Intervention de Louis Lambrechts

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 11h30
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Louis Lambrechts :

Pour commencer, je rappelle que le terme « arbovirus » vient de la contraction de l'expression en anglais « arthropod borne virus » ce qui signifie « virus transmis par les arthropodes ». Ce terme regroupe en fait un ensemble assez vaste de virus qui ont une aptitude particulière : celle d'infecter en alternance un hôte vertébré, souvent un primate ou un oiseau, et un hôte invertébré qu'on appelle un vecteur, qui peut être un moustique bien sûr, mais aussi une tique ou d'autres insectes hématophages.

Les arbovirus sont généralement transmis dans un cycle que l'on appelle « sylvatique » entre des primates non humains et des moustiques forestiers. Mais, à la faveur d'un moustique qu'on appelle « bridge » qui fait le pont justement entre les hôtes non humains et les hôtes humains, un virus peut passer dans la population humaine, où il va créer un cycle de transmission humaine qui est pris, quant à lui, en charge par des moustiques domestiques, des moustiques qui vont piquer essentiellement l'Homme. C'est de cette façon que les arbovirus émergent.

Les arbovirus émergents peuvent constituer un grave problème de santé publique, comme vous le savez bien. Parmi les exemples que nous pouvons citer, il y a bien sûr celui de la dengue, qui est de loin l'arbovirus le plus prévalant à travers le monde, puisque l'on pense qu'il présente un risque pour plus de la moitié de la population humaine. Quatre milliards de personnes sur la planète sont exposées à la dengue. Chaque année, on recense au moins 100 millions d'infections symptomatiques.

Un autre arbovirus assez emblématique de l'émergence soudaine et brutale est l'exemple du virus Zika, qui était quasiment inconnu jusqu'en 2007 et qui a affecté 87 pays entre 2007 et 2018 lors de son émergence à l'échelle mondiale. Pour la seule année 2016, qui était l'année du pic de l'épidémie en Amérique latine, on a compté plus de 500 000 cas documentés.

Un autre exemple est celui de la fièvre jaune qui est peut-être le plus ancien des arbovirus émergents. C'est un virus extrêmement dangereux pour lequel nous avons un vaccin extrêmement efficace mais qui, malgré cela, cause chaque année environ 200 000 cas et 30 000 morts.

On estime que trois grands facteurs sont responsables de l'émergence des arbovirus :

Pourquoi l'urbanisation est-elle un facteur d'émergence des arbovirus ? Parce que l'urbanisation favorise les moustiques domestiques qui s'épanouissent dans l'environnement humain, notamment deux d'entre eux, Aedes aegypti et Aedes albopictus, les deux plus redoutables vecteurs d'arbovirus. Ces moustiques se développent dans des récipients artificiels, tels que des pots abandonnés à l'arrière des jardins, des bidons, des parpaings, des pneus usagés. Chaque fois qu'il y a un peu d'eau qui s'accumule dans un récipient artificiel, ces moustiques sont capables de venir y pondre leurs œufs et de se développer.

Par ailleurs, ces moustiques ont aussi une préférence très forte pour l'Homme, c'est‑à-dire qu'ils piquent quasiment exclusivement les humains. Ils piquent durant la journée. Nous ne pouvons donc pas vraiment nous en protéger avec des moustiquaires. Enfin, leurs œufs sont résistants à la dessiccation, ce qui leur permet aussi de survivre aux saisons froides et sèches.

Le plus redoutable peut-être de ces moustiques est Aedes aegypti, le moustique dit de la fièvre jaune, mais qui est aussi le vecteur principal de la dengue, du chikungunya et du Zika. Ce moustique est en fait originaire d'Afrique. Il s'est répandu à travers la planète au cours des derniers siècles. À l'heure actuelle, il est rencontré quasiment dans toute la ceinture tropicale et dans certaines régions subtropicales, comme la Californie ou le nord de l'Australie. En fait, il a profité du développement du commerce des esclaves entre l'Afrique et les Amériques, après la découverte du Nouveau Monde, pour faire une sorte d'auto-stop ou plutôt de bateau-stop. Il était capable de traverser l'océan dans les bateaux qui transportaient les esclaves et dont les tonneaux d'eau potable fournissaient le gîte et le couvert aux moustiques. Le virus de la fièvre jaune a fait partie du voyage. Il a ainsi pu traverser l'Atlantique et se répandre du côté américain, puis en Europe et en Asie.

On pense que le moustique Aedes aegypti est responsable de l'émergence de la dengue ces dernières années. Entre 1995 et 2010 environ, le nombre de régions infestées par Aedes aegypti a triplé. En même temps, l'incidence de la dengue à travers le monde a également triplé. Cela reste une corrélation, mais on pense que Aedes aegypti a vraiment été un moteur de l'expansion de la dengue au cours des années 1990 et 2000, à l'époque où elle est devenue un problème majeur de santé publique.

Le deuxième moustique très important est Aedes albopictus, le moustique tigre. Ce moustique est originaire d'Asie C'est la raison pour laquelle on l'appelle souvent le moustique‑tigre asiatique. Il est originaire des jungles d'Asie du Sud-Est et, contrairement à son cousin Aedes aegypti, il s'est répandu à travers la planète au cours des dernières décennies et non pas des derniers siècles, donc de manière encore plus fulgurante. On estime que ce moustique est parmi les espèces les plus invasives au monde. La différence avec Aedes aegypti est que Aedes albopictus est capable de coloniser non seulement des régions tropicales, d'où il est originaire, mais également des régions tempérées, que ce soit en Amérique du Nord, en Europe ou en Asie.

Il a profité des moyens modernes de transport pour se répandre à travers la planète, non pas par les navires à voile de l'époque de la traite des esclaves, mais grâce aux cargos qui font des traversées transocéaniques. On pense notamment qu'il a beaucoup profité du commerce international de pneus usagés, puisque le moustique pond ses œufs dans les pneus usagés où il reste toujours un peu d'eau et, même si l'eau s'évapore, les œufs peuvent résister un certain temps à la dessiccation. Une fois de l'autre côté de la planète, une nouvelle pluie va faire éclore ces œufs et relancer un cycle de vie.

Ce moustique a colonisé depuis les années 1990 un nombre incalculable de régions à travers le monde, sur tous les continents. C'est en particulier lui qui est responsable des cas de transmission locale d'arbovirus en France et en Europe, de manière générale, puisque c'est le seul des deux vecteurs majeurs d'arbovirus qui est présent en Europe – à l'exception de l'île de Madère, qui est rattachée au Portugal mais est plutôt en région subtropicale. Aedes albopictus a été responsable de cas de chikungunya, de dengue et de Zika dans le sud de la France, en Italie, en Espagne et en Croatie au cours de ces dernières années.

En essayant de projeter l'aire de répartition de ces deux moustiques, Aedes aegypti et Aedes albopictus, à travers des modèles de prédiction climatique qui prennent en compte notamment le réchauffement climatique, on pense que les zones qui sont infestées par ces deux moustiques vont augmenter dans les années à venir. Selon que l'on prend un scénario plutôt optimiste ou plutôt pessimiste, on prévoit que les aires de répartition de ces moustiques vont augmenter de 2 % à 9 % d'ici 2080.

Quelles sont les méthodes de lutte contre ces moustiques ? Actuellement, différentes méthodes de lutte sont utilisées. Elles sont toutes basées sur l'utilisation d'insecticides qui peuvent agir à différents niveaux du cycle de vie.

Ils peuvent agir au niveau des stades immatures, c'est-à-dire du développement larvaire puisque le moustique a, après éclosion de l'œuf, quatre stades larvaires et un stade final qui s'appelle la nymphe. Ces stades immatures sont aquatiques. Lorsque l'on arrive à accéder aux sites où le moustique se développe, à ces gîtes larvaires, on peut utiliser différents insecticides.

D'autres méthodes s'attaquent aux adultes et aux différentes étapes du cycle de vie de l'adulte, c'est‑à‑dire l'émergence, la reproduction, l'alimentation sucrée, l'alimentation sanguine, les interactions avec les virus, les phases de repos et évidemment la ponte. Toutes ces étapes sont susceptibles d'être des cibles pour les insecticides, que ce soit par l'épandage d'insecticides dits résiduels qui vont rester dans l'environnement, par la pulvérisation locale d'insecticides au niveau des gîtes larvaires ou des sites où les adultes se trouvent ou par les protections personnelles de type répulsif.

Toutes ces méthodes sont, d'une manière ou d'une autre, menacées par l'évolution de la résistance aux insecticides, quelle que soit la forme que prend cette résistance. Cela peut être une mutation de la cible de l'insecticide. Cela peut être ce qu'on appelle une évolution de l'imperméabilité de la cuticule, c'est-à-dire que, finalement, l'insecticide ne perturbe plus la physiologie des moustiques parce qu'il n'arrive pas à pénétrer leur cuticule. Cela peut être ce qu'on appelle la résistance métabolique par détoxification des molécules insecticides. Enfin, cela peut être ce qu'on appelle la résistance comportementale où le moustique, d'une manière ou d'une autre, évite le contact avec l'insecticide.

En plus des méthodes existantes, il y a évidemment un grand nombre de méthodes en cours de développement. Ces stratégies peuvent, elles aussi, viser les stades larvaires ou le stade adulte. Ces méthodes en cours de développement se situent à différents stades d'avancement. Certaines sont au stade du concept tandis que certaines sont déjà au stade d'essais sur le terrain, l'équivalent des essais cliniques pour les vaccins ou les médicaments.

Parmi les plus prometteuses, on peut citer les méthodes qui sont basées sur le biocontrôle, c'est-à-dire qui utilisent des agents microbiens pour contrôler les moustiques. Cela peut être des champignons entomopathogènes. Cela peut être une bactérie qu'on appelle Wolbachia et qui a plusieurs propriétés intéressantes. Elle manipule notamment la reproduction des moustiques et elle peut en plus interférer avec la transmission des virus.

Il y a également le développement d'insecticides de nouvelle génération, finalement rien d'autre que de nouvelles molécules qui sont sujettes aux mêmes problèmes que les insecticides traditionnels, mais qui, d'une manière ou d'une autre, vont peut-être retarder un peu l'apparition de la résistance.

Enfin, il y a toutes les techniques basées sur la transgénèse, c'est-à-dire la manipulation génétique des moustiques. Soit on rend les moustiques stériles pour éliminer la population, soit on rend les moustiques incapables de porter les virus.

Toutes ces méthodes sont souvent couplées avec des stratégies de forçage génétique puisque, pour faire se répandre par exemple la bactérie Wolbachia ou un gène de résistance au virus à travers une population, il faut pouvoir le propager plus rapidement que par l'hérédité classique. On utilise des « gene drives », des systèmes de forçage génétique qui vont tricher quelque peu avec les lois de l'hérédité et permettent à ces constructions de se répandre plus rapidement.

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