COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES
13 février 2020
La séance est ouverte à quatorze heures trente.
(Présidence de Mme Valérie Thomas, secrétaire du bureau de la commission d'enquête)
La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition du Pr Philippe Desprès, professeur à l'université de La Réunion, responsable d'équipe au sein de l'unité mixte de recherche Processus infectieux en milieu insulaire tropical.
Mesdames et Messieurs, chers collègues, nous poursuivons nos auditions dans le cadre de la commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles. Pour ce faire, nous accueillons, cet après-midi, le professeur Philippe Desprès, professeur à l'université de La Réunion et responsable d'équipe à l'unité mixte de recherche « Processus infectieux en milieu insulaire tropical ».
Je vous rappelle que les auditions des commissions d'enquête sont publiques et que par conséquent elles sont ouvertes à la presse et sont disponibles en direct et en différé sur le site de l'Assemblée nationale.
Je vais donc vous passer la parole, M. Phillipe Desprès, pour une intervention liminaire de l'ordre d'une dizaine de minutes, qui précèdera notre échange sous forme de questions et de réponses.
Je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à dire « je le jure ».
(M. Desprès prête serment.)
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vais vous présenter rapidement mon parcours sur ces virus que l'on appelle « arbovirus » :ce nom étrange est en fait un acronyme anglais, qui ne correspond pas à un virus particulier, mais à un ensemble de virus, souvent très différents, qui ont le point commun d'être transmis par des agents vectoriels, qu'ils soient moustiques ou tiques. J'ai baigné dans ces virus très tôt, dès 1988, année au cours de laquelle j'ai passé une thèse sur la fièvre jaune à l'Institut Pasteur, à Paris, et en même temps, à Paris VII. J'ai eu l'opportunité de faire un séjour doctoral sur ce type de virus, à la John Hopkins Medical School de Baltimore chez le professeur Diane Griffin, qui est actuellement vice-présidente de l'Académie nationale des sciences des États-Unis. J'ai obtenu l'habilitation à diriger des recherches (HDR), il y a maintenant vingt ans, à propos duvirus de la dengue.
J'ai donc une carrière en deux phases. De 1991 à 2015, j'étais permanent à l'Institut Pasteur, toujours sur la thématique des arbovirus, étant responsable, pendant plus de douze ans, d'une unité de recherche « Interactions moléculaires flavivirus-hôtes »qui était dédiée aux arbovirus. J'ai eu aussi l'opportunité, de 2008 à 2012, d'être directeur du centre national de référence des arbovirus (CNR), qui était sous la tutelle de l'Institut de veille sanitaire (InVS). Lors de mon mandat, nous avons identifié pour la première fois les cas autochtones de dengue et de chikungunya, en 2010, dans le sud. C'étaient les premières manifestations de l'introduction de ces virus qui sont normalement de zones tropicales. Sur cette période, jusqu'à mon départ en 2014, j'étais associé dans un petit consortium qui était centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les arbovirus et virus des fièvres hémorragiques. Je suis aussi actuellement consultant pour l'OMS.
Pour différentes raisons, j'ai décidé de me diversifier et j'ai eu l'opportunité, sous l'impulsion du professeur Jean-François Delfraissy et du professeur André Syrota, de créer une nouvelle unité de recherche mixte, sur l'écosystème des pathogènes, mais aussi vers la recherche plus académique, et qui a été à la base de la création d'une unité de recherche dénommée PIMIT (Processus infectieux en milieu insulaire tropical) en 2015. Ce sera une équipe assez pionnière puisqu'elle regroupe des thématiques et des expertises assez différentes. J'ai eu l'opportunité d'être associé à sa création et d'être responsable d'une équipe, en apportant mes expertises menées depuis trente ans à l'Institut Pasteur, toujours sur les arbovirus. Nous avons été évalués récemment, en 2019, par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) et différents conseils scientifiques de nos autorités de tutelle, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et l'université de La Réunion. Nous avons été reconduits pour quatre ans - ce qui constituera d'ailleurs mon dernier mandat. Je suis responsable d'équipe, nous travaillons sur le virus Zika et sur la dengue. Mon parcours et mon expérience sont onc pratiquement entièrement dédié aux arbovirus.
Pendant trente ans, j'ai exercé à l'Institut Pasteur, en tant que responsable d'unité, une unité consacrée à l'étude des pathogènes – spécialisation acquise grâce à l'apprentissage auprès de mes anciens collègues, une tradition pasteurienne. J'ai pu travailler sur le chikungunya, la fièvre jaune, la dengue, l'encéphalite japonaise, la fièvre de la vallée du Rift présente dans l'océan indien, des alphavirus comme le Sindbis, le virus West Nile et le Zika qui nous intéressent.
Cela constitue une approche dite de virologie moléculaire, selon cinq thématiques : une meilleure compréhension du virus au niveau moléculaire : comprendre l'interaction entre l'hôte et son pathogène, les mécanismes de pathologie ; comprendre comment ces virus peuvent-ils rendre malade,pourquoi l'organisme réagit plus ou moins bien à une infection virale. Ces réflexions sont couplées à une meilleure définition du diagnostic qui pose souvent problème. Beaucoup de ces virus sont proches : le diagnostic viral est souvent complexe et peut être faillible. Un aspect est bien sûr lié à la prévention et à la thérapie, qui est le développement vaccinal.
J'ai développé ces cinq thèmes pendant ma période à l'Institut Pasteur et je les ai apportés à l'unité PIMIT, qui est dirigée par Patrick Mavingui et qui regroupe deux équipes. Une équipe « dynamique des systèmes infectieux insulaires » (DYSIIS) qui s'intéresse à l'écologie et à la surveillance des maladies émergentes, dans les espèces animales, y compris les chauves-souris, dans tout l'océan Indien. Mon équipe « mécanismes moléculaires et cellulaires des agents biologiques infectieux » (MOCA), qui est plus dédiée à une recherche sur le pathogène et à des moyens de lutte en développant différentes stratégies.
En 2015, nous avons l'opportunité de travailler sur le Zika, alors que ce virus ne concerne actuellement pas La Réunion. En fait, nous avons toujours eu la crainte, et nous l'avons toujours, de son introduction. Avec des collègues de l'IRD, à Montpellier, nous avions commencé à travailler sur un pathogène que connaissaient historiquement les spécialistes, mais dont nous ne connaissions rien. Il a commencé à émerger et à poser problème, alors que la somme de connaissances à son sujet était extrêmement limitée. Ainsi, en peu d'années, le nombre de connaissances sur ce virus a été multiplié par dix, grâce à la mise en place de « task forces » au niveau international, face à cette émergence. Nous sommes concernés aussi, à La Réunion, par le virus de la dengue, puisque nous sommes en situation épidémique depuis maintenant plus de deux ans, avec différents sérotypes introduits.
Les deux finalités et les deux grands axes qui caractérisent mon équipe MOCA sont donc la connaissance sur l'agent étiologique de l'infection et la stratégie de lutte contre l'agent infectieux. Les thèmes que nous développons sur ces deux types de virus – nous allons parler aujourd'hui plus précisément du virus Zika – sont de comprendre quel est le pouvoir pathogène du virus. Nous verrons pourquoi ce virus que l'on connaît depuis soixante-dix ans est devenu subitement un virus pathogène pour l'Homme et responsable de maladies très graves. Les syndromes congénitaux du Zika touchent les nouveau-nés et l'embryon. Nous essayons de comprendre la réponse de l'hôte à l'infection. Comment un hôte répond-il à cette infection en termes de réponse immunitaire ? Comment le virus arrive à contrebalancer ces réponses de défense de l'hôte, ce qui amène la problématique de sa virulence ? À l'époque, nous n'avions pratiquement rien sur le virus Zika. Il a fallu développer des outils de détection, améliorer le diagnostic de la maladie. L'une des finalités de nos recherches est de proposer des stratégies de lutte, qui sont classiquement les développements de vaccins, ceux que nous avons faits, mais aussi tirer profit de la biodiversité de La Réunion pour étudier les propriétés des plantes médicinales. Nous avons beaucoup travaillé sur ce point, beaucoup publié, déposé des brevets, et grâce à la biodiversité des plantes médicinales de La Réunion, nous avons pu trouver des principes actifs contre le virus Zika et contre le virus de la dengue. Voici les quatre thèmes qui sont développés.
Qu'en est-il aujourd'hui de l'équipe MOCA ? Elle a été recréée, selon le processus de l'Hcéres, le 1er janvier, pour une durée de quatre ans.
Nous essayons de comprendre les facteurs viraux et cellulaires qui expliquent pourquoi ce virus est virulent et pathogène chez l'Homme.
Nous venons de développer un deuxième axe qui a son importance dans l'océan indien, en particulier à La Réunion. La comorbidité joue un rôle dans le cadre du virus Zika et de la dengue. Dans notre cas, à La Réunion, nous sommes en épidémie de diabète et de maladies associées aux désordres du métabolisme. Nous voyons l'impact de ces désordres du diabète sur l'infection, mais aussi les formes sévères de l'infection par ces virus. C'est donc un thème qui est maintenant très en vogue :aller plus loin qu'une relation directe entre l'individu en conditions saines, ce qui ne veut rien dire en lui-même, et l'infection viraleÀ La Réunion, la problématique du diabète est travaillée par nos collègues dans une unité mixte de recherche Université de La Réunion et Inserm. Nous travaillons ensemble pour essayer de mieux comprendre l'impact. Est-ce que le virus en lui-même va exacerber des troubles existants du métabolisme ? Le métabolisme en lui-même va-t-il favoriser la persistance du virus ? Ce sont des sujets très importants qui amènent une autre dimension de l'infection virale. Il s'agit également de mieux comprendre la réponse de l'hôte à l'infection virale et de développer des modèles in vitro, qui sont des cultures cellulaires, et in vivo, des modèles de petits rongeurs ou de singes.
Disposant de ces thèmes, il est important que nous puissions tester et proposer des luttes anti-infectieuses. Nous avons la particularité sur l'île de La Réunion, mais dans l'océan Indien en général, à Mayotte comme à Madagascar, de disposer d'une biodiversité remarquable, unique au monde, qui est une source d'informations, mais aussi de ressources. Nos collègues de formation chimiste ont pu identifier des composés et des plantes qui manifestent une activité antivirale tout à fait remarquable, qui ont été publiés, mais aussi brevetés par Inserm Transfert.
Nous avons développé des candidats vaccins contre le Zika qui sont au stade préclinique, testés chez l'animal. Il s'agit soit des virus atténués – grâce au génie génétique, nous sommes capables de les modifier, de mieux comprendre – soit des structures dites composés viraux, avec lesquelles on exprime certaines parties du virus qui sont capables d'induire une immunité protectrice lors d'une vaccination.
Nous avons donc une double casquette pour comprendre le virus, l'interaction avec son hôte et également de développer des stratégies de lutte contre ces pathogènes.
Les arbovirus ne sont pas vraiment un genre de virus. Ils regroupent des virus qui ont des propriétés communes, mais qui sont extrêmement variables. Il y en a des milliers.
Il y a un petit groupe, qu'on appelle les flavivirus, « flavius » pour « jaune », parce que la fièvre jaune est le prototype, qui regroupent des virus très proches qui sont d'une très grande importance en termes de santé humaine : la dengue, la fièvre jaune qui est connue depuis très longtemps, l'encéphalite japonaise, le virus du Nil occidental ou West Nile, et tout récemment le Zika, qui ne représentait pas un problème de santé publique jusqu'en 2017,.
Parmi les 70 membres du genre Flavivirus, un certain nombre émerge. Le virus West Nile est devenu un problème de santé publique à la fin des années 1990, avec son introduction en Amérique du Nord et les conséquences induites. Certains virus sont connus depuis longtemps. Ils ont des niches en Afrique, dans le bassin méditerranéen ou en Asie, jusqu'au jour où, pour des raisons multiples, ils deviennent pathogènes pour l'homme et émergent. Ils diffèrent ainsi du coronavirus Covid-19, où il me semble que l'émergence est liée à un contexte de contact, de zoonose – les zoonoses sont des virus que l'on retrouve dans des espèces animales, qui sont soit des réservoirs, soit des hôtes amplificateurs, qu'ils soient des primates ou des espèces aviaires. Nous connaissons globalement ces virus, mais ils sont dans un contexte d'évolution et de pathogénicité pour l'Homme.
Le plus bel exemple en est la dengue. La dengue était connue depuis très longtemps ; elle a commencé à devenir une maladie émergente au cours du XIXème siècle, mais surtout après la deuxième moitié du XXème siècle, avec des épidémies et des formes de plus en plus sévères.
Il faut donc être extrêmement vigilant, puisque soit ces virus changent et sortent de leur niche écologique habituelle, soit, pour des raisons multiples, ils évoluent en termes de pathogénicité, c'est-à-dire qu'ils deviennent plus virulents. Nous sommes alors confrontés à de nouveaux problèmes.
Nous sommes rarement dans la découverte d'un nouveau pathogène comme Ebola ou le nouveau coronavirus. Dans notre cas, le Zika est transmis par les moustiques Aedes. Mes collègues de l'Institut Pasteur vous ont expliqué le contexte de la propagation par les moustiques. Nous avons, comme réservoir, en Afrique, les primates. Zika a été classé d'importance médicale à partir de 2007.
Je vais vous présenter un historique de Zika et des épidémies qu'il a provoquées chez l'Homme.
En 1947, lors d'une étude générale sur la fièvre jaune en Ouganda, des médecins britanniques ont identifié pour la première fois le virus Zika et l'ont isolé à partir d'un singe. À partir des années 50 jusqu'à 2006, il a été constaté une circulation « à bas bruit » du virus Zika, surtout en Afrique de l'Ouest, mais aussi en Afrique australe. Globalement, on a eu affaire à quelques cas humains sporadiques de fièvres indifférenciées. Comme on dit en Afrique, on a eu le Zika, comme une mauvaise grippe. Comme beaucoup d'arboviroses, c'est sans conséquence.
D'un point de vue phylogénétique, c'est-à-dire la phylogénie de ces virus, il existe un type africain et un type asiatique de Zika. Les chercheurs pensent que le Zika est originaire d'Afrique et que probablement, entre la fin de la seconde guerre mondiale et les années 1960, il est apparu en Asie et s'y est diffusé, du sous-continent indien jusqu'à l'Asie du Sud-Est, dans des pays tels que le Vietnam, le Cambodge ou les Philippines. Ce virus ne concernait finalement que les spécialistes de ces virus, mais ne présentait aucun problème de santé publique.
De façon étonnante, en 2007, une épidémie humaine est apparue en Micronésie, sur l'île de Yap, reliée au génotype asiatique, qui circulait depuis cinquante ans. Plusieurs centaines de cas humains ont été constaté, ce qui semble modéré, mais qui correspond quand même à 30 % de la population de l'île de Yap. Cette première épidémie a été très étonnante. Il y a eu une accalmie et en 2013-2015, s'est produite une épidémie importante en Polynésie française, toujours avec le même virus. Nous avons eu 30 000 cas humains, principalement à Tahiti, soit un tiers de la population. On a constaté une évolution de la pathologie, puisque nous avons vu pour la première fois des syndromes de Guillain-Barré, qui sont des maladies neurologiques auto-immunes dont on connaît mal l'origine, des maladies induites par plusieurs types de virus ou des maladies auto-immunes non infectieuses. Elle était décrite lors de l'infection par ces patients. De façon étonnante, un risque de transmission mère-enfant a été identifié. Le virus a été détecté dans les fluides corporels et, pour la deuxième fois après les États-Unis, aussi dans les fluides séminaux, ce qui est assez étonnant, et dans les urines.
2014 est la date probable où le virus a été introduit en Amérique du Sud. Le foyer initial est probablement le Brésil. Certains ont prétendu que l'origine était liée à la coupe du monde de football ou aux Jeux Olympiques ; mais d'après les chercheurs brésiliens, à l'occasion d'une manifestation sportive entre les îles polynésiennes et le Brésil, des personnes infectées auraient introduit le virus au Brésil. Il est quasiment identique, en sachant qu'auparavant, il y a eu une petite épidémie dans les Galápagos, progressant du Pacifique jusqu'au continent sud-américain.
Alors que le virus n'existait pas dans les Amériques, l'introduction de ce virus Zika en provenance d'Asie a conduit à une flambée. Deux ans plus tard, il y avait entre 500 000 et 800 000 cas en Amérique latine et aux Caraïbes, y compris dans les Antilles françaises.
En 2016, l'OMS a décrété une urgence sanitaire internationale. Cette même année, nos collègues chercheurs brésiliens ont observé les premiers cas de microcéphalie dans le Nordeste. Ce sont des enfants qui sont nés avec une circonférence crânienne en moyenne 30 % inférieure à la normale. Les chercheurs ont remarqué qu'il y avait eu plus de cas en quelques mois qu'en quatre ans. Il a été déterminé qu'il y avait une incidence directe entre ces cas de microcéphalie et l'infection Zika chez les femmes enceintes ; elle était responsable de ce que l'on va appeler plus tard le syndrome congénital du Zika, qui pose un grand risque pour les femmes en âge de procréer et surtout pour les femmes enceintes.
Un variant de ce virus a ensuite émergé et s'est propagé, avec paradoxalement un retour épidémique vers les îles du Cap-Vert et en Afrique où le virus était déjà présent, mais pas ce variant particulièrement virulent. Il a connu ensuite une propagation générale aux Amériques, y compris en Amérique centrale, aux Caraïbes, à Cuba ; les signalements sont assez récents. Il y a eu des flambées à Singapour, en Guinée-Bissau, en Angola et en Inde. Sa présence en Inde, qui a des relations privilégiées avec les autres pays de l'océan Indien, y compris l'île Maurice, nous a fait craindre un risque d'introduction à La Réunion.
Depuis, le virus Zika s'est calmé en termes de flambées. Il y a toujours un timing de type médiatique autour du virus, il faut faire très attention. On peut avoir des périodes un peu silencieuses, puis des résurgences qui peuvent réapparaître à tout moment. Pour l'instant, nous nous trouvons dans une période d'accalmie après ces flambées ; mais globalement ces flambées ont été responsables d'une propagation pratiquement globale au niveau mondial. Aujourd'hui, entre 90 et 100 pays sont concernés par la propagation du virus Zika.
Depuis les années 60, les fameuses souches dites du génotype asiatique qui circulent en Asie du sud et en asie du Sud-Est ont évolué : elles sont assez éloignées des souches africaines, qui n'ont jamais été responsables d'épidémies ou de cas humains sévères, puis se sont propagées. Nous pensons que ces souches de virus qui ont évolué et ont été responsables des épidémies à Yap et en Polynésie française. Séquencée et étudiée, cette souche est globalement très stable et garde ses propriétés. L'analyse des séquences fait que les chercheurs ont la conviction que c'est la même souche qui a été introduite en Amérique du Sud, à partir de 2014.
Pourquoi une telle intensité en Amérique latine ? Comment se fait-il que ce virus ait provoqué autant de cas et autant de nouveaux syndromes importants, avec ces microcéphalies et autres conséquences ? Il s'agit de l'introduction d'un pathogène qui était absent de l'hémisphère occidental, comme ce qui s'est passé en 1999 avec le virus West Nile, qui est originellement un virus africain introduit en Amérique du Nord et qui s'est ainsi propagé dans une région naïve. La conjonction entre l'existence d'une population « naïve », qui n'était pas immunisée, et surtout la présence d'un vecteur potentiel, Aedes aegypti, qui est le grand vecteur de la fièvre jaune ou de la dengue, a facilité la propagation du virus Zika . L'étude de ces souches qui circulent maintenant depuis trois ans en Amérique latine, a montré que ces virus commencent à évoluer localement. Elles présentent des diversités génétiques assez importantes. Nous avons peut-être, au niveau de l'Amérique du Sud, de nouveaux variants qui seraient maintenant sud-américains.
Comment ce type de virus passe-t-il chez l'Homme ? L'une des principales voies d'infection chez l'Homme est liée à la transmission vectorielle, par la piqûre de moustique. Il existe également des modes d'infection tout à fait particuliers, qui avaient déjà été observés pour le virus West Nile, où la transfusion sanguine ou la transfusion homme à homme est avérée, ce que l'on n'avait pas vu pour ce type de virus. La possibilité de transmission par voie sexuelle, par transfusion sanguine, même si elles restent encore à confirmer, notamment lors d'une des premières étapes de la grossesse, amène à ce que ces virus provoquent maintenant des syndromes qui représentent un vrai impact en santé publique.
La majorité des infections par ces virus sont toutefois asymptomatiques : la majorité des gens infectés n'ont aucun signe clinique. C'est aussi vrai pour la dengue et pour le virus West Nile.. Dans le cas d'une transmission conventionnelle, il y a un consensus de la littérature scientifique pour dire que de 50 à 80 % des gens infectés, et donc porteurs du virus Zika, ne le savent pas. Dans le cas de la dengue, les travaux menés par l'Institut Pasteur du Cambodge ont montré que ces personnes dites asymptomatiques sont de très bons diffuseurs du virus, finalement meilleures que les personnes qui montrent des signes cliniques. En cas d'infections asymptomatiques, il faut donc absolument connaître le pourcentage réel d'infection, ce qui constitue en fait le socle de la pyramide, car ce sont ces individus qui, ne se sachant pas infectés, vont voyager et le propager, en étant eux-mêmes de très bons réservoirs de transmission.
Dans le cas d'une infection symptomatique, les manifestations cliniques sont de type pseudo-grippal et s'apparentent énormément à la dengue et au chikungunya, ce qui pose un problème pour réaliser un diagnostic de visu, puisqu'on peut croire qu'il s'agit de la dengue ou du chikungunya, y compris dans les régions endémiques comme la Polynésie française, l'océan indien ou l'Afrique. Comme le chikungunya a aussi été récemment introduit en Amérique latine, tous ces différents virus s'y retrouvent aussi.
Dans le cas d'une transmission conventionnelle, par les moustiques, de l'ordre de 20 à 50 % d'individus auront des signes cliniques, mais moins de 1 % va évoluer vers des formes un peu plus sévères. Souvent, on parle de comorbidité : ce sont des personnes qui ont des faiblesses ou d'autres infections. Nous avons trouvé un corrélat entre une pathologie virale un peu sévère et les problèmes de maladies du métabolisme.
Le syndrome de Guillain-Barré est, en termes techniques, une neuropathie aiguë périphérique, responsable de paralysies ascendantes, une maladie auto-immune qui est infectieuse ou non infectieuse. Au niveau des transmissions des nerfs périphériques, des anticorps sont générés chez l'individu contre les gangliosides et font que ces neurones sont de mauvais transmetteurs des signaux. On observe des paralysies, surtout des membres inférieurs, qui peuvent être plus ou moins importantes, qui peuvent être récurrentes et disparaître après plusieurs mois et après des traitements et prises en charge, les rendant souvent délicats.
S'il y a très peu de mortalité, le Zika peut provoquer des maladies tout à fait importantes, que l'on retrouve parfois aussi dans le cas de la dengue ou le West Nile, telles qu'une thrombocytopénie marquée, c'est-à-dire une baisse des plaquettes, ou une myocardite, qui est une atteinte du muscle cardiaque, qui peut être transitoire. Le taux de mortalité est extrêmement faible. Le nombre de personnes décédées du Zika directement, par rapport aux millions de cas, est tout à fait marginal. Le syndrome congénital du Zika est tout à fait particulier et est lié à une infection par passage de la mère à l'enfant lors de grossesse.
En termes de pathologies, chez l'adulte, on a quelques manifestations de méningite ou encéphalite, mais les quelques cas notables vont présenter un syndrome de Guillain-Barré. Le patrimoine génétique de l'individu ou son histoire immunologique peut y contribuer. C'est très mal connu, caril y a très peu de spécialistes. Cela a été vérifié une première fois à Tahiti, en Polynésie française, mais aussi en Amérique latine.
La problématique qui se pose désormais, c'est que l'on peut désormais considérer le Zika comme une maladie sexuellement transmissible. Il a été avons observé que ce virus, après des formes aiguës ou asymptomatiques, peut se retrouver dans la population masculine, dans les glandes séminales et peut persister dans le sperme pendant plusieurs mois, selon les individus et l'âge. Nous avons aussi observé une persistance chez la femme au niveau du tractus génital. Il peut donc y avoir une persistance de ce virus, par des mécanismes que nous essayons de comprendre dans des modèles animaux, y compris chez le primate. Chez les jeunes femmes en âge de procréer, il peut y avoir une contamination lors des premières semaines de grossesse. Les scientifiques pensent que les 21 premiers jours de grossesse sont assez critiques dans un risque d'infection, soit classique par un moustique dans les zones endémiques ou épidémiques de Zika, soit, comme nous l'avons vu en France, lors de rapports sexuels avec un partenaire revenant de zones à risque, sans qu'il en ait eu vraiment connaissance de son infection. Dans 20 ou 30 % des cas, la contamination a eu lieu au début de grossesse ; mais lorsqu'elle arrive plus tardivement, elle peut aussi y avoir des conséquences.
Dans le cadre de ce fameux syndrome congénital du virus Zika, qui est multiple, on constate que dans 20 ou 30 % des cas, le virus passe au niveau placentaire et atteint l'embryon dans les premières semaines ; dans 10 % des cas parmi ceux-ci,, des microcéphalies vont se développer. Il s'agit d'enfants dont le volume crânien est à peu près de 30 % inférieur à la normale. On peut s'agir aussi de mortalités intra-utérines, au niveau fœtal, avec des plaques formées au niveau du cerveau. Le virus ayant un tropisme pour les cellules souches neurales, il va complètement bloquer l'évolution du nouveau-né. Il peut avoir à terme des enfants qui présentent, à la naissance, des microcéphalies et généralement, le pronostic est assez engagé dans les prochaines années. Ce sont environ 5 % et les premiers cas ont été observés au Brésil. Ils n'ont pas été observés de façon statistique à Tahiti, lors de l'épidémie précédente, mais ils ont été tout à fait remarquables. Ces infections, qui ont été responsables de malformations extrêmement sévères, observées au Brésil, peuvent être liées en partie à une infection, dans les premières semaines de grossesse, par le moustique ou à une contamination lors d'un rapport sexuel avec un partenaire ne se sachant pas infecté, puisque la persistance dans le sperme peut durer de trois à quatre mois.
Quand ont été observé ces microcéphalies, on a pu penser que les enfants qui naissent indemnes, qui ne présentent pas de microcéphalie, sont saufs. Malheureusement, les études longitudinales, dont le suivi dure maintenant jusqu'à trois ans, montrent qu'il peut y avoir des troubles neuro-développementaux dans 30 % des cas, alors qu'à la naissance, l'enfant est arrivé à terme dans des conditions tout à fait normales. Ces troubles neuro-développementaux peuvent être aussi bien des microcéphalies, qui apparaissent pendant la première année après la naissance, des crises d'épilepsie, des troubles nerveux. Avec ce recul, on commence donc à constater, dans les cohortes qui sont suivies, des problèmes neuro-développementaux. L'infection par le virus, pendant ces premières semaines de grossesse, a eu un impact sur l'évolution du fœtus et de l'embryon qui entraîne des conséquences. Les microcéphalies, qui sont les manifestations les plus importantes, ont caché des troubles neuro-développementaux tout à fait conséquents. Les chercheurs pensent désormais, dans les dernières références bibliographiques, que ce sont à peu près 30 % des enfants qui sont concernés.
Quels sont les pays identifiés à risque pour les voyageurs pour le virus Zika ? J'ai repris les recommandations émises par le Center for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis, en novembre 2019.
En Afrique, dans certains pays, le Zika circule. Il y a deux Zika : le Zika « ancestral », qui n'a jamais posé de problème de santé publique, mais maintenant, le Zika épidémique introduit au départ de l'Amérique latine dans les îles du Cap-Vert et en Angola.
En Asie, on retrouve maintenant ce variant à peu près partout. L'Inde nous concerne au premier chef puisque les contacts culturels de personnes entre l'Inde et le reste de l'océan Indien sont tout à fait marqués. Le risque est potentiel.
Les Caraïbes, l'Amérique centrale, l'Amérique du Nord, y compris les États-Unis, les îles du Pacifique, l'Amérique du Sud mais aussi l'Europe ont connu des cas de transmission mère-enfant..
La France hexagonale est identifiée comme un pays à risque, puisqu'il y a eu des cas de transmissions interhumaines. Il n'y a pas eu, à notre connaissance, de transmission par les moustiques, mais par des personnes qui ont séjourné dans les populations à risque.
Comment se fait le diagnostic en laboratoire ? Classiquement, pour ces infections, il ne faut pas oublier que les cas symptomatiques ne représentent qu'un pourcentage faible.
Avec une contamination traditionnelle, par une piqûre de moustique, on observe, au bout d'une semaine et deux jours, l'apparition de fièvre dans des cas symptomatiques. L'une des caractéristiques est une montée très brutale des fièvres, ce qui est vrai pour la dengue ou le chikungunya, mais était beaucoup moins vrai pour Zika, et où les montées de température sont généralement brutales jusqu'à 38,5 degrés, en très peu de temps. Tout individu qui a eu une dengue, se souvient à quel moment, en quel lieu et ce qu'il faisait lors de la survenue extrêmement brutale de cette fièvre, puisque c'est tout à fait différent d'un virus grippal. Dans le cas de Zika, les manifestations sont beaucoup plus ténues et donc beaucoup plus trompeuses. Lorsque l'on commence à avoir des fièvres, on entre dans ce que l'on appelle la période virémique, où l'on va retrouver le virus dans le sang,, qui peut durer entre quatre à huit jours. Grâce aux techniques moléculaires, comme l'amplification en chaîne par polymérase ( polymerase chain reaction ou PCR), on est capable de faire un diagnostic, aussi bien à partir du sérum, diagnostic le plus traditionnel, mais aussi à partir du liquide céphalorachidien, du sperme et dans les urines. Souvent, on retrouve le virus dans les urines, ce qui laisserait suggérer qu'il pourrait persister au niveau rénal, sujet sur lequel nous travaillons au laboratoire. Ce virus pourrait persister dans des niches biologiques. Hormis les organes reproducteurs, on peut le retrouver aussi probablement au niveau des tubes rénaux et des reins, puisqu'on a une sécrétion permanente dans les urines. Dans le cadre du sperme, ce virus est infectieux.
L'isolement viral peut être fait dans les laboratoires spécialisés. Ensuite, dans une période plus tardive, où le virus disparaît, classiquement, on observe l'apparition d'anticorps, les premiers étant les IgM, que l'on peut capturer par les techniques ELISA (Enzyme Linked ImmunoSorbent Assay), et qui sont généralement peu spécifiques. Plus tardivement, au bout de deux semaines, on commence à voir les IgG beaucoup plus spécifiques. On est donc dans une sérologie de confirmation par des techniques ELISA qu'il a fallu développer spécifiquement sur Zika que l'on isolait pas jusqu'à maintenant.
Un problème se pose dans le diagnostic de Zika puisque les structures des particules virales entre Zika et la dengue, dans les régions endémiques, sont suffisamment proches pour une antigénicité croisée et pour que les diagnostics IgM et IgG soient peu fiables. Pourquoi ? Parce que les anticorps produits sur Zika sont capables de reconnaître le virus de la dengue. Dans les régions où les deux circulent, le diagnostic différentiel est extrêmement complexe, quand on utilise des méthodes standards. Les kits de diagnostic de la dengue peuvent fonctionner sur Zika et on peut avoir des interprétations de diagnostic. Hormis la PCR, qui est vraiment spécifique de dengue ou de Zika, si on est plus tardif, on peut très bien confondre une dengue avec Zika. L'introduction de Zika, dans une région endémique pour la dengue, peut être masquée. L'une des priorités, notamment de l'OMS, est donc de développer des outils de diagnostic spécifiques des deux virus pour faire un diagnostic différentiel. À l'Institut Pasteur, nous avons développé des outils assez performants, qui nous ont permis de différencier les deux virus à partir des anticorps. Cela a d'ailleurs été utilisé lors de l'épidémie en Polynésie, puisque Tahiti a malheureusement connu, sur une même période, la dengue, le chikungunya et le Zika, par vagues, en quelques mois. L'une des priorités reste tout de même le diagnostic différentiel, surtout dans le cadre des études de terrain ou pour connaître la prévalence de ces maladies dans des régions endémiques. Comme je vous le disais, une grande majorité des individus infectés sont asymptomatiques, n'iront donc pas consulter et ne feront pas d'analyse en laboratoire.
Qu'en est-il en termes de lutte ? La stratégie classique est la lutte anti-vectorielle, comme on la connaît avec les épandages ou les luttes contre les larves avec des insecticides, avec des limitations dues au fait que de nombreux moustiques ont développé une résistance à ces traitements et que l'impact écologique n'est pas négligeable.
Il existe des stratégies beaucoup plus biologiques. Des scientifiques britanniques ont développé des moustiques transgéniques. Cette méthode a été testé sur le terrain, au Brésil, pour beaucoup de vecteurs communsde Zika, de la dengueet du chikungunya, comme Aedes albopictus ou Aedes aegypti. Il existe par exemple une technologie tout à fait intéressante qui est le relargage d'insectes stériles que l'on peut irradier ou combiner avec une bactérie entomopathogène appellée Wolbachia. Cette bactérie permet, par croisement, de rendre les mâles stériles et de bloquer la reproduction.
Il faut cependant convaincre les populations de larguer des moustiques stériles dans des régions où l'on essaie de les éradiquer ; c'est un grand problème sociétal.
Cette stratégie double vise à combiner la technique de l'insecte stérile, qui est beaucoup développée par l'IRD, et la lutte par le Wolbachia, qui est développée par l'équipe « dynamique des systèmes infectieux insulaires » (DYSIIS) de Patrick Mavingui et ses collègues. Ils ont développé d'ailleurs une start-up pour mettre en place cette double stratégie. Cette lutte antivectorielle, plus biologique et plus naturelle, qui préserve l'environnement, nécessite de générer des moustiques qui soient dans l'incapacité de se reproduire.
Pour terminer, je vais vous parler du volet vaccination, puisque votre questionnaire mentionnait ce point. Où en est-on sur le vaccin ? Nous avons une priorité qui est un peu plus complexe en termes de cibles du vaccin que pour d'autres infections, y compris la dengue où la transmission par voie sexuelle ou post partum, lors de l'allaitement, comme on l'a vu pour le virus West Nile, est moins fréquente. Dans le cas du Zika, on se retrouve dans un contexte où il s'agirait de vacciner une population à risque par rapport à une introduction du virus, soit classiquement, lors d'une transmission conventionnelle lors d'épidémies, pour bloquer l'épidémie et empêcher sa propagation. Mais nous avons aussi une cible un peu particulière : le vaccin va devoir cibler aussi le problème de la transmission à l'occasion de rapports sexuels, hors d'un contexte vectoriel,, avec le risque de grossesse lorsque la transmission se fait dans les premières semaines. Les stratégies qui sont en cours de développement vont tenir compte de ces deux paramètres qui doivent être pris en compte afin d'intervenir et de contrôler.
Beaucoup de candidats vaccins ont été lancés dès 2015. Dès que le virus a atteint l'Amérique du Nord, les scientifiques américains ont monté leur task force. Ainsi, des travaux ont été faits au niveau international, avec nos collègues chinois qui ont aussi maintenant une énorme capacité en termes de logistique de recherche. Il est assez extraordinaire qu'en un ou deux ans, une étude mondiale sur le Zika ait été menée, avec des connaissances que nous n'avions pas vues, il y a dix ans, avec le chikungunya. Il avait également été mis en place un task force, mais le démarrage avait été plus compliqué. Du fait que le Zika soit arrivé en Amérique du Sud puis en Amérique du Nord, les Américains ont mis énormément de moyens, ce qui a permis une connaissance du virus assez remarquable peu de temps après son émergence. Le développement vaccinal du Zika nécessite des recherches académiques, une compréhension de la maladie et une manière de le faire.
Les candidats vaccins – il y en a deux – explorent plusieurs stratégies, développées par les différents labooratoires, selon leur stratégie propre. Soit on utilise le virus lui-même, ce que j'appelle des particules virales. On le manipule, on est capable de le manipuler par génie génétique, de le modifier, de l'atténuer par des mutations pour l'utiliser, comme le vaccin de la fièvre jaune qui était une souche virale atténuée depuis 1937. Ce sont globalement les méthodes les plus performantes en termes de vaccins. Un virus atténué va être capable de se multiplier après injection, d'induire une immunité sur le long terme et très efficace. Environ six compagnies ont lancé cette stratégie.
Un laboratoire travaille sur le virus dit inactivé. Le virus, en lui-même épidémique, est inactivé, soit par la chaleur, soit par formaldéhyde. On inocule donc un virus qui est inactivé et est donc incapable de se multiplier, mais généralement le type d'immunité obtenue est assez fugace et non de long terme.
L'autre stratégie consiste à ne pas travailler sur le virus, mais ses composés. Des parties du virus, ses antigènes pour les protéines ou d'autres, vont être intégrées dans d'autres structures qui sont capables de faire ce qu'on appelle du « delivering ». On va donc identifier des protéines, la protéine d'enveloppe et la protéine NS1, qui sont les deux grandes protéines capables d'induire une immunité protectrice, et on va les exprimer par différents vecteurs, soit par des plasmides, soit par de l'adénovirus ou le vecteur de la rougeole par exemple – solution étudiée à l'Institut Pasteur par Frédéric Tangy. On va extraire ce que l'on considère être suffisant et nécessaire pour vacciner contre le Zika, mais on va l'exprimer par d'autres virus, par d'autres composés. On est donc plus dans le contexte le Zika.
Une autre stratégie moderne, surtout développée par nos collègues américains, est appelée messenger RNA ou mRNA (acide ribonucléique messager). On récupère les acides nucléiques codants pour les composés viraux les plus importants, pour induire une immunité protectrice et on les inocule directement chez l'individu. Ils vont donc produire uniquement les protéines qui sont capables d'induire des anticorps protecteurs sur la durée. Cette méthode est connue.
Pour finir, quels sont les candidats vaccins en phase clinique 1, 2 et 3 ? Après la phase préclinique, qui est le modèle animal, dans la phase clinique 1 en termes médicaux, on va regarder la toxicité, avant tout effet protecteur. On inocule le produit, les combinaisons qui sont des systèmes dits ADN, des acides ribonucléiques messagers ou des virus atténués ou inactivés chez des volontaires et on regarde s'ils sont allergogènes, si, hormis tout phénomène de protection, les individus réagissent bien, sans effet de toxicité ou d'allergie aux composés. Certains ont passé ce stade. Ceux-ci demandent à avoir des lots GMP, « good manufacturing practices », qui sont des lots préparés spécifiquement pour une population chez des volontaires. Certains essais ont été finis il y a un an ou quelques mois. Je vous présente la liste des laboratoires concernés.
J'ai un intérêt en rapport avec la société autrichienne Themis, puisque nous avons développé ensemble un vaccin contre le chikungunya qui est en phase clinique 3. Je ne suis plus à l'Institut Pasteur, le vaccin contre le Zika a été développé bien après mon départ, mais pour Themis, je suis impliqué puisqu'à l'époque de ma présence à l'Institut Pasteur, nous avons déposé un brevet et ils ont acheté la licence. Pour le vaccin contre le Zika, je n'ai pas d'intérêt.
En termes de recherche, au sein de mon équipe « mécanismes moléculaires et cellulaires des agents biologiques infectieux » (MOCA), depuis 2015, nous avons travaillé, sur le risque d'émergence du Zika à La Réunion. Nous avons fait une vingtaine de publications autour de la thématique. Globalement, il s'agit de comprendre comment le virus réplique, comment les cellules répondent. Nous avons fait aussi des brevets qui ont été brevetés par Inserm Transfert. Notre approche originale est d'avoir caractérisé des plantes médicinales de La Réunion qui sont la pharmacologie française et nous avons pu en découvrir certaines qui avaient des propriétés antivirales contre le Zika et la dengue. Nous avons développé également, par génie génétique, un candidat vaccin vivant atténué que nous avons breveté en 2016. Nous continuons l'étude et nous espérons le développer grâce peut-être à des soutiens.
Ceci a pu se faire grâce au soutien, dès le début, du consortium ReacTing (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases), qui est une émanation de l'Aviesan, la fédération de l'ensemble des instituts de recherche en France autour de la santé et de la biologie, patronnée par l'Inserm présidé par Gilles Bloch. Reacting a été créé à l'initiative du professeur Jean-François Delfraissy, à présent président du Comité consultatif national d'éthique. Il a été activé auparavant lors de l'épidémie d'Ebola ; il permet de mobiliser les équipes françaises rattachées à Aviesan et capables de réagir rapidement, afin de se mettre ensemble pour développer des moyens de lutte contre l'émergence. Ebola a été plus bel exemple, mais aussi Zika.
Nous avons également un soutien à la recherche, grâce à Inserm Transfert qui assure le transfert entre la recherche académique et la recherche et développement. Ils nous ont aidés à développer des outils de diagnostic, mais aussi des outils de vaccin.
En termes de collaboration, nous travaillons actuellement avec le Centre de recherche international en infectiologie (CIRI), à Lyon et avecl'unité mixte de rechercheD3 de l'Institut Pasteur, qui travaille sur le métabolisme. Ils ne sont pas infectiologues, mais nous partageons les centres d'intérêt. Ils sont hébergés comme nous à la plateforme Cyroi (Cyclotron Réunion Océan Indien), à La Réunion.
À l'international, nous collaborons avec la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz), à Curitiba au Brésil. Un programme d'échange financé par Campus France, que l'on appelle le CAPES (Coordenação de Aperfeiçoamento do Pessoal de Nível Superior) - COFECUB (Comité français d'évaluation de la coopération universitaire et scientifique avec le Brésil) a permis d'échanger, chaque année, par des voyages multiples, avec des scientifiques brésiliens. Nous avons un programme commun que l'on appelle ziKanet, qui a été lancé dès les premiers cas. Nos collègues brésiliens nous avaient d'ailleurs informés, lors de leur venue en 2015 à La Réunion, et avaient signalé aux décideurs en France les premiers cas de Zika microcéphalie. Nous collaborons aussi avec l'université de Maryland.
En termes de financements, nous avons eu, grâce au fonds européen de développement régional (FEDER) du conseil régional de La Réunion, le financement d'un programme que l'on appelle ZIKAlert qui comprend trois axes : recherche, valorisation et formation. Un point important est la formation des jeunes scientifiques réunionnais. L'une des missions de l'unité PIMIT (processus infectieux en milieu insulaire tropical), dans le cadre de ZIKAlert, de 2018 à 2021, financé par les fonds FEDER, est de former les futurs scientifiques, virologues, virologistes, capables de se développer à La Réunion, mais probablement aussi dans les autres îles de l'océan Indien. C'est donc l'une des formations que nous faisons bien sûr sur les doctorants, les jeunes masters de l'université, mais aussi des post-doctorants que nous avons recrutés, afin qu'il y ait une pérennité de l'unité PIMIT après mon départ en 2025 et un changement d'organisation. Des jeunes seront en mesure de continuer cette aventure et seront tout à fait formés, reconnus au niveau international. Nous avons eu une reconnaissance internationale en peu d'années et elle a permis d'ancrer La Réunion comme un hub de recherche sur le Zika, mais aussi sur la dengue. Nous sommes intégrés aussi dans un gros consortium d'un programme H2020 européen qui s'appelle ZIKAlliance, coordonné à l'Inserm par François-Xavier de Lamballerie. Il comprend cinquante partenaires du monde entier, dont d'Amérique latine et d'Asie, autour du Zika et de sa surveillance.
Pour finir, voici l'ensemble de mes collègues à La Réunion. Les doctorants et post-doctorants font un travail remarquable, souvent dans des conditions compliquées dans le contexte ultramarin. Ce n'est pas facile lorsqu'on est à 11 000 kilomètres, mais nous avons su tirer notre épingle du jeu. Il y a de jeunes chercheurs qui sont tout à fait brillants et qui vont permettre d'ancrer l'infection, la microbiologie et la surveillance des maladies émergentes dont les virus qui nous concernent. Nous avons aussi des étudiants internationaux notamment du Liban.
Permettez-moi de vous remercier d'avoir retardé votre retour auprès de votre équipe à La Réunion pour pouvoir être auditionné par cette commission. Nous vous en remercions collectivement.
Merci, professeur Desprès pour votre exposé et vos explications très claires. Toutefois, nous allons vous demander des précisions. Ma première question porte sur les personnes qui sont déjà atteintes et qui se savent malades. Quels sont les moyens de traitement actuellement disponibles ?
Vous nous avez parlé des candidats vaccins. Je souhaiterais savoir quelles sont les personnes qui pourraient recevoir ce vaccin. Vous nous avez expliqué que la majorité des porteurs sont des porteurs sains. Quand le vaccin sera disponible, est-ce que ces porteurs sains pourront être vaccinés ? Vont-ils acquérir une immunité ? Quel est l'état des réflexions actuellement ?
Vos questions sont tout à fait pertinentes et je vais essayer d'y répondre à la lumière de nos connaissances actuelles. Ce sont exactement les questions qui sont posées par la communauté scientifique. Le Zika n'est pas un virus mortel. Les cas de Guillain-Barré, les formes de thrombocytopénie ou des myocardites transitoires font que ces individus sont hospitalisés, mais globalement, ces maladies ne sont pas très graves. Il n'existe pas de traitement.. Après une prise en charge pour les formes les plus sévères, les personnes n'ont jusqu'à présent – n'oublions pas que nous avons un recul de deux ou trois ans – plus de manifestations cliniques ni de séquelles.
La question que nous nous posons, après les formes aiguës, y compris d'ailleurs chez les personnes asymptomatiques qui ont été infectées sans le savoir, concerne la persistance. Quelles sont les conséquences d'une persistance du virus dans l'organisme pendant plusieurs mois ? Les rapports actuels, d'un point de vue immunologique ou clinique, montrent par exemple que certains individus masculins, qui ont une persistance du virus Zika au niveau des organes reproducteurs, sembleraient avoir des atteintes de fertilité. Des problèmes de mobilité des spermatozoïdes ou des problèmes relatifs à une activité sexuelle normale ont été observés chez certains individus. Cette persistance peut nous inquiéter. Elle est observée chez les personnes peut-être les plus déficientes. Est-elle plus générale pour les personnes qui ont été infectées, comme les jeunes ? On retrouve aussi ce virus dans les urines et peut-être dans d'autres organes que l'on a mal identifiés. La persistance sur le long terme est une question que l'on a déjà évoquée au début des années 2000, avec le virus West Nile, aux États-Unis, puisque des personnes qui ont été infectées ont eu des manifestations cliniques de type neurologique assez fortes,. Il y a peut-être un risque de persistance, mais c'est encore à explorer. Est-ce que le virus peut persister y compris au niveau rénal ? Quels sont les dégâts ou les modifications ? Peut-il augmenter le risque de certaines maladies métaboliques ?
En fait, on a deux temps. Dans le cas d'une infection chronique aiguë, pour les individus symptomatiques, je pense qu'une gestion médicale peut être faite et que l'on arrive à gérer. Est-ce qu'il y a une persistance pour ces personnes qui ont des formes cliniques, qui ont eu le virus ? Cette persistance existe-t-elle aussi chez les individus asymptomatiques qui ne savent pas qu'ils ont été infectés ? C'est une question que se pose la communauté scientifique. Il faut donc développer des outils diagnostics tout à fait particuliers, des suivis de population.
La question se pose également pour les enfants concernés par le syndrome congénital de Zika. Même si la mère a été diagnostiquée atteinte par le Zika, par sérologie, ou a présenté un risque pendant les premiers mois de grossesse, 70 % des enfants n'ont pas été affectés à la naissance ; mais nous les voyons, quelques semaines ou quelques mois plus tard, au bout d'un an ou deux, manifester des signes cliniques, soit des problèmes d'épilepsie, soit des problèmes de retard de croissance, y compris au niveau du cortex. Ceci amène à envisager cette maladie plus sur le long terme, sur une chronicité, que sur les formes cliniques. Mais la virologie m'a appris qu'il n'y a pas d'affirmation et qu'il faut être extrêmement prudent pour deux raisons. Le virus Zika, à notre connaissance, ne provoquait rien jusqu'en 2007 et il était en évolution. Mais je ne sais pas dans le futur ce qui va se passer, je n'ai aucune certitude. Actuellement, les questions qui se posent sont relatives aux formes cliniques ou à la prévention de la chronicité. Ce virus peut persister, aussi bien au niveau du tractus vaginal qu'au niveau des glandes séminales.
Cela pose un problème dans la mise au point d'un vaccin contre le Zika. Les stratégies en tiennent compte et les essais qui ont été faits – il y a des travaux remarquables en Chine ou aux États-Unis – consistent à reproduire des modèles expérimentaux de transmission, au niveau des souris, mais aussi au niveau des primates, pour voir si la vaccination peut bloquer la transmission après un contact sexuel. Cela fait partie des modèles pour tester l'efficacité parce que la cible va être de protéger la jeune femme enceinte d'un risque de contamination pendant les premières semaines ou d'éviter que le sperme en lui-même une source de contamination.
Le premier cas répertorié de transmission sexuelle du Zika avait été fait aux États-Unis, dans le début des années 2000. Un Américain, qui travaillait pour une organisation non gouvernementale (ONG) en Afrique, est rentré aux États-Unis et sa femme a attrapé le Zika. Nos collègues américains du Center for Disease Control and Prevention (CDC) à Fort Collins, ont examiné et observé que la seule possibilité, était que son conjoint avait attrapé le Zika et luiavait transmis, lors de rapports sexuels, après son retour de voyage. Il avait été dit que la transmission sexuelle de ces virus, qui sont d'abord des virus transmis par les moustiques, était un peu anecdotique, mais finalement, le Zika n'était pas dans ce cas. Pourquoi ce virus Zika peut-il être transmis sexuellement ? Probablement parce qu'il se maintient dans des organes immuno-privilégiés où il n'a pas une stratégie particulière. Cela a été constaté avec le chikungunya à l'occasion de greffe oculaire, parce que le virus se maintenait au niveau des yeux et que ce sont des endroits où la réponse immunitaire n'a pas d'accès. En fait indirectement, ce virus persiste dans des régions où la réponse immunitaire protectrice a peu d'accès ;elle va tolérer le virus ou le virus se maintiendra parce qu'il ne sera pas contrôlé. Cela occasione de nouvelles maladies, des maladies neurodégénératives ou des maladies tout à fait nouvelles. Le décalage entre la réalité médiatique d'une épidémie et les conséquences à termes oblige à être extrêmement prudent. C'est bien plus tard, un an ou deux après, que ces questionnements commencent à se poser.
Le vaccin pose effectivement des questions. Qui vacciner ? Quelle cible ?
Le consensus est qu'en population générale, il faudrait vacciner peut-être les femmes qui ont un projet de grossesse ou au tout début de grossesse, mais il ne faut pas non plus que le vaccin en lui-même soit porteur d'un problème. Vous voyez donc les challenges. Nous aurons peut-être plusieurs vaccins, qui seront différents, selon les cibles. Chez la femme enceinte, nous aurons peut-être les vaccins les plus neutres. Les vaccins dits ADN ou les protéines recombinantes, qui ne présentent aucun risque, seront peut-être privilégiés, mais ce sont globalement des vaccins qui ne donneront pas une immunité sur le long terme. Pour le long terme, nous aurons peut-être plutôt des vaccins classiques, virus atténué ou autres, capables de protéger sur la durée. Est-ce qu'on va cibler aussi les populations de jeunes adolescents ? Tout ceci est en discussion. Il y a énormément de candidats, mais il y aura peut-être des cocktails de candidats vaccins pour répondre à différentes questions, sachant qu'aujourd'hui, nous travaillons sur les données actuelles et que ce virus va peut-être réapparaître avec de nouveaux tableaux cliniques où il faudra s'adapter.
Je voulais revenir sur les moustiques et parler de géographie. Est-ce que ces moustiques Aedes ne se répandent que jusqu'à une certaine altitude ? Vous êtes à La Réunion et vous avez évoqué l'Ouganda, qui est assez montagneux, ou la région du Grand Rift.
Vous avez tout à fait raison. Aedes aegypti est vraiment un moustique périurbain. Ce moustique se retrouve en Afrique de l'Ouest, dans les régions silvatiques, mais ce virus vit en proximité de l'Homme. Globalement, les épidémies de dengue constatées en Amérique du Sud ou en Asie du Sud-Est sont des épidémies urbaines. Il n'y a pas de réservoirs chez les singes et la transmission se fait entre l'Homme et l'Homme via le moustique Aedes aegypti. Que les épidémies soient à Rio de Janeiro ou à Manille, l' Aedes aegypti vit en promiscuité avec l'Homme. Il est donc tout à fait adapté à l'Homme, et on le retrouve peu dans des régions à moindre densité humaine. Les épidémies massives, qui concernent des millions de cas, sont liées à une adaptation du moustique Aedes aegypti qui est le vecteur de la fièvre jaune, de la dengue et du Zika.
Aedes albopictus, qui est souvent un vecteur peu moins compétent, a une propriété autre qui est beaucoup moins sympathique pour nous. Il est beaucoup plus résistant à des températures plus faibles – jusqu'à 15 degrés – et nous pouvons le retrouver jusqu'à 1 500 mètres d'altitude. Ce moustique, qui vient de l'Asie, s'est propagé dans l'ensemble des continents, du fait des activités humaines, des voyages, des trafics, de la globalisation. Cela a été l'une des raisons de l'épidémie de chikungunya à la Réunion. Quand l' Aedes aegypti a été éradiqué, dans les années 70, en même temps que le moustique vecteur de la malaria,l'anophèle, Aedes albopictus s'est introduit dans des régions, par les voyages, les transports maritimes et les contacts. Il s'est trouvé être un très bon vecteur du chikungunya, alors que celui-ci, qui venait de façon épidémique d'Afrique, n'était pas adapté à albopictus. Nous avons eu une première épidémie en 2004 ;puis en 2005, nous avons eu une flambée inattendue parce que le virus s'est adapté à Aedes albopictus avec une seule mutation. Tout est donc en évolution. Aedes albopictus prend maintenant le dessus pratiquement partout dans le monde. C'est un moustique invasif qui concerne la France continentale, puisque nous avons suivi sa progression à partir de l'Italie où il est passé par le tunnel du Fréjus. Nous avons commencé à le retrouver à Menton, à partir de 2007-2008. Le suivi épidémiologique du moustique correspondait parfaitement aux axes autoroutiers :il était transporté par les camions. Dans les projections du Centre européen de prévention et contrôle des maladies, comprenant les modifications climatiques, l' Aedes albopictus pourrait aller jusqu'en Europe du Nord. Il est présent maintenant en région parisienne. Avec lui, potentiellement, des maladies tropicales vont survenir y compris en France métropolitaine, où on commence à voir des cas autochtones, sans que les personnes infectées aient voyagé dans les zones endémiques. On retrouve maintenant Aedes albopictus en Afrique et dans l'océan Indien. Ce moustique est extrêmement agressif, même si initialement, il n'était pas le meilleur vecteur. Il va donc falloir lutter contre les deux vecteurs, mais nos collègues disent qu'en Afrique de l'Ouest, Aedes albopictus, qui est arrivé, prend le dessus sur Aedes aegypti en termes de propagation, puisque le premier est relativement résistant, même à la lutte antivectorielle.
Comment expliquer l'apparition des cas autochtones de Zika dans l'hexagone et non pas à La Réunion ni à Mayotte ? Cela signifie-t-il que ces deux territoires sont particulièrement efficaces dans la lutte contre les vecteurs ?
C'est une question difficile. À La Réunion, deux personnes ont été infectées dans la période 2016-2017. Elles travaillaient pour des compagnies aériennes, elles étaient fébriles ; elles y ont tout de suite pensé et se sont mises elles-mêmes en quarantaine. À Mayotte comme à La Réunion, nous sommes confrontés à des problèmes de dengue ;il faut rester prudent. Si on a une introduction de Zika, les formes cliniques sont très confondantes. À La Réunion, nous sommes maintenant à plusieurs dizaines de milliers de cas, mais nous n'avons que 20 % de cas symptomatiques et 80 % de cas asymptomatiques. À partir du sérotype 2 qui a été introduit des Seychelles, nous avons maintenant d'autres sérotypes qui peuvent amener des conséquences sur des formes sévères. Si nous avons une introduction de Zika, il peut être confondant dans des signes cliniques. En cas d'épidémies, les gens ne vont pas forcément consulter, y compris en Mayotte, et pensent qu'ils font une dengue. Si le Zika est là, dans les régions où il y a une co-circulation des arbovirus – dans l'océan Indien, il n'y a pas que la dengue, il y a aussi le West Nile – il va falloir faire des études de prévalence, avec les outils les plus sophistiqués possible ; c'est l'une des priorités que l'on essaie de lancer, Le diagnostic classique est extrêmement confondant. Pour faire un diagnostic de forme aiguë, on peut faire une amplification en chaîne par polymérase ( polymerase chain reaction, PCR). La personne est malade, on le voit, mais il faut penser à préciser le diagnostic. Sinon, il faut voir la circulation.
Je peux vous donner un exemple. Nous avons travaillé avec nos collègues en Pacifique Sud où existe un « cousin » du chikungunya qui s'appelle le virus de Ross River, qui est en Australie. Nous avons fait, grâce à nos outils, une étude générale de la circulation de ce virus. La majorité de la population de Tahiti était séroconvertie pour le Ross River, alors qu'il n'y avait aucun signe clinique.
Il y a deux possibilités de faire une telle étude systématique. A La Réunion, cela a été lancé par mes collègues responsables d'unité Patrick Mavingui et Olivier Meilhac, avec, on l'espère, le soutien du conseil départemental. On peut faire une étude soit à partir des donneurs de sang, une population que l'on peut suivre à partir d'une sérologie, soit à partir d'une population à La Réunion, avec une populationun peu plus générale qu'en ciblant les donneurs de sang, qui appartiennent à une tranche d'âge et sont volontaires. L'idée est d'avoir une cohorte qui permettrait de voir quel type de virus circule : le Zika est peut-être là, mais on l'a peut-être confondu et il ne pose pas de problème. Le Zika circule aussi en Afrique australe, mais l'hôte ne s'est peut-être pas implanté, on n'en sait rien. Et à partir de là, il faut prendre en compre l'incidence de la comorbidité et des problèmes des maladies métaboliques, comme le diabète. Nous voudrions savoir ce qu'il en est en termes de diabète, en termes de problèmes spécifiques, surtout insulaires, de l'océan Indien, par rapport aussi aux risques de propagation, de diffusion et de persistance. Les questions seront peut-être différentes de celles des pays occidentaux ou en France continentale et devront être adaptées.
En résumé, je pense que l'une des priorités d'intervention serait de savoir ce qui circule actuellement : cela ne peut être fait que par la sérologie et avec des outils suffisamment performants, ce que l'on pense pouvoir disposer. C'est une volonté politique, en termes de moyens, une coopération avec les différentes agences. Ensuite, nous voudrions tirer profit de ces populations pour faire une étude un peu plus globale de l'incidence de ces maladies, dans un contexte de comorbidité par rapport à des maladies du métabolisme ; comme vous savez, le diabète est un problème très important dans l'océan Indien.
Que pensez-vous de l'organisation de la recherche en France sur les arboviroses ? Est-elle efficace ? Existe-t-il suffisamment de centres de recherche spécifique consacrés à la recherche médicale sur les maladies vectorielles, ainsi que sur les modes de transmission ? Quelles seraient vos préconisations ?
Il existe des leviers au niveau français, qui sont d'ailleurs reliés à ceux existants aux niveaux européen et mondial. Les virus et les maladies n'ont pas besoin de passeport ni de visa. On ne peut imaginer qu'un seul pays puisse juguler une épidémie. Avec le coronavirus, on s'aperçoit que la coopération internationale est nécessaire, elle n'est même pas une option. Dans le cas des arboviroses qui ne nous concernent plus, qui ont été un prototype et qui ont été mis aussi en perspective dans le cas d'Ebola, nous avons REACTing, qui est d'ailleurs actuellement impliqué sur les questionnements liés au coronavirus, qui a été aussi impliqué pour Ebola, de telle façon qu'autour de la table, les spécialistes, mais aussi les décideurs politiques, puissent être informés et avoir des correspondants. C'est une décision politique, prise il y a une dizaine d'années, de regrouper autour de la table les différentes agences impliquées, les structures universitaires, hospitalières, de recherche, autour de ces questions de santé publique. .
En France, il y a beaucoup d'agences et de structures. Ce n'est pas un scoop de dire que souvent, il y a beaucoup de compétition. La compétition n'est pas toujours nécessaire, mais c'est un peu le système qui le veut. L'une des recommandations serait de renforcer ces dispositifs qui existent, comme REACTing, qui sont des lieux de rencontre où il y a une concertation et un mode d'action, où nous pouvons agir au niveau français, au niveau européen et au sein des organisations internationales comme l'OMS, qui a mis en place le réseau mondial d'alerte et d'action en cas d'épidémie ( global outbreak alert and response network, GOARN) et et l'Organisation panaméricaine de la santé afin de travailler ensemble. Je pense que nous avons des leviers, mais ces leviers méritent d'être développés.
En termes de centres de recherche, il faudrait peut-être donner encore plus de moyens à l'ultramarin. La structure que nous avons créée, PIMIT, que nous a demandé de porter Patrick Mavingui, était un prototype de ce qui était voulu par Aviesan et indirectement par REACTing. Il s'agit d'implanter, directement sur les lieux d'émergence, des équipes mixtes métropolitaines et locales, pour être capable d'interagir le plus rapidement possible. Jusqu'à présent, les territoires ultramarins étaient peu mis en valeur et généralement, ils étaient là pour fournir les échantillons cliniques envoyés en métropole. On perdait alors toute la richesse et l'intervention sur place. Notre unité mixte de recherche PIMIT est un prototype, un noyau très important où nous pouvons associer les acteurs locaux, y compris les universités en termes de formation, pour être en mesure de créer, y compris sur place, des équipes de renommée internationale et d'agir en amont dans les veilles. Les zones tropicales sont les zones d'émergence. Que ce soit en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, en Guyane française, dans les Antilles, en Guadeloupe et Martinique, que ce soit à la Réunion ou à Mayotte, la France apporte beaucoup au niveau européen et l'Union européenne nous soutient beaucoup, puisque nous sommes des sentinelles/ Mais se limiter à des sentinelles, comme on le fait habituellement, serait un peu dommageable. Je pense qu'on a les moyens. Il faut convaincre des jeunes talents de venir dans les territoires ultramarins. Nous avons également à La Réunion un foyer de jeunes tout à fait remarquables, qui ont été formés ou que nous formons. Certains ont fait leurs études en Europe, d'autres ont fait aussi des études post-doctorales aux États-Unis. Ils ont fait l'effort de revenir, étant donné la perspective de pouvoir développer leurs acquis et leurs connaissances. Je crois que l'avenir est là, d'avoir localement des équipes de renommée internationale, en s'appuyant sur des structures telles que REACTing. Mon expérience de La Réunion, au bout de cinq ans, me permet de dire que c'est vraiment une priorité. Il serait dommage que la Nation ne donne pas tous les espoirs à ces jeunes que l'on a formés et qui sont remarquables.
Nous avons compris le message et vos préconisations. Vous nous avez expliqué que vous bénéficiez de fonds FEDER. À quelle hauteur ? Est-ce que vous pensez qu'ils sont suffisants ? Est-ce que vous bénéficiez aussi de financements internationaux privés, comme ceux de la Fondation Bill & Melinda Gates ? Si oui, est-ce que vous en bénéficiez vraiment et à quelle hauteur ? L'Agence nationale de la recherche (ANR) considère-t-elle ce type de recherche comme prioritaire ?
Le conseil régional de La Réunion a accepté, dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité, d'apporter des financements des fonds FEDER pour la période 2015-2020. Nous ne savons pas pour la années à venir. Il avait accepté de mettre une partie d'une enveloppe dans l'aide à la recherche. Nous avons donc pu déposer des projets. Ce sont des enveloppes tout à fait intéressantes qui ont été mises à disposition, même si elles sont très complexes, pour la région Réunion, à mettre en place, parce qu'elle n'avait pas une habitude d'évaluation de projets de recherche. Ils étaient plus habitués à financer des projets de travaux publics, comme actuellement la route du littoral, qu'à financer des programmes de recherche en biologie moléculaire. Il a fallu qu'ils s'adaptent, mais maintenant, c'est fait. Par exemple, le programme ZIKAlert a été financé sur le Zika, avec trois volets, dont un volet recherche et un volet recherche et développement. L'une des règles d'utilisation des fonds FEDER est que nos recherches doivent permettre de déboucher surune plus-value, y compris au niveau local ; cela ne peut être uniquement de la recherche fondamentale. Nous avions donc ce triptyque : étudier le virus, mais développer des candidats vaccins, ce que nous avons fait, ainsi que la formation. Cette enveloppe était d'environ 700 000 euros, ce qui est une somme importante.
Mais se pose toujours les problèmes ultramarins que je voudrais soulever aussi. Dans notre cas, nos commandes de réactifs et de produits passées à l'international sont sujettes à l'octroi de mer. Il y a un surenchérissement de tout ce que l'on commande d'environ 50 %. On divise ainsi par deux les équipements par rapport à la métropole. Cette question de l'octroi de mer est extrêmement sensible et dépasse nos problèmes de scientifiques, mais nous regrettons que la commande de réactifs biologiques pour nos travaux soit assujettie à un octroi de mer, surtout qu'il s'agit, à la base, de protéger la production locale et dans ce cas, le risque est quand même très limité. C'est un problème qui est beaucoup plus global, mais que je tiens à souligner.
Les financements sont importants. À PIMIT, nous avons eu de deux à trois millions d'euros sur différents projets, aussi bien sur la leptospirose que sur le suivi de nouveaux virus dans le cadre des chauves-souris. Quatre ou cinq programmes sont financés par la région ou les fonds du programme Interreg, puisqu'ils sont en collaboration avec Madagascar, Mayotte ou les Seychelles.
Parmi les grands bailleurs de fonds, je vous ai cité le programme Horizon 2020. Au niveau de l'Union européenne, nous sommes partenaires du programme ZIKAlliance qui a cinquante partenaires dans le monde et qui est piloté par l'Inserm. Nous sommes partie prenante pour une partie du projet autour du Zika. En termes de financements de l'ANR, nous avons eu la visite des représentants de l'Agence qui ont fait le tour de France et nous avons pu évoquer les difficultés, pour nous, de soumettre des projets ANR. Sans faire la langue de bois, il est très difficile pour nous, en tant qu'ultramarins, de soumettre des projets qui sont en compétition avec ceux de très grandes structures métropolitaines. Lorsque les représentants de l'ANR nous ont présenté la répartition des financements en France, nous avons pu constater que la région parisienne absorbe 75 % des financements. Nous n'avons pas plus de financements ANR à La Réunion que nous en avons dans certaines régions de France. C'est un problème global d'une réorientation ; ils en sont conscients. Je leur avais suggéré de faire des appels d'offres un peu orientés vers l'ultramarin.
On nous demande, à 11 000 kilomètres, de monter des recherches, des programmes, d'être au niveau international, mais il faut nous aider un peu, puisque nous avons un contexte de recherche qui n'est pas celui que l'on peut retrouver dans les grands axes comme la région parisienne, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, la région de Toulouse ou de Bordeaux. On est un petit territoire, comme à Mayotte ou aux Antilles. On ne demande pas un fléchage, mais une certaine colorisation. En matière financière, on peut toujours trouver, mais ce sont aussi les jeunes que l'on forme. Que ce soit aux Antilles, à Mayotte, en Polynésie, il y a des jeunes formés, mais il faut les aider à trouver des postes. Nous demandons bien sûr de garder l'excellence et la sélection. Je crois qu'il serait très dommageable de faire des exceptions, mais il faut peut-être avoir une oreille ou un regard un peu plus attentif, avec des parcours qui sont pour nous remarquables, mais qui sont dans la moyenne haute de ce que l'on peut retrouver en métropole. C'est une décision, à mon avis, politique que l'on a évoquée ouvertement.
Les grands bailleurs de fonds internationaux, comme la Bill & Melinda Gates Foundation, nous n'en sommes pas là. Je l'espère dans le futur ; nous avançons étape par étape. Une équipe qui a été créée il n'y a cinq ans arrive seulement à avoir une reconnaissance internationale. Nous avons publié énormément, nous sommes dans des instances.
Selon vous, quelle est l'échelle pertinente pour une politique de lutte et de prévention contre les maladies vectorielles ?
Ces maladies sont complexes du fait qu'il y a beaucoup de partenaires, beaucoup de contingence. La problématique est un peu la même que pour le coronavirus. Ces virus, que l'on appelle zoonotiques, ont un réservoir animal, avec des vecteurs de transmission. Il n'est donc pas possible qu'une seule structure soit en mesure de répondre globalement. Cela demande une synergie qui pourrait d'ailleurs peut-être être à la base, dans le futur, d'une agence spécifique des arboviroses ; ce serait peut-être un futur idyllique. Cette agence regrouperait des personnes travaillant sur le vecteur, des personnes spécialistes du pathogène, des spécialistes de la clinique, capables de comprendre la physiopathologie, capables de comprendre le diagnostic et la vaccinologie.
Dans le futur, des structures de taille européenne pourraient être capables d'interagir ou de travailler ensemble sur ces différents volets. On ne peut séparer l'ensemble puisque les questions sont complexes et multiples. Nous sommes toujours en retard, du fait que ces virus évoluent. Je ne sais pas d'où viendra la prochaine émergence après le Zika. La première était le virus West Nile, suivie de Zika dix ans plus tard. Dans les cinq prochaines années, quel sera le suivant à apparaître ? Je ne sais pas. Nous avons des petits candidats, comme le virus Usutu, qui semblent se manifester, puisque nous le trouvons en Europe maintenant. Cela veut dire aussi une gestion de la globalisation de l'économie, des échanges. L'exemple du coronavirus montre à quel point ces solutions sont extrêmement complexes à résoudre et ne peuvent pas l'être uniquement par les scientifiques ou les spécialistes. Cela doit être intégré dans une politique globale, ce que l'on faisait à l'époque où j'étais au conseil national de la recherche. Cela doit se faire en partenariat avec les agences de santé. Il faut apprendre à se connaître, à dialoguer, à préparer des stratégies. Vous avez tout à fait raison.
Je pense que les prochains enjeux seront d'avoir ce que l'on appelle maintenant le One Health, qui est un très beau terme, mais qu'il faut désormais mettre en perspective. C'est un énorme chantier et il nécessite d'avoir de jeunes scientifiques formés qui s'intègrent dans ce dispositif, qui est un peu différent des dispositifs de la seule excellence académique, telle qu'elle est prônée, un peu trop peut-être. Nous avons maintenant des difficultés à avoir des scientifiques intéressés par ces globalisations, à répondre à des problèmes de santé publique, puisque l'on privilégie beaucoup l'excellence. C'est très bien, mais tout ne se résume peut-être pas uniquement à l'excellence.
Madame la Présidente, mesdames, messieurs les membres de la commission d'enquête, je vous remercie beaucoup de m'avoir accueilli et de m'avoir écouté. Je vous souhaite une bonne continuation dans vos travaux et je reste à votre disposition.
La réunion s'achève à quinze heures cinquante-cinq.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles
Réunion du jeudi 13 février 2020 à 14 heures 30
Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Valérie Thomas, Mme Élisabeth Toutut-Picard
Excusés. - Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, Mme Françoise Dumas, M. Benoit Simian, M. Jean-Louis Touraine