Intervention de Jocelyn Raude

Réunion du vendredi 14 février 2020 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Jocelyn Raude :

Les deux piliers essentiels de la lutte anti-vectorielle – de la prévention des maladies à transmission vectorielle – sont les actions individuelles et les actions collectives. Ces deux modes d'action ne sont pas substituables ; l'un dépend étroitement de l'autre.

Les actions individuelles comprennent d'une part la protection individuelle, d'autre part le soin que les familles apportent à leur environnement immédiat – leur jardin, leurs dépendances, etc.

Concernant la rationalité humaine, les actions de prévention des maladies à transmission vectorielle posent une série de défis.

Ces maladies sont probablement l'un des domaines de la santé publique où il est le plus difficile de faire de la prévention, contrairement à la vaccination, par exemple, qui n'exige pas un fort niveau d'engagement de la part de nos concitoyens. La lutte anti-vectorielle exige une série d'actions répétées dans le temps.

Plusieurs effets psychosociologiques ont été identifiés dans la littérature. D'abord, l'effet dit du « tonneau des Danaïdes inversé » : la lutte anti-vectorielle exige de vider systématiquement les réservoirs d'eau, les sources d'eau stagnante ; des actions extrêmement coûteuses dans le temps, notamment à la saison humide.

Ensuite, l'effet « dilemme du prisonnier » : la protection collective dépend non seulement de vous, mais aussi des autres. Vous pouvez vider vos réservoirs d'eau, si vos voisins ne le font pas, vous serez exposé aux moustiques. Vous ne maîtrisez donc pas complètement votre environnement. Il suffit qu'un petit nombre de ménages ne jouent pas le jeu pour que les actions de la grande majorité ne servent à rien, ce qui a un effet décourageant.

Sur le plan scientifique, nous ne connaissons pas, à l'heure actuelle, l'efficacité des mesures de protection individuelles. Dans le domaine pharmacologique, nous savons à peu près que telle molécule thérapeutique ou tel vaccin a tel niveau de couverture, de protection. En matière de maladie à transmission vectorielle, la plupart des mesures recommandées, à la fois par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et par les agences régionales de la santé (ARS), n'ont pas cette robustesse scientifique permettant de connaître précisément l'impact des mesures prises.

Cette ignorance tient à deux facteurs méthodologiques. Le premier est la sur-déclaration des comportements vertueux ; le second est que le changement de comportement n'intervient qu'en cas de maladie.

La conséquence de tous ces facteurs est un faible niveau d'adhésion aux recommandations des pouvoirs publics. Moins de la moitié de nos concitoyens d'outre-mer respecte ou utilise en situation épidémique les recommandations faites par les ARS sur le plan local.

Par ailleurs, on s'aperçoit que les seuls comportements qui résistent au temps et à la phase épidémique sont ceux qui sont visibles socialement ; il y a un relâchement rapide, en période épidémique, de la prévention individuelle – l'utilisation de répulsifs ou de diffuseurs. En revanche, ce qui est visible par les autres est pratiqué, notamment pour des raisons de conformisme social, pour ne pas être stigmatisé par le voisinage.

Les actions collectives sont essentiellement menées par les services publics. Il s'agit, d'une part, des traitements par biocides et insecticides qui visent les moustiques adultes, d'autre part, de la lutte mécanique contre les gîtes larvaires installés dans l'espace public et faisant l'objet du dilemme du prisonnier – les particuliers ne vidant pas les récipients de leur jardin tant que ceux du terrain vague d'à-côté ne le sont pas.

Les données qui ont été collectées fin 2018 démontrent que seuls 45 % des Réunionnais approuvent les traitements par insecticides dans le cadre de la lutte anti-vectorielle. Il existe donc un vrai problème d'acceptabilité de ces mesures collectives, qui a favorisé le développement d'une nouvelle méthode, aujourd'hui à l'étude, et qui fera bientôt l'objet d'expérimentations.

Au Colorado, deux comtés adjacents, ceux de Loveland et de Fort Collins, étaient envahis de moustiques. Des actions communautaires très fortes ont été instaurées dans l'un d'eux pour diminuer la population de moustiques. Menées avec l'aide des habitants, elles ont été extrêmement efficaces, puisqu'elles ont réduit par trois la densité des populations de moustiques dans cette région du Colorado.

Cependant, il a ensuite été observé une augmentation très importante des cas dans le comté dans lequel les actions avaient été menées. L'équipe de psychologues envoyée sur place a constaté que la baisse de la pression de la nuisance sur la population entraînait une augmentation des comportements à risque – un usage moindre des répulsifs, une plus grande exposition dans les jardins, etc. L'effet bénéfique de l'action collective avait été compensé, négativement, par un relâchement des pratiques individuelles. C'est un effet connu en sciences comportementales et en psychologie : l'effet Peltzman ou compensation du risque.

C'est la raison pour laquelle nous surveillerons les relâchements de comportements lors des expériences qui seront réalisés sur le terrain, afin de nous assurer qu'une mesure efficace – un lâcher d'insectes stériles, par exemple – ne provoque pas un relâchement des comportements individuels.

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