le caractère explosif de certaines maladies comme le Zika, le chikungunya ou la dengue. Les populations contaminées sont concentrées en ville, parce qu'elles ne sont pas habituées à être piquées par des moustiques infectés.

Dans les territoires ultramarins, ces maladies ont toujours existé de façon épidémique. Mais maintenant, nous vivons une phase endémique, c'est-à-dire que l'épidémie est persistante, avec des cas de contamination chaque année, comme dans les Antilles, l'océan Indien avec La Réunion et Mayotte, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

En France métropolitaine, jusqu'à très récemment, il n'existait pas de moustiques capables de transmettre ces virus. Mais en 2004, ce moustique Aedes albopictus est arrivé d'abord en Italie, puis à la frontière française. Personne ne lui a pas demandé ses papiers, et il a ainsi colonisé le sud-est de la France. Chaque année, il progresse d'environ 100 kilomètres. Il est maintenant présent dans plus de soixante départements en France. Et il va progresser encore, puisqu'il est présent actuellement dans vingt pays européens. Les pays le plus au nord sont la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne. Ce moustique peut encore progresser vers le nord. Il n'existe pas de barrière climatique pour l'empêcher d'envahir toute la France.

Comment ce moustique se dissémine-t-il ? Il se dissémine du fait de sa biologie. Il pond des œufs durables, c'est-à-dire que l'œuf est enveloppé d'une coque imperméable qui lui permet de supporter la sécheresse. Si on pose un œuf sur une table et, qu'après quatre mois, on le plonge dans l'eau, il éclot. Cette caractéristique est spécifique aux moustiques du genre Aedes.

De plus, ces moustiques piquent la journée. Ce ne sont pas les mêmes que les moustiques qui piquent la nuit ou parfois dans le métro, et qui sont appelés Culex. L' Aedes est transporté d'un continent à un autre par l'acheminement de marchandises, comme les bambous aux racines humides vendus par les fleuristes. Les œufs s'accrochent à leurs racines, et peuvent même survivre à un traitement insecticide. Cette caractéristique biologique fait que ce moustique a un caractère invasif.

Donc ce moustique est arrivé en Italie en 1990 et s'est répandu à vingt pays européens. En 1979, il a fait une première tentative d'invasion de l'Europe à partir de l'Albanie, via des pneus rechapés provenant de Chine. À cette époque, l'Albanie était un pays communiste, sans échanges commerciaux avec le reste de l'Europe. Le moustique est donc resté en Albanie. Ensuite, il est arrivé en Italie, et s'est propagé en France et dans tout le pourtour méditerranéen. Dans ces régions, les pays les plus récemment colonisés par Aedes albopictus sont ceux du Maghreb : la Tunisie, le Maroc et l'Algérie.

Une fois que ce moustique est arrivé dans un endroit, il se dissémine en utilisant les transports terrestres. Des études ont été faites dans le couloir rhodanien, entre Marseille et Lyon. Nous avons installé des pondoirs-piège pour pouvoir récolter les œufs, en cas de présence du moustique tigre. Nous les avons placés sur les aires d'autoroute. Et chaque mois, nous constations la progression géographique du moustique. Comme ce moustique est anthropophile, s'il a décidé de vous piquer, il vous suit jusque dans votre voiture. Et il y reste jusqu'à sa prochaine opportunité de ponte, qui peut être un arrêt sur une aire d'autoroute. Les entomologistes peuvent donc traquer le moustique grâce à la pose des pondoirs-piège. Comme ce moustique s'adapte à nos activités, plus nous allons bouger, et plus nous allons le disséminer. Et comme nous ne pouvons pas empêcher les personnes de bouger, il faut que nous trouvions des solutions pour limiter au maximum sa progression.

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Merci Professeure Failloux pour cet exposé qui est relativement complet et simple à comprendre pour toute personne non spécialiste. Toutefois, je souhaiterais vous poser quelques questions afin d'avoir des précisions supplémentaires par rapport à la diffusion et aux caractéristiques de ces moustiques. Ce moustique se répand donc dans le monde via les déplacements humains.

Certains ont affirmé qu'il n'était pas utile dans un écosystème. Qu'en pensez-vous ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Je vous ai surtout parlé d' Aedes albopictus. Son « cousin » ou son « frère », qui est Aedes aegypti, est présent essentiellement dans les zones tropicales. Mais il existe 3 500 espèces de moustiques, et seules certaines d'entre elles sont capables de piquer l'homme. Si un moustique s'approche de vous, ce n'est pas forcément un moustique tigre. En matière de protection individuelle, cette distinction est très importante, parce que nous n'arrivons pas à contrôler l'utilisation des insecticides, par exemple. La population les utilise parfois de façon abusive, parce qu'un moustique n'est pas nécessairement capable de vous piquer.

Concernant leur utilité, si nous supprimions les 3 500 espèces de moustiques, il y aurait des conséquences énormes. D'un point de vue écologique, ils font partie de la chaîne alimentaire des oiseaux, des batraciens et des poissons, qui se nourrissent des larves de moustiques. Ces dernières sont d'ailleurs des « filtreurs » importants : elles ont des brosses buccales qui filtrent la matière organique en suspension dans l'eau, et elles assainissent ainsi le milieu aquatique. Les moustiques peuvent être aussi des pollinisateurs. En dehors du sang, la femelle prélève du nectar de fleurs qui lui fournit de l'énergie via son apport carboné, nécessaire à toutes ses activités, et notamment de vol. Le mâle a une durée de vie beaucoup plus limitée, à savoir une dizaine de jours. Il se nourrit aussi de sucs de fleurs. Ces espèces sont donc utiles.

La question actuelle est de savoir si nous pouvons supprimer les espèces invasives, et notamment Aedes aegypti et Aedes albopictus, qui ne sont pas des moustiques locaux. Autrement dit, quelles en seraient les conséquences ? Après tout, nous vivions bien avant qu'elles n'arrivent. Mais maintenant, comment pouvons-nous faire pour vivre sans elles ? Quels moyens de contrôle seraient efficaces pour éviter l'installation durable de ce moustique ? C'est difficile d'y répondre.

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En 2003, dans une tribune du New York Times, la biologiste Olivia Judson s'était prononcée en faveur de l'extinction volontaire de 30 espèces de moustiques. Selon certaines estimations, cette extinction permettrait de sauver un million de vies, et diminuerait de seulement 1 % la diversité génétique des moustiques. Cette proposition a-t-elle un sens pour vous ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

C'est vrai que le moustique est l'espèce animale qui tue le plus d'humains sur Terre. Ce ne sont pas les crocodiles ou les requins. 600 000 personnes sont touchées par le paludisme. Des milliers d'autres personnes sont contaminées par la fièvre jaune, la dengue ou l'encéphalite japonaise, des maladies potentiellement mortelles.

Il me semble que cette recommandation s'adresse essentiellement à des espèces invasives. Par exemple, la fièvre jaune n'existait pas en Amérique du Sud pendant des millénaires. Ce virus est arrivé en Amérique du Sud, et notamment dans la Caraïbe, du fait de la traite des esclaves. Elle a conduit à l'installation du moustique Aedes aegypti en Amérique, et du virus qui l'accompagne, la fièvre jaune.

Aussi, si nous arrivions à éradiquer ce moustique, il est certain que nous pourrions vivre mieux. Mais le problème est qu'une fois son installation faite, il est très compliqué de l'en déloger en raison de son cycle biologique. Le moustique femelle pond entre 50 et 100 œufs tous les cinq jours. Et elle vit pendant deux à trois mois. Le nombre d'œufs pondu par une femelle est considérable sachant qu'en plus, la moitié d'entre eux sont des femelles. Leur reproduction est très rapide.

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Savez-vous si le réchauffement climatique a un effet sur l'expansion des moustiques ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

C'est une question récurrente. Et cela peut effectivement avoir un lien, toujours du fait de la biologie du moustique. Le moustique est un organisme à sang froid, incapable de réguler sa température interne. Qu'il fasse -10° ou +40° dehors, notre température corporelle est toujours de 37°, ce qui n'est pas le cas de celle du moustique. Lui est obligé de se déplacer pour trouver une température compatible avec son fonctionnement biologique.

En été, lorsqu'il fait très chaud dans le sud de la France, le cycle de développement du moustique se raccourcit. En temps normal, c'est-à-dire avec une température de 23°, il faut environ dix jours pour que l'œuf devienne adulte. Si la température augmente, ce délai se raccourcit à six ou sept jours. La densité de moustiques va donc être plus élevée, puisque le cycle de développement est raccourci. Et le risque épidémiologique sera d'autant plus élevé si, durant cette période, des vacanciers reviennent des pays où ces virus circulent de façon « naturelle ». C'est pour cette raison que, chaque année, il existe des cas autochtones de chikungunya, de dengue et, l'année passée, de Zika. Les cas autochtones sont des personnes qui n'ont pas quitté le territoire, mais qui ont été contaminées par le moustique tigre, lui-même infecté en prélevant du sang d'une personne qui revenait d'un pays où ce virus circule. Les cas autochtones indiquent que notre moustique, en France, est capable d'assurer un cycle de transmission. Le réchauffement climatique diminue donc son cycle de développement, et entraîne ainsi une augmentation importante du nombre de moustiques.

De plus, un autre paramètre est important : il faut un certain nombre de jours entre l'ingestion du virus dans l'estomac de la femelle moustique, et son arrivée dans ses glandes salivaires. Cette durée est appelée la « période d'incubation extrinsèque », et elle est notamment déterminée par la température. Plus il fait chaud, et plus cette durée se raccourcit. Le moustique devient donc infectieux plus rapidement. C'est pour cette raison que ces maladies se retrouvent surtout dans des pays chauds ou tropicaux. Et c'est pourquoi, en France métropolitaine, nous les retrouvons essentiellement pendant l'été.

Le changement climatique va ainsi offrir aux moustiques une aire de distribution beaucoup plus large. Chaque année, le moustique tigre progresse vers le nord. La surface de développement du moustique augmente donc considérablement, ce qui expose davantage de personnes n'ayant jamais été concernées par ces virus.

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Le moustique tigre Aedes albopictus est maintenant présent dans soixante départements du territoire métropolitain. Certains d'entre eux ont des climats beaucoup plus rudes que ceux du sud. Pendant l'hiver, avec les gelées, les moustiques doivent mourir. Comment se déroule concrètement leur retour dans ces départements ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Le moustique Aedes albopictus n'a pas besoin d'y revenir, parce que ses œufs restent. Ils supportent la sécheresse et le froid, ce qui n'est pas le cas des œufs d' Aedes aegypti qui ne peut vivre que dans les tropiques. À la fin de la saison de vie de la femelle moustique Aedes albopictus, elle pond ses œufs et elle meurt, mais ses œufs attendent la saison d'après pour éclore. À partir des premières pluies de printemps, les œufs éclos vont donner des adultes. Et ces adultes vont ensuite proliférer pour produire de nouvelles populations. Il n'y a pas de disparition. La population est seulement « en dormance ».

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Ils résistent tout l'hiver. Le facteur limitant est la température. En dessous de 0°, les conditions commencent à être compliquées pour les œufs. Mais généralement, ils ne sont pas pondus sur une surface lisse. Ils sont cachés, par exemple dans de la boue qui tapisse certains pots. Certaines femelles pondent aussi dans des creux d'arbres ou des trous de rochers, où se trouve encore de la matière organique. Et les feuilles mortes peuvent aussi protéger l'œuf d'un excès de froid.

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Vous avez évoqué une espèce de moustiques venant d'Égypte ou du Nil. Ayant été directeur de cabinet de la ville de Fréjus pendant plus de dix ans, je me souviens d'épisodes de fièvre du Nil occidental localisés dans les étangs de Villepey. Ils ont été très vite circonscrits. Pouvons-nous étendre le champ que nous étudions aujourd'hui ? Cela fait-il partie des vecteurs sur lesquels vous travaillez ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Bien entendu. Je travaille sur tous les virus transmis par des moustiques. Et le virus du Nil occidental fait partie des virus étudiés en laboratoire. Le virus du Nil occidental est transmis, non par l' Aedes albopictus, mais par le Culex pipiens et le Culex quinquefasciatus. À la différence des espèces Aedes albopictus et Aedes aegypti, ces moustiques vivent dans des eaux sales, c'est-à-dire dans des gîtes larvaires chargés en matière organique, comme des caniveaux ou des fosses septiques. Pour simplifier, les Aedes, moustiques d'eaux propres, colonisent les entrées d'eau d'une maison, et les Culex, moustiques d'eaux sales, la sortie d'eau. C'est pourquoi l'urbanisation est la clé pour éviter d'avoir des gîtes larvaires autour de chez soi. Et comme le moustique pique tout le monde, tout le monde doit faire attention chez soi.

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D'autres types de maladies étaient présents autour des étangs de Villepey, comme la bilharziose. Est-elle véhiculée par les moustiques ? Le sud de la Corse a aussi été concerné par cette maladie.

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

La bilharziose n'est pas une maladie vectorielle. En revanche, la leishmaniose est une maladie vectorielle transmise par des phlébotomes, qui se trouvent partout dans le sud de la France, y compris à Fréjus.

Les moustiques ne sont pas les seuls vecteurs. Les tiques sont des vecteurs de la maladie de Lyme. Des mouches peuvent avoir aussi un impact sur l'entomologie vétérinaire. Mais je me concentre uniquement sur les moustiques transmetteurs des virus, bien que le champ soit effectivement très large.

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Nous recevrons d'ailleurs, lors de prochaines séances, des médecins spécialistes des maladies vectorielles. Ils pourront apporter des réponses extrêmement précises sur le sujet.

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Cela dépend des conditions dans lesquelles ils sont entreposés. En laboratoire, avec des conditions optimales, ils peuvent vivre de six mois à un an.

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Vous avez évoqué les cas autochtones de Zika notamment. Si j'ai bien compris votre explication, les vacanciers revenant de pays où des épidémies sévissent étaient donc porteurs sains des virus ? Et à l'inverse, certaines personnes piquées en France par des moustiques infectés développent des symptômes ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

La situation est assez complexe. Lorsqu'il s'agit de la dengue ou du Zika, qui est un virus appartenant à la même famille, 80 % des cas sont asymptomatiques, c'est-à-dire que les personnes infectées par le virus ne sont pas malades. Cette situation est la plus dangereuse puisque ces personnes continuent à vivre normalement, et donc à disséminer le virus. À la fin de l'été, elles peuvent revenir des Antilles, d'Amérique du Sud ou d'Asie, qui sont des régions où ces virus circulent justement à cette période de l'année. Et elles reviennent dans le sud de la France, qu'elles soient apparemment malades ou non, à la période où le moustique tigre pullule. Elles se font piquer par ce moustique qui absorbe le virus avec le sang. Et s'il est compétent pour assurer la transmission du virus, il le transmettra à une autre personne qui, elle, n'a pas voyagé. Cette personne est donc un cas autochtone.

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Quels sont actuellement les grands enjeux de la recherche sur les Aedes ? Sur quelles thématiques concentrez-vous vos recherches ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Il faut tout d'abord faire le bilan des événements et des phénomènes produits par les maladies à transmission vectorielle. En général, il n'existe pas de traitement spécifique de ces maladies, on ne traite que leurs symptômes. Les symptômes de la fièvre sont traités par du paracétamol. Nous n'avons pas d'antiviraux spécifiques qui pourraient, dès le début, guérir l'infection. Nous n'avons pas non plus de vaccins pour protéger la population à risque, en dehors du vaccin contre la fièvre jaune qui fonctionne très bien. Les autres vaccins existants pour ces maladies sont souvent critiqués. Et certaines maladies n'ont même pas de vaccins.

Actuellement, le seul moyen de se protéger est d'éviter d'être piqué. Pour cela, il y a plusieurs stratégies, en fonction du cycle biologique du moustique. L'œuf pondu ne peut pas être éliminé, même par les insecticides. Lorsqu'il est en contact avec l'eau, il éclot et produit des larves de moustiques qui, en fonction des espèces, se trouveront dans des eaux propres ou sales. Il existe quatre stades de larves, dont un stade particulier de nymphe qui est la pupe, pendant lequel se détermine le sexe du moustique. Nous pouvons soit cibler les gîtes larvaires en pulvérisant un insecticide approprié à ce stade de développement, et appelé « larvicide », soit cibler les adultes avec des sprays « adulticides ».

Il n'existe pas beaucoup d'insecticides performants. Nous utilisons six grandes familles d'insecticides, et les moustiques ont développé des résistances vis-à-vis de presque toutes. La situation est critique. Nous n'avons presque pas de moyens pour réduire les densités de moustiques. Lorsqu'ils sont résistants, nous devons utiliser une dose d'insecticide plus élevée pour tuer la même quantité de moustiques. Vous pouvez ainsi imaginer les impacts qu'engendrent ces pulvérisations massives sur la faune non-cible, notamment les abeilles. Ces insecticides affectent l'environnement, et plusieurs débats ont eu lieu à ce sujet.

Il faut trouver des méthodes alternatives. Certaines ne sont pas à la pointe de la technologie, comme l'éducation de la population. Cela ne coûte pas cher mais c'est très compliqué. Même sur une île comme la Martinique où, chaque année, les populations sont frappées par des épidémies de dengue, certaines personnes remettent encore en question la transmission du virus par le moustique. Voilà la situation actuelle. Le lien entre les gîtes larvaires, les moustiques et la maladie nous semble évident, mais ce n'est pas le cas pour beaucoup de personnes. Dans les pays où il existe des problèmes d'éducation, c'est compliqué. Les populations éduquées à ces questions peuvent éliminer les gîtes larvaires, en nettoyant les jardins notamment.

Les moustiquaires installées aux fenêtres peuvent être efficaces pour éviter l'entrée des moustiques dans la maison. Ces moustiques sont attirés par l'odeur humaine. Ils entrent donc dans les habitations. Et comme ils piquent en journée, installer des moustiquaires aux lits n'est pas suffisant, à moins que vous y restiez toute la journée ! Cette stratégie est adaptée pour lutter par exemple contre le moustique Anopheles, vecteur du paludisme. La réduction du nombre de cas de paludisme dans le monde est principalement liée à l'utilisation des moustiquaires imprégnées.

L'éducation de la population est donc essentielle. Nous pouvons limiter le nombre de cas, si nous expliquons la situation à la population. Mais c'est une tâche de longue haleine qui prend énormément de temps. La population la plus réceptive est les enfants. Dans des pays communistes, comme le Vietnam, la sensibilisation des enfants a très bien fonctionné. Et toutes les semaines, ils vont chasser les gîtes larvaires.

C'est un problème mondialisé qui n'a pas de couleur politique. Les frontières ne protègent pas, parce que les personnes voyagent. Par conséquent, il ne faut pas seulement régler le problème chez nous, mais aussi autour de chez nous. Par exemple, à l'Institut Pasteur, nous travaillons beaucoup avec le Maghreb. Cette région est à la frontière de toutes les pathologies d'Afrique subsaharienne, pathologies qui peuvent progresser vers le nord avec le changement climatique. Il faut donc investir davantage sur ces aspects de cordon. Se cantonner à l'Europe n'est pas suffisant, parce qu'il faut anticiper l'avenir. L'éducation de la population et les insecticides ne sont donc pas suffisants.

De nouvelles technologies existent également, bien qu'elles fassent peur à beaucoup de personnes. Concrètement, ce sont des moustiques génétiquement modifiés. Il y a différentes catégories, dont celle du moustique doté d'un gène létal, inséré dans son génome. Et si ce gène létal s'exprime, il tue le moustique. Dans la pratique, des moustiques mâles à gène létal sont lâchés dans la nature. En s'accouplant avec des femelles sauvages, ils vont donner une descendance qui ne sera pas viable et qui est destinée à mourir, lorsque le gène létal s'exprime. Le seul moyen d'empêcher ce gène de s'exprimer est d'avoir un antibiotique dans son milieu : or, dans la nature, il n'y a pas d'antibiotique, l'agent qui pourrait empêcher l'expression du gène létal n'existe pas. Finalement, il y a moins de moustiques, et donc moins de problèmes de transmission ou d'épidémies.

Toutefois, comme le moustique est génétiquement modifié, il lui arrive d'être moins compétitif. Dans la nature, les moustiques sont sélectionnés de façon naturelle pour s'adapter à leur environnement. Et ce n'est pas le cas du moustique génétiquement modifié. Lorsqu'il est libéré dans la nature, il peut arriver après le mâle sauvage, parce qu'il prendra plus de temps à féconder les femelles. Et les femelles Aedes aegypti et Aedes albopictus ne sont fécondées qu'une seule fois dans leur vie. Elles ont des bourses, des spermathèques, qui contiennent tous les spermatozoïdes d'un seul mâle, qui, après avoir fécondé la femelle, place un bouchon copulatoire empêchant l'introduction des spermatozoïdes d'autres mâles. Et à chaque ponte, ces spermatozoïdes provenant d'un seul mâle fertilisent tous les œufs. Cette caractéristique biologique est donc importante, puisque si le mâle sauvage vient avant le mâle génétiquement modifié, celui-ci ne pourra pas féconder la femelle.

C'est important d'expliquer ces nouvelles technologies pour que la population comprenne mieux. Si elles sont expliquées dans les grandes lignes dans un journal, cela peut être assez violent. Aussi, lorsque vous me dites qu'il faudrait éradiquer tous les moustiques, je vous répondrais : D'accord, mais comment ?

Il existe une autre technique qui s'appelle « Wolbachia ». Il s'agit d'une bactérie qui existe de façon naturelle dans plus de 60 % des insectes. Elle n'est donc pas modifiée. Mais le moustique Aedes aegypti n'a pas de bactérie Wolbachia. Les chercheurs lui ont donc injecté du Wolbachia qu'ils ont récupéré sur la drosophile, c'est-à-dire la mouche des fruits. Et ils ont observé qu'après l'injection, la femelle moustique a une durée de vie plus limitée. De plus, elle est capable d'interrompre la transmission du virus de la dengue. Concrètement, la bactérie empêche le virus de progresser le long de son tube digestif, avant d'atteindre les glandes salivaires.

Cette technique biocide est prometteuse. Une équipe australienne a monté un consortium, financé par la Bill & Melinda Gates Foundation. Elle a testé cette technique en Australie et dans différents pays d'Amérique du Sud. Parmi les territoires ultramarins, cette technique est testée actuellement dans le Pacifique Sud, c'est-à-dire en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Cette technique doit être testée dans des îles, parce qu'il y a très peu d'espèces de moustiques. Par exemple, sur l'île de la Réunion, il n'y a que douze espèces de moustiques recensées : cela ne veut pas dire qu'il y a moins de moustiques à la Réunion, mais il n'y a que douze espèces. En Nouvelle-Calédonie, il existe vingt-cinq espèces de moustiques, et une vingtaine en Polynésie. Ce sont des milieux relativement pauvres en termes de biodiversité. Nous pouvons donc contrôler l'arrivée extérieure et la sortie des moustiques. Ce sont des laboratoires naturels, dans lesquels les chercheurs libèrent des moustiques contaminés par la bactérie Wolbachia, afin d'en observer les conséquences. La technique est donc actuellement testée. Et si elle fonctionne, elle pourra être étendue à d'autres îles. Donc la technique Wolbachia est très prometteuse. Il ne s'agit pas de moustiques génétiquement modifiés, mais de ce qu'on appelle les « biocides ».

D'autres techniques sont aussi testées par exemple à La Réunion, comme celle du moustique mâle stérile. Ce sont des moustiques mâles irradiés, c'est-à-dire que leurs chromosomes ont été coupés. Et lorsque les mâles irradiés sont libérés, ils ne sont pas capables de donner de descendance, malgré l'accouplement avec la femelle. Par conséquent, grâce à nos territoires ultramarins, nous allons pouvoir peut-être avoir une idée beaucoup plus précise de l'efficacité de ces différentes techniques.

Elles ont été utilisées par exemple en Amérique du Sud, en Colombie et au Brésil, pendant l'épidémie de Zika. Mais leurs résultats ne sont pas très clairs, parce qu'il y a eu une nouvelle invasion de moustiques extérieurs. Lorsque des moustiques sont libérés dans une ville, nous essayons ensuite de limiter leur développement en testant les nouvelles techniques. Mais dans le cas de la ville de Rio par exemple, qui n'est pas sur une île, il y a eu une nouvelle colonisation. Les résultats ne sont donc pas très clairs lorsque les tests sont menés sur un continent. Et c'est pour cette raison que les tests menés dans les territoires ultramarins sont importants.

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Cette technique présente-t-elle un risque de mutation génétique ? Les moustiques vont-ils s'adapter finalement à ces transformations ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Évidemment, ce risque n'est pas à exclure, parce que nous travaillons avec du matériel vivant. Même nous, humains, nous mutons. C'est inévitable si nous voulons s'adapter à l'environnement qui change. C'est dans la diversité que nous sommes forts. La biodiversité est extrêmement importante : c'est pour cela qu'il faudrait une vraie réflexion à ce sujet. Lorsque je vois les événements actuels dans le bassin amazonien, je pleure de voir tous les dégâts que ce manque de réflexion entraîne. C'est extrêmement important. Notre survie est en jeu. En réalité, c'est dans la biodiversité que nous trouvons les moyens de survivre au changement. Et c'est pour cette raison qu'il faut la préserver.

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Concernant les moyens de lutte contre les moustiques, je me souviens, lors de pérégrinations du côté de la Zambie ou du sud de la Tanzanie, qu'il y avait des filets pour attirer et piéger les mouches tsé-tsé. Existe-t-il un équivalent ? Sommes-nous en train de développer un moyen similaire pour piéger ces moustiques problématiques ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

La mouche tsé-tsé est un exemple de nuisible sur lequel nos techniques de pièges ou d'écrans bleus ont bien fonctionné. Mais c'est une exception dans la lutte antivectorielle. Cela ne s'est pas reproduit, malgré nos essais.

Dans le commerce, il existe plein de pièges pour attirer les moustiques. Et on me demande souvent quelles molécules les attirent, parce qu'il en existe. Mais il n'y a pas une molécule miracle, il y en a plein. Un produit qui se vante de pouvoir tuer ou repousser tous les moustiques est un leurre commercial. Les 3 500 espèces de moustiques existantes ne prennent pas le même sang. Les hôtes sont différents. Ils ne butinent pas les mêmes fleurs et n'ont pas le même comportement.

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Le moustique Aedes aegypti peut-il coloniser le territoire hexagonal ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Ne soyons pas alarmistes, parce qu'il y a toujours une solution. Aedes aegypti était présent en Europe pendant longtemps. Il y a même eu des épidémies de fièvre jaune à Marseille et certainement aussi à Fréjus. Il était présent à cause des marais, qui sont des environnements propices à sa colonisation. Grâce au développement socio-économique, les marais ont disparu. Mais ils ont laissé la place à la Grande-Motte, qui est un environnement urbain favorable au moustique tigre, parce que ces bâtiments récents facilitent l'installation des gîtes larvaires d' Aedes albopictus.

Parallèlement au développement socio-économique sur le pourtour méditerranéen qui a entraîné la disparition d' Aedes aegypti, il y avait aussi une lutte contre les vecteurs du paludisme avec du dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT). À cette époque, c'était un insecticide miracle qui tuait tout. Il fonctionnait très bien. Mais progressivement, nous nous sommes rendu compte qu'il était toxique et que tous les moustiques ont développé des résistances vis-à-vis du DDT, doncnous ne l'utilisons plus. Il n'y a plus d'insecticide miracle.

Les conditions de notre environnement sont donc propices à accueillir de nouveau Aedes aegypti. Il a été détecté en 2004 en Géorgie et en Turquie. Il vient de l'Est, et va progressivement venir vers l'Ouest en passant par la Grèce. Et les problèmes économiques en Grèce, en Italie et en Espagne ont entraîné le démantèlement des services de démoustication qui contrôlaient l'arrivée de moustiques extérieurs. En France, nous avons beaucoup de chance puisqu'il existe encore les agences régionales qui permettent de contrôler l'arrivée de ce moustique dans le pourtour méditerranéen. Mais nous sommes une exception.

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Je souhaiterais vous poser une question concernant l'organisation de la recherche. Plus particulièrement, quelles sont les sources de financement de vos travaux de recherche ? Et la question suivante est terrible : les moyens qui vous sont alloués sont-ils suffisants face à l'ampleur du problème ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

C'est vrai que l'argent est le nerf de la guerre dans la recherche. Mais les questions scientifiques et biologiques ne nécessitent pas beaucoup de moyens. Nous avons besoin de chercheurs compétents pour observer ce que la nature nous enseigne. Il faut observer, émettre des hypothèses et ensuite tester en laboratoire. C'est le cheminement classique.

En ce qui concerne les financements, beaucoup d'entre eux sont européens. Ils constituent même la majorité des financements de notre laboratoire. Durant les épisodes d'épidémies de Zika ou de dengue, nous avons beaucoup d'argent parce que l'Union européenne est consciente de la possible aggravation de la menace du moustique tigre. Le travail en consortium est donc important. Les groupes européens travaillant sur les moustiques sont très peu nombreux. Les chercheurs sont très bien et nous nous connaissons quasiment tous. Nous travaillons très bien ensemble, parce qu'il n'y a pas d'enjeu économique, contrairement à d'autres branches de la recherche. Notre enjeu est la progression de la connaissance, qui nous permet d'apporter de nouvelles informations aux politiques et aux opérationnels afin de lutter contre les moustiques. Et cela maintient une collaboration saine entre nous.

Au niveau national, nous avons la possibilité des projets financés par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Mais ils représentent une faible source de financement, parce qu'il faut être très compétitif pour pouvoir obtenir un financement. En France, Il faut dire clairement que nous manquons de moyens pour la recherche.

Au niveau des fondations privées, certaines nous aident. Mais cette volonté de nous financer est surtout liée à la sensibilité produite par l'actualité. Or la recherche nécessite des échéances longues. Nous ne pouvons pas trouver un vaccin ou une nouvelle méthode en quelques jours. Cela demande beaucoup de temps et d'anticipation, ce qui n'est pas toujours compris par les donateurs, qui veulent un effet immédiat. Ce type de financements est donc assez incompatible avec nos délais de chercheurs.

Mon travail revient en fait à aller chercher des financements. J'anime une équipe d'une quinzaine de personnes. Je passe beaucoup de temps à essayer de trouver de l'argent pour que nous puissions travailler dans des conditions confortables. Je ne supporte pas qu'on me dise que c'est impossible, parce que nous n'avons pas d'argent. Nous travaillons avec des chercheurs opérationnels sur les territoires ultramarins, puisque l'Institut Pasteur y est implanté. Nous sommes confrontés aux populations locales. Et nous ne pouvons pas aller chez elles chercher des moustiques et leur expliquer qu'ils peuvent transmettre la dengue, sans leur apporter une solution en retour. Nous avons besoin d'être crédibles par rapport à la population.

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Quelles fondations privées ont choisi d'investir dans vos recherches ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Par exemple, il y a la Fondation Total et la Fondation Michelin, impliquée à cause du rôle des pneus. Dans les champs d'hévéas, les agriculteurs placent une coupelle sous les arbres afin de récupérer la sève pour en faire du caoutchouc. Et avec les pluies, ces coupelles se remplissent d'eau et peuvent devenir des gîtes larvaires. C'est pour cette raison que Michelin investit aussi dans la recherche. Sanofi est parfois aussi impliqué, mais cela dépend du but. Il faut qu'il y ait comme finalité la production de vaccins. Les fondations privées sont très sensibilisées au changement climatique et à la perte de biodiversité. Ces aspects sont très importants dans leurs activités.

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Pensez-vous que certaines pistes de recherche mériteraient d'être davantage soutenues par les pouvoirs publics ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

En dehors de la recherche, la formation est extrêmement importante. Actuellement en France, il n'existe plus de Master d'entomologie médicale. Il y a aussi très peu de cours d'entomologie médicale en France – et en Europe en général. Les Américains investissent davantage en entomologie médicale que les Européens, parce qu'ils ont subi la crise du « West Nile Virus », du virus du Nil occidental, qui a tué beaucoup de personnes. La faune sauvage a presque été décimée, en particulier certaines espèces d'oiseaux qui n'existent quasiment plus. Ils savent qu'ils sont très vulnérables à certaines maladies, et ils investissent donc beaucoup d'argent.

En France, il faudrait investir davantage sur la formation, de manière que l'entomologie médicale suscite une vocation chez les jeunes. L'entomologie comprend beaucoup de travaux sur le terrain. Ce n'est pas très technologique. Si vous voyez des personnes fouiller dans les poubelles, les décharges, ou dans des pneus, ce sont des entomologistes qui cherchent des larves de moustiques. Dans un pays aussi beau que Mayotte par exemple, tout le monde ne va pas chercher dans les poubelles ! En conséquent, nous allons sélectionner des personnes passionnées, qui aiment le contact avec le vivant.

Ensuite, l'entomologie nécessite des études longues et difficiles, pour travailler dans des conditions de laboratoire également difficiles. Par exemple, nous avons déjà travaillé dans des laboratoires de sécurité biologique de niveau 3. Cela implique le port quotidien d'une combinaison intégrale avec masque, lunettes de protection et deux paires de gants, dans un laboratoire où il fait 25° car le moustique n'est pas actif en dessous de cette température. La femelle est toujours vivante, mais elle ne bouge pas et ne mange pas. Ces conditions ressemblent donc à une plongée de 100 mètres sous la surface de l'eau, pendant quatre heures ! Elles sont difficiles, et c'est pour cette raison qu'il n'y a pas tellement de vocations.

Il n'y a pas non plus assez de recrutements. Les entomologistes passent après les chercheurs travaillant sur le cancer ou sur des maladies liées au vieillissement, dont les recherches nécessitent des laboratoires « high tech ». Elles sont aussi soutenues par un système d'évaluation du milieu scientifique qui privilégie ce type de sciences. Tout est lié. Il suffirait simplement d'une volonté politique pour que cette situation change, parce que nos systèmes d'évaluation sont très sensibles à l'aspect « technologie ».

La piste de recherche que je privilégie consiste à trouver un moyen de contrôler l'expansion des moustiques. Nous ne pouvons pas parler d'« éradication », c'est impossible. Mais il faut contrôler leur densité, afin de l'abaisser jusqu'à un niveau compatible avec un faible risque de transmission et d'épidémies. Le fait d'être piqué est un autre souci.

Pour cela, nous travaillons sur le moustique directement. Une fois que la femelle est infectée, elle est contaminée pour toute sa vie. Chaque fois qu'elle pique, elle transmet le virus. Et lorsqu'il s'agit du chikungunya, nous avons évalué à dix milliards le nombre de particules de virus présentes dans chaque moustique tigre. Et comment un moustique survit avec dix milliards de particules virales ? En réalité, son immunité ne réagit pas, ou très peu. Il tolère cette quantité de virus qui l'agresse. Une fois que le virus est dans un organisme, il a besoin de s'alimenter. Et pour assurer son développement et sa prolifération, il détourne tout ce qui est contenu dans les cellules. Certains pans de la recherche essaient donc de créer un moustique dont l'immunité serait beaucoup plus forte, et serait ainsi déclenchée dès l'arrivée du virus dans le tube digestif.

C'est une des pistes de recherche qu'il faut explorer. Et elle a forcément nécessité un travail important en amont afin de détecter les points faibles du cycle du moustique. Ce type de recherche ne se fait pas en un claquement de doigts.

À la télévision, nous voyons parfois qu'en cas d'épidémie, certaines personnes sont formées en quatre heures pour asperger de l'insecticide sur des gîtes larvaires. Il ne faut pas faire ça, parce que cela a créé des populations de moustiques résistantes aux insecticides. Certaines personnes vont même mettre de l'insecticide à des endroits où il n'y a pas de moustique tigre. Mais elles ne sont pas coupables, parce qu'elles ne connaissent pas la biologie du moustique. Avant de proposer des moyens de contrôle, la connaissance en amont de la biologie des moustiques est indispensable.

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Comment la coopération internationale est coordonnée ? Par exemple, au sujet de la technique « Wolbachia », la recherche ne se situe pas uniquement à un niveau national. Pouvons-nous envoyer des étudiants se former notamment aux États-Unis, étant donné le déficit de formation et de chercheurs en entomologie en France ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Ce n'est pas une réponse suffisante au manque de formation universitaire en France. Des cours existent, par exemple à l'Institut Pasteur, où je suis responsable d'un cours d'entomologie médicale dispensé en français. Mais c'est un des rares cours en français. Nous sommes en train de passer à l'anglais, alors que nos principaux interlocuteurs sont en Afrique. Nous avons à peu près une dizaine d'Instituts Pasteur en Afrique, et les Africains parlent français, même mieux que nous. Ils ont donc besoin d'un cours en français, et nous l'avons maintenu parce que c'est très important pour nous. Nous nous battons tous les ans pour maintenir ce cours en français. Vous pouvez d'ailleurs encore vous y inscrire, les inscriptions s'arrêtent ce soir !

Bien évidemment, notre collaboration est internationale. Mais nous ne devons pas travailler uniquement entre pays du Nord. Je peux évidemment envoyer des chercheurs aux États-Unis, au Royaume-Uni, à Stockholm ou en Australie, mais ce n'est pas l'objectif. L'objectif est de former les acteurs du Sud. Il faut améliorer leurs connaissances pour qu'un jour, ils s'approprient ces problèmes de santé publique. L'aide ne doit pas venir de l'extérieur. Ils doivent être acteurs de la pathologie. C'est notre objectif.

En entomologie, nous n'avons donc pas une vision élitiste, parce que nous travaillons sur des problèmes orientés « santé publique ». Une demande importante vient de l'Afrique francophone et des territoires ultramarins qui ne comprendraient pas qu'un cours en anglais soit donné à l'Institut Pasteur. D'ailleurs, les anglophones ne viennent pas à l'Institut Pasteur pour suivre un cours en anglais : pour cela, ils vont au Royaume-Uni. Peut-être n'est-ce pas politiquement correct de le dire, mais nous avons un passé colonial qu'il faut assumer. Et je l'assume pleinement. Je travaille beaucoup avec les territoires ultramarins dont les acteurs sont très bien placés d'un point de vue international.

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À la suite de vos explications, nous comprenons que ce sont les humains qui transportent les moustiques. Ils ne voyagent pas dans l'air. Jugez-vous satisfaisante et suffisante la coopération internationale en matière de recherche sur les moustiques, afin que nous soyons tous au même niveau pour leur éradication, si on ose parler ainsi ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Cela dépend des situations. La collaboration internationale est liée à un réseau. Par exemple, j'ai été formée en entomologie il y a une vingtaine d'années. Et j'ai encore des contacts avec les étudiants qui suivaient le même cours, parce qu'ils sont devenus des acteurs dans leurs pays. C'est très important. Nous avons un passé commun. Et c'est durant la formation que se tisse un réseau. En tout cas, c'est de cette façon que je le présente aux étudiants d'aujourd'hui : « Vous faites votre réseau et vous essayez de déterminer des collaborations internationales ».

Par exemple, au sein du réseau des Instituts Pasteur, je collabore avec l'Institut Pasteur d'Iran qui a d'excellents entomologistes. Ils travaillent sur les tiques, les phlébotomes et les moustiques. Et nous continuons à travailler avec eux, malgré la situation politique très délicate. De la même façon, nous allons travailler avec Madagascar et avec l'Institut Pasteur de Bangui où, même en situation de guerre, les entomologistes vont sur le terrain pour chercher des moustiques.

Le problème n'est pas la collaboration internationale, mais les financements et parfois les personnes. Il faut avoir l'envie de collaborer, et personne ne m'a jamais interdit de collaborer avec qui que ce soit.

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Je souhaiterais vous poser une question à destination de celles et ceux qui nous regardent en direct, ou qui vont nous regarder en différé. Pourriez-vous nous lister très rapidement toutes les idées fausses et les idées reçues concernant les moustiques ? Et les manières de se prémunir contre les piqûres ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

C'est la question la plus difficile. On me pose souvent la question : « Pourquoi suis-je piquée par les moustiques alors que mon conjoint ne l'est pas ? », ou « Pour quelles raisons suis-je piquée par les moustiques ? ».

Cela englobe plusieurs aspects. Premièrement, nous nous habituons à la piqûre des moustiques de nos maisons. Lorsqu'une femelle vous pique, elle recrache de la salive contre laquelle votre corps va chercher à se protéger. Vous vous immunisez ainsi vis-à-vis de sa salive, raison pour laquelle vous ne ressentez plus les piqûres ultérieures. En revanche, en vous rendant à dix kilomètres de chez vous, vous allez penser qu'il y a plus de moustiques, alors que ce ne sont tout simplement pas les mêmes que ceux qui sont chez vous.

Il n'existe pas non plus de « peaux à moustiques ». Il y a plusieurs années, nous avons procédé à un test sur des jumelles monozygotes : elles ont été piquées différemment par les moustiques alors que, génétiquement, elles sont identiques. Nous ne savons donc pas quelles molécules entrent en jeu. En revanche, si vous avez de la fièvre, un moustique ne viendra généralement pas vous piquer, parce que le sang est trop chaud et il ne peut pas le refroidir. C'est comme lorsque vous buvez de l'eau chaude.

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Je pensais aussi à toutes les idées fausses, comme celles concernant l'attraction des moustiques par la lumière. Pourriez-vous expliquer ce qui attire le moustique vers l'être humain ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

Ce qui attire beaucoup les moustiques, c'est le CO2, c'est-à-dire le dioxyde de carbone qui émane de nos corps. C'est d'ailleurs une stratégie utilisée en laboratoire pour stimuler les femelles. Nous installons des femelles moustiques à l'intérieur d'une boîte et, lorsque nous approchons du CO2, elles se mettent à bouger dans tous les sens. C'est très visible.

Elles sont aussi attirées par les vêtements noirs et la transpiration, en particulier au niveau des pieds et des chevilles.

Concernant la lumière, cela dépend des moustiques. S'ils piquent durant la journée, ils sont attirés par la lumière. Mais s'ils piquent la nuit, ce n'est pas le cas. Il faut faire la distinction entre les deux.

Pendant un cyclone, avec des vents de plus de 100 km/h, la densité de moustiques est-elle plus faible ? Dans les faits, le moustique adulte meurt. Mais les larves sont toujours là. Et lorsque les pluies se déclenchent, elles génèrent des gîtes larvaires où les moustiques pondent et vont proliférer.

Les moustiques pondent-ils dans les piscines ? Dans les piscines actuelles, les moustiques ne pondent pas, parce qu'il y a du chlore. Il n'est donc pas nécessaire de bâcher les piscines pour éviter les moustiques. En revanche, les moustiques pondent dans des gouttières bouchées. Il est important de nettoyer les gouttières, qui représentent presque 50 % des gîtes larvaires potentiels dans une maison, car, comme elles sont en hauteur, nous n'y pensons pas.

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La climatisation a-t-elle un effet sur les moustiques ?

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Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs »

La climatisation a un effet d'endormissement sur le moustique, mais elle ne le tue pas. Lorsqu'il fait froid, le moustique s'endort. Aussi, dès que la climatisation s'arrête, il va se réveiller.

La température a un effet très important. Dans nos insectariums, la température du sas d'entrée est à 4°. Nous sommes donc obligés d'y rester un peu de temps entre notre entrée et notre sortie, afin d'éviter de faire entrer ou sortir des éléments indésirables. Et ce n'est pas évident de ne pas tomber malade à cause de cette température !

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Au nom de la commission, je vous remercie très sincèrement pour la qualité de l'échange de ce matin.

La réunion s'achève à dix-heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 9 heures 40

Présents. – Mme Ramlati Ali, Mme Delphine Bagarry, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Valérie Thomas

Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, Mme Françoise Dumas, M. Benoit Simian, M. Jean-Louis Touraine