Intervention de Philippe Desprès

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 14h30
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Philippe Desprès, professeur et chef de l'unité « Interactions Moléculaires Flavivirus-Hôtes » de l'Institut Pasteur :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vais vous présenter rapidement mon parcours sur ces virus que l'on appelle « arbovirus » :ce nom étrange est en fait un acronyme anglais, qui ne correspond pas à un virus particulier, mais à un ensemble de virus, souvent très différents, qui ont le point commun d'être transmis par des agents vectoriels, qu'ils soient moustiques ou tiques. J'ai baigné dans ces virus très tôt, dès 1988, année au cours de laquelle j'ai passé une thèse sur la fièvre jaune à l'Institut Pasteur, à Paris, et en même temps, à Paris VII. J'ai eu l'opportunité de faire un séjour doctoral sur ce type de virus, à la John Hopkins Medical School de Baltimore chez le professeur Diane Griffin, qui est actuellement vice-présidente de l'Académie nationale des sciences des États-Unis. J'ai obtenu l'habilitation à diriger des recherches (HDR), il y a maintenant vingt ans, à propos duvirus de la dengue.

J'ai donc une carrière en deux phases. De 1991 à 2015, j'étais permanent à l'Institut Pasteur, toujours sur la thématique des arbovirus, étant responsable, pendant plus de douze ans, d'une unité de recherche « Interactions moléculaires flavivirus-hôtes »qui était dédiée aux arbovirus. J'ai eu aussi l'opportunité, de 2008 à 2012, d'être directeur du centre national de référence des arbovirus (CNR), qui était sous la tutelle de l'Institut de veille sanitaire (InVS). Lors de mon mandat, nous avons identifié pour la première fois les cas autochtones de dengue et de chikungunya, en 2010, dans le sud. C'étaient les premières manifestations de l'introduction de ces virus qui sont normalement de zones tropicales. Sur cette période, jusqu'à mon départ en 2014, j'étais associé dans un petit consortium qui était centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les arbovirus et virus des fièvres hémorragiques. Je suis aussi actuellement consultant pour l'OMS.

Pour différentes raisons, j'ai décidé de me diversifier et j'ai eu l'opportunité, sous l'impulsion du professeur Jean-François Delfraissy et du professeur André Syrota, de créer une nouvelle unité de recherche mixte, sur l'écosystème des pathogènes, mais aussi vers la recherche plus académique, et qui a été à la base de la création d'une unité de recherche dénommée PIMIT (Processus infectieux en milieu insulaire tropical) en 2015. Ce sera une équipe assez pionnière puisqu'elle regroupe des thématiques et des expertises assez différentes. J'ai eu l'opportunité d'être associé à sa création et d'être responsable d'une équipe, en apportant mes expertises menées depuis trente ans à l'Institut Pasteur, toujours sur les arbovirus. Nous avons été évalués récemment, en 2019, par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) et différents conseils scientifiques de nos autorités de tutelle, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et l'université de La Réunion. Nous avons été reconduits pour quatre ans - ce qui constituera d'ailleurs mon dernier mandat. Je suis responsable d'équipe, nous travaillons sur le virus Zika et sur la dengue. Mon parcours et mon expérience sont onc pratiquement entièrement dédié aux arbovirus.

Pendant trente ans, j'ai exercé à l'Institut Pasteur, en tant que responsable d'unité, une unité consacrée à l'étude des pathogènes – spécialisation acquise grâce à l'apprentissage auprès de mes anciens collègues, une tradition pasteurienne. J'ai pu travailler sur le chikungunya, la fièvre jaune, la dengue, l'encéphalite japonaise, la fièvre de la vallée du Rift présente dans l'océan indien, des alphavirus comme le Sindbis, le virus West Nile et le Zika qui nous intéressent.

Cela constitue une approche dite de virologie moléculaire, selon cinq thématiques : une meilleure compréhension du virus au niveau moléculaire : comprendre l'interaction entre l'hôte et son pathogène, les mécanismes de pathologie ; comprendre comment ces virus peuvent-ils rendre malade,pourquoi l'organisme réagit plus ou moins bien à une infection virale. Ces réflexions sont couplées à une meilleure définition du diagnostic qui pose souvent problème. Beaucoup de ces virus sont proches : le diagnostic viral est souvent complexe et peut être faillible. Un aspect est bien sûr lié à la prévention et à la thérapie, qui est le développement vaccinal.

J'ai développé ces cinq thèmes pendant ma période à l'Institut Pasteur et je les ai apportés à l'unité PIMIT, qui est dirigée par Patrick Mavingui et qui regroupe deux équipes. Une équipe « dynamique des systèmes infectieux insulaires » (DYSIIS) qui s'intéresse à l'écologie et à la surveillance des maladies émergentes, dans les espèces animales, y compris les chauves-souris, dans tout l'océan Indien. Mon équipe « mécanismes moléculaires et cellulaires des agents biologiques infectieux » (MOCA), qui est plus dédiée à une recherche sur le pathogène et à des moyens de lutte en développant différentes stratégies.

En 2015, nous avons l'opportunité de travailler sur le Zika, alors que ce virus ne concerne actuellement pas La Réunion. En fait, nous avons toujours eu la crainte, et nous l'avons toujours, de son introduction. Avec des collègues de l'IRD, à Montpellier, nous avions commencé à travailler sur un pathogène que connaissaient historiquement les spécialistes, mais dont nous ne connaissions rien. Il a commencé à émerger et à poser problème, alors que la somme de connaissances à son sujet était extrêmement limitée. Ainsi, en peu d'années, le nombre de connaissances sur ce virus a été multiplié par dix, grâce à la mise en place de « task forces » au niveau international, face à cette émergence. Nous sommes concernés aussi, à La Réunion, par le virus de la dengue, puisque nous sommes en situation épidémique depuis maintenant plus de deux ans, avec différents sérotypes introduits.

Les deux finalités et les deux grands axes qui caractérisent mon équipe MOCA sont donc la connaissance sur l'agent étiologique de l'infection et la stratégie de lutte contre l'agent infectieux. Les thèmes que nous développons sur ces deux types de virus – nous allons parler aujourd'hui plus précisément du virus Zika – sont de comprendre quel est le pouvoir pathogène du virus. Nous verrons pourquoi ce virus que l'on connaît depuis soixante-dix ans est devenu subitement un virus pathogène pour l'Homme et responsable de maladies très graves. Les syndromes congénitaux du Zika touchent les nouveau-nés et l'embryon. Nous essayons de comprendre la réponse de l'hôte à l'infection. Comment un hôte répond-il à cette infection en termes de réponse immunitaire ? Comment le virus arrive à contrebalancer ces réponses de défense de l'hôte, ce qui amène la problématique de sa virulence ? À l'époque, nous n'avions pratiquement rien sur le virus Zika. Il a fallu développer des outils de détection, améliorer le diagnostic de la maladie. L'une des finalités de nos recherches est de proposer des stratégies de lutte, qui sont classiquement les développements de vaccins, ceux que nous avons faits, mais aussi tirer profit de la biodiversité de La Réunion pour étudier les propriétés des plantes médicinales. Nous avons beaucoup travaillé sur ce point, beaucoup publié, déposé des brevets, et grâce à la biodiversité des plantes médicinales de La Réunion, nous avons pu trouver des principes actifs contre le virus Zika et contre le virus de la dengue. Voici les quatre thèmes qui sont développés.

Qu'en est-il aujourd'hui de l'équipe MOCA ? Elle a été recréée, selon le processus de l'Hcéres, le 1er janvier, pour une durée de quatre ans.

Nous essayons de comprendre les facteurs viraux et cellulaires qui expliquent pourquoi ce virus est virulent et pathogène chez l'Homme.

Nous venons de développer un deuxième axe qui a son importance dans l'océan indien, en particulier à La Réunion. La comorbidité joue un rôle dans le cadre du virus Zika et de la dengue. Dans notre cas, à La Réunion, nous sommes en épidémie de diabète et de maladies associées aux désordres du métabolisme. Nous voyons l'impact de ces désordres du diabète sur l'infection, mais aussi les formes sévères de l'infection par ces virus. C'est donc un thème qui est maintenant très en vogue :aller plus loin qu'une relation directe entre l'individu en conditions saines, ce qui ne veut rien dire en lui-même, et l'infection viraleÀ La Réunion, la problématique du diabète est travaillée par nos collègues dans une unité mixte de recherche Université de La Réunion et Inserm. Nous travaillons ensemble pour essayer de mieux comprendre l'impact. Est-ce que le virus en lui-même va exacerber des troubles existants du métabolisme ? Le métabolisme en lui-même va-t-il favoriser la persistance du virus ? Ce sont des sujets très importants qui amènent une autre dimension de l'infection virale. Il s'agit également de mieux comprendre la réponse de l'hôte à l'infection virale et de développer des modèles in vitro, qui sont des cultures cellulaires, et in vivo, des modèles de petits rongeurs ou de singes.

Disposant de ces thèmes, il est important que nous puissions tester et proposer des luttes anti-infectieuses. Nous avons la particularité sur l'île de La Réunion, mais dans l'océan Indien en général, à Mayotte comme à Madagascar, de disposer d'une biodiversité remarquable, unique au monde, qui est une source d'informations, mais aussi de ressources. Nos collègues de formation chimiste ont pu identifier des composés et des plantes qui manifestent une activité antivirale tout à fait remarquable, qui ont été publiés, mais aussi brevetés par Inserm Transfert.

Nous avons développé des candidats vaccins contre le Zika qui sont au stade préclinique, testés chez l'animal. Il s'agit soit des virus atténués – grâce au génie génétique, nous sommes capables de les modifier, de mieux comprendre – soit des structures dites composés viraux, avec lesquelles on exprime certaines parties du virus qui sont capables d'induire une immunité protectrice lors d'une vaccination.

Nous avons donc une double casquette pour comprendre le virus, l'interaction avec son hôte et également de développer des stratégies de lutte contre ces pathogènes.

Les arbovirus ne sont pas vraiment un genre de virus. Ils regroupent des virus qui ont des propriétés communes, mais qui sont extrêmement variables. Il y en a des milliers.

Il y a un petit groupe, qu'on appelle les flavivirus, « flavius » pour « jaune », parce que la fièvre jaune est le prototype, qui regroupent des virus très proches qui sont d'une très grande importance en termes de santé humaine : la dengue, la fièvre jaune qui est connue depuis très longtemps, l'encéphalite japonaise, le virus du Nil occidental ou West Nile, et tout récemment le Zika, qui ne représentait pas un problème de santé publique jusqu'en 2017,.

Parmi les 70 membres du genre Flavivirus, un certain nombre émerge. Le virus West Nile est devenu un problème de santé publique à la fin des années 1990, avec son introduction en Amérique du Nord et les conséquences induites. Certains virus sont connus depuis longtemps. Ils ont des niches en Afrique, dans le bassin méditerranéen ou en Asie, jusqu'au jour où, pour des raisons multiples, ils deviennent pathogènes pour l'homme et émergent. Ils diffèrent ainsi du coronavirus Covid-19, où il me semble que l'émergence est liée à un contexte de contact, de zoonose – les zoonoses sont des virus que l'on retrouve dans des espèces animales, qui sont soit des réservoirs, soit des hôtes amplificateurs, qu'ils soient des primates ou des espèces aviaires. Nous connaissons globalement ces virus, mais ils sont dans un contexte d'évolution et de pathogénicité pour l'Homme.

Le plus bel exemple en est la dengue. La dengue était connue depuis très longtemps ; elle a commencé à devenir une maladie émergente au cours du XIXème siècle, mais surtout après la deuxième moitié du XXème siècle, avec des épidémies et des formes de plus en plus sévères.

Il faut donc être extrêmement vigilant, puisque soit ces virus changent et sortent de leur niche écologique habituelle, soit, pour des raisons multiples, ils évoluent en termes de pathogénicité, c'est-à-dire qu'ils deviennent plus virulents. Nous sommes alors confrontés à de nouveaux problèmes.

Nous sommes rarement dans la découverte d'un nouveau pathogène comme Ebola ou le nouveau coronavirus. Dans notre cas, le Zika est transmis par les moustiques Aedes. Mes collègues de l'Institut Pasteur vous ont expliqué le contexte de la propagation par les moustiques. Nous avons, comme réservoir, en Afrique, les primates. Zika a été classé d'importance médicale à partir de 2007.

Je vais vous présenter un historique de Zika et des épidémies qu'il a provoquées chez l'Homme.

En 1947, lors d'une étude générale sur la fièvre jaune en Ouganda, des médecins britanniques ont identifié pour la première fois le virus Zika et l'ont isolé à partir d'un singe. À partir des années 50 jusqu'à 2006, il a été constaté une circulation « à bas bruit » du virus Zika, surtout en Afrique de l'Ouest, mais aussi en Afrique australe. Globalement, on a eu affaire à quelques cas humains sporadiques de fièvres indifférenciées. Comme on dit en Afrique, on a eu le Zika, comme une mauvaise grippe. Comme beaucoup d'arboviroses, c'est sans conséquence.

D'un point de vue phylogénétique, c'est-à-dire la phylogénie de ces virus, il existe un type africain et un type asiatique de Zika. Les chercheurs pensent que le Zika est originaire d'Afrique et que probablement, entre la fin de la seconde guerre mondiale et les années 1960, il est apparu en Asie et s'y est diffusé, du sous-continent indien jusqu'à l'Asie du Sud-Est, dans des pays tels que le Vietnam, le Cambodge ou les Philippines. Ce virus ne concernait finalement que les spécialistes de ces virus, mais ne présentait aucun problème de santé publique.

De façon étonnante, en 2007, une épidémie humaine est apparue en Micronésie, sur l'île de Yap, reliée au génotype asiatique, qui circulait depuis cinquante ans. Plusieurs centaines de cas humains ont été constaté, ce qui semble modéré, mais qui correspond quand même à 30 % de la population de l'île de Yap. Cette première épidémie a été très étonnante. Il y a eu une accalmie et en 2013-2015, s'est produite une épidémie importante en Polynésie française, toujours avec le même virus. Nous avons eu 30 000 cas humains, principalement à Tahiti, soit un tiers de la population. On a constaté une évolution de la pathologie, puisque nous avons vu pour la première fois des syndromes de Guillain-Barré, qui sont des maladies neurologiques auto-immunes dont on connaît mal l'origine, des maladies induites par plusieurs types de virus ou des maladies auto-immunes non infectieuses. Elle était décrite lors de l'infection par ces patients. De façon étonnante, un risque de transmission mère-enfant a été identifié. Le virus a été détecté dans les fluides corporels et, pour la deuxième fois après les États-Unis, aussi dans les fluides séminaux, ce qui est assez étonnant, et dans les urines.

2014 est la date probable où le virus a été introduit en Amérique du Sud. Le foyer initial est probablement le Brésil. Certains ont prétendu que l'origine était liée à la coupe du monde de football ou aux Jeux Olympiques ; mais d'après les chercheurs brésiliens, à l'occasion d'une manifestation sportive entre les îles polynésiennes et le Brésil, des personnes infectées auraient introduit le virus au Brésil. Il est quasiment identique, en sachant qu'auparavant, il y a eu une petite épidémie dans les Galápagos, progressant du Pacifique jusqu'au continent sud-américain.

Alors que le virus n'existait pas dans les Amériques, l'introduction de ce virus Zika en provenance d'Asie a conduit à une flambée. Deux ans plus tard, il y avait entre 500 000 et 800 000 cas en Amérique latine et aux Caraïbes, y compris dans les Antilles françaises.

En 2016, l'OMS a décrété une urgence sanitaire internationale. Cette même année, nos collègues chercheurs brésiliens ont observé les premiers cas de microcéphalie dans le Nordeste. Ce sont des enfants qui sont nés avec une circonférence crânienne en moyenne 30 % inférieure à la normale. Les chercheurs ont remarqué qu'il y avait eu plus de cas en quelques mois qu'en quatre ans. Il a été déterminé qu'il y avait une incidence directe entre ces cas de microcéphalie et l'infection Zika chez les femmes enceintes ; elle était responsable de ce que l'on va appeler plus tard le syndrome congénital du Zika, qui pose un grand risque pour les femmes en âge de procréer et surtout pour les femmes enceintes.

Un variant de ce virus a ensuite émergé et s'est propagé, avec paradoxalement un retour épidémique vers les îles du Cap-Vert et en Afrique où le virus était déjà présent, mais pas ce variant particulièrement virulent. Il a connu ensuite une propagation générale aux Amériques, y compris en Amérique centrale, aux Caraïbes, à Cuba ; les signalements sont assez récents. Il y a eu des flambées à Singapour, en Guinée-Bissau, en Angola et en Inde. Sa présence en Inde, qui a des relations privilégiées avec les autres pays de l'océan Indien, y compris l'île Maurice, nous a fait craindre un risque d'introduction à La Réunion.

Depuis, le virus Zika s'est calmé en termes de flambées. Il y a toujours un timing de type médiatique autour du virus, il faut faire très attention. On peut avoir des périodes un peu silencieuses, puis des résurgences qui peuvent réapparaître à tout moment. Pour l'instant, nous nous trouvons dans une période d'accalmie après ces flambées ; mais globalement ces flambées ont été responsables d'une propagation pratiquement globale au niveau mondial. Aujourd'hui, entre 90 et 100 pays sont concernés par la propagation du virus Zika.

Depuis les années 60, les fameuses souches dites du génotype asiatique qui circulent en Asie du sud et en asie du Sud-Est ont évolué : elles sont assez éloignées des souches africaines, qui n'ont jamais été responsables d'épidémies ou de cas humains sévères, puis se sont propagées. Nous pensons que ces souches de virus qui ont évolué et ont été responsables des épidémies à Yap et en Polynésie française. Séquencée et étudiée, cette souche est globalement très stable et garde ses propriétés. L'analyse des séquences fait que les chercheurs ont la conviction que c'est la même souche qui a été introduite en Amérique du Sud, à partir de 2014.

Pourquoi une telle intensité en Amérique latine ? Comment se fait-il que ce virus ait provoqué autant de cas et autant de nouveaux syndromes importants, avec ces microcéphalies et autres conséquences ? Il s'agit de l'introduction d'un pathogène qui était absent de l'hémisphère occidental, comme ce qui s'est passé en 1999 avec le virus West Nile, qui est originellement un virus africain introduit en Amérique du Nord et qui s'est ainsi propagé dans une région naïve. La conjonction entre l'existence d'une population « naïve », qui n'était pas immunisée, et surtout la présence d'un vecteur potentiel, Aedes aegypti, qui est le grand vecteur de la fièvre jaune ou de la dengue, a facilité la propagation du virus Zika . L'étude de ces souches qui circulent maintenant depuis trois ans en Amérique latine, a montré que ces virus commencent à évoluer localement. Elles présentent des diversités génétiques assez importantes. Nous avons peut-être, au niveau de l'Amérique du Sud, de nouveaux variants qui seraient maintenant sud-américains.

Comment ce type de virus passe-t-il chez l'Homme ? L'une des principales voies d'infection chez l'Homme est liée à la transmission vectorielle, par la piqûre de moustique. Il existe également des modes d'infection tout à fait particuliers, qui avaient déjà été observés pour le virus West Nile, où la transfusion sanguine ou la transfusion homme à homme est avérée, ce que l'on n'avait pas vu pour ce type de virus. La possibilité de transmission par voie sexuelle, par transfusion sanguine, même si elles restent encore à confirmer, notamment lors d'une des premières étapes de la grossesse, amène à ce que ces virus provoquent maintenant des syndromes qui représentent un vrai impact en santé publique.

La majorité des infections par ces virus sont toutefois asymptomatiques : la majorité des gens infectés n'ont aucun signe clinique. C'est aussi vrai pour la dengue et pour le virus West Nile.. Dans le cas d'une transmission conventionnelle, il y a un consensus de la littérature scientifique pour dire que de 50 à 80 % des gens infectés, et donc porteurs du virus Zika, ne le savent pas. Dans le cas de la dengue, les travaux menés par l'Institut Pasteur du Cambodge ont montré que ces personnes dites asymptomatiques sont de très bons diffuseurs du virus, finalement meilleures que les personnes qui montrent des signes cliniques. En cas d'infections asymptomatiques, il faut donc absolument connaître le pourcentage réel d'infection, ce qui constitue en fait le socle de la pyramide, car ce sont ces individus qui, ne se sachant pas infectés, vont voyager et le propager, en étant eux-mêmes de très bons réservoirs de transmission.

Dans le cas d'une infection symptomatique, les manifestations cliniques sont de type pseudo-grippal et s'apparentent énormément à la dengue et au chikungunya, ce qui pose un problème pour réaliser un diagnostic de visu, puisqu'on peut croire qu'il s'agit de la dengue ou du chikungunya, y compris dans les régions endémiques comme la Polynésie française, l'océan indien ou l'Afrique. Comme le chikungunya a aussi été récemment introduit en Amérique latine, tous ces différents virus s'y retrouvent aussi.

Dans le cas d'une transmission conventionnelle, par les moustiques, de l'ordre de 20 à 50 % d'individus auront des signes cliniques, mais moins de 1 % va évoluer vers des formes un peu plus sévères. Souvent, on parle de comorbidité : ce sont des personnes qui ont des faiblesses ou d'autres infections. Nous avons trouvé un corrélat entre une pathologie virale un peu sévère et les problèmes de maladies du métabolisme.

Le syndrome de Guillain-Barré est, en termes techniques, une neuropathie aiguë périphérique, responsable de paralysies ascendantes, une maladie auto-immune qui est infectieuse ou non infectieuse. Au niveau des transmissions des nerfs périphériques, des anticorps sont générés chez l'individu contre les gangliosides et font que ces neurones sont de mauvais transmetteurs des signaux. On observe des paralysies, surtout des membres inférieurs, qui peuvent être plus ou moins importantes, qui peuvent être récurrentes et disparaître après plusieurs mois et après des traitements et prises en charge, les rendant souvent délicats.

S'il y a très peu de mortalité, le Zika peut provoquer des maladies tout à fait importantes, que l'on retrouve parfois aussi dans le cas de la dengue ou le West Nile, telles qu'une thrombocytopénie marquée, c'est-à-dire une baisse des plaquettes, ou une myocardite, qui est une atteinte du muscle cardiaque, qui peut être transitoire. Le taux de mortalité est extrêmement faible. Le nombre de personnes décédées du Zika directement, par rapport aux millions de cas, est tout à fait marginal. Le syndrome congénital du Zika est tout à fait particulier et est lié à une infection par passage de la mère à l'enfant lors de grossesse.

En termes de pathologies, chez l'adulte, on a quelques manifestations de méningite ou encéphalite, mais les quelques cas notables vont présenter un syndrome de Guillain-Barré. Le patrimoine génétique de l'individu ou son histoire immunologique peut y contribuer. C'est très mal connu, caril y a très peu de spécialistes. Cela a été vérifié une première fois à Tahiti, en Polynésie française, mais aussi en Amérique latine.

La problématique qui se pose désormais, c'est que l'on peut désormais considérer le Zika comme une maladie sexuellement transmissible. Il a été avons observé que ce virus, après des formes aiguës ou asymptomatiques, peut se retrouver dans la population masculine, dans les glandes séminales et peut persister dans le sperme pendant plusieurs mois, selon les individus et l'âge. Nous avons aussi observé une persistance chez la femme au niveau du tractus génital. Il peut donc y avoir une persistance de ce virus, par des mécanismes que nous essayons de comprendre dans des modèles animaux, y compris chez le primate. Chez les jeunes femmes en âge de procréer, il peut y avoir une contamination lors des premières semaines de grossesse. Les scientifiques pensent que les 21 premiers jours de grossesse sont assez critiques dans un risque d'infection, soit classique par un moustique dans les zones endémiques ou épidémiques de Zika, soit, comme nous l'avons vu en France, lors de rapports sexuels avec un partenaire revenant de zones à risque, sans qu'il en ait eu vraiment connaissance de son infection. Dans 20 ou 30 % des cas, la contamination a eu lieu au début de grossesse ; mais lorsqu'elle arrive plus tardivement, elle peut aussi y avoir des conséquences.

Dans le cadre de ce fameux syndrome congénital du virus Zika, qui est multiple, on constate que dans 20 ou 30 % des cas, le virus passe au niveau placentaire et atteint l'embryon dans les premières semaines ; dans 10 % des cas parmi ceux-ci,, des microcéphalies vont se développer. Il s'agit d'enfants dont le volume crânien est à peu près de 30 % inférieur à la normale. On peut s'agir aussi de mortalités intra-utérines, au niveau fœtal, avec des plaques formées au niveau du cerveau. Le virus ayant un tropisme pour les cellules souches neurales, il va complètement bloquer l'évolution du nouveau-né. Il peut avoir à terme des enfants qui présentent, à la naissance, des microcéphalies et généralement, le pronostic est assez engagé dans les prochaines années. Ce sont environ 5 % et les premiers cas ont été observés au Brésil. Ils n'ont pas été observés de façon statistique à Tahiti, lors de l'épidémie précédente, mais ils ont été tout à fait remarquables. Ces infections, qui ont été responsables de malformations extrêmement sévères, observées au Brésil, peuvent être liées en partie à une infection, dans les premières semaines de grossesse, par le moustique ou à une contamination lors d'un rapport sexuel avec un partenaire ne se sachant pas infecté, puisque la persistance dans le sperme peut durer de trois à quatre mois.

Quand ont été observé ces microcéphalies, on a pu penser que les enfants qui naissent indemnes, qui ne présentent pas de microcéphalie, sont saufs. Malheureusement, les études longitudinales, dont le suivi dure maintenant jusqu'à trois ans, montrent qu'il peut y avoir des troubles neuro-développementaux dans 30 % des cas, alors qu'à la naissance, l'enfant est arrivé à terme dans des conditions tout à fait normales. Ces troubles neuro-développementaux peuvent être aussi bien des microcéphalies, qui apparaissent pendant la première année après la naissance, des crises d'épilepsie, des troubles nerveux. Avec ce recul, on commence donc à constater, dans les cohortes qui sont suivies, des problèmes neuro-développementaux. L'infection par le virus, pendant ces premières semaines de grossesse, a eu un impact sur l'évolution du fœtus et de l'embryon qui entraîne des conséquences. Les microcéphalies, qui sont les manifestations les plus importantes, ont caché des troubles neuro-développementaux tout à fait conséquents. Les chercheurs pensent désormais, dans les dernières références bibliographiques, que ce sont à peu près 30 % des enfants qui sont concernés.

Quels sont les pays identifiés à risque pour les voyageurs pour le virus Zika ? J'ai repris les recommandations émises par le Center for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis, en novembre 2019.

En Afrique, dans certains pays, le Zika circule. Il y a deux Zika : le Zika « ancestral », qui n'a jamais posé de problème de santé publique, mais maintenant, le Zika épidémique introduit au départ de l'Amérique latine dans les îles du Cap-Vert et en Angola.

En Asie, on retrouve maintenant ce variant à peu près partout. L'Inde nous concerne au premier chef puisque les contacts culturels de personnes entre l'Inde et le reste de l'océan Indien sont tout à fait marqués. Le risque est potentiel.

Les Caraïbes, l'Amérique centrale, l'Amérique du Nord, y compris les États-Unis, les îles du Pacifique, l'Amérique du Sud mais aussi l'Europe ont connu des cas de transmission mère-enfant..

La France hexagonale est identifiée comme un pays à risque, puisqu'il y a eu des cas de transmissions interhumaines. Il n'y a pas eu, à notre connaissance, de transmission par les moustiques, mais par des personnes qui ont séjourné dans les populations à risque.

Comment se fait le diagnostic en laboratoire ? Classiquement, pour ces infections, il ne faut pas oublier que les cas symptomatiques ne représentent qu'un pourcentage faible.

Avec une contamination traditionnelle, par une piqûre de moustique, on observe, au bout d'une semaine et deux jours, l'apparition de fièvre dans des cas symptomatiques. L'une des caractéristiques est une montée très brutale des fièvres, ce qui est vrai pour la dengue ou le chikungunya, mais était beaucoup moins vrai pour Zika, et où les montées de température sont généralement brutales jusqu'à 38,5 degrés, en très peu de temps. Tout individu qui a eu une dengue, se souvient à quel moment, en quel lieu et ce qu'il faisait lors de la survenue extrêmement brutale de cette fièvre, puisque c'est tout à fait différent d'un virus grippal. Dans le cas de Zika, les manifestations sont beaucoup plus ténues et donc beaucoup plus trompeuses. Lorsque l'on commence à avoir des fièvres, on entre dans ce que l'on appelle la période virémique, où l'on va retrouver le virus dans le sang,, qui peut durer entre quatre à huit jours. Grâce aux techniques moléculaires, comme l'amplification en chaîne par polymérase ( polymerase chain reaction ou PCR), on est capable de faire un diagnostic, aussi bien à partir du sérum, diagnostic le plus traditionnel, mais aussi à partir du liquide céphalorachidien, du sperme et dans les urines. Souvent, on retrouve le virus dans les urines, ce qui laisserait suggérer qu'il pourrait persister au niveau rénal, sujet sur lequel nous travaillons au laboratoire. Ce virus pourrait persister dans des niches biologiques. Hormis les organes reproducteurs, on peut le retrouver aussi probablement au niveau des tubes rénaux et des reins, puisqu'on a une sécrétion permanente dans les urines. Dans le cadre du sperme, ce virus est infectieux.

L'isolement viral peut être fait dans les laboratoires spécialisés. Ensuite, dans une période plus tardive, où le virus disparaît, classiquement, on observe l'apparition d'anticorps, les premiers étant les IgM, que l'on peut capturer par les techniques ELISA (Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay), et qui sont généralement peu spécifiques. Plus tardivement, au bout de deux semaines, on commence à voir les IgG beaucoup plus spécifiques. On est donc dans une sérologie de confirmation par des techniques ELISA qu'il a fallu développer spécifiquement sur Zika que l'on isolait pas jusqu'à maintenant.

Un problème se pose dans le diagnostic de Zika puisque les structures des particules virales entre Zika et la dengue, dans les régions endémiques, sont suffisamment proches pour une antigénicité croisée et pour que les diagnostics IgM et IgG soient peu fiables. Pourquoi ? Parce que les anticorps produits sur Zika sont capables de reconnaître le virus de la dengue. Dans les régions où les deux circulent, le diagnostic différentiel est extrêmement complexe, quand on utilise des méthodes standards. Les kits de diagnostic de la dengue peuvent fonctionner sur Zika et on peut avoir des interprétations de diagnostic. Hormis la PCR, qui est vraiment spécifique de dengue ou de Zika, si on est plus tardif, on peut très bien confondre une dengue avec Zika. L'introduction de Zika, dans une région endémique pour la dengue, peut être masquée. L'une des priorités, notamment de l'OMS, est donc de développer des outils de diagnostic spécifiques des deux virus pour faire un diagnostic différentiel. À l'Institut Pasteur, nous avons développé des outils assez performants, qui nous ont permis de différencier les deux virus à partir des anticorps. Cela a d'ailleurs été utilisé lors de l'épidémie en Polynésie, puisque Tahiti a malheureusement connu, sur une même période, la dengue, le chikungunya et le Zika, par vagues, en quelques mois. L'une des priorités reste tout de même le diagnostic différentiel, surtout dans le cadre des études de terrain ou pour connaître la prévalence de ces maladies dans des régions endémiques. Comme je vous le disais, une grande majorité des individus infectés sont asymptomatiques, n'iront donc pas consulter et ne feront pas d'analyse en laboratoire.

Qu'en est-il en termes de lutte ? La stratégie classique est la lutte anti-vectorielle, comme on la connaît avec les épandages ou les luttes contre les larves avec des insecticides, avec des limitations dues au fait que de nombreux moustiques ont développé une résistance à ces traitements et que l'impact écologique n'est pas négligeable.

Il existe des stratégies beaucoup plus biologiques. Des scientifiques britanniques ont développé des moustiques transgéniques. Cette méthode a été testé sur le terrain, au Brésil, pour beaucoup de vecteurs communsde Zika, de la dengueet du chikungunya, comme Aedes albopictus ou Aedes aegypti. Il existe par exemple une technologie tout à fait intéressante qui est le relargage d'insectes stériles que l'on peut irradier ou combiner avec une bactérie entomopathogène appellée Wolbachia. Cette bactérie permet, par croisement, de rendre les mâles stériles et de bloquer la reproduction.

Il faut cependant convaincre les populations de larguer des moustiques stériles dans des régions où l'on essaie de les éradiquer ; c'est un grand problème sociétal.

Cette stratégie double vise à combiner la technique de l'insecte stérile, qui est beaucoup développée par l'IRD, et la lutte par le Wolbachia, qui est développée par l'équipe « dynamique des systèmes infectieux insulaires » (DYSIIS) de Patrick Mavingui et ses collègues. Ils ont développé d'ailleurs une start-up pour mettre en place cette double stratégie. Cette lutte antivectorielle, plus biologique et plus naturelle, qui préserve l'environnement, nécessite de générer des moustiques qui soient dans l'incapacité de se reproduire.

Pour terminer, je vais vous parler du volet vaccination, puisque votre questionnaire mentionnait ce point. Où en est-on sur le vaccin ? Nous avons une priorité qui est un peu plus complexe en termes de cibles du vaccin que pour d'autres infections, y compris la dengue où la transmission par voie sexuelle ou post partum, lors de l'allaitement, comme on l'a vu pour le virus West Nile, est moins fréquente. Dans le cas du Zika, on se retrouve dans un contexte où il s'agirait de vacciner une population à risque par rapport à une introduction du virus, soit classiquement, lors d'une transmission conventionnelle lors d'épidémies, pour bloquer l'épidémie et empêcher sa propagation. Mais nous avons aussi une cible un peu particulière : le vaccin va devoir cibler aussi le problème de la transmission à l'occasion de rapports sexuels, hors d'un contexte vectoriel,, avec le risque de grossesse lorsque la transmission se fait dans les premières semaines. Les stratégies qui sont en cours de développement vont tenir compte de ces deux paramètres qui doivent être pris en compte afin d'intervenir et de contrôler.

Beaucoup de candidats vaccins ont été lancés dès 2015. Dès que le virus a atteint l'Amérique du Nord, les scientifiques américains ont monté leur task force. Ainsi, des travaux ont été faits au niveau international, avec nos collègues chinois qui ont aussi maintenant une énorme capacité en termes de logistique de recherche. Il est assez extraordinaire qu'en un ou deux ans, une étude mondiale sur le Zika ait été menée, avec des connaissances que nous n'avions pas vues, il y a dix ans, avec le chikungunya. Il avait également été mis en place un task force, mais le démarrage avait été plus compliqué. Du fait que le Zika soit arrivé en Amérique du Sud puis en Amérique du Nord, les Américains ont mis énormément de moyens, ce qui a permis une connaissance du virus assez remarquable peu de temps après son émergence. Le développement vaccinal du Zika nécessite des recherches académiques, une compréhension de la maladie et une manière de le faire.

Les candidats vaccins – il y en a deux – explorent plusieurs stratégies, développées par les différents labooratoires, selon leur stratégie propre. Soit on utilise le virus lui-même, ce que j'appelle des particules virales. On le manipule, on est capable de le manipuler par génie génétique, de le modifier, de l'atténuer par des mutations pour l'utiliser, comme le vaccin de la fièvre jaune qui était une souche virale atténuée depuis 1937. Ce sont globalement les méthodes les plus performantes en termes de vaccins. Un virus atténué va être capable de se multiplier après injection, d'induire une immunité sur le long terme et très efficace. Environ six compagnies ont lancé cette stratégie.

Un laboratoire travaille sur le virus dit inactivé. Le virus, en lui-même épidémique, est inactivé, soit par la chaleur, soit par formaldéhyde. On inocule donc un virus qui est inactivé et est donc incapable de se multiplier, mais généralement le type d'immunité obtenue est assez fugace et non de long terme.

L'autre stratégie consiste à ne pas travailler sur le virus, mais ses composés. Des parties du virus, ses antigènes pour les protéines ou d'autres, vont être intégrées dans d'autres structures qui sont capables de faire ce qu'on appelle du « delivering ». On va donc identifier des protéines, la protéine d'enveloppe et la protéine NS1, qui sont les deux grandes protéines capables d'induire une immunité protectrice, et on va les exprimer par différents vecteurs, soit par des plasmides, soit par de l'adénovirus ou le vecteur de la rougeole par exemple – solution étudiée à l'Institut Pasteur par Frédéric Tangy. On va extraire ce que l'on considère être suffisant et nécessaire pour vacciner contre le Zika, mais on va l'exprimer par d'autres virus, par d'autres composés. On est donc plus dans le contexte le Zika.

Une autre stratégie moderne, surtout développée par nos collègues américains, est appelée messenger RNA ou mRNA (acide ribonucléique messager). On récupère les acides nucléiques codants pour les composés viraux les plus importants, pour induire une immunité protectrice et on les inocule directement chez l'individu. Ils vont donc produire uniquement les protéines qui sont capables d'induire des anticorps protecteurs sur la durée. Cette méthode est connue.

Pour finir, quels sont les candidats vaccins en phase clinique 1, 2 et 3 ? Après la phase préclinique, qui est le modèle animal, dans la phase clinique 1 en termes médicaux, on va regarder la toxicité, avant tout effet protecteur. On inocule le produit, les combinaisons qui sont des systèmes dits ADN, des acides ribonucléiques messagers ou des virus atténués ou inactivés chez des volontaires et on regarde s'ils sont allergogènes, si, hormis tout phénomène de protection, les individus réagissent bien, sans effet de toxicité ou d'allergie aux composés. Certains ont passé ce stade. Ceux-ci demandent à avoir des lots GMP, « good manufacturing practices », qui sont des lots préparés spécifiquement pour une population chez des volontaires. Certains essais ont été finis il y a un an ou quelques mois. Je vous présente la liste des laboratoires concernés.

J'ai un intérêt en rapport avec la société autrichienne Themis, puisque nous avons développé ensemble un vaccin contre le chikungunya qui est en phase clinique 3. Je ne suis plus à l'Institut Pasteur, le vaccin contre le Zika a été développé bien après mon départ, mais pour Themis, je suis impliqué puisqu'à l'époque de ma présence à l'Institut Pasteur, nous avons déposé un brevet et ils ont acheté la licence. Pour le vaccin contre le Zika, je n'ai pas d'intérêt.

En termes de recherche, au sein de mon équipe « mécanismes moléculaires et cellulaires des agents biologiques infectieux » (MOCA), depuis 2015, nous avons travaillé, sur le risque d'émergence du Zika à La Réunion. Nous avons fait une vingtaine de publications autour de la thématique. Globalement, il s'agit de comprendre comment le virus réplique, comment les cellules répondent. Nous avons fait aussi des brevets qui ont été brevetés par Inserm Transfert. Notre approche originale est d'avoir caractérisé des plantes médicinales de La Réunion qui sont la pharmacologie française et nous avons pu en découvrir certaines qui avaient des propriétés antivirales contre le Zika et la dengue. Nous avons développé également, par génie génétique, un candidat vaccin vivant atténué que nous avons breveté en 2016. Nous continuons l'étude et nous espérons le développer grâce peut-être à des soutiens.

Ceci a pu se faire grâce au soutien, dès le début, du consortium ReacTing (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases), qui est une émanation de l'Aviesan, la fédération de l'ensemble des instituts de recherche en France autour de la santé et de la biologie, patronnée par l'Inserm présidé par Gilles Bloch. Reacting a été créé à l'initiative du professeur Jean-François Delfraissy, à présent président du Comité consultatif national d'éthique. Il a été activé auparavant lors de l'épidémie d'Ebola ; il permet de mobiliser les équipes françaises rattachées à Aviesan et capables de réagir rapidement, afin de se mettre ensemble pour développer des moyens de lutte contre l'émergence. Ebola a été plus bel exemple, mais aussi Zika.

Nous avons également un soutien à la recherche, grâce à Inserm Transfert qui assure le transfert entre la recherche académique et la recherche et développement. Ils nous ont aidés à développer des outils de diagnostic, mais aussi des outils de vaccin.

En termes de collaboration, nous travaillons actuellement avec le Centre de recherche international en infectiologie (CIRI), à Lyon et avecl'unité mixte de rechercheD3 de l'Institut Pasteur, qui travaille sur le métabolisme. Ils ne sont pas infectiologues, mais nous partageons les centres d'intérêt. Ils sont hébergés comme nous à la plateforme Cyroi (Cyclotron Réunion Océan Indien), à La Réunion.

À l'international, nous collaborons avec la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz), à Curitiba au Brésil. Un programme d'échange financé par Campus France, que l'on appelle le CAPES (Coordenação de Aperfeiçoamento do Pessoal de Nível Superior) - COFECUB (Comité français d'évaluation de la coopération universitaire et scientifique avec le Brésil) a permis d'échanger, chaque année, par des voyages multiples, avec des scientifiques brésiliens. Nous avons un programme commun que l'on appelle ziKanet, qui a été lancé dès les premiers cas. Nos collègues brésiliens nous avaient d'ailleurs informés, lors de leur venue en 2015 à La Réunion, et avaient signalé aux décideurs en France les premiers cas de Zika microcéphalie. Nous collaborons aussi avec l'université de Maryland.

En termes de financements, nous avons eu, grâce au fonds européen de développement régional (FEDER) du conseil régional de La Réunion, le financement d'un programme que l'on appelle ZIKAlert qui comprend trois axes : recherche, valorisation et formation. Un point important est la formation des jeunes scientifiques réunionnais. L'une des missions de l'unité PIMIT (processus infectieux en milieu insulaire tropical), dans le cadre de ZIKAlert, de 2018 à 2021, financé par les fonds FEDER, est de former les futurs scientifiques, virologues, virologistes, capables de se développer à La Réunion, mais probablement aussi dans les autres îles de l'océan Indien. C'est donc l'une des formations que nous faisons bien sûr sur les doctorants, les jeunes masters de l'université, mais aussi des post-doctorants que nous avons recrutés, afin qu'il y ait une pérennité de l'unité PIMIT après mon départ en 2025 et un changement d'organisation. Des jeunes seront en mesure de continuer cette aventure et seront tout à fait formés, reconnus au niveau international. Nous avons eu une reconnaissance internationale en peu d'années et elle a permis d'ancrer La Réunion comme un hub de recherche sur le Zika, mais aussi sur la dengue. Nous sommes intégrés aussi dans un gros consortium d'un programme H2020 européen qui s'appelle ZIKAlliance, coordonné à l'Inserm par François-Xavier de Lamballerie. Il comprend cinquante partenaires du monde entier, dont d'Amérique latine et d'Asie, autour du Zika et de sa surveillance.

Pour finir, voici l'ensemble de mes collègues à La Réunion. Les doctorants et post-doctorants font un travail remarquable, souvent dans des conditions compliquées dans le contexte ultramarin. Ce n'est pas facile lorsqu'on est à 11 000 kilomètres, mais nous avons su tirer notre épingle du jeu. Il y a de jeunes chercheurs qui sont tout à fait brillants et qui vont permettre d'ancrer l'infection, la microbiologie et la surveillance des maladies émergentes dont les virus qui nous concernent. Nous avons aussi des étudiants internationaux notamment du Liban.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.