Mon exposé résumera, dans les très grandes lignes, la thèse que j'ai rédigée et achevée en 2018 : Perceptions individuelles et mobilisations collectives autour du moustique Aedes albopictus dans le sud de la France métropolitaine. Anthropologie des politiques sanitaires de prévention.
Mes travaux s'inscrivent dans certains éléments de contexte, notamment l'installation du moustique tigre en France métropolitaine depuis une quinzaine d'années et, avec elle, le risque sanitaire que nous connaissons. Un risque qui appelle les sociétés à s'organiser collectivement pour prendre en charge les conséquences de ce risque. De fait, de nouveaux instruments de l'action publique sont apparus ; la France s'est ainsi dotée d'un plan anti- dissémination du chikungunya, de la dengue et du Zika, dès 2006.
Dans ma thèse, je démontre en quoi ce plan rencontre un certain nombre de limites. Tout d'abord, il s'apparente à un outil de gestion de crise sanitaire plutôt que de prévention. La gouvernance en matière de prévention y est assez floue, en particulier en ce qui concerne la population.
Ce plan ne constitue pas un cadre de référence permettant d'organiser une mobilisation sociale autour du moustique tigre dans le contexte métropolitain, alors même que ce principe de mobilisation sociale, qui implique des actions d'information, de communication et de mobilisation d'acteurs relais, est promu dans la littérature et les guides d'orientation de l'action publique produits par l'OMS.
Par ailleurs, alors même que les communes apparaissent comme l'échelon institutionnel le plus stratégique pour instaurer de telles actions de mobilisation sociale auprès des populations, elles ne sont pas directement impliquées dans la lutte contre le moustique ; elles ne disposent pas de compétences fortes en la matière. En dehors des pouvoirs et obligations de police générale qui incombent au maire, elles restent libres de s'investir a minima ou d'instaurer une démarche proactive.
Quoi qu'il en soit, la lutte contre le moustique tigre à l'heure actuelle en France métropolitaine, et plus particulièrement ces mesures de mobilisation sociale, va être territorialement dépendante, ce qui suggère l'existence de contrastes voire d'inégalités d'un territoire à l'autre.
La problématique de mon travail, qui part de ce constat, a été la suivante : comment peut-on instaurer une politique de prévention autour du moustique tigre et des risques sanitaires qui lui sont associés, de façon effective, au plus près des populations résidant en France métropolitaine ? Avec, en question sous-jacente : l'argument sanitaire figure-t-il comme un motif principal d'action et de mobilisation ?
J'ai enquêté dans deux territoires : la communauté d'agglomérations Var-Estérel-Méditerranée (CAVEM), qui couvre notamment les communes de Fréjus et Saint-Raphaël, et la ville de Nîmes. Par leurs différences, ils illustrent un continuum, différentes étapes du processus de prévention contre le moustique tigre et les risques sanitaires associés. La CAVEM dispose d'un service intercommunal de démoustication, qui fait d'ailleurs figure d'exception dans le paysage institutionnel local en métropole, au motif qu'il déploie des actions très spécifiques autour du moustique tigre et à destination des populations.
Le territoire de Nîmes m'a intéressée parce qu'il a été exposé à l'émergence d'un foyer de cas de dengue en 2015 et a donc dû mobiliser un large panel d'acteurs. Je me suis intéressée au rôle de chacun durant l'événement et à la perception de celui-ci par la suite.
Je présenterai dans les grandes lignes les principaux résultats de ce travail.
D'abord, les difficultés identifiées à la généralisation de cette politique de prévention autour du moustique tigre en France métropolitaine. J'en ai mis trois en évidence.
Premièrement, l'action préventive locale se heurte à la difficulté de concilier les notions de confort des populations, de protection de la santé et de préservation de l'environnement. Les acteurs publics locaux et les populations vont hiérarchiser différemment la nécessité de privilégier la qualité de vie et le confort de vie versus la protection de la santé par rapport aux risques émergents versus la nécessité de préserver l'environnement – recours au non aux pulvérisateurs. De sorte qu'une démarche préventive à long terme va impliquer auprès des usagers un travail en profondeur sur les croyances, les pratiques et les discours pour inverser l'ordre de ces valeurs.
Le discours de la CAVEM est d'abord de réduire la nuisance, en privilégiant la qualité et le confort de vie, puis de préserver l'environnement en réduisant l'usage et le recours aux insecticides, enfin, de mobiliser l'argument sanitaire.
Deuxièmement, la difficulté de concilier responsabilité individuelle et responsabilité collective. La figure de l'autre faisant souvent office d'alibi pour détourner l'attention de sa propre implication individuelle.
Troisièmement, la difficulté de concilier les principes de responsabilisation et d'incitation à agir tout en évitant l'écueil des mobilisateurs de la culpabilisation. Le fait d'identifier des gîtes larvaires, les sources de production de moustiques, lorsqu'il tend à se confondre avec la désignation de coupables, de responsables de la nuisance, fait courir le risque aux acteurs en charge de cette prévention de stigmatiser les personnes ou de contribuer à ce qu'elles se sentent stigmatiser.
Ensuite, je me suis intéressée à ce concept de mobilisation sociale, en expliquant pourquoi il est si peu opérant en métropole. Il s'agit d'un concept qui s'est imposé dans le vocabulaire des documents officiels, mais qui ne suffit pas à en faire un concept opérationnel. Pour ce faire, il requiert d'être incarné par des acteurs relais, de proximité, c'est-à-dire crédibles aux yeux de la population.
En situation sanitaire, comme à Nîmes en 2015, ces acteurs relais – un comité de quartier, par exemple – ne bénéficient pas d'une crédibilité suffisante auprès de la population. Le lien direct entre l'usager et l'administration demeure privilégié. Cependant, l'impossibilité pour l'usager, à ce moment-là, d'obtenir une information transparente de la part de l'administration est susceptible d'exacerber les inquiétudes et les attitudes de défiance.
En outre, ce concept de mobilisation sociale est encore relativement peu opérant. À Nîmes, comme sur le territoire de la CAVEM, les élus, les directeurs de service et les agents des collectivités avaient considéré que c'étaient la capacité des populations à exprimer des attentes à l'égard d'un problème qu'elles avaient elles-mêmes identifié – telle que la nuisance – qui constituait le premier motif de mobilisation de la ville pour initier des actions sur le territoire.
Conclusion : la nuisance est portée à l'agenda de la collectivité locale seulement et seulement si la population transforme cette nuisance en problème public.
Enfin, je me suis intéressée aux effets contrastés de l'expérience du risque sanitaire, de l'exposition de cas importés et de l'émergence de cas en métropole.
Il semblerait qu'au niveau des populations, la survenue de quelques cas en métropole n'est pas associée à un événement particulièrement grave ou traumatisant. Je m'explique. À Fréjus en 2010, où deux cas autochtones de chikungunya ont été enregistrés, comme à Nîmes en 2015, ces événements ont été, du point de vue sanitaire, relativisés, voire perçus par certains habitants comme une expérience positive, puisqu'ils ont mobilisé les acteurs d'État pour rechercher d'autres cas actifs. Les démarches publiques sont alors visibles, en porte-à-porte avec les citoyens, la diffusion de l'information est directe, ce qui contribue à rassurer la population.
Du côté des professionnels de santé, il semble que l'expérience du risque sanitaire modifie assez peu leur mobilisation et leur réactivité qui, en retour, est susceptible d'entraîner des effets négatifs sur la gestion des patients, voire même un épisode sanitaire.
Je me suis notamment penchée sur le parcours de deux cas autochtones et de leur rapport aux médecins généralistes au service des maladies infectieuses de l'hôpital. J'ai réalisé une enquête auprès des médecins infectiologues exerçant en métropole qui a mis en évidence leur perception très faible des risques. Ils ne considèrent pas le risque d'importation comme important, et encore moins celui d'un développement épidémique des maladies transmises par Aedes.
Enfin, il semble que la survenue d'un épisode sanitaire a des implications hétérogènes auprès des collectivités locales, ce qui alimente des usages très différents de l'argument sanitaire, justifiant l'action ou l'inaction locale en matière de mobilisation sociale. À la CAVEM, l'argument n'est pas prioritaire, mais il est tout même mobilisé pour justifier l'action de la collectivité ; à Nîmes, il n'est absolument pas utilisé et justifie ainsi l'inaction de la ville – en tout cas, la mobilisation sociale n'est pas une action prioritaire sur ce territoire.
En conclusion – et peut-être en ouverture –, nous pouvons nous demander si les maladies transmises par Aedes albopictus, dans le contexte métropolitain, constituent un réel enjeu de santé publique.
Pour ma part, il me semble qu'il s'agit bien d'un enjeu de santé publique, mais perçu différemment selon les acteurs : État, collectivités, professionnels de santé, population. Plus je me suis intéressée au point de vue des acteurs locaux, plus les enjeux de santé semblaient être dilués dans un ensemble hétérogène de motifs et de valeurs motivant l'action. Autrement dit, l'argument sanitaire est cœur des préoccupations de l'État plus qu'il ne l'est auprès des collectivités et des populations.
En outre, il ne me semble pas que cette question constitue un enjeu de santé publique global au motif qu'il existe une forte volonté d'anticiper la crise sanitaire ; mais quid du volet préventif qui apparaît encore largement secondaire ?
Enfin, les disparités locales en termes de mobilisation sociale sont révélatrices d'identités de territoire qui influencent et déterminent la mise à l'agenda public local de ces enjeux. Or la prévention des risques associée à ce moustique tigre expose, à l'heure actuelle, les populations à des inégalités d'accès à l'information selon les territoires et, plus largement, à des écarts de vulnérabilités sociales et sanitaires.