Intervention de Anna-Bella Failloux

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 9h30
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Anna-Bella Failloux, directrice de recherche à l'Institut Pasteur et responsable de l'équipe « Arbovirus et insectes vecteurs » :

En dehors de la recherche, la formation est extrêmement importante. Actuellement en France, il n'existe plus de Master d'entomologie médicale. Il y a aussi très peu de cours d'entomologie médicale en France – et en Europe en général. Les Américains investissent davantage en entomologie médicale que les Européens, parce qu'ils ont subi la crise du « West Nile Virus », du virus du Nil occidental, qui a tué beaucoup de personnes. La faune sauvage a presque été décimée, en particulier certaines espèces d'oiseaux qui n'existent quasiment plus. Ils savent qu'ils sont très vulnérables à certaines maladies, et ils investissent donc beaucoup d'argent.

En France, il faudrait investir davantage sur la formation, de manière que l'entomologie médicale suscite une vocation chez les jeunes. L'entomologie comprend beaucoup de travaux sur le terrain. Ce n'est pas très technologique. Si vous voyez des personnes fouiller dans les poubelles, les décharges, ou dans des pneus, ce sont des entomologistes qui cherchent des larves de moustiques. Dans un pays aussi beau que Mayotte par exemple, tout le monde ne va pas chercher dans les poubelles ! En conséquent, nous allons sélectionner des personnes passionnées, qui aiment le contact avec le vivant.

Ensuite, l'entomologie nécessite des études longues et difficiles, pour travailler dans des conditions de laboratoire également difficiles. Par exemple, nous avons déjà travaillé dans des laboratoires de sécurité biologique de niveau 3. Cela implique le port quotidien d'une combinaison intégrale avec masque, lunettes de protection et deux paires de gants, dans un laboratoire où il fait 25° car le moustique n'est pas actif en dessous de cette température. La femelle est toujours vivante, mais elle ne bouge pas et ne mange pas. Ces conditions ressemblent donc à une plongée de 100 mètres sous la surface de l'eau, pendant quatre heures ! Elles sont difficiles, et c'est pour cette raison qu'il n'y a pas tellement de vocations.

Il n'y a pas non plus assez de recrutements. Les entomologistes passent après les chercheurs travaillant sur le cancer ou sur des maladies liées au vieillissement, dont les recherches nécessitent des laboratoires « high tech ». Elles sont aussi soutenues par un système d'évaluation du milieu scientifique qui privilégie ce type de sciences. Tout est lié. Il suffirait simplement d'une volonté politique pour que cette situation change, parce que nos systèmes d'évaluation sont très sensibles à l'aspect « technologie ».

La piste de recherche que je privilégie consiste à trouver un moyen de contrôler l'expansion des moustiques. Nous ne pouvons pas parler d'« éradication », c'est impossible. Mais il faut contrôler leur densité, afin de l'abaisser jusqu'à un niveau compatible avec un faible risque de transmission et d'épidémies. Le fait d'être piqué est un autre souci.

Pour cela, nous travaillons sur le moustique directement. Une fois que la femelle est infectée, elle est contaminée pour toute sa vie. Chaque fois qu'elle pique, elle transmet le virus. Et lorsqu'il s'agit du chikungunya, nous avons évalué à dix milliards le nombre de particules de virus présentes dans chaque moustique tigre. Et comment un moustique survit avec dix milliards de particules virales ? En réalité, son immunité ne réagit pas, ou très peu. Il tolère cette quantité de virus qui l'agresse. Une fois que le virus est dans un organisme, il a besoin de s'alimenter. Et pour assurer son développement et sa prolifération, il détourne tout ce qui est contenu dans les cellules. Certains pans de la recherche essaient donc de créer un moustique dont l'immunité serait beaucoup plus forte, et serait ainsi déclenchée dès l'arrivée du virus dans le tube digestif.

C'est une des pistes de recherche qu'il faut explorer. Et elle a forcément nécessité un travail important en amont afin de détecter les points faibles du cycle du moustique. Ce type de recherche ne se fait pas en un claquement de doigts.

À la télévision, nous voyons parfois qu'en cas d'épidémie, certaines personnes sont formées en quatre heures pour asperger de l'insecticide sur des gîtes larvaires. Il ne faut pas faire ça, parce que cela a créé des populations de moustiques résistantes aux insecticides. Certaines personnes vont même mettre de l'insecticide à des endroits où il n'y a pas de moustique tigre. Mais elles ne sont pas coupables, parce qu'elles ne connaissent pas la biologie du moustique. Avant de proposer des moyens de contrôle, la connaissance en amont de la biologie des moustiques est indispensable.

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