Intervention de Philippe Desprès

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 14h30
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Philippe Desprès, professeur et chef de l'unité « Interactions Moléculaires Flavivirus-Hôtes » de l'Institut Pasteur :

Vos questions sont tout à fait pertinentes et je vais essayer d'y répondre à la lumière de nos connaissances actuelles. Ce sont exactement les questions qui sont posées par la communauté scientifique. Le Zika n'est pas un virus mortel. Les cas de Guillain-Barré, les formes de thrombocytopénie ou des myocardites transitoires font que ces individus sont hospitalisés, mais globalement, ces maladies ne sont pas très graves. Il n'existe pas de traitement.. Après une prise en charge pour les formes les plus sévères, les personnes n'ont jusqu'à présent – n'oublions pas que nous avons un recul de deux ou trois ans – plus de manifestations cliniques ni de séquelles.

La question que nous nous posons, après les formes aiguës, y compris d'ailleurs chez les personnes asymptomatiques qui ont été infectées sans le savoir, concerne la persistance. Quelles sont les conséquences d'une persistance du virus dans l'organisme pendant plusieurs mois ? Les rapports actuels, d'un point de vue immunologique ou clinique, montrent par exemple que certains individus masculins, qui ont une persistance du virus Zika au niveau des organes reproducteurs, sembleraient avoir des atteintes de fertilité. Des problèmes de mobilité des spermatozoïdes ou des problèmes relatifs à une activité sexuelle normale ont été observés chez certains individus. Cette persistance peut nous inquiéter. Elle est observée chez les personnes peut-être les plus déficientes. Est-elle plus générale pour les personnes qui ont été infectées, comme les jeunes ? On retrouve aussi ce virus dans les urines et peut-être dans d'autres organes que l'on a mal identifiés. La persistance sur le long terme est une question que l'on a déjà évoquée au début des années 2000, avec le virus West Nile, aux États-Unis, puisque des personnes qui ont été infectées ont eu des manifestations cliniques de type neurologique assez fortes,. Il y a peut-être un risque de persistance, mais c'est encore à explorer. Est-ce que le virus peut persister y compris au niveau rénal ? Quels sont les dégâts ou les modifications ? Peut-il augmenter le risque de certaines maladies métaboliques ?

En fait, on a deux temps. Dans le cas d'une infection chronique aiguë, pour les individus symptomatiques, je pense qu'une gestion médicale peut être faite et que l'on arrive à gérer. Est-ce qu'il y a une persistance pour ces personnes qui ont des formes cliniques, qui ont eu le virus ? Cette persistance existe-t-elle aussi chez les individus asymptomatiques qui ne savent pas qu'ils ont été infectés ? C'est une question que se pose la communauté scientifique. Il faut donc développer des outils diagnostics tout à fait particuliers, des suivis de population.

La question se pose également pour les enfants concernés par le syndrome congénital de Zika. Même si la mère a été diagnostiquée atteinte par le Zika, par sérologie, ou a présenté un risque pendant les premiers mois de grossesse, 70 % des enfants n'ont pas été affectés à la naissance ; mais nous les voyons, quelques semaines ou quelques mois plus tard, au bout d'un an ou deux, manifester des signes cliniques, soit des problèmes d'épilepsie, soit des problèmes de retard de croissance, y compris au niveau du cortex. Ceci amène à envisager cette maladie plus sur le long terme, sur une chronicité, que sur les formes cliniques. Mais la virologie m'a appris qu'il n'y a pas d'affirmation et qu'il faut être extrêmement prudent pour deux raisons. Le virus Zika, à notre connaissance, ne provoquait rien jusqu'en 2007 et il était en évolution. Mais je ne sais pas dans le futur ce qui va se passer, je n'ai aucune certitude. Actuellement, les questions qui se posent sont relatives aux formes cliniques ou à la prévention de la chronicité. Ce virus peut persister, aussi bien au niveau du tractus vaginal qu'au niveau des glandes séminales.

Cela pose un problème dans la mise au point d'un vaccin contre le Zika. Les stratégies en tiennent compte et les essais qui ont été faits – il y a des travaux remarquables en Chine ou aux États-Unis – consistent à reproduire des modèles expérimentaux de transmission, au niveau des souris, mais aussi au niveau des primates, pour voir si la vaccination peut bloquer la transmission après un contact sexuel. Cela fait partie des modèles pour tester l'efficacité parce que la cible va être de protéger la jeune femme enceinte d'un risque de contamination pendant les premières semaines ou d'éviter que le sperme en lui-même une source de contamination.

Le premier cas répertorié de transmission sexuelle du Zika avait été fait aux États-Unis, dans le début des années 2000. Un Américain, qui travaillait pour une organisation non gouvernementale (ONG) en Afrique, est rentré aux États-Unis et sa femme a attrapé le Zika. Nos collègues américains du Center for Disease Control and Prevention (CDC) à Fort Collins, ont examiné et observé que la seule possibilité, était que son conjoint avait attrapé le Zika et luiavait transmis, lors de rapports sexuels, après son retour de voyage. Il avait été dit que la transmission sexuelle de ces virus, qui sont d'abord des virus transmis par les moustiques, était un peu anecdotique, mais finalement, le Zika n'était pas dans ce cas. Pourquoi ce virus Zika peut-il être transmis sexuellement ? Probablement parce qu'il se maintient dans des organes immuno-privilégiés où il n'a pas une stratégie particulière. Cela a été constaté avec le chikungunya à l'occasion de greffe oculaire, parce que le virus se maintenait au niveau des yeux et que ce sont des endroits où la réponse immunitaire n'a pas d'accès. En fait indirectement, ce virus persiste dans des régions où la réponse immunitaire protectrice a peu d'accès ;elle va tolérer le virus ou le virus se maintiendra parce qu'il ne sera pas contrôlé. Cela occasione de nouvelles maladies, des maladies neurodégénératives ou des maladies tout à fait nouvelles. Le décalage entre la réalité médiatique d'une épidémie et les conséquences à termes oblige à être extrêmement prudent. C'est bien plus tard, un an ou deux après, que ces questionnements commencent à se poser.

Le vaccin pose effectivement des questions. Qui vacciner ? Quelle cible ?

Le consensus est qu'en population générale, il faudrait vacciner peut-être les femmes qui ont un projet de grossesse ou au tout début de grossesse, mais il ne faut pas non plus que le vaccin en lui-même soit porteur d'un problème. Vous voyez donc les challenges. Nous aurons peut-être plusieurs vaccins, qui seront différents, selon les cibles. Chez la femme enceinte, nous aurons peut-être les vaccins les plus neutres. Les vaccins dits ADN ou les protéines recombinantes, qui ne présentent aucun risque, seront peut-être privilégiés, mais ce sont globalement des vaccins qui ne donneront pas une immunité sur le long terme. Pour le long terme, nous aurons peut-être plutôt des vaccins classiques, virus atténué ou autres, capables de protéger sur la durée. Est-ce qu'on va cibler aussi les populations de jeunes adolescents ? Tout ceci est en discussion. Il y a énormément de candidats, mais il y aura peut-être des cocktails de candidats vaccins pour répondre à différentes questions, sachant qu'aujourd'hui, nous travaillons sur les données actuelles et que ce virus va peut-être réapparaître avec de nouveaux tableaux cliniques où il faudra s'adapter.

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