Oui ! Les pistes de recherche qui mériteraient d'être plus soutenues sont, je pense, des pans entiers de la science qui sont aujourd'hui considérés comme un peu obsolètes ou poussiéreux parce qu'ils font appel à des démarches naturalistes dont on considère qu'elles sont d'un autre âge : tout ce qui est étude au long terme un peu naturaliste au sens observation à travers des observatoires. Ces programmes de recherche, parce qu'ils sont longs et donc coûteux, que l'on n'a aucune garantie de succès, sont abandonnés au profit de méthodes court-termistes qui consistent à financer sur trois, quatre ou cinq ans des programmes très ciblés, mais qui s'arrêtent ensuite ou qui ne vont pas forcément avoir de suite.
Je pense que pour étudier des phénomènes aussi compliqués que l'émergence des arbovirus, il faut vraiment un suivi à long terme. On ne peut pas comprendre en réagissant dans l'urgence comme on le fait à chaque fois, pour Zika, pour Ebola, pour le coronavirus. Nous réagissons dans l'urgence mais nous n'avons aucune connaissance à long terme des écosystèmes qui favorisent ce genre d'émergence. Je pense que, s'il fallait investir dans un domaine, ce serait justement dans ces observatoires naturalistes où l'on étudie l'écologie et l'histoire naturelle des arbovirus et des pathogènes émergents en général.
C'est également associé, je pense, à un effort qu'il faut maintenir pour conserver des compétences traditionnelles, elles aussi considérées comme un peu désuètes, comme la taxonomie. Savoir identifier des moustiques, alors qu'ils sont ma spécialité, je n'en suis plus capable. Je sais à peine reconnaître les moustiques sur lesquels je travaille. Mais il y a des milliers d'espèces et cette connaissance fine de la taxonomie, savoir identifier un spécimen sur le terrain, est une expertise qui est en train de se perdre. Si l'on veut pouvoir comprendre les phénomènes d'émergence et développer des méthodes de lutte qui soient ajustées aux différentes situations à travers le monde, il faut conserver cette compétence. Les taxonomistes constituaient autrefois le gros des bataillons de la science naturaliste au Muséum national d'histoire naturelle et dans d'autres institutions mais ces gens-là sont une espèce en voie d'extinction.